L’auteur se nomme Jude, serviteur de Jésus-Christ, frère de Jacques. Il ne se donne pas la qualité d’apôtre ; il se distingue même expressément des douze quand il rappelle à ses lecteurs les prédictions que leur avaient faites les apôtres de notre Seigneur Jésus-Christ (verset 17).
Il se présente comme frère de Jacques. Ce Jacques devait jouir d’une considération particulière dans les Églises auxquelles l’épître est adressée. Il ne peut être autre que Jacques, le frère du Seigneur, le chef de l’Église de Jérusalem, l’auteur présumé de l’épître qui nous est conservée sous son nom. Jude était donc un frère cadet de Jésus. S’il ne ne se prévaut pas de cette parenté, mais se désigne simplement comme serviteur de Jésus-Christ, c’est par un sentiment de modestie auquel obéit aussi Jacques (Jacques 1.1). Il fut l’un de ces frères du Seigneur dont Paul nous apprend (1 Corinthiens 9.5) qu’ils voyageaient avec leur épouse pour prêcher partout l’Évangile. Il est nommé le dernier ou l’avant-dernier des frères de Jésus (Matthieu 13.55 ; Marc 6.3) ; on en conclut qu’il était l’un des plus jeunes. Peut-être survécut-il à Jacques et n’écrivit-il cette épître qu’après la mort de son aîné. Hégésippe raconte (d’après Eusèbe, Histoire Ecclésiastique, III, 19, 20) que les petits-fils de Jude furent cités à comparaître devant Domitien (vers 95) comme descendants de David. L’empereur ayant constaté qu’ils étaient d’humbles agriculteurs, ne pouvant lui porter ombrage, les laissa libres. Ils eurent une influence prépondérante dans l’Église de Palestine et vécurent en paix jusque sous le règne de Trajan.
Les destinataires de la lettre ne sont pas nommés. On ne saurait admettre cependant qu’elle soit adressée à l’Église dans son ensemble, (Holtzmann l’appelle une lettre circulaire adressée à toute la chrétienté.), car les circonstances particulières dans lesquelles se trouvent les destinataires, par suite de l’invasion des faux docteurs (versets 3 et 4), montrent qu’ils appartenaient à des communautés bien déterminées. On est conduit à chercher celles-ci dans les mêmes contrées que les Églises auxquelles paraît avoir été adressée l’épître de Jacques, c’est-à-dire dans là Syrie méridionale. Elles devaient appartenir, en effet, à une contrée dans laquelle Jacques fût connu et vénéré, sinon la qualité de frère de Jacques n’eût pas été une recommandation pour Jude. Or il est douteux que l’influence du chef de l’Église de Jérusalem se soit étendue jusqu’en Asie Mineure, d’autres placent les destinataires en Palestine. On pourrait conclure des versets 17 et 18 qu’ils avaient reçu l’enseignement oral de la plupart des apôtres de notre Seigneur Jésus-Christ. Mais nous ne saurions voir en eux des judéo-chrétiens, car les désordres causés par les libertins (verset 12) et leurs tendances antinomiennes s’expliquent mieux dans des Églises d’origine païenne.
L’auteur était occupé de la composition d’un ouvrage concernant notre commun salut, quand il apprit, ou fit la réflexion, qu’il était plus urgent d’écrire à ses frères pour les exhorter à combattre pour la foi qui a été transmise aux saints une fois pour toutes (verset 3). Ce bon combat devait être dirigé contre des adversaires qui joignaient à des enseignements dangereux (versets 8, 10, 18) une conduite immorale. Leurs erreurs n’étaient pas encore groupées en un système. Ils abusaient surtout de la doctrine de la grâce pour se livrer au péché (Romains 6.1, Romains 6.15 ; 1 Pierre 4.1-4). Ils appartenaient encore extérieurement à l’Église et prenaient part à ses agapes (verset 12) ; mais ils constituaient dans son sein un parti à part ; et Jude, se fondant sur la distinction que faisait Paul (1 Corinthiens 2.14), les traite d’hommes psychiques, étrangers à l’Esprit de Dieu (verset 19). En somme, leur apparition devait être semblable à celle des Nicolaïtes, que l’Apocalypse (2.14, 15, 20, 24) nous montre à l’œuvre dans les Églises d’Asie Mineure. Il ne faudrait pas conclure toutefois de ce rapprochement que notre épître a été adressée à ces Églises, ni qu’elle a été composée en Asie Mineure, où Jude serait venu après la ruine de Jérusalem. Les abus de la doctrine paulinienne, qui se produisirent dans les Églises d’Asie Mineure, peuvent s’être produits également dans celles de Syrie.
Quant à la date de notre épître, il n’est pas possible de la fixer d’une manière certaine. Son style concis, énergique, original semble indiquer une époque ancienne, d’autre part, la foi conçue comme une doctrine transmise une fois pour toutes (verset 3), la mention de ce que les apôtres de notre Seigneur Jésus-Christ disaient autrefois aux destinataires de l’épître (verset 17), nous transportent en un temps postérieur, où ces témoins du Maître avaient disparu. Nous ne saurions cependant donner à ces indices une valeur décisive. Quant au second passage allégué (versets 17 et 18), il en ressort que les lecteurs avaient, dans leur majorité, entendu la prédication des apôtres ou du moins avaient reçu un message qui leur était personnellement adressé par ceux-ci. On peut en conclure que l’épître a été écrite entre 65 et 80. Nous inclinerions plutôt vers cette dernière date. Le silence que l’auteur garde sur la ruine de Jérusalem n’est pas une objection, car celle-ci n’était pas, comme les exemples invoqués (versets 5 à 7), le châtiment de péchés spéciaux et notamment de l’impureté (Zahn trouve une allusion à la ruine de Jérusalem dans le passage obscur du verset 5 : Il détruisit une seconde fois ceux qui ne crurent pas).
Les hésitations des Pères de l’Église au sujet de notre épître proviennent de ce qu’ils ne voulaient admettre dans le canon que des écrits d’apôtres. L’usage qu’en fait l’auteur de 2 Pierre est la plus ancienne trace que nous ayons de son existence. Le canon de Muratori la renferme, mais elle ne se trouve pas dans la version syriaque, la Peschito, probablement parce qu’elle ne paraissait pas appropriée à la lecture publique. Tertullien la mentionne ; Clément d’Alexandrie l’a commentée, mais on ne sait s’il l’attribuait à un apôtre. Origène, tout en la nommant avec éloges, fait quelques réserves. Eusèbe la range au nombre des écrits contestés. Jérôme dit qu’elle est rejetée par la plupart, parce que le livre d’Hénoch y est cité.
C’est pour la même raison que Luther a prononcé sur elle un jugement défavorable. Schleiermaeher, Neander, Keuss, Sabatier l’attribuent à une époque plus récente que le siècle apostolique et voient en elle un pseudépigraphe. C’est encore l’opinion de Holtzmann et de Jülicher. Mais Jülicher exprime, avec raison, son étonnement de ce qu’un écrivain du second siècle ait pris le nom de Jude, qui n’avait pas joué de rôle au temps des apôtres. Cette considération, jointe à la remarque qu’il n’y a chez l’auteur aucune tentative de s’attribuer une autorité spéciale, est une forte présomption en faveur de l’authenticité. Harnack (Chronologie, page 468), reconnaissant ce fait, suppose que l’auteur s’appelait effectivement Jude. Il écrivit sa lettre entre 100 et 130 et la signa de son nom. Entre 150 et 180, un interpolateur aurait ajouté au nom de Jude les mots : Serviteur de Jésus-Christ et frère de Jacques. L’authenticité ressort aussi du caractère original de l’écrit. Les citations de livres apocryphes ne sont pas un obstacle, car un homme du siècle apostolique pouvait avoir en grande vénération le livre d’Hénoch. On ne saurait prétendre qu’il soit inadmissible, conclut von Soden, qu’un plus jeune frère du Seigneur, après avoir été conduit par ses voyages missionnaires dans des cercles pagano-chrétiens (1 Corinthiens 9.5), ait écrit à leur intention cette lettre vers 80 ou 90.