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D’abord nommé Saül, Juif de la tribu de Benjamin, natif de Tarse, en Cilicie, témoin consentant à la mort d’Étienne, persécuteur de l’Église, puis un des plus fidèles apôtres de ce Jésus qu’il persécutait (Fil. 3.5 ; Actes 9.11 ; 21.39 ; 22.3). Un de ses ancêtres était devenu citoyen romain, et c’est à cela peut-être qu’il faut attribuer le nom latin qu’il prit, assez semblable à son nom hébreu pour le rappeler, assez différent aussi pour faire reconnaître sa bourgeoisie romaine ; c’est du moins l’hypothèse la plus simple pour expliquer ce double nom. D’autres ont voulu voir dans Saül le nom du Juif, et dans Paul celui du chrétien, apôtre des gentils, décidé à rompre radicalement avec toutes les formes du judaïsme. On ne connaît rien de sa jeunesse ; on a voulu conclure de certains passages qu’il avait acquis la connaissance des lettres grecques, mais c’est incertain, et les preuves ne sont pas concluantes. Sa forme d’esprit, sa dialectique, son style et son érudition sont plutôt juives que grecques. Il est vrai que les lettres florissaient à Tarse comme les arts et les sciences, et qu’il a pu n’y pas rester étranger ; mais, dans tous les cas, on s’est fait une trop grande idée de ses connaissances profanes, et l’élève de Gamaliel, le faiseur de tentes, n’aura étudié les lettres et le paganisme que d’une manière secondaire. Zélé pour le culte de ses pères dès sa jeunesse, plus que tous ses compagnons d’âge, il écouta Gamaliel, et fut initié dans le système de la théologie juive.
Sans entrer ici dans les détails d’une vie que le livre des Actes ne fait que résumer, et qui a suffi à remplir les volumes de Witsius, de Paley, de Schrœder, de Neander, et d’autres encore, nous en tracerons rapidement les différentes époques ; cette vie est connue, et la plupart des faits ont été expliqués en leur place :
1°. Court séjour à Damas, et voyage en Arabie (Actes 9.19 ; Galates 1.17).
2°. Retour à Damas et à Jérusalem au bout de trois ans ; il voit Barnabas et Pierre (Galates 1.18 ; Actes 9.23-29).
3°. Voyage à Tarse, et séjour dans cette contrée (Actes 9.30).
4°. Barnabas vient le chercher à Tarse, et l’engage à un voyage d’évangélisation ; séjour d’une année à Antioche, capitale de la Syrie (Actes 11.25-26).
5°. Second voyage à Jérusalem pour les intérêts temporels de l’Église, et retour à Antioche (Actes 11.30 ; 12.25). C’est depuis ce moment que Paul commence ses grands voyages missionnaires.
6°. Voyage avec Barnabas et Jean Marc :
a) Séjour à Chypre (Actes 13.2-12). Bar-Jésus à Paphos.
b) à Perge, en Pamphylie, où Marc le quitte, et à Antioche (Actes 13.14).
c) à Iconie en Lycaonie, à Lystre et à Derbe (Actes 14) ; à Lystre, on veut leur sacrifier, et on les lapide.
d) Retour par Lystre, Iconie, Antioche de Pisidie, Perge, Attalie, à Antioche de Syrie, où Paul reste quelque temps (Actes 14.21).
7°. Troisième voyage à Jérusalem, occasionné par les discussions sur la loi ; concile de Jérusalem (Actes 15). Retour à Antioche, dispute avec Barnabas.
8°. Second grand voyage missionnaire, toujours depuis Antioche, avec Silas ou Sylvanus.
a) Voyage par la Syrie et la Cilicie, jusqu’à Derbe et Lystre, d’où Paul se fait encore accompagner par Timothée (Actes 15.41 ; 16.1-3).
b) Voyage par la Phrygie et la Galatie (Actes 16.4-6). Il est vrai que l’apôtre trouva déjà des Églises en Phrygie, mais ce fut lui qui les fonda en Galatie.
c) Voyage à travers l’Asie intérieure ; court séjour dans la Troade, où Paul s’associe Luc.
d) Premier voyage en Europe, dans la Macédoine ; séjour à Philippes, où il laisse Timothée et Luc (Actes 16.6-40).
e) Voyage et séjour à Thessalonique. Paul et Silas à Bérée. Paul seul quitte la Macédoine (Actes 17.1-15).
f) Séjour à Athènes (17.15-34).
g) Séjour de dix-huit mois à Corinthe (18.1-11). Silas et Timothée le rejoignent. Il écrit de là ses premières Épîtres, celles aux Thessaloniciens.
