Après un séjour de plus de deux ans à Éphèse (55-57), Paul passa l’été et l’automne de 57 en Macédoine. De cette province, il écrivit sa deuxième épître aux Corinthiens. Il y fait de nombreuses allusions à sa prochaine arrivée dans leur ville (2 Corinthiens 2.1-3 ; 9.4 ; 12.20 ; 13.1, 2,10). Il se rendit, en effet, à Corinthe à la fin de l’an 57, et y demeura les trois premiers mois de 58 (Actes 20.3). Il écrivit l’épître aux Romains pendant ce séjour. C’est ce qui ressort de divers indices fournis par notre épître même :
C’est donc dans la maison de Gaïus, à Corinthe, que l’épître aux Romains fut composée. Tertius, un frère qui ne nous est pas autrement connu, l’écrivit sous la dictée de l’apôtre (Romains 16.22).
Au moment où il écrivit cette lettre, la plus étendue, et de beaucoup la plus importante par le contenu, qui soit sortie de sa plume, Paul se trouvait à un tournant de sa carrière apostolique. La partie la plus considérable de cette carrière, la seule qu’il four). Mais s’il a le sentiment d’avoir rempli une partie de sa tâche apostolique, d’être sur le seuil d’une nouvelle période de sa vie, il ne croit pas avoir achevé cette tâche. Il nourrit encore de vastes projets, qu’il laisse entrevoir à ses frères de Rome (15.24, 28) : il veut conquérir à son Maître l’Espagne, ce terme de l’occident, cette limite occidentale du monde connu des anciens. Cependant, tout en énonçant ce plan ambitieux, il exprime des appréhensions pour l’avenir qui lui est réservé. Il supplie les chrétiens de Rome de combattre avec lui dans leurs prières, afin q). Ces craintes iront grandissant. Quelques semaines plus tard, il dira aux anciens d’Éphèse réunis à Milet : Maintenant, lié par l’Esprit, je vais à Jérusalem, ne sachant pas ce qui m’y arrivera, si ce n’est que, de ville en ville, l’Esprit saint m’atteste que des liens et des tribulations m’attendent (Actes 20.22-23).
Qu’il eût ou non, en écrivant l’épître aux Romains, le sentiment que sa carrière touchait à son terme, cette épître peut être considérée, sinon comme le testament spirituel de l’apôtre des gentils, du moins comme le legs de la première partie de sa carrière, de celle où il accomplit son œuvre la plus féconde de missionnaire et de fondateur d’Églises. Il a exprimé dans l’épître aux Romains son Évangile avec ses caractères propres, l’Évangile qu’il n’avait reçu ni appris d’aucun homme, mais qu’il avait reçu par une révélation de Jésus-Christ (Galates 1.12), cet Évangile dont il déclare, au commencement de l’épître (1.16,17), qu’il n’en a point honte, car c’est une puissance de Dieu en salut à tout croyant, pour le Juif premièrement, puis pour le Grec, car en lui se révèle une justice de Dieu, qui provient de la foi et est donnée à la foi. Cet Évangile de la justice par la foi, il l’expose spécialement dans ses rapports avec l’ancienne alliance ; il énonce ainsi les résultats de ses expériences et du travail de sa pensée pendant les dix ans écoulés de son apostolat parmi les gentils, au milieu des luttes qu’il eut à soutenir contre ses adversaires judaïsants, qui auraient voulu imposer à tous les chrétiens le régime légal. Tandis que dans l’épître aux Galates, écrite au fort de la lutte, il défend avec véhémence l’Évangile du salut par la foi seule, dans l’épître aux Romains il expose cet Évangile avec calme et objectivité. Par la majesté de sa construction, la richesse de son contenu, l’épître aux Romains occupe une place unique parmi les épîtres de l’apôtre.
L’Église de Rome n’a jamais pu dire par qui elle avait été fondée : ses origines restent ensevelies dans une obscurité profonde. La seule chose qu’on puisse affirmer avec une parfaite certitude, c’est que l’apôtre Pierre n’en fut pas le fondateur. La tradition catholique, d’après laquelle il aurait le premier prêché l’Évangile à Rome, puis aurait été le premier évêque de cette Église, qu’il aurait gouvernée pendant vingt-cinq ans, pour être ancienne, n’en est pas moins insoutenable. Si la mort de Pierre à Rome paraît probable (comparez l’Introduction à 1 Pierre), il n’est pas possible d’admettre qu’il soit venu dans cette ville peu après l’an 40 déjà et y ait séjourné pendant un quart de siècle. Voici les faits qui s’opposent à cette tradition :
De ces indices nous pouvons conclure avec certitude que Pierre n’eut aucune part à la fondation ni au développement de l’Église de Rome ; que, s’il vint dans la capitale de l’empire, ce fut tout à la fin de sa vie, pour y subir le martyre.
On peut faire les suppositions suivantes sur l’introduction du christianisme à Rome et sur la formation d’une Église dans cette ville. Depuis longtemps il y avait à Rome une nombreuse colonie de Juifs, attirés par leur commerce, ou amenés comme prisonniers de guerre, notamment après la prise de Jérusalem par Pompée en 63 avant J.-C. Plusieurs de ces captifs furent affranchis et reçurent le droit de citoyens romains. Auguste assigna aux Juifs un quartier particulier au delà du Tibre ; ils se groupaient en diverses synagogues ; les noms de quelques-unes nous ont été conservés.&Schurer, Geschichtt des jüd. Volkes, III, 28-36, 44-46. Les Juifs de Rome entretenaient des relations suivies avec la mère-patrie. Déjà en 61 avant J.-C, Cicéron (Pro Flacco, 28) dit que chaque année les Juifs d’Italie envoyaient de l’or à Jérusalem. Plusieurs faisaient le pèlerinage à la cité sainte pour les fêtes. Le livre des Actes (2.10) mentionne les Romains en séjour parmi les auditeurs de Pierre le jour de la Pentecôte. Il se peut que quelques-uns de ces Romains aient été convertis par l’apôtre et aient apporté à Rome les premières semences du christianisme. La tradition qui fait de Pierre le fondateur de l’Église de Rome pourrait être née de cette circonstance. Quoiqu’il en soit, une première communauté chrétienne paraît s’être formée au sein de la colonie juive de Rome. À elle appartenaient Aquilas etPriscille ; ils quittèrent Rome à la suite des mesures décrétées contre les Juifs par l’empereur Claude. Paul les trouva à Corinthe et se lia avec eux (Actes 18.2). Andronique et Junias, ces parents de Paul qui avaient été en Christ avant lui, furent peut-être aussi des membres de cette première communauté judéo-chrétienne de Rome. Le décret qui expulsa les Juifs de Rome fut motivé, d’après Suétone (Claud., 25), par de fréquents troubles qui éclataient parmi les Juifs à l’instigation de Chrestus. Beaucoup d’historiens pensent que Suétone a écrit Chrestus pour Christus et qu’il a pris pour un agitateur contemporain et présent à Rome le Christ, Jésus, au sujet duquel les Juifs de Rome se disputaient. Cette première congrégation chrétienne se dispersa probablement à la suite de l’édit de Claude ou fut réduite à un très petit nombre.
Bientôt le christianisme prit un nouvel essor à Rome, qui ne devait plus être arrêté. Il recruta des adhérents cette fois parmi les gentils, surtout parmi des immigrés de Syrie. Les rapports entre Antioche et Rome étaient fréquents et la capitale de l’empire comptait une très nombreuse colonie de Syriens. Quelques-uns de ces Syriens avaient fait la connaissance de Paul dans leur patrie, peut-être avaient-ils été amenés à l’Évangile par lui ; leur conception du salut était semblable à la sienne. Pour ces raisons, Paul se sentit appelé à écrire aux chrétiens de Rome, et c’est ce qui explique qu’il comptât tant de connaissances personnelles (chapitre 16) dans une ville où il n’avait jamais été. Ces chrétiens venus de Syrie s’étaient livrés à un prosélytisme très actif parmi leurs compatriotes et dans le reste de la population païenne de Rome. Ainsi se constitua l’Église à laquelle Paul écrit en 58. À cette date, elle était nombreuse et florissante. Sa foi était renommée dans le monde entier (Romains 1.8). À ces chrétiens sortis du paganisme s’étaient joints quelques chrétiens d’origine juive qui étaient demeurés à Rome ou y étaient rentrés après la dispersion provoquée par le décret de Claude. Ils formaient une minorité au sein d’une Église composée en majeure partie de convertis du paganisme.
Ces suppositions nous paraissent confirmées, si nous consultons notre épître et si nous cherchons à déduire de son contenu, de sa teneur générale et des indices qu’elle nous fournit, quels étaient les membres de l’Église de Rome quant à leurs origines nationales et religieuses. Cette question divise les interprètes et les historiens. À considérer les sujets traités dans l’épître et la manière dont ils sont traités, on serait porté à estimer que ses destinataires étaient des chrétiens d’origine juive. Paul s’applique dans toute son argumentation à réfuter les objections que les Juifs pouvaient faire à son Évangile, à exposer l’idée évangélique du salut et de la justice de l’homme devant Dieu, en opposition à l’idée qu’en faisaient les Pharisiens légalistes. L’exemple d’Abraham, qu’il développe longuement (chapitre 4) devait surtout faire impression sur des descendants du patriarche. C’est pour ménager la susceptibilité de lecteurs israélites qu’il relève la prérogative du Juif et l’utilité de la circoncision (3.1-4). Les chapitres 9 à 11, qui se trouvent au centre de l’épître, traitent le problème, - si troublant pour tout cœur de Juif converti au christianisme, - de l’incrédulité d’Israël et de son refus de recevoir le salut en Jésus-Christ. Enfin l’apôtre n’expose pas seulement les sujets propres à intéresser les Juifs avant tout ; certaines expressions qu’il emploie montrent qu’il a en vue des lecteurs juifs. Après avoir décrit (1.18-32) la corruption des païens, il apostrophe le lecteur juif (2.1) : Toi donc, ô homme, qui juges les autres, tu es inexcusable. Dans 4.1, il appelle Abraham notre père. Dans 7.1-6, il parle à ses lecteurs comme à des gens qui connaissent la Loi et qui ont été placés sous le joug de la Loi de Moïse avant leur conversion : Vous êtes morts à la Loi par le sacrifice du corps de Christ… Maintenant, étant morts à la Loi qui nous tenait captifs, nous en avons été affranchis pour servir Dieu sous le régime nouveau de l’Esprit et non sous le régime vieilli de la lettre.
Se fondant sur ces faits, des savants de toutes les écoles (Baur, Reuss, Th. Zahn) ont affirmé que l’Église de Rome était composée de chrétiens d’origine juive, qui y formaient du moins la grande majorité. Mais cette opinion a contre elle des déclarations précises de notre épître, dont il n’est pas possible d’atténuer le sens. Nous lisons dès les premiers mots (1.5-6) : Nous avons reçu la grâce et l’apostolat afin d’amener à l’obéissance de la foi tous les Gentils parmi lesquels vous êtes aussi… Dans les chapitres consacrés à la position que Gentils et Juifs prennent à l’égard du salut : Je vous le dis à vous, Gentils… Si toi, qui étais un olivier sauvage, tu as été greffé à la place des branches retranchées… Si, en ce qui concerne l’Évangile, ils (les Juifs) sont ennemis à cause de vous…, de même que vous avez été autrefois rebelles, de même ils ont été maintenant rebelles… (11.13, 17, 28, 31). En terminant son épître, Paul dit aux Romains : Je vous ai écrit, en vertu de la grâce qui m’a été donnée de Dieu d’être ministre de Jésus-Christ parmi les gentils. Le sens de ces déclarations est si clair qu’il nous oblige à conclure, avec la plupart des interprètes et des historiens actuels, que les chrétiens d’origine païenne formaient la majorité dans l’Église de Rome. En effet, les arguments allégués en faveur de l’origine juive de la plupart de ses membres ne sont pas décisifs. Ainsi ceux que l’on tire du sujet principal traité dans l’épître : l’homme est sauvé par la foi et non par les œuvres ; cette démonstration pouvait être nécessaire pour des gentils aussi bien que pour des Juifs, car l’homme est pharisien par nature. Et de plus il était utile de prouver aux gentils que le chrétien n’était plus tenu de pratiquer la Loi de Moïse, car la plupart d’entre eux avaient subi l’influence du judaïsme avant de devenir chrétiens, ils étaient pleins d’admiration pour la Loi, expression de la volonté divine, et considéraient tout l’Ancien Testament comme Écriture sainte ; de là pouvait naître dans leur esprit quelque confusion sur les conditions du salut. Quant à leurs expériences morales, les Gentils pouvaient connaître aussi, en une certaine mesure, la lutte de l’homme sous la Loi, décrite au chapitre 7 ; ils avaient été eux aussi sous la Loi en cherchant à réaliser par leurs propres forces l’idéal moral que leur conscience plaçait devant eux. Le problème de l’endurcissement d’Israël et de son rejet intéressait aussi les chrétiens sortis du paganisme, car, l’Évangile se présentant à eux comme l’accomplissement des prophéties, ils devaient se demander pourquoi les promesses de Dieu à son peuple n’avaient pas eu leur effet ; et cette question était de nature à troubler leur foi.
Convertis du paganisme, les membres de l’Église de Rome avaient été instruits par des disciples plus ou moins directs de Pau) ; il ne se propose pas de les éclairer, de leur enseigner des vérités nouvelles, mais seulement de les affermir (1.11) ; il leur rend le témoignage qu’ils sont remplis de toute connaissance ; et s’il leur écrit, c’est seulem) ; il rend grâces à Dieu de ce qu’ils ont obéi de cœur au type de doctrine auquel ils ont été livrés (6.17) ; ce type de doctrine, tout le contexte le prouve, c’est l’enseignement de l’apôtre sur le salut par la foi en Jésus-Christ. Les Romains connaissaient et professaient la foi en la grâce de Dieu par Jésus-Christ avant que,Paul prît la plume pour leur écrire.
Si, dans leur majorité, les membres de l’Église de Rome étaient d’origine païenne et avaient été gagnés à l’Évangile prêché par l’apôtre des Gentils, il y avait dans cette Église une minorité d’origine juive. L’apostrophe au Juif (2.1) s’explique le plus naturellement dans cette supposition, ainsi que les termes dont Paul se sert au commencement du chapitre 7. Enfin les faibles, dont il est question dans les chapitres 14 et 15, devaient être des judaïsants, puisqu’ils faisaient une différence entre les jours (14.5, comparez Galates 4.9-10).
Le but de l’épître aux Romains n’est pas, comme celui de l’épître aux Galates, de combattre des judaïsants. Il y a de frappantes ressemblances entre les deux épîtres, mais leur intention n’est pas la même. Dans les Galates, Paul combat des faux docteurs judéo-chrétiens, qui prétendaient que, pour être juste devant Dieu et sauvé, tout homme devait ajouter à la foi en Jésus-Christ l’observation des préceptes de la Loi, la circoncision en particulier. Dans l’épître aux Romains, il dirige sa polémique contre la conception judaïque du salut par les œuvres, à laquelle il oppose l’idée chrétienne du salut par la foi seule. Quant aux judaïsants du chapitre 14, Paul semble les prendre sous sa protection et les défendre contre les jugements intransigeants de la majorité ; c’est qu’ils obéissaient seulement à des scrupules de conscience et ne faisaient pas de leurs abstinences et de leurs observances une condition du salut. Le seul passage où l’apôtre vise les faux docteurs judéo-chrétiens, ses adversaires chez les Galates et à Corinthe, c’est 16.17, 18. Mais dans ces paroles sévères, il semble mettre les Romains en garde contre l’invasion prochaine des judaïsants, plutôt que combattre des ennemis déjà à l’œuvre chez eux.
On a prétendu que l’apôtre, en écrivant cette épître, toute consacrée à l’exposé de la doctrine et de la morale chrétiennes, et qui se distingue de ses autres épîtres par son ordonnance systématique, avait voulu faire parvenir à l’Église de Rome une sorte de catéchisme, un résumé de l’enseignement qu’il donnait oralement aux Églises qu’il fondait, et auquel il s’en référait dans les lettres qu’il leur écrivait plus tard (2 Thessaloniciens 2.5-6 ; 1 Corinthiens 11.21, 23 ; 15.1) ; il aurait voulu suppléer ainsi à ce qui avait manqué à l’Église de Rome, dont aucun apôtre n’avait été le fondateur et qui n’avait encore joui de la prédication d’aucun des hommes marquants de l’âge apostolique. Mais l’épître aux Romains n’a pas du tout les caractères d’un sommaire de la doctrine évangélique, d’un résumé de l’enseignement de Paul. Elle ne parle pas des choses finales, qui tenaient une place considérable dans les instructions orales de l’apôtre, d’après 1 Thessaloniciens 4 à 5 ; 2 Thessaloniciens 2 ; 1 Corinthiens 15. Elle ne dit rien de la personne de Jésus-Christ, sujet qui est traité avec développement dans les épîtres aux Colossiens, aux Éphésiens, aux Philippiens. Pourquoi du reste l’apôtre aurait-il jugé nécessaire d’envoyer à Rome ce résumé de son enseignement, quand il se proposait de visiter prochainement cette Église, et devait avoir ainsi l’occasion de l’instruire oralement ?
Dans cette explication que l’on propose du but de l’épître, il y a cependant deux idées à retenir, qui nous mettent sur la voie de la vraie réponse. Si l’épître aux Romains ne nous présente pas un résumé de tout l’enseignement de Paul, elle renferme ce qui était le cœur de sa doctrine : le salut par la grâce de Dieu, les rapports de l’Évangile avec la Loi. Ce problème plus que tout autre avait préoccupé l’apôtre pendant les années qu’il venait de traverser, dans la période de son ministère qu’il achevait au moment où il écrit aux Romains ; il s’était posé à lui dès sa conversion, mais les discussions auxquelles il donnait lieu avaient pris une acuité extraordinaire dans les luttes contre les judaïsants en Galatie et à Corinthe. Il venait de triompher dans ces luttes, et il développe le résultat du travail de sa pensée avec sérénité, dans un exposé objectif, calme et magistral. S’il adresse cet exposé à l’Église de Rome, c’est moins dans l’intention de combler les lacunes de l’instruction qu’elle avait reçue jusque-là, que dans le désir de préparer la visite qu’il allait lui faire et l’œuvre qu’il espérait accomplir dans son sein(1.10-15 ; 15.23-29).
Il fallait pour cela, avant tout, chercher à gagner la confiance de tous les membres de l’Église. Plusieurs avaient des préventions à son égard. Les chrétiens de Judée le considéraient alors comme un apostat, un contempteur de la Loi de Moïse, un ennemi d’Israël (Actes 21.21). On pouvait lui avoir fait une réputation analogue parmi les Juifs de Rome, et cette réputation n’était pas pour lui gagner les cœurs des chrétiens de la capit). De même, dans l’expression ardente de son amour pour son peuple, il y a une protestation contre l’accusation calomnieuse d’être infidèle à Israël (Actes 21.28).
Et tout en faisant indirectement son apologie, l’apôtre, par l’enseignement qu’il leur donnait sur le salut par la foi, prémunissait les Romains contre la tendance à considérer l’Évangile comme une nouvelle Loi. Cette tendance devait, malgré l’épître aux Romains, se développer à Rome. Elle domine dans les deux plus anciens écrits de l’âge suivant, la première épître de Clément et le Pasteur d’Hermas, tous deux composés à Rome. Elle se répandit dans toute la chrétienté dès le début du second siècle, et présida à la formation de l’ancienne Église catholique. L’épître de Paul aux Romains était une protestation anticipée et prophétique contre les déformations que Rome devait faire subir à la doctrine évangélique du salut. L’étude de cette épître détermina Luther à rompre avec Rome et à commencer la Réformation, qui arracha la moitié du monde chrétien à la domination du pape. Lorsqu’à la fin du dix-huitième siècle et au commencement du dix-neuvième, nos Églises protestantes traversèrent une longue période de mort spirituelle, fruit du rationalisme, qui avait réduit le christianisme à la foi en Dieu et à la pratique des commandements de la loi morale, ce fut encore l’influence de l’épître aux Romains qui la tira de son profond sommeil. Haldane, en l’expliquant aux étudiants en théologie de Genève, jeta parmi eux l’étincelle qui alluma le Réveil. Dans le dernier quart du dix-neuvième siècle enfin, le mouvement qui fut en bénédiction à beaucoup d’âmes dans les Églises réformées d’Angleterre, de France et de Suisse, est né d’une étude plus approfondie de certaines parties de l’épître aux Romains (chapitre 6), d’une plus complète intelligence de l’enseignement de l’apôtre sur les rapports de la sanctification avec la justification, l’une et l’autre étant considérées comme les fruits de la foi en Jésus,mort et ressuscité pour nous délivrer entièrement du péché et de toutes ses conséquences.
On ne saurait se faire une trop haute idée d’une épître qui a exercé une action si immense et si bénie. Un écrit, a dit Olshausen, qui a été pour l’Église, au cours des siècles, le principe régulateur de ses réformes dans les moments les plus décisifs de son développement, qui a marqué de son empreinte la vie individuelle d’innombrables croyants et qui continuera à exercer cette action jusqu’à la fin des temps, doit être émané de l’expérience la plus intime de son auteur. Ce n’est qu’en parlant d’une expérience dont il vivait que l’apôtre a pu traiter son difficile sujet de telle sorte que ses paroles s’imposent encore après deux mille ans à des millions d’hommes et à de grandes communautés ecclésiastiques comme l’expression de la vérité la plus profonde.
On comprend, ajoute le même théologien, après avoir décrit l’expérience spirituelle dont cet écrit est le produit, que l’on désigne communément l’épître aux Romains comme un livre difficile. On peut même dire que c’est un livre absolument inintelligible pour qui n’a pas fait dans sa propre vie une expérience analogue à celle de Paul… Mais quand une telle expérience a été faite, quand elle a ouvert à un homme les yeux de l’esprit, le contenu essentiel de l’épître devient clair, même à l’intelligence la plus simple, comme Luther l’a bien démontré, en des termes si populaires, dans sa célèbre préface à l’épître aux Romains.
L’épître aux Romains a sa place si nettement marquée dans la vie de l’apôtre Paul, elle porte tellement l’empreinte de sa personnalité, que son authenticité a toujours été reconnue. À la fin du siècle dernier seulement, quelques critiques, hollandais pour la plupart, ont eu l’idée de reléguer au second siècle l’ensemble des épîtres pauliniennes. Nous renvoyons aux ouvrages spéciaux pour la réfutation de ce système critique qui n’a trouvé que peu d’adhérents, même parmi les savants les plus avancés.
L’intégrité de l’épître a été mise en doute pour des raisons qui sont de quelque poids. Les unes sont tirées de l’histoire du texte. Marcion déjà (vers 140), au rapport d’Origène, retranchait (ou mutilait) les chapitres 15 et 16. Quelques manuscrits portent la doxologie (16.25-27) à la fin du chapitre 14 ; d’autres l’ont à la fois à la fin du chapitre 14 et à la fin du chapitre 15. Ces arguments cependant ne suffisent pas pour prouver que les derniers chapitres n’appartenaient pas primitivement à l’épître. Marcion, inspiré par des préjugés anti-judaïques, retranchait du Nouveau-Testament tous les passages qui ne lui convenaient pas. La place différente que la doxologie (16.25-27) a dans quelques manuscrits s’explique par le fait que ces manuscrits servaient à la lecture publique dans les cultes, et que le chapitre 15, avec ses renseignements sur les projets de l’apôtre, le chapitre 16, avec ses nombreuses salutations, ne se prêtaient guère à un tel usage ; on reporta donc la belle doxologie du chapitre 16 à la fin du chapitre 14, pour ne pas la laisser inutilisée.
On s’était fondé sur certaines pensées exprimées dans les chapitres 14 et 15 pour contester qu’ils fussent de Paul ; mais a), c’est-à-dire le premier converti de la province dont Éphèse était la cap) ; Paul fait saluer l’Église qui se réunit dans leur maison (16.5). Or nous savons, par 1 Corinthiens 16.19, qu’à Éphèse ils avaient une Église dans leur maison. Ils se trouvaient encore dans cette ville à la Pâque de 57. Est-il vraisemblable que dès les premiers mois de 58, ils soient établis à Rome et aient eu le temps d’y réunir une Église dans leur maison ? Paul pouvait-il être déjà informé du fait ? N’est-il pas plus naturel de supposer qu’ils n’avaient pas quitté Éphèse, où nous les retrouvons d’ailleurs quelques années plus tard, quand Paul écrit (2 Timothée 4.19) ?
L’avertissement de 16.17-20, contre ceux qui causent des divisions, paraît aussi plus naturel adressé aux chrétiens d’Éphèse. Tout le contenu de l’épître aux Romains montre que les judaïsants n’étaient pas encore arrivés à Rome, tandis qu’ils étaient sur le point d’attaquer Éphèse (Actes 20.29). Le ton abrupt et sévère de ce garde-à-vous s’explique aussi mieux si Paul s’adresse aux Éphésiens, qui le connaissent comme leur apôtre ; avec les Romains, Paul a pris dans toute sa lettre des précautions et leur a parlé sur un ton modéré et humble (15.15).
De ces indices beaucoup de critiques concluent que, 16.1-20, est la conclusion d’une lettre que Paul aurait adressée à Éphèse, ou peut-être d’une copie de sa lettre aux Romains, qu’il avait jugé utile de faire tenir à l’Église d’Éphèse.
Les salutations de 16.21-23 auraient seules fait partie primitivement de l’épître aux Romains.
On oppose à ces considérations les arguments suivants, sur lesquels se fondent ceux qui pensent que tout le chapitre 16 appartient à l’épître aux Romains :
Nous concluons que ces versets en ont fait partie dès l’origine.
L’épître aux Romains se divise en deux parties d’inégale étendue : un traité doctrinal sur le salut par la foi (chapitres 1 à 11), un traité pratique sur la conduite de ceux qui sont sauvés (chapitre 12 à 15.13). L’épître débute par une adresse fort développée, qui comprend déjà un court aperçu de l’Évangile dont Paul est l’apôtre, par des actions de grâces au sujet de la foi des Romains (de telles actions de grâces ouvrent toutes les épîtres de Paul, sauf l’épître aux Galates, 1 Timothée et Tite) ; Paul exprime ensuite son ardent désir de voir ses frères de Rome (1.1-15). Enfin, il énonce le sujet qu’il va exposer : l’Évangile, qui est une puissance de Dieu pour le salut de tout croyant, Juif et Grec, parce que, dans cet Évangile, est révélée la justice de Dieu par la foi et pour la foi (1.16-17). Le traité doctrinal (chapitres 1 à 11) comprend deux sections. La première (chapitres 1 à 8) expose ce qui est la substance même de l’Évangile, l’œuvre de la rédemption, telle qu’elle s’accomplit pour et dans ceux qui croient en Jésus-Christ. L’apôtre commence par montrer que tous les hommes encourent la colère de Dieu : les gentils, parce qu’ils ne servent pas Dieu, qui se révèle à eux dans ses œuvres, et ont été livrés par lui à leurs convoitises impures ; les Juifs, parce que, connaissant la loi de Dieu, ils ne la pratiquent pas ; aucun homme donc n’est justifié devant Dieu (1.18 à 3.20). L’humanité se trouvant dans cet état d’universelle condamnation, qui est le résultat du régime légal, la justice de Dieu a été manifestée indépendamment de la loi, mais en recevant le témoignage de la loi et des prophètes : c’est la justice de Dieu par la foi en Jésus-Christ. Tous les croyants, sans distinction, sont gratuitement justifiés, au moyen de la rédemption accomplie en Jésus-Christ, que Dieu a établi comme moyen de propitiation par sa mort sanglante, pour démontrer qu’il est juste tout en laissant le péché impuni. La justice qui s’obtient par la foi ôte à l’homme tout sujet de se glorifier ; elle est seule conforme au fait qu’il n’y a qu’un seul Dieu ; elle atteint ainsi le but que la loi se proposait en vain ; loin d’anéantir la loi, elle l’établit (3.21-31). Ce mode de justification est déjà celui que Dieu a appliqué à Abraham, qui était un type du croyant justifié par la foi seule (4.1-25). L’apôtre, pour couronner son exposé, montre que, justifiés par la foi, nous sommes aussi assurés du salut final (5.1-11) ; puis, remontant à l’origine du double fait qu’il vient d’envisager, la perdition et le salut, il établit la certitude de ce dernier par un raisonnement a fortiori : si le péché et la mort ont régné sur tous les hommes ensuite du péché d’Adam, à plus forte raison la grâce de Dieu en Jésus-Christ abondera-t-elle pour tous (5.12-21). - Jusqu’ici l’apôtre a traité d’une manière générale de l’œuvre du salut que Dieu a accomplie en Jésus-Christ pour faire paraître juste devant lui le pécheur qui a la foi. Il montre maintenant comment ce salut opère dans le croyant pour le sanctifier et le délivrer de la puissance du péché et de la mort. La foi unit étroitement le pécheur à son Sauveur, l’associe à lui dans sa mort et sa résurrection ; il meurt avec Christ au péché, et ressuscite avec lui pour vivre d’une vie nouvelle (6.1-11) ; il passe ainsi du service du péché à celui de la justice (6.12-23). La mort du Christ n’affranchit pas seulement le croyant du péché, elle le libère de la loi ; ou plutôt, c’est en le libérant de la loi qu’elle brise l’empire que le péché avait sur lui, cet affranchissement de la loi étant la condition de la victoire sur le péché : Paul le prouve par une description saisissante de la lutte que l’homme sous la loi soutient contre la chair, dont les convoitises sont excitées par le commandement (chapitre 7). Le dernier chapitre de cette section est consacré à montrer comment la vie nouvelle en Jésus-Christ, affranchie de la chair parce qu’elle obéit à la loi de l’Esprit, est le gage de notre adoption par Dieu et de notre glorification future, de notre victoire définitive sur toute la puissance du péché et de la mort (chapitre 8).
Dans la seconde section de son traité doctrinal, Paul aborde le douloureux problème que posait à son cœur d’Israélite l’incrédulité de son peuple, qui s’obstinait à repousser le salut offert au monde en Jésus-Christ. Dieu serait-il infidèle à ses promesses ? Ou Jésus ne serait-il pas le Messie annoncé ? Serait-il donc téméraire de fonder sur lui et sur son œuvre l’assurance de notre salut, que l’apôtre venait de célébrer en termes magnifiques (8.31-39) ? À cette question troublante, Paul répond :
La seconde partie de l’épître, le traité pratique, contient, dans un groupement remarquable, des exhortations et des préceptes adressés à ceux qui sont sauvés par la grâce de Dieu. - Une première exhortation pose le principe, la règle dominante de la vie chrétienne : l’offrande de notre corps à Dieu, qui produit le renouvellement intérieur (12.1, 2). Suivent des préceptes relatifs à la conduite du chrétien dans l’Église (12.3-8), dans ses rapports individuels avec ses frères en la foi et avec ses ennemis (12.9-21), dans ses relations avec les autorités (13.1-7). L’amour du prochain est le sommaire de tous ces préceptes (13.8-10) L’apôtre termine par une exhortation à la vigilance et à la sanctification, fondée sur l’approche de la délivrance finale (13.11-14). Dans la seconde partie de ce traité pratique, il aborde une question spéciale posée par les circonstances locales de l’Église de Rome, à savoir le maintien de l’union entre les faibles en la foi et les forts ; il exhorte les uns et les autres à se respecter mutuellement ; il recommande spécialement aux forts d’avoir des égards pour leurs frères, de ne pas les scandaliser, mais de rechercher la paix et l’édification, selon l’exemple de Christ (14.1 à 15.13).
Paul conclut sa lettre par des explications personnelles sur sa vocation d’apôtre des gentils, qui l’autorisait à écrire aux Romains, et sur ses projets de voyages (15.14-32) ; par de nombreuses salutations et par un dernier avertissement contre les faux docteurs. Il termine en rendant gloire à Dieu (chapitre 16).
Nous résumons cette analyse dans le tableau suivant :
Préambule. Salutations et sujet de l’épître (1.1-17).
Première partie. Traité doctrinal, le salut par la foi en Jésus-Christ (1.18 à 11.36).
Première section. Le salut assuré en Christ à tout croyant (1.18 à 8.39).
I. La justification par la foi en Christ, sans la loi (1.18 à 5.21).
II. Le croyant est affranchi en Christ du péché et de la loi ; il vit de la vie de l’Esprit, gage de sa glorification future (chapitres 6 à 8).
Deuxième section L’incrédulité du peuple juif en présence du salut par la foi (chapitres 9 à 11).
Deuxième partie Traité pratique, exhortations à ceux qui sont sauvés par la grâce de Dieu (chapitre 12 à 15.13).
Conclusion de l’épître (15.14 à 16.27).