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Le judaïsme, charnel et matériel, même imparfait, renfermait cependant, du moins en germe, toute l’idée de la religion divine et véritable. L’esprit pouvait circuler dans ses formes ; elles n’étaient pas l’esprit, elles ne le supposaient pas, mais elles ne le repoussaient pas non plus, et plusieurs l’annonçaient. Le sacerdoce était comme la charpente osseuse du mosaïsme, et le résumé, le dessin de ses formes. Le prophétisme en était le cœur, le sang qui circule dans les veines, qui vivifie tout sur son passage et qui laisse dans la mort les organes dont il s’éloigne. Ou si l’on aime mieux, le sacerdoce était le canal, mais le prophétisme était l’eau qui le remplit et qui fertilise les champs qu’il parcourt.
La mission des prêtres était permanente et suivie, celle des prophètes était momentanée, temporaire, individuelle ; les premiers enseignaient par leurs actions, les seconds par la parole ; les uns regardaient davantage à l’extérieur, les autres à l’intérieur ; la correction des mœurs était confiée au sacerdoce, les prophètes demandaient le renouvellement du cœur (Deutéronome 10.16 ; 30.2ss). La loi de Moïse n’avait pas eu pour but unique ou principal de faire d’Israël un État, ni même un Etat théocratique, quelque spirituel qu’on se le représente. La loi tendait à la circoncision du cœur, elle voulait remplir l’âme d’amour pour Dieu, la sanctifier, la rendre semblable à ce qu’elle était avant la chute, la former ou la reformer à l’image de Dieu. Cet esprit régénérateur perce à travers toutes les prescriptions, à travers tous les détails nombreux et variés du mosaïsme, comme s’il voulait se graver dans les cœurs de tous en traits de vie, et son expression la plus pure, la plus vraie, la plus fécondante, mais ce n’est pas la seule, se trouve dans le prophétisme.
La loi ne donne pas sans doute aux prophètes une position absolument et rigoureusement légale ; elle n’établit pas cette institution, mais elle la suppose comme elle-même en émane, comme elle fut proclamée par l’activité et le ministère prophétique. Moïse apparaît sous l’ancienne économie comme un prophète qui n’a plus retrouvé son égal jusqu’au jour où le Christ, son supérieur, est venu accomplir, achever, plutôt que détruire son œuvre (Deutéronome 34.10). La prophétie existait avant la loi ; et déjà plusieurs manifestations prophétiques avaient eu lieu (Nombres 11.17 ; 12.6 ; 23.23 ; Exode 15.20), lorsque la loi dut intervenir pour fixer les caractères qui distinguaient les vrais des faux prophètes (Deutéronome 13.2 ; 18.15).
La prophétie est plutôt une des promesses qu’une des prescriptions de la loi ; les prophètes sont annoncés comme un libre don de la grâce divine, comme une bénédiction promise à la théocratie, comme un instrument de Jéhovah et un signe de sa bienveillance particulière pour un peuple qu’il veut conduire à la sainteté. La liberté de l’esprit succède à la servitude de la chair ; et quand des lois minutieuses règlent la naissance, l’extraction, l’onction, la personne, la vie, le costume des prêtres, rien de pareil ne préside au ministère des prophètes ; leur sexe même n’est pas une des conditions de leur activité, et des femmes prophétisent (Exode 15.20 ; Juges 4 et 5 ; 2 Rois 22.14).
Trois noms différents, ayant chacun une signification spéciale, désignaient en hébreu la charge des messagers extraordinaires de l’Éternel, roèh, nabi et khosèh ; tous les trois sont réunis dans le même passage (1 Chroniques 29.29), et appliqués à des individus différents, Samuel, Gad et Nathan. Celui qui voit, celui qui parle, celui qui a des visions, tel est le sens littéral des termes hébreux. Le premier et le troisième ne se distinguent que par des nuances, et le premier semblerait indiquer, si l’on peut se hasarder sur le terrain des hypothèses, un état prophétique plus habituel, le dernier, quelque chose de plus temporaire, en quelque sorte de plus accidentel ; l’un est celui qui voit, qui a pour ainsi dire la vue prophétique, l’autre, c’est celui qui a quelquefois des visions. L’expression nâbi, celui qui parle, qui se répand en paroles, est celle qui caractérise le mieux la mission du prophète, et son activité comparée à celle du sacerdoce. En effet, le prêtre ne parlait pas, ou du moins, chez lui la parole était subordonnée à l’accomplissement des cérémonies du culte ; son ministère était éminemment symbolique (cf. Lévitique 10.10-11). Le prophète, au contraire, parlait. Et il se distinguait d’autres hommes de Dieu, pieux, sages et savants, en ce qu’il ne proposait pas ses propres idées, mais que ce qu’il disait lui était communiqué immédiatement de Dieu par son saint Esprit. Par la même raison, les prophètes se distinguaient des magiciens, des enchanteurs, des diseurs de bonne aventure, des esprits de Python et des autres faux prophètes païens, dont la mission n’était que de prédire l’avenir et de prêter un secours surnaturel à des entreprises mondaines et à des intérêts matériels.
Les prophètes de Dieu surgissent surtout dans des temps où la connaissance du Seigneur a été altérée par des erreurs, et où les erreurs ont gagné assez de force pour séduire même les élus, si c’était possible. C’est pour de pareils temps, pour de pareilles ténèbres, que Dieu a posé les prophètes comme des lumières, avant que les ténèbres aient atteint assez d’intensité pour ébranler et obscurcir la foi des fidèles, conformément à ce que notre Seigneur lui-même dit à ses apôtres (Matthieu 24.24). Les prophètes étaient dans la main de Dieu des moyens extraordinaires, lorsque les moyens ordinaires ne suffisaient plus. Leur parole était une épée à deux tranchants, et le chapitre de Deutéronome 18, surtout les versets 15 et 18-22, nous donnent sur ce point de précieux éclaircissements, dont l’étude n’est pas sans fruit lorsqu’on veut essayer de lire et de comprendre les prophètes.
C’est à tort qu’on a voulu conclure d’Actes 3.24, que le ministère prophétique ne datait que des jours de Samuel, comme aussi l’on a donné aux écoles dont ce prophète était le chef, peut-être le fondateur, une importance qu’elles n’avaient point, et une organisation trop compliquée, dont les détails ne reposent d’ailleurs que sur des hypothèses ; ce passage (1 Samuel 2.27), suffit à montrer que, même aux jours de Samuel, on voyait des hommes inspirés de Dieu, indépendants de l’action de ce prophète, et avant que son ministère public eût commencé.
La vision et la prophétie dont parle Daniel 9.24, remontent aux premiers âges du monde, et si à cause de l’obscurité de leur foi, l’on veut contester à Énoch, à Noé, à Abraham, à Jacob le titre de prophètes, on ne pourra du moins pas méconnaître que Moïse et Marie ne l’aient mérité. Évidemment un esprit et une vie prophétiques ont présidé à la formation du système théocratique, et pendant cette période cet esprit a soufflé sur plusieurs, comme l’importance des temps le ferait déjà supposer, et comme le prouvent des passages tels que Nombres 11, et Deutéronome 13.Sous les juges quelques voix prophétiques se font entendre encore, mais elles sont isolées (1 Samuel 3.1). Le cantique de Debora est un écho des beaux temps qui ne sont plus ; les autres oracles ne sont que des annonces de châtiments ; les prophètes ne sont pas nommés (Juges 2.1-5 ; 6.8 ; 1 Samuel 2.27). La conquête de Canaan avait tourné les cœurs vers la possession des biens de la terre ; des juges avaient remplacé les prophètes.
Une époque nouvelle commence avec Samuel ; sa naissance, son éducation, sa destinée, les grâces que Dieu lui accorde, les ordres qu’il lui donne, font de lui un nouveau législateur, un second Moïse (Jérémie 13.1 ; Psaumes 99.6) ; il doit montrer que la conduite extérieure du peuple de l’alliance ne peut reposer que sur une base intérieure et morale. Il prépare la prospérité que le culte et la royauté atteignent sous David et sous Salomon. Il rompt en visière avec la sacrificature corrompue de la famille d’Éli, qui ne tarde pas à être réorganisée en rentrant dans la branche aînée. Saül mérite par moments le titre de nâbi. Gad et Nathan sont la continuation de Samuel, et tous ensemble contribuent à remettre la royauté entre des mains aimées de Dieu.
Le schisme d’Israël, et la division en deux royaumes, est une crise dans la vie du peuple, par conséquent une époque nouvelle dans l’activité prophétique. Les hommes de Dieu ont pour mission de faire envisager cette catastrophe sous son vrai point de vue. La maison de David a les promesses, mais une grande partie de son territoire est donnée à Jéroboam, qui la conservera avec la bénédiction de l’Éternel s’il marche dans la piété, lui et ses descendants (1 Rois 11.29-39). Cet oracle d’Akhija est le thème de tous ceux qui se reproduisent dans le cours de cette période (1 Rois 12.15 ; 13.1ss ; 14.7 ; 2 Chroniques 11.2).
Dans le royaume des dix tribus les prophètes forment presque une corporation, une chaîne non interrompue, comme s’ils devaient remplacer une sacrificature qui n’existe pas ; Élie consacre solennellement son successeur (1 Rois 19.16), et c’est sous les yeux des prophètes que la portion pieuse du peuple célèbre les fêtes de la loi ; c’est entre leurs mains qu’ils déposent les offrandes dues aux prêtres (2 Rois 4.23-42). Jéricho, Béthel, Guilgal, et d’autres lieux qui étaient saints avant que le tabernacle eût été fixé à Jérusalem, sont leurs demeures habituelles. Ils sont pour Israël un souvenir des temps passés, et les fonctions qu’ils remplissent tendent à faire revivre la loi dans les cœurs, et à rappeler l’image de Dieu. Telle est jusqu’à la fin, et même pendant la captivité, leur mission de paix et de sainteté, de lumière et de vérité. Mais elle doit s’étendre au-delà du moment présent ; l’impiété gagne du terrain, les cœurs se durcissent, et les prophètes dont les paroles ne sont plus écoutées de leurs contemporains, doivent annoncer des châtiments et servir de témoins aux générations suivantes ; leurs oracles sont déposés par écrit ; ils serviront de commentaire à la loi quand le jour sera venu ; la littérature prophétique prend naissance, voir pour les détails les différents articles.
C’est vers le neuvième siècle avant Christ que commence ce qu’on peut appeler dans le sens le plus restreint du mot, la littérature prophétique. Cependant les prophètes écrivaient même avant ce temps, mais ils s’adonnaient surtout à des ouvrages historiques ; comme ils parlaient pour le présent, ils écrivaient aussi pour le présent. Lorsqu’ils parlèrent pour l’avenir, leurs écrits prirent un caractère analogue, et il faut remarquer avec quel soin ils rappellent souvent que c’est par la volonté de Dieu, d’après son ordre, qu’ils déposent leurs prophéties par écrit (Jérémie 29.4 ; 30.2-3 ; 36.1 ; Ésaïe 8.1-16 ; 30.8 ; Daniel 7.1 ; 12.4-9) ; leur intention formelle était donc que leurs oracles fussent soigneusement conservés, et on les réunit au fur et à mesure qu’ils les prononçaient, au recueil des livres historiques existants. Il est aisé de reconnaître que la collection des prophètes, et notamment des douze petits prophètes, est arrangée chronologiquement, sauf quelques détails (nous parlons de l’ordre des livres dans le canon hébreu) ; quant aux différents oracles d’un même prophète, cet ordre n’existe pas toujours, et Jérémie offre de nombreux exemples de morceaux transposés ; on y reconnaît plutôt un ordre des matières et des sujets, qu’un ordre des temps ; cela se voit pareillement, et d’une manière frappante, chez les petits prophètes.
La question de l’inspiration des prophètes, du mode et du degré de cette inspiration, appartient à la dogmatique, de même que la question, plus grave encore, du degré de cette inspiration chez les saints hommes de Dieu qui ne sont pas ordinairement considérés comme prophètes. Nous restons dans les limites de notre travail en rappelant les faits suivants :
1°. Toute l’Écriture est divinement inspirée (2 Timothée 3.10), peu importe, quelque traduction que l’on donne de ce passage.
2°. Aucune prophétie ne procède d’aucun mouvement particulier mais les saints hommes de Dieu, étant poussés par le saint Esprit, ont parlé (2 Pierre 1.20-21).
3°. Il n’est fait nulle part ni réserve, ni restriction, ni exception à l’inspiration des livres de l’Écriture, ni différence quant à la nature de cette inspiration.
4°. Les difficultés ne sont jamais des objections en présence d’un principe reconnu juste.
5°. L’individualité qu’on remarque chez les historiens et chez les auteurs dogmatiques, se remarque également chez les prophètes.
6°. Quant aux prophètes en particulier, comme ils revendiquent pour eux-mêmes une inspiration pleine et entière, ou plutôt, comme ils ne donnent jamais leurs paroles comme les leurs, mais comme celles de l’Éternel, on ne peut méconnaître ce caractère de leur inspiration sans leur refuser en même temps toute créance.
Quant au nombre des prophètes, comme il y a beaucoup d’arbitraire dans l’idée qu’on s’est faite de cette charge, il y a eu également des différences dans les listes qu’on a faites des hommes et des femmes qui l’ont remplie. Outre les quatre grands et les douze petits prophètes, d’autres, comme nous l’avons vu, doivent être comptés : Énoch, Noé, Abraham, Isaac, Jacob, Moïse, Aaron, Josué, Job, Debora, Nathan, David, Gad, Jiddo, Jéduthun, Élie, Élisée, les apôtres, les évangélistes Philippe, Étienne, Barnabas, etc. Clément d’Alexandrie, Strom. I, en a voulu compter dans l’Ancien Testament cinq avant Moïse, trente-cinq depuis Moïse et cinq prophétesses. Epiphanes en compte soixante-treize outre dix prophétesses, tant dans l’Ancien que dans le Nouveau Testament ; mais ces calculs sont incomplets et arbitraires.
L’étude des prophéties, bien négligée par beaucoup de chrétiens, est un devoir ; rien ne peut nous en dispenser, ni l’obscurité des oracles non accomplis, ni la pensée que d’autres parties de l’Écriture nous offrent une nourriture plus facile et en quelque sorte une lecture plus édifiante. La meilleure nourriture de l’âme, c’est l’obéissance, c’est de faire la volonté de Dieu, et plus la tâche est ardue, plus le Seigneur est près de nous. On exagère d’ailleurs les difficultés de cette étude, et l’on oublie que trop souvent la première cause de cette obscurité vient de ce qu’on n’étudie pas, de ce qu’on ne lit pas, ou de ce qu’on lit mal et avec indifférence. Il faut avouer, qu’en français, nous ne possédons que peu d’ouvrages qui puissent aider à la lecture des prophètes (dans le nombre, quelques publications de MM. Digby, Darby, Basset, Vivien, Barbey, Fivaz, Gaussen, Newton, l’histoire ecclésiastique de M. Guers, etc.), et en outre, que cette portion des études théologiques est complètement perdue de vue dans l’éducation de ceux qui se destinent au ministère de la parole ; il devrait y avoir des cours de Prophétique comme il y a des cours d’Apologétique, de Polémique, etc., et s’il est vrai qu’à propos d’Eschatologie on dise quelques mots de millénium, etc., ce n’est guère, et ce ne peut être que d’une manière fort superficielle, parce que l’étude de la prophétie forme tout un ensemble dont il est impossible de traiter un détail isolément. Mais n’oublions pas que c’est par la prophétie que la prophétie s’éclaircit, comme la Bible par la Bible, et que la plus ou moins grande abondance de livres ou de secours humains ne doit ni ne peut augmenter ou diminuer pour nous le devoir de sonder les prophéties, voir Apocalypse.
L’Écriture donne quelquefois le nom de prophètes à des personnages qui ne le méritent pas dans le sens religieux du mot, à des imposteurs, à de faux prophètes, à des poètes païens ; dans ces cas elle ne fait que se conformer soit à l’usage, soit aux prétentions de ceux qui revendiquaient un titre qu’une foule aveuglée leur laissait prendre sans contestation.
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