9°. Retour avec Aquila jusqu’à Éphèse ; quatrième voyage à Jérusalem, et séjour à Antioche (18.18-21).
10°. Troisième grand voyage missionnaire.
a) Par la Galatie et la Phrygie (18.23). (Jusqu’à Corinthe ?).
b) Séjour à Éphèse, de presque deux années (19.1-11) : c’est de là qu’il écrit l’Épître aux Galates, la 1ère aux Corinthiens qui est perdue, et la 1ère que nous possédons (1 Corinthiens 16.8). Timothée est de nouveau auprès de lui, et fait, d’après ses ordres, un nouveau voyage en Europe (1 Corinthiens 4.17 ; Actes 19.22).
c) Voyage d’Éphèse à Troas (2 Corinthiens 2.12), et dans la Macédoine, où il reste quelque temps (2 Corinthiens 2.13 ; Actes 20.1-2). Ce voyage est fait avec Timothée ; Paul écrit sa 2e aux Corinthiens (2 Corinthiens 1.1 ; 2.13 ; 9.2).
d) Séjour de 3 mois dans l’Achaïe, à Corinthe (Actes 20.2). C’est de là qu’il écrit son Épître aux Romains.
11°. Retour de Corinthe par Philippes, où il retrouve Luc, par Troas, Chios, Milet, Rhodes, Tyr, Ptolémaïs et Gésarée, jusqu’à Jérusalem ; cinquième et dernier voyage à cette ville (Actes 20.3 à 21.17).
12°. Paul est conduit prisonnier à Césarée, où il demeure plus de deux ans en captivité (Actes 21.17 ; 23.31-35 ; 24.27 ; 26.32).
13°. Paul est amené à Rome, où Luc l’accompagne, et où il reste deux ans encore gardé par de militaires (Actes 27.1 ; 28.30). On se demande si c’est dans la captivité de Césarée ou dans celle de Rome que Paul écrivit aux Colossiens, aux Éphésiens, et à Philémon ; mais c’est sans doute vers la fin de la dernière qu’il écrivit sa lettre aux Philippiens. C’est de plus dans ce temps qu’il faut mettre les autres Épîtres de Paul, si l’on admet, comme le font quelques théologiens, que c’est à la fin de cette captivité qu’il a été martyrisé.
14°. Paul est remis en liberté, nous ne savons ni quand, ni comment, et il voyage, à ce qu’il paraît résulter de ses dernières épîtres, dites pastorales, à Éphèse où est Timothée, et dans la Macédoine, d’où il écrit sa 1ère à Timothée (1 Timothée 1.3), puis en Crète, où il fonde une église, et où il laisse Tite (Tit. 1.5). Il retourne en Asie (2 Timothée 1.15), d’où il écrit vraisemblablement à Tite qu’il prie de venir le rejoindre à Nicopolis (en Epire ?). Enfin, d’après le témoignage non suspect de Clément de Rome, Paul se rend en Espagne, revient à Rome, est emprisonné comme un malfaiteur, abandonné de tous, même de Tite, sauf de Luc, et il attend sa mort ainsi qu’il l’écrit (2 Timothée 2.9 ; 4.8-18). Obéissant à son invitation, Timothée se rend auprès de lui ; il est également mis en prison, mais relâché (Hébreux 13.23). Paul est décapité dans une des dernières années de Néron. D’après une tradition peu certaine, Pierre arrive aussi à Rome, où il est martyrisé avec Paul ; d’après la même tradition, Marc y vient de même, et vraisemblablement avec Timothée, depuis Éphèse. Nous ne savons ce que devint Luc ; Marc passa en Égypte.
Pour montrer combien les difficultés chronologiques sont grandes, et les opinions partagées sur la fixation des diverses époques de la vie de l’apôtre, il suffira de dire que Bengel met la conversion de Paul en 31, Sùsskind en 32, Eusèbe et Vogel en 33, Baron et Calvisius en 34, Usserius, Pearson, Olshausen, Rilliet. et Hug en 35, Schott en 37 (ou 40 ?), Eichhorn en 37 ou 38, Auger en 38, Schrœder en 39, Kuincel en 40, Schmidt et Wurm en 41.La date de la mort de l’apôtre ne varie qu’entre les années 64 (Schmidt, Schott, Schrœder), 65 (Eichhornet Yogel), 66 (Calmet, Bost), 67 (Bengel, Usserius, Hug, Olshausen, Coquerel), et 68 (Eusèbe, Steiger, etc.). Quant à la suite de ses Épîtres, bien que l’ordre que nous avons adopté nous paraisse se justifier presque eu tous points, nous rappellerons ce qui a été dit à l’article Bible, des divergences considérables d’opinions qui se sont fait jour sur ce point, depuis Marcion, qui met l’Épître aux Galates en tête, jusqu’à Schrœder, qui la met la dernière de toutes celles qui ont été écrites par Paul.
Le caractère de l’apôtre, ardeur pleine de cœur, impétuosité pleine de raison, sévérité pleine d’amour, inflexibilité pleine de support, se manifeste dans ses épîtres comme dans ses exploits. Une lecture attentive du livre des Actes et l’étude de ses lettres font suffisamment connaître son génie particulier, ses vues, la manière de sa prédication, sa position, son activité soit dans l’Église juive, soit dans celle des gentils ; et il faut remarquer que sous tous ces rapports il y a une harmonie parfaite entre ses actions et ses lettres. Partout c’est le même caractère, jusqu’à tel point que cet accord fournit une preuve puissante de l’authenticité des documents. Le grand nombre et la variété des épîtres offrent encore l’avantage de nous faire connaître l’apôtre sous plusieurs faces ; nous le voyons dans des positions temporelles ou spirituelles très différentes, au milieu, vers la fin, ou à la fin de ses travaux. Le grand nombre de disciples, ou d’amis et compagnons d’œuvre ordinairement présents quand Paul écrivait une lettre, l’habitude qu’il avait d’envoyer ses lettres par des personnes de confiance, et les tournées fréquentes qu’il faisait dans les Églises ainsi que ses disciples, tout cela nous met à l’abri des impostures. Une fois cependant on avait tenté de tromper une Église par une épître écrite en son nom, mais l’apôtre ne tarda pas à en être averti et à prévenir les fidèles contre de telles tentatives ; c’était au début de sa carrière épistolaire (2Thes. 2.2-3). Dès lors il prit des mesures propres à rendre de pareilles fraudes impossibles ; il ajoutait, par exemple, à sa lettre dictée, quelques lignes de sa propre main (1 Corinthiens 16.21 ; 2Thes. 3.17 ; Colossiens 4.18) ; d’autres fois cette précaution n’était pas nécessaire, la lettre étant écrite par des personnes distinguées (Romains 16.1-22) ; la 2e aux Corinthiens (1.1), peut avoir été écrite par Timothée ; celle aux Éphésiens (6.21), fut envoyée par Tychique. D’autres épîtres, enfin, étaient écrites tout entières de sa propre main (Galates 6.11 ; Phlm. 19) ; il paraît qu’il en fut de même des épîtres pastorales, d’autant plus que l’apôtre était alors retenu dans une sévère captivité. Il nous manque une ou deux lettres de Paul (1 Corinthiens 5.9 ; Colossiens 4.16).
Une correspondance de Paul avec les Corinthiens qui n’existe qu’en araméen, a été publiée en partie dans l’Histoire critique de la république des lettres, Amsterdam, 1714, tome X ; puis en entier par W. Whiston, en appendice à son Historia Armeniae Mosis chronensis, Lond. 1736.4°. ; enfin en 1819, le moine arménien Pascal Aucher du couvent de Saint-Lazare, près de Venise, en a publié le texte dans sa grammaire arménienne, Venise, 1819, p. 179.Rink, en en donnant une traduction allemande, a voulu défendre l’authenticité de cette correspondance (Heidelberg, 1823), mais il n’a pas été difficile à Ullmann de montrer par le silence complet de l’antiquité chrétienne et par des caractères intérieurs, que ces deux lettres sont supposées (Heidelberg, Jahrb., 1823) ; Carpzov l’avait déjà fait avant lui (Leipsig, 1776). Il en est de même de la correspondance latine de Paul avec Sénèque, et qui n’est citée par aucun Père plus ancien que Jérôme. La lettre aux Laodicéens est encore plus moderne. Quant aux treize épîtres canoniques qui portent le nom de Paul, elles ont formé une collection, et elles ont été attribuées sans aucune contestation à Paul par l’Église universelle. L’Épître aux Hébreux est douteuse, et nous en avons parlé en son lieu. Les treize épîtres doivent avoir été recueillies assez tôt, et promptement, car nous voyons par les divers témoignages, qu’elles furent connues et reconnues partout dès l’époque des Pères apostoliques. Cette collection fut jointe à celle des épîtres catholiques, mais cette dernière ne fut pendant longtemps pas aussi complète que la première. Les ébionites, les encratites, les manichéens n’en révoquaient pas en doute l’authenticité ; Marcion, critique arbitraire et dogmatique, en retrancha les épîtres pastorales, et garda les dix autres après les avoir mutilées. Les notices historiques qui se trouvent à la fin de chaque épître, ne font pas partie de l’épître et ne s’appuient pas toujours sur des autorités fort respectables ; les anciens manuscrits ne les contiennent pas, les autres diffèrent pour le texte ; souvent l’épître elle-même accuse l’inexactitude de ces adjonctions, et les contredit.
Le caractère littéraire des écrits de Paul dépend en grande partie de son caractère personnel. Paul était un homme entier, et il se montre tel dans toutes ses épîtres. On peut sans doute en dire autant de tous les apôtres, mais ce trait est plus saillant chez lui ; il apporte à tout la même ardeur de l’âme et réalise en lui-même cette parole célèbre : le style, c’est l’homme. De tous les sujets qu’il traite, aucun ne lui paraît trop petit, aucun ne le laisse froid, il les mène tous d’une manière très variée. Jacques l’égale quant à l’unité ou à la continuité de l’ardeur des sentiments, ou de la véhémence oratoire ; Pierre a du rapport avec lui pour la variété du langage, mais aucun des auteurs sacrés ne semble réunir au même degré les deux qualités indiquées. Paul est plus orateur que Pierre, moins sentencieux, moins poétique, moins lyrique que Jacques, dont le style est plus égal et plus soutenu ; il n’a pas le calme sublime et même sévère de Jean, mais par cela même il remue l’âme plus puissamment ; il fait vibrer toutes les cordes du cœur. Il paraît vouloir produire par ses épîtres les mêmes résultats qu’il produisait de vive voix par ses exhortations, appropriées chaque fois au besoin du moment (Galates 4.20). Paul était profond et doué d’un esprit aussi zélé que pénétrant, aussi systématique que délié et agile ; il aperçoit les rapports qui unissent deux objets en apparence très éloignés, et il les rapproche promptement ; en cela il a quelque chose de commun avec les meilleurs rabbins ; mais tandis que ceux-ci sont brefs et ne donnent que des indications souvent énigmatiques, Paul donne des expositions, des argumentations souvent prolongées ; et tandis que les rabbins, là où Ils veulent exposer ou prouver, se perdent dans les minuties des sophistes, dans de vieux et ennuyeux développements, dans des raisonnements peu serrés, Paul ne perd pas de vue l’idée capitale dont il est dominé, tout en semant son discours de cette foule d’idées secondaires dont il est toujours rempli lui-même. Ce caractère du style de Paul est une des causes des difficultés qu’il offre à l’interprétation ; une autre cause de ces difficultés provient de certaines circonstances extérieures, de ce que tous les écrits de Paul sont des lettres relatives à des événements ou à des opinions que nous ne pouvons apprendre à connaître que par ces lettres mêmes, de ce que l’apôtre aussi négligeait son style, peut-être parce qu’il dictait. Outre que le style n’est ni poli, ni cadencé, les phrases ne sont ni formées avec précaution, ni revues avec soin, mais faites ou jetées suivant l’inspiration du moment.
À ces sources d’obscurité ou de difficultés exégétiques, il faut en ajouter quelques-unes qui sont intérieures, et tiennent à la pensée même de l’apôtre :
1°. Sa vivacité le portait à des transitions non préparées, à des combinaisons inattendues, et souvent peu indiquées, de pensées différentes, et lui faisait saisir et présenter avec une égale promptitude certains arguments de son thème dont la vérité et la convenance ne sautent point aux yeux, et qu’il faudrait avoir le temps d’expliquer et d’examiner ; enfin cette vivacité lui faisait souvent abandonner un sujet d’importance secondaire, ou une argumentation avant d’être arrivé à l’expression de la conclusion, de sorte que pour comprendre toute la dissertation, il faut en suppléer la fin.
2°. L’esprit de Paul n’était pas moins fertile que prompt. La vivacité de l’esprit ne fixe pas l’attention si elle n’est accompagnée d’un fond de pensées ; mais chez Paul, cette richesse de sentiments contribue à l’obscurité du langage de ses écrits en le rendant profond ; il y a des parenthèses, des phrases incidentes trop prolongées et qui se mêlent insensiblement avec les suivantes, trop chargées ; des constructions diverses, fondues en une seule, parce que les pensées de Paul se poussaient l’une l’autre comme les ondes d’un fleuve. Mais ce qui décèle encore plus la profondeur de son esprit, et ce qui requiert le plus d’attention, c’est la coordination de plusieurs pensées, ou de plusieurs séries de pensées que Paul entrelace, et qu’il poursuit alternativement jusqu’en un point où il laisse tomber l’une ou l’autre, ou bien, où les deux fils du discours se réunissent par un nœud ; il arrive aussi qu’une argumentation ou une exposition disparaît pour reparaître ensuite comme une rivière qui a passé par-dessous terre. Une autre propriété de son style, moins étendue que la précédente, consiste, d’une part, dans l’emploi varié des mots et dans l’accumulation des synonymes, afin de faire connaître tout le contenu de la notion sous ses diverses formes, et d’autre part, dans des antithèses tranchantes dont Paul augmente encore quelquefois la pointe par l’emploi antithétique du même mot, afin de bien exprimer la différence et les contrastes, et de marquer ainsi avec exactitude les limites des notions. Sous ce rapport, il arrive que la même qualité par laquelle le style de Paul est obscur et difficile, le rend clair et précis. C’est le cas de bien des écrits émanés d’une intuition profonde et d’une intelligence systématique ; étudié à fond, ce qui semblait être dur, obscur, subtil, apparaît lucide et ferme.
3°. Agissant sur le sentiment comme sur l’intelligence, Paul sait être populaire, même lorsqu’il fait des expositions dogmatiques ; or c’est là ce qui fait l’orateur. Mais cette énergie elle-même exige une attention redoublée. Nous trouvons dans le tissu de la phrase de Paul des questions, des exclamations, des argumentations ex concessis, des raisonnements justes, mais qui partent d’un seul point de vue, et d’une dialectique vigoureuse qui ne finit que par la confusion complète de l’adversaire dont Paul a fixé et poursuivi les fausses idées et les mauvais sentiments.
Le langage de Paul exige une étude scrupuleuse, parce qu’en partie c’est un langage nouveau qu’il a dû créer lui-même ou que le christianisme a créé. Dans l’exhortation, ce langage est approprié au sujet, étant tantôt sévère, tantôt touchant. Le grand talent oratoire de Paul, malgré le peu de soin et d’art qu’il a mis dans ses écrits, est incontestable ; il avait dit lui-même qu’il ne voulait pas faire l’orateur, toutefois il produisait de tels effets qu’on le prit un jour pour Mercure, le dieu de l’éloquence. Personne, sous ce rapport, n’a mieux fait l’éloge de Paul que Bossuet ; mais avant lui déjà, Longin, littérateur païen, avait compris la puissance de ce génie chrétien, et après avoir énuméré les grands orateurs de la Grèce il dit : « On peut y ajouter Paul de Tarse, le premier qui se soit servi du dogme sans les preuves », jugement assez juste dans la bouche d’un païen.
Ajoutons encore ici quelques réflexions détachées sur la vie de l’apôtre :
1°. Quant à sa famille, tout ce que nous savons c’est qu’il avait une sœur et un neveu, et que ce dernier demeurait à Jérusalem (Actes 23.16). Il n’était lui-même pas marié (1 Corinthiens 7.7 ; cf. 9.5), mais il maintient à cet égard la liberté dont il aurait pu user comme les autres apôtres ; la tradition ajoute, mais d’une manière incertaine, qu’il fut accompagné dans quelques-uns de ses voyages par Thécla, jeune fille qu’il avait convertie au christianisme. Il exerçait le métier de faiseur de tentes qu’il avait appris sans doute dans sa jeunesse, peut-être comme la plupart des rabbins avaient et ont encore l’habitude de joindre à leurs occupations intellectuelles l’exercice d’un travail manuel ; les tentes étant d’un besoin constant dans les climats chauds, pour les bergers et les voyageurs, comme pour toutes les personnes exposées à souffrir du soleil ou de la pluie, la profession de Paul lui assurait de l’ouvrage aussi souvent qu’il pouvait le désirer ou en avoir besoin ; en outre elle n’était pas extrêmement pénible, et l’apôtre aimait mieux en général travailler pour se procurer sa subsistance, que de recourir aux dons des fidèles (Actes 18.3 ; 1 Corinthiens 4.12 ; 1 Thessaloniciens 2.9 ; 2Thes. 3.8).
2°. Sa conversion, dans laquelle les incrédules ont cherché à faire intervenir, comme toujours, à la place du miracle, les phénomènes de l’électricité, l’éclair, le tonnerre, la foudre ; sa conversion, dont une explication naturelle ne diminuerait pas l’importance, quoiqu’elle en changeât la nature, nous est racontée comme l’effet direct de l’intervention divine. On peut supposer que la douceur et la persévérance de ses victimes avaient déjà produit, sur l’âme ardente et sensible de l’apôtre, l’impression tout au moins d’une pitié passagère ; en les voyant opposer à l’âpreté du fanatisme la confiance de la foi, il avait dû être frappé, et la férocité barbare qui est toujours la conséquence d’une forte conviction lorsqu’elle est erronée, pouvait seule soutenir son cœur et son bras pendant qu’il allait ajouter de nouvelles victimes à celles qu’il avait déjà faites. Un zèle sans connaissance est toujours odieusement persécuteur, et, sur la route de Damas, il ne fallait rien moins en effet que l’action de Dieu pour dessiller les yeux aveuglés du Juif, ennemi de l’Église. Mais une fois que Christ se fut fait connaître à Paul d’une manière aussi extraordinaire, il est hors de doute que toutes ces idées qui étaient restées chez lui comme étouffées dans l’arrière-plan, se réveillèrent et se présentèrent de nouveau à son esprit pour n’être plus repoussées. Les soins et les pieuses directions du sage Ananias achevèrent d’éclairer Paul, et de changer pour lui la vérité pressentie en une vérité sentie, comprise et crue. De ce moment, l’ardeur de Paul, toujours impétueuse, mais purifiée, s’appliqua de toutes les forces de son âme à propager le royaume de Celui contre les aiguillons duquel il avait d’abord regimbé. Pour une mission extraordinaire comme la sienne, un appel extraordinaire, une vocation miraculeuse, une consécration comme celle qu’il reçut, n’étaient point de trop ; des baptêmes solennels ont presque toujours inauguré la carrière de ceux qui ont dû être des lumières dans l’Église, depuis le buisson ardent de Moïse jusqu’à la vision d’Ésaïe, depuis le chemin de Damas jusqu’à Valdo et Luther. Pour un homme comme Paul, dit Planck, il ne pouvait être changé que subitement, ou pas du tout ; et, si ce jugement est trop absolu au point de vue chrétien, il est vrai psychologiquement. Des caractères comme celui de l’apôtre doivent être puissamment secoués pour être changés, et ces secousses sont nécessairement subites et inattendues, mais elles n’excluent pas quelques luttes intérieures, quelques incertitudes, même au plus fort de la décision, quelques doutes non raisonnes, fugitifs, bien vite repoussés, mais qu’on se rappelle quand on en vient à reconnaître que ces doutes étaient justifiés. C’est sans doute, soit à la vision du chemin, soit au séjour de trois jours à Damas, qu’il faut rapporter ce que l’apôtre raconte avec tant de mystère et d’humilité (2 Corinthiens 12.1), sur l’extase qui l’a transporté au troisième ciel, où il a reçu des révélations et des paroles qu’il n’est pas permis à l’homme d’exprimer.
3°. Son séjour de trois ans en Arabie n’a pas été une vie d’oisiveté, mais on ignore comment il l’a employé. L’idée la plus naturelle est sans doute que, ces années ont été un noviciat, et que l’apôtre a pu, dans sa solitude, repasser et méditer en son esprit les révélations divines dont il avait été honoré, mûrir peut-être aussi les connaissances païennes qu’il avait acquises dans sa jeunesse, les compléter, et comparer entre elles les deux alliances, dont la dernière était à la fois l’accomplissement et la destruction de la première, la fin d’un régime caduc, établi de Dieu comme préparation. Aussi, dans la révolution religieuse dont il devait être l’un des chefs les plus ardents et les plus dévoués, on le voit plus hardi novateur que tous les autres apôtres, porter une main radicale sur tout ce que d’autres voulaient encore ménager, et faire table rase de toute la piété traditionnelle, pour substituer aux cérémonies la vie, et à la lettre l’esprit. Le zèle avec lequel il poursuit l’esprit juif jusque dans ses recoins les plus reculés, n’a plus rien de cet esprit persécuteur avec lequel il attaquait le christianisme ; Paul fait la guerre à l’erreur, mais il ne lapide plus ceux qui se trompent ; ce n’est plus le prosélytisme de l’Inquisition, c’est celui de la vérité, de la raison et de la liberté. Quelques-uns pensent que l’ange de Satan et l’écharde en la chair (2 Corinthiens 12.7), doivent s’entendre de ce séjour en Arabie, qui était, de la part de Dieu, une épreuve pour l’apôtre, destinée à réprimer l’impatience qu’il pouvait avoir d’entrer dans l’évangélisation, et de communiquer aux hommes le changement qui s’était opéré en lui, et les dons qu’il avait reçus ; mais cette interprétation est peu naturelle.
4°. Parmi les événements de sa vie qui ne sont pas racontés dans les Actes, et dont il rappelle, en quelques mots, le souvenir parfois d’une manière obscure, il faut compter l’allusion faite (1 Corinthiens 15.32) : « Si j’ai combattu contre les bêtes à Éphèse… » Faut-il entendre ce passage à la lettre, ou l’entendre, au sens figuré, d’une vive contestation dans laquelle Paul aurait couru le danger de perdre la vie ? Faut-il enfin n’y voir qu’un raisonnement hypothétique ? C’est ce que l’on ne peut décider, et les trois opinions offrent presque d’égales difficultés. Le sens figuré ne se justifie pas par la langue, et, dans tous les cas, l’image serait trop forte pour toute autre espèce de danger ; le sens littéral ne se justifie pas par l’histoire, les Actes ne racontent rien de semblable, les Pères ecclésiastiques n’en parlent pas davantage, et Paul, dans l’énumération qu’il fait (2 Corinthiens 11.23), de tous les dangers qu’il a couru, n’en dit mot ; d’ailleurs, comment aurait-il échappé à la mort dans ce terrible combat ? Ajoutons que ce supplice destiné aux esclaves et aux prisonniers de guerre ne pouvait être prononcé contre un homme libre et romain, et que Paul n’aurait pas manqué de faire connaître ses titres et de revendiquer ses droits en cette occasion, comme il l’a fait en d’autres circonstances moins critiques. La désignation du lieu, le nom d’Éphèse, ne permet pas de supposer qu’il y ait ici un simple raisonnement sans allusion à un fait ; quand on raisonne sur des hypothèses, on ne leur donne pas les caractères du récit historique. La plupart des faits que Paul énumère encore (2 Corinthiens 11.24), ne peuvent être datés avec certitude ; plusieurs appartiennent sans doute à son séjour à Corinthe ; quant aux autres, ils ont eu lieu dans la première partie de sa carrière, avant qu’il écrivît cette lettre aux Corinthiens ; mais ils ne sont connus que par cette mention rapide et abrégée. On peut remarquer que Paul, malgré l’excommunication générale prononcée contre ceux qui confesseraient le nom de Christ (Jean 9.22), n’a jamais été excommunié, et qu’il est toujours entré librement dans les synagogues pour enseigner et discuter, liberté qui s’explique peut-être par la circonstance que Paul avait été docteur de la loi, et que, pour ces hommes privilégiés, l’excommunication était toujours une mesure à laquelle on ne se décidait que difficilement.
5°. Son activité consistait principalement dans la prédication de l’Évangile ; il baptisait quelquefois (1 Corinthiens 1.14), mais, en général, Il abandonnait cette fonction à ses compagnons d’œuvre, dont il avait toujours un certain nombre avec lui, qu’il employait comme aides et émissaires apostoliques (Actes 19.22 ; 17.16 ; etc.). Après qu’il se fut séparé de Barnabas et de Jean Marc (Actes 15.37), il fut surtout accompagné jusqu’à la fin de sa vie, et tour à tour, par Silas, Timothée, Luc le médecin, Tite, Dèmas, Eraste, et d’autres encore qui travaillèrent avec lui. Ce fut par Barnabas qu’il fut d’abord mis en contact avec les apôtres immédiats de Jésus, et avec les anciens de l’église-mère de Jérusalem (15.25), et il eut souvent, dès lors, l’occasion de cultiver leur connaissance dans ses voyages qui le ramenèrent fréquemment au milieu d’eux (Actes 15.4 ; 21.18 ; Galates 2). Ses principes sur les rapports de la loi juive avec le christianisme ne s’harmonisaient pas toujours avec ceux des apôtres judéo-chrétiens, et il eut même une contestation assez vive avec l’apôtre Pierre sur ce sujet (Galates 2.11). Cette divergence de vues qui ne dura pas longtemps entre les apôtres, mais qui dura longtemps entre leurs disciples, fut toujours, dans l’Église de Jérusalem, une source de méfiance contre Paul (Actes 21.21), et maintint sans doute de la froideur dans leurs rapports, ce qui n’empêcha pas l’apôtre, toutes les fois qu’il le crut nécessaire, de faire où il se trouvait des collectes pour les pauvres de Jérusalem et de la Judée (Romains 15.25 ; 1 Corinthiens 16 ; 2 Corinthiens 8 ; Galates 2.10). Son champ de travail s’étendait depuis la Syrie indéfiniment vers le nord et le nord-ouest ; car il choisissait de préférence l’évangélisation dans les lieux où d’autres n’avaient pas encore travaillé (Romains 15.20 ; 2 Corinthiens 10.15) ; cependant là même il ne put pas rester à l’abri des intrigues des Juifs de la Palestine (1 Corinthiens 1.12 ; 3.32 ; Galates 2 et 3). En général, on peut dire que sa vie fut une lutte continuelle contre des ennemis aussi malveillants qu’infatigables, non seulement contre les Juifs, ses anciens coreligionnaires, qui le poursuivaient, pour sa conversion au christianisme, avec toute la violence d’une haine religieuse et nationale, mais encore contre les judéo-chrétiens, dont les uns, dans le sein même de l’Église, tantôt ouvertement, tantôt d’une manière indirecte et cachée, cherchaient à faire dominer leurs tendances judéo-chrétiennes ; dont les autres essayaient de mêler au christianisme pur des spéculations gnostiques orientales ; et, pendant qu’il devait, contre les premiers, empêcher que la liberté de la loi morale du christianisme ne fût transformée de nouveau en un code légal de prescriptions morales, il devait, contre les seconds, maintenir l’importance du christianisme historique, et le sens littéral chrétien des Écritures. Au reste, si Paul était décidé et ferme sur la question des principes à l’égard de la fin du judaïsme, il ne se montrait pas rigoriste dans ses rapports avec les faibles (1 Corinthiens 9.20) ; non seulement il provoqua la circoncision de Timothée, mais il consentit à faire un vœu pour ne pas scandaliser les Juifs de Jérusalem (Actes 16.3 ; 21.24). Ce n’est que lorsque le parti juif se montrait audacieux, insolent et provocateur, que Paul lui résistait en face pour l’humilier (Galates 2.4) ; malgré cela, ses adversaires ne laissaient pas de déprécier son ministère, même par des calomnies, et en l’accusant d’hésitation, de faiblesse et de versatilité (2 Corinthiens 1.17 ; 10.10), et ils allèrent jusqu’à attribuer à l’apôtre de fausses lettres qu’il n’avait point écrites (2Thes. 2.2), et qu’ils répandirent sous son nom.
6°. En dehors du livre des Actes et de ses Épîtres, le nom de Paul ne se retrouve qu’une seule fois (2 Pierre 3.15), dans un passage dont on a voulu tirer de singulières conséquences dogmatiques ; il suffit de remarquer, 1° que Pierre ne mentionne dans les épîtres de Paul que quelques points difficiles à entendre ; 2° que la difficulté porte non sur la manière dont Paul présente ces points, mais sur la profondeur même des sujets qu’il traite ; 3° que malgré ces points difficiles les épîtres avaient été écrites à de simples fidèles, et que Pierre ne cherche pas à les détourner de les lire ; il n’y a que les ignorants et les mal assurés qui puissent en faire un mauvais usage, mais ceux-là même s’en trouveraient-ils mieux s’ils venaient à ne faire des lettres de Paul et des autres Écritures aucune espèce d’usage ? C’est là la question : l’Église romaine qui aspire à faire autrement et mieux que les apôtres, la décide autrement qu’eux ; l’Église protestante qui ne reconnaît d’autre modèle que Christ et les apôtres inspirés, suit leur exemple, et recommande aux fidèles de lire des épîtres écrites pour les fidèles, et non pour une caste privilégiée seule.
2°. Paul, voir Serge.
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