Le nom de Joël signifie « l’Éternel est Dieu ». Ce nom a été porté par plusieurs personnages mentionnés dans l’Ancien Testament (voyez par exemple 1 Samuel 8.2 ; 1 Chroniques 6.36, etc.). Notre auteur est désigné d’une façon plus spéciale au verset 1 par le nom de son père Péthuel (« simplicité de Dieu »). Mais c’est la seule indication un peu précise que contienne son livre sur sa personne. Pour tout le reste, nous en sommes réduits aux inductions à tirer du discours prophétique qui y est renfermé. Il appartenait certainement au royaume de Juda, et demeurait probablement à Jérusalem ; c’est ce qui ressort, d’un bout à l’autre de sa prophétie, de la place qu’y occupent le temple, Jérusalem et la tribu de Juda (1.13,14,16 ; 2.1,14-15,17,23,32 ; 3.1,6,16-17,19-21). Le royaume des dix tribus n’est pas même nommé.
Pour en déterminer le temps, il faut avant tout, tenir compte de ce fait qu’il n’y est encore parlé ni des Babyloniens, ni même des Assyriens, mais seulement des plus anciens ennemis des Israélites : des Égyptiens et des Édomites (3.19), des Phéniciens et des Philistins (3.4). Cette circonstance place naturellement Joël avant Jérémie et même Ésaïe qui vivaient au milieu des invasions chaldéennes et assyriennes ; nous pouvons même ajouter : avant Amos, puisque celui-ci parle déjà de la lutte d’Israël avec la Syrie (1.3), dont il n’y a pas encore de trace chez Joël. De tous les prophètes, Abdias est le seul chez lequel nous retrouvons précisément la mention des mêmes ennemis (Édomites, dans tout le livre ; Philistins, verset 19 ; Phéniciens, verset 20). Cette circonstance prouve qu’ils ont dû être à peu près contemporains et qu’ils occupent, chronologiquement parlant, le premier rang entre les petits prophètes.
Un fait frappant confirme la priorité de Joël sur tous les autres prophètes (sauf Abdias), c’est qu’il est souvent cité par ceux-ci. Ainsi Amos 1.2 : « L’Éternel rugit de Sion, et de Jérusalem il fait entendre sa voix », est littéralement copié de Joël 3.16 ; de même Amos 9.13 : « Les montagnes découleront de moût, etc. », est tiré de Joël 3.18 ; Amos 4.9 : « Je vous ai frappés par la brûlure… ; tous vos jardins ont été dévorés par la sauterelle », fait clairement allusion au châtiment décrit dans le chapitre 1 de Joël. Quand il parle 5.18 et 20 du jour de l’Éternel, il relève comme connue la grande idée de ce jour suprême déjà énoncée par Abdias (verset 15) et développée par Joël 1.15 ; 2.1 et suivants ; 31 ; 3.14. Ésaïe, Sophonie, Ézéchiel empruntent aussi des passages entiers à Joël. Comparez Ésaïe 13.6,9-10 avec Joël 1.15 ; 2.1,10 ; Sophonie 1.14-15 avec Joël 2.1-2 ; Ézéchiel 47.1 avec Joël 3.18 ; comparez aussi Ézéchiel 38.17 et 39.8 avec Joël 3.9 et suivants.
Dans les temps modernes, on a contesté cette haute antiquité de Joël. On a allégué son silence sur le royaume des dix tribus qui prouverait que ce peuple n’existait plus ; mais rien n’empêche d’expliquer simplement ce fait par celui de la résidence du prophète à Jérusalem. On a allégué encore qu’il est beaucoup parlé des sacrificateurs et nulle part du roi, ce qui prouverait que Juda avait déjà perdu son indépendance et que Joël prophétisait après le retour de l’exil. Mais cette circonstance peut provenir aussi de ce que Joël vivait dans un moment où l’autorité sacerdotale était prépondérante en Juda et le pouvoir royal un peu effacé. Et ce trait nous servira précisément à fixer plus exactement la date de sa prophétie. En général, si Joël avait vécu après le retour de l’exil, il serait impossible de comprendre comment il mentionne si spécialement les torts faits aux Israélites par les Édomites, les Philistins et les Phéniciens, et les menaces qu’il leur adresse. Car ils avaient alors perdu déjà leur existence nationale et leur indépendance. Ces reproches et ces menaces supposent un temps où ces peuples jouissaient et abusaient de leur liberté au détriment d’Israël déprimé et affaibli.
On se rappelle l’époque désastreuse durant laquelle Athalie, femme de Joram, roi de Juda, chercha à exterminer entièrement la famille de David, afin d’établir en Juda le culte de Baal. Le jeune Joas échappa seul au massacre par la sollicitude et la vigilance du grand-prêtre Jéhojada. À la suite de cette grande restauration nationale, Joas occupa le trône pendant près d’un demi-siècle. Dans les premiers temps où, encore jeune enfant, il régnait sous la tutelle de celui auquel il devait la vie et le trône, le culte de Jehova était de nouveau célébré avec zèle ; les sacrificateurs occupaient une position éminente. Le peuple entier était docile à leur voix. Tel est absolument l’état des choses en face duquel nous place la prophétie de Joël. Tout le tableau du peuple qu’elle nous trace rentre dans cette situation comme dans son cadre naturel.
Nous plaçons donc sans hésiter Joël un peu avant le milieu du IXIème siècle avant Jésus-Christ (vers l’an 870).
La circonstance qui donna l’éveil au don prophétique de Joël et motiva son message au peuple de Juda, fut la dévastation de la Terre Sainte par une invasion de sauterelles qui dura plusieurs années. À cette calamité se joignait une sécheresse persistante. Joël sentit le besoin de faire comprendre au peuple ce que voulait lui dire son Dieu par ces fléaux dont il le châtiait si rudement.
Le prophète commence par se placer entre la calamité présente, qu’il décrit au chapitre 1 dans toute sa sinistre grandeur, et une calamité future, bien plus redoutable, dont il trace le tableau effrayant au chapitre 2, qu’il appelle la journée de l’Éternel et dont le fléau actuel n’est que le prélude. Cette journée de l’Éternel, si elle venait à se réaliser, ne serait rien moins que l’extermination complète de Juda. Dans cette situation, entre le malheur passé et le malheur futur, Joël appelle le peuple entier à un jour solennel de jeûne et d’humiliation, afin d’obtenir la réparation des conséquences du premier malheur et de prévenir le second. C’est là la première partie de sa prophétie (1.2 à 2.17).
Puis, de son regard prophétique, il voit Dieu acceptant l’acte de repentance de son peuple, se laissant fléchir, et rendant à Juda sa bénédiction, 2.18-19. Cette bénédiction est triple :
Telle est la seconde partie du livre, celle de la grâce rendue à Israël après le châtiment (2.18-32).
La troisième (chapitre 3) décrit la bénédiction finale et cela sous deux aspects, celui du jugement et celui de la grâce :
On pourrait résumer ces intuitions d’une si vaste portée en sept tableaux, deux formant la première partie, trois la seconde, deux la troisième :
Tous ces faits divins se groupent autour de l’acte de pénitence réclamé par Joël, soit comme causes, soit comme effets.
Il est probable que la grande délivrance du royaume de Juda, près d’un demi-siècle auparavant, lorsque, sous le roi Josaphat, fut détruite sans coup férir l’armée innombrable des peuples du midi qui, semblable à une nuée de sauterelles, avait envahi la Palestine, s’est présentée à l’esprit de Joël comme un exemple du jugement sur les envahisseurs étrangers décrit au chapitre 3.
Il suffirait de l’admirable fraîcheur et de la puissante originalité qui distinguent cet écrit, en même temps que de la beauté et de la simplicité du style, pour empêcher de le dater d’un temps de décadence comme celui des siècles qui suivirent l’exil, et pour engager à le placer à l’époque classique de la littérature israélite, entre David et Ésaïe.