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Fils de David et de Bath-Shéba, le dixième fils de David selon la liste de 1 Chroniques 3.5, et son successeur sur le trône de Juda. Son règne de quarante années va de 1015 à 975 av. J.-C. Son histoire est renfermée dans les onze premiers chapitres du premier livre des Rois, et racontée de nouveau sous un autre point de vue, et avec quelques omissions importantes (2 Chroniques 1-9). Élève de Nathan, il était appelé au trône par les promesses que Dieu avait faites à David, son père (2 Samuel 7.12 ; 1 Chroniques 17.11 ; Psaumes 132.11 ; 1 Rois 8.20). Une conspiration ayant pour but de le renverser hâta son couronnement. Il fut présenté au peuple par Nathan, Tsadoc et Bénaïa, reçut avec modestie les applaudissements de la multitude, déjoua, par son élévation, le complot qui devait lui ravir la couronne avant qu’elle fût posée sur sa tête, et pardonna à son imprudent et malheureux frère Adonija, n’exigeant de lui qu’un avenir de fidélité pour expiation d’une révolte passée. On suppose que c’est à l’âge d’environ vingt ans qu’il monta sur le trône ; Josèphe ne lui donne que quatorze ans, d’autres encore moins, à cette époque de sa vie.
Des révoltes à peine étouffées, des guerres à peine finies, l’habitude de l’agitation chez le peuple, des haines de famille, des rivalités sacerdotales, voilà ce que le jeune roi trouvait sur le trône à un âge où l’on n’a pas encore d’expérience, et après une éducation qui, en l’éloignant du tourbillon de la vie publique, n’avait pu remplacer pour lui l’expérience. Des troubles politiques et des troubles religieux ! Mais le ciel ne resta pas longtemps sombre ; les nuages se dissipèrent, et le soleil parut.
Quelques actes énergiques commandés par une sage politique, et par le testament de David, firent connaître au peuple que Salomon régnerait avec justice et fermeté. Joab fut mis à mort comme meurtrier de Abner et de Amasa ; Adonija, qui renouvela sous une forme détournée ses prétentions à la couronne, fut puni de mort ; Shimhi, qui avait enfreint la condition de son salut, fut puni de mort ; Abiathar, qui avait trempé dans la conspiration de Adonija, vit la peine de mort commuée en celle de l’exil, en considération des services qu’il avait rendus à son père ; Barzillaï et ses enfants reçurent la récompense de leur fidélité.
En exerçant ainsi la justice, en montrant qu’il ne s’arrêtait pas au rang du criminel, mais qu’il frappait le crime, quel qu’en fût l’auteur, Salomon affermit le sceptre entre ses mains. Jusque-là il n’avait fait que suivre les inspirations de son père, et il avait réussi ; il devait apprendre à régner seul. Il assembla le peuple à Gabaon, où était encore le tabernacle, et il y offrit mille holocaustes à la fois, splendide inauguration d’un règne qui devait rétablir et achever de régler le culte. La nuit suivante, Dieu lui apparut en songe, et lui demanda de choisir ce qu’il désirait, grave et solennelle épreuve pour le cœur d’un jeune homme ! Salomon répondit par une prière touchante et pleine d’humilité, et, sage, il demanda la sagesse. Il éprouva ce que l’homme a tant de peine à croire, que toutes choses sont données par-dessus à celui qui cherche premièrement le royaume des cieux et sa justice (Matthieu 6.33). Dieu lui accorda la sagesse qu’il avait demandée, les richesses et la gloire qu’il n’avait pas demandées. Plein de joie, il revint à Jérusalem achever devant l’arche sainte les sacrifices qu’il avait commencés devant le tabernacle à Gabaon.
Il fut bientôt appelé à donner publiquement une preuve de sa sagesse, et l’histoire des deux femmes réclamant l’une et l’autre, comme le leur, un même enfant, est un des plus beaux épisodes de sa vie, une des plus belles et des plus naïves peintures de la vie et des mœurs judiciaires de l’ancien Orient. Bientôt la gloire de Salomon se répandit au dehors ; sa puissance s’affermit sur tous les pays compris entre l’Euphrate et le torrent d’Égypte ; les trésors affluèrent à Jérusalem. En paix avec tous ses voisins, il vit tout prospérer à l’intérieur ; le commerce par terre et par mer se développa considérablement ; des vallées furent comblées ; Jérusalem fut ceinte de remparts ; des palais furent construits ; des villes et des villages s’élevèrent et s’agrandirent ; Palmyre fut fondée au milieu des déserts vaincus et peuplés ; de glorieuses alliances le mirent en contact avec tous les princes de son temps, qui vinrent le visiter et admirer sa sagesse autant que ses trésors ; l’argent enfin, et l’or, nous dit l’historien, pour résumer en un mot la splendeur de ce règne, n’étaient pas plus estimés à Jérusalem que les pierres, ni les cèdres du Liban que les figuiers de la plaine.
Le culte de l’Éternel ne pouvait rester oublié au milieu de la prospérité générale ; le temple dont David avait conçu le dessein et dont Dieu avait promis l’exécution à Salomon, ne pouvait pas tarder à s’élever et devait éclipser en splendeur tout ce qui avait été fait jusqu’alors. Le moment était venu de fixer l’arche et le tabernacle qui, depuis des siècles, avaient été errants de Silo à Nob, puis à Baalé, puis à Gabaon, puis à Jérusalem, d’abord chez Obed-Édom, puis sous une tente élevée par David ; le moment était venu de réunir d’une manière stable les divers objets du culte jusqu’alors dispersés, et de donner à la religion juive un centre où le peuple vînt adorer une magnificence qui répondît aux charnelles objections des idolâtres, qui excitât l’esprit charnel des Hébreux indifférents. David avait déjà assemblé les premiers matériaux (1 Chroniques 22.3) ; Salomon continua ; ses rapports avec le roi de Tyr lui rendirent la tâche plus facile ; des ouvriers tyriens et les bois du Liban furent mis à sa disposition ; plus de 180000 hommes travaillèrent à ce grand ouvrage qui, entrepris dans la quatrième année du règne de Salomon, fut entièrement achevé en sept ans et demi. La dédicace du temple eut lieu l’année suivante et dura sept jours, puis vint se confondre avec la fête des tabernacles qui commençait.
Une foule immense était venue de toutes les parties du royaume ; l’arche fut conduite avec pompe, accompagnée de tous les chefs d’Israël, et déposée solennellement dans le lieu très saint ; au moment où le voile qui devait la cacher aux yeux du peuple fut abaissé, la nuée de l’Éternel remplit le temple, et Salomon prononça la magnifique prière de consécration que l’Écriture nous a conservée ; après s’être levé il bénit le peuple, le feu du ciel tombe et consume les premiers holocaustes ; la nuée sainte se répand dans le temple, et le peuple entier se prosterne comme un seul homme. Pendant cette double fête qui dura deux semaines, les sacrifices, les holocaustes, les chants sacrés continuèrent sans interruption ; Jérusalem, ornée de feuillage, embellie par ses nouveaux bâtiments, animée par la présence de ses innombrables hôtes, fut ce jour-là la reine du monde et devait présenter un coup d’œil enchanteur ; la chair de 22000 bœufs et de 120000 brebis offerts en sacrifices par Salomon, servit aux festins de ces nombreux convives qui remportèrent dans leurs tribus, dans leurs villes et dans leurs campagnes, bien des joies et de bien beaux souvenirs.
L’Éternel apparut alors une seconde fois à Salomon ; en lui rappelant les promesses de Gabaon, il lui rappela aussi que sa prospérité dépendrait de sa fidélité. Cet avertissement était nécessaire à ce roi de trente-deux ou trente-trois ans ; il était à craindre que tant d’élévation ne lui donnât le vertige. Salomon ne répondit rien. Quelques années heureuses et pures s’écoulèrent encore. Le fils de David avait épousé une fille de Pharaon, convertie sans doute au Dieu d’Israël, mais toujours considérée par le peuple comme une étrangère, et ce fut probablement pour céder à l’opinion publique, peut-être aussi par un scrupule personnel, que Salomon ne permit pas qu’elle habitât la maison de David où l’arche était restée quelque temps. Cette Égyptienne était la reine de l’empire, de préférence aux autres épouses de Salomon, parmi lesquelles on trouve encore plusieurs païennes d’origine, Ammonites, Moabites, Héthiennes, Sidoniennes, etc. Si l’on se rappelle les paroles de Moïse (Deutéronome 23.7), on ne peut s’empêcher de trouver un excès de susceptibilité religieuse soit chez le peuple, soit chez le roi, dans le refus de la laisser habiter la maison de David ; et si cet excès vaut mieux que l’excès contraire, il faut avouer aussi que bien souvent l’un sert à cacher l’autre.
La visite de la reine de Sheba est la dernière gloire de ce règne, et servit peut-être de transition aux désordres qui en déshonorèrent la fin. On voudrait presque ne lire l’histoire de Salomon que dans le livre des Chroniques qui la termine ici. La prospérité, l’achèvement de ses travaux, le repos perdirent le plus sage des rois ; des femmes égarèrent son cœur ; il se forma un immense harem, et l’impureté poussa à l’idolâtrie le fils de David, le constructeur du temple, le restaurateur du culte ; il consacra aux idoles des hauts lieux que Josias détruisit plus tard (2 Rois 23.13) ; ses concubines voulurent rester fidèles à la religion de leurs pères, et chacune sut entraîner le grand roi dans son idolâtrie. Une troisième fois l’Éternel lui apparut, mais ce fut pour lui annoncer la division qui déchirerait son royaume après sa mort ; le châtiment ne frappa que lorsque l’heure eut sonné, mais il se fit pressentir ; le tonnerre gronda longtemps avant qu’on ne vît tomber la foudre ; la révolte bientôt étouffée de Hamath (2 Chroniques 8.3), appartient sans doute à ces signes qui devaient annoncer la fin d’une paix de quarante années ; le retour de Hadad en Idumée, les courses de Rézon en Syrie (1 Rois 11.14), les oracles de Akhija, les sourdes menées de Jéroboam, tout grondait, et Salomon dut comprendre que sa gloire était passée. Sa vie ne fut point prolongée ainsi que Dieu le lui avait promis ; il mourut âgé d’environ soixante ans, laissant une immense réputation dans tout l’Orient, et rappelant à tous les Israélites pieux que celui qui est debout doit prendre garde qu’il ne tombe.
Quelques observations détachées achèveront de faire comprendre son règne et son histoire.
1°. Le nom de Salomon qui signifie le paisible, le pacifique, était, comme les noms de David et de Saül, parfaitement d’accord avec le caractère et la vie de celui qui le portait ; il correspond à l’allemand Friederich. Salomon paraît avoir été d’un naturel tranquille et doux, plus ami de l’éclat que du bruit, des fêtes religieuses que des réjouissances politiques, des études paisibles que des glorieuses aventures ; plutôt porté à la clémence qu’à la sévérité ; modeste, mais sage et ferme, ayant toutes les qualités qui peuvent assurer à un monarque la conservation de ses frontières, et le calme à l’intérieur. Ses études et ses travaux littéraires furent immenses ; outre les Proverbes, l’Ecclésiaste et le Cantique, dont il est parlé en leur place, il a écrit des ouvrages d’histoire naturelle dont la science plus que la foi peut regretter la perte, cinq mille cantiques, ou chants lyriques destinés au culte, dont le psaume 127 et peut-être le 45 ont seuls survécu, enfin trois mille paraboles, fables, apologues ou sentences, dont les unes ont été conservées sans doute dans le recueil des Proverbes, les autres peut-être dans les fables orientales auxquelles Pilpay, puis Esope, ont plus tard donné leur nom (1 Rois 4.32). Sa sagesse se montra encore dans ses jugements, et son esprit, ami des luttes pacifiques, dans les jeux d’énigmes auxquels il se livrait avec les rois voisins, comme on le voit par l’histoire de la reine de Sheba ; la tradition veut même que des correspondances de ce genre entre Hiram et Salomon aient longtemps été conservées dans les archives de la ville de Tyr, et Josèphe cite à cet égard les assertions de Dion et de Ménandre.
2°. La sagesse que Dieu accorda à la demande de Salomon. et qui ne l’empêcha pas de succomber aux plus déplorables tentations, n’était point cette sagesse dont il est parlé (Jacques 1.5), c’était purement et simplement la sagesse administrative et gouvernementale ; Salomon n’en avait pas demandé davantage (1 Rois 3.9) ; c’était une sagesse terrestre qui pouvait être sensuelle et diabolique (Jacques 3.15). Le roi était sage, l’esprit de l’homme pouvait l’être aussi ; le cœur ne l’était pas nécessairement, et la splendide histoire de ce règne de quarante ans ne le prouve que trop ; Dieu éclaira son esprit, agrandit ses vues, développa son intelligence, remplaça pour lui l’expérience par une profonde sagesse et par une connaissance instinctive des affaires, mais laissa son cœur libre, et ne contraignit sa volonté ni vers le bien, ni vers le mal. On comprend dès lors que le plus sage des rois ait pu devenir le plus faible des hommes, et que l’idolâtrie ait pu s’y glisser pour un temps à la faveur de la volupté. À la sagesse politique Salomon joignait des talents particuliers, et sa facilité naturelle pour apprendre trouva de grands avantages dans les loisirs de la paix, dans les découvertes des voyageurs, dans les rapports qui l’unissaient avec les rois des contrées voisines, dans les produits étrangers que lui apportaient d’année en année ses navires de commerce, et dans les impôts en nature ou dans les cadeaux que les pays tributaires faisaient affluer à sa cour. La richesse vint en aide à la science.
3°. Quant au commerce de Salomon, quant aux pays d’Ophir, de Tarsis, et aux produits ou aux objets de ce commerce, on trouvera aux articles spéciaux les détails et éclaircissements nécessaires. Nous croyons seulement que toutes ces belles entreprises furent plus conformes à la sagesse humaine qu’à la sagesse divine ; plusieurs étaient positivement contraires au texte de la loi, notamment les amas de chevaux que Salomon faisait venir d’Égypte, et si l’administration sembla d’abord y trouver une source de prospérité, le royaume ne tarda pas à apprendre que ce n’est pas impunément qu’on transgresse les ordres de Dieu. L’industrie vint à la suite du commerce, les arts et métiers fleurirent ; les constructions nombreuses entreprises par Salomon favorisèrent le développement de l’architecture, de la sculpture, de l’ébénisterie, de l’orfèvrerie, de la bijouterie, et si les travaux les plus fins et les plus délicats furent d’abord confiés à des étrangers, il est bien probable que ceux-ci laissèrent des élèves, et que l’industrie devint nationale en Israël.
4°. Mais l’industrie et le commerce amenèrent le luxe à leur suite, avec le luxe la pauvreté, et des germes de mécontentement ; le peuple, destiné à la culture de la terre, voulut imiter la pompe de la cour et du culte ; la simplicité des mœurs avait disparu, l’orgueil avait pris sa place, et les murmures de la nation ne furent étouffés que par la grandeur et la puissance d’un roi qui n’avait rien à redouter ; à sa mort ils éclatèrent, et les successeurs de Salomon durent comprendre que la sagesse dans l’obéissance eût mieux valu que la simple science de la royauté. Le grand commerce de Salomon ne fut que le prélude de ses autres infidélités, et le commencement de la fin.
5°. On a beaucoup discuté, et même plaisanté, à propos des immenses richesses de Salomon, et vraiment il n’en valait pas la peine. Dieu lui avait promis les richesses, il les lui a données par les voies les plus naturelles. Les guerres victorieuses de David avaient rapporté au trésor de riches butins ; d’immenses contrées tributaires apportaient chaque année leur offrande à Jérusalem ; Israël en paix fécondait ses champs et ses montagnes ; aucun fléau, ni guerre, ni armée, ni sécheresse, ni famine, ne forçait une année à nourrir l’année suivante, et chacun jouissait en plein de son revenu du moment ; tous les bras étaient occupés ; les travaux étant nombreux, le salaire était suffisant, les vivres étaient à la portée de tous, et il n’en faudrait pas davantage à nos nations modernes pour qu’elles s’estimassent heureuses et prospères.
Or Salomon avait davantage encore ; et le commerce qui fit seul la richesse de l’Espagne et du Portugal il y a quelques siècles, le commerce qui place l’Angleterre et les États-Unis à la tête des peuples modernes, le commerce vint faire regorger de ses riches produits les coffres déjà pleins de Jérusalem. Toutes ces causes de prospérité font paraître, non point ordinaire sans doute, mais bien naturel, un état de choses qui paraît au premier abord presque merveilleux, et la seule chose dont on s’étonne, c’est qu’on ait pu être étonné de cet assemblage de richesses dont l’absence seule, en d’aussi propices circonstances, aurait le droit de surprendre. Ajoutons, et ce sera peut-être une restriction, que c’est le roi et non point le royaume qui profitait directement de ces richesses ; les sujets n’en subissaient, que l’heureux contrecoup, leur abondance n’était que le reflet de la prospérité du monarque. Salomon avait le bénéfice de tous les transits, le monopole de tous les commerces ; rien ne se faisait qu’en régie, et l’Orient ancien n’est à cet égard encore que le frère aîné de l’Orient moderne, où la cour est plus que l’État.
La liste civile en provisions de bouche pour chaque jour était considérable (1 Rois 4.22), et douze commissaires, établis sur autant de districts, avaient tour à tour à pourvoir aux besoins de la table royale ; la vaisselle d’or abondait, et absorbait une partie des capitaux nationaux ; le vestiaire ne le cédait en rien en magnificence aux splendeurs de la table et à la richesse des appartements et du trône ; un sérail, composé en grande partie de femmes étrangères, représentait au sein de l’État un État privilégié qui dépensait sans rien produire. Le peuple, de son côté, contribuait à donner de l’éclat au trône, et s’il en recevait quelque bien, il lui donnait cependant davantage ; les impôts et les corvées fournissaient à bien des besoins, mais n’enrichissaient que le roi ; le peuple était épuisé (1 Chroniques 29.6), et il finit par le montrer. S’il restait encore des doutes sur les énormes richesses dont pouvait disposer le fils de David, ils devront céder devant une considération qui n’est pas une preuve, et qui peut être davantage ; ces richesses sont de notoriété publique ; Salomon a laissé dans tout l’Orient la réputation du plus riche des rois, et des réputations de ce genre ne s’usurpent jamais.
6°. On verra, à l’article Temple, ce qu’il y a à dire sur le matériel de cette construction. Bornons-nous pour le moment à une observation. Le temple qui dans l’idée de David devait être un hommage de plus rendu à l’Éternel, qui pour Salomon était tout à la fois un acte de piété et un acte de splendeur, n’a pas rendu de grands services à la religion ; il l’a plus centralisée, il l’a rendue encore plus nationale qu’elle n’était auparavant, mais il l’a matérialisée, fixée, figée ; il en a fait un opus operatum ; on a rendu à ses ornements plus d’honneur qu’à la simplicité du tabernacle du désert, et plusieurs se sont fiés sur des paroles trompeuses, en disant : C’est ici le temple de l’Éternel, le temple de l’Éternel, le temple de l’Éternel ! (Jérémie 7.4). Il semble que le judaïsme déjà, et par les deux plus grands de ses rois, ait dû protester contre le culte des formes. Les Juifs avançaient assez lentement dans les voies de la piété, retenus qu’ils étaient par la pesanteur de leur sensualisme, sans qu’il fût nécessaire de les rattacher encore à la matière, et ce que Salomon fit pour l’extérieur du culte, il le fit au détriment du culte intérieur ; il ne fut pas le dernier à en faire l’expérience personnelle. L’autorisation que Dieu donna à l’érection d’un temple n’est pas une approbation, c’est à peine un consentement ; il dit à David : je n’en ai pas besoin, ton fils me bâtira une maison. Il semble protester pour sa part, constater un fait, et en laisser l’auteur entièrement responsable.
7°. La visite de la reine de Sheba est mentionnée avec une sorte d’éclat au milieu de toutes les autres visites qui furent faites à Salomon. Les offrandes qu’elle apportait, la beauté et la grandeur de son cortège, son admiration pour la science et l’esprit du roi hébreu, sont rapportés avec complaisance ; ses discours semblent annoncer qu’elle était digne de l’hôte qu’elle venait admirer. Notre Seigneur, en la louant de ce qu’elle avait fait (Matthieu 12.42 ; Luc 11.31), blâme les Juifs de ne pas pressentir le roi de gloire, la sagesse éternelle qui est au milieu d’eux. Une tradition éthiopienne porte que la reine de Sheba eut de Salomon un fils, Méniléhek, duquel les rois actuels d’Abyssinie prétendent encore descendre en ligne directe, voir Sheba.
8°. La relation des Chroniques est en général plus courte que celle des Rois, et elle supprime certains détails qui ne manquent pas d’importance, notamment la chute et l’idolâtrie de Salomon, et les exécutions qui inaugurèrent son règne. Le plan particulier de ces deux livres explique ces différences, et en explique d’autres encore ; les Rois racontent, ainsi que leur titre l’indique, l’histoire des rois ; les Chroniques racontent davantage l’histoire du royaume théocratique. Plusieurs actes de Salomon, sa chute entre autres, furent des actes personnels, et c’est moins pour ménager sa gloire que pour s’en tenir à ce qu’exigeait leur plan, que les Chroniques ont passé sous silence des faits, instructifs sans doute comme histoire d’un individu, mais presque sans relation avec l’histoire du royaume. Si l’on se rappelle ensuite que les Rois sont l’histoire des prophètes et, pour ainsi dire, du culte libre, et que les Chroniques nous racontent l’histoire dans ses rapports avec le culte lévitique, national, on comprendra certaines autres variantes, omissions, ou additions (telles que 2 Chroniques 2.17 ; cf. 1 Rois 5.13 ; 2 Chroniques 5.11-14 ; cf. 1 Rois 8.10 ; 2 Chroniques 8.12 ; cf. 1 Rois 9.25). La conciliation de quelques autres différences, ou le jugement à porter sur leur nature, n’appartient pas à notre travail ; c’est l’affaire des commentaires.
9°. Que Salomon soit revenu de ses égarements avant de mourir, c’est ce qui ne nous laisse pas l’ombre d’un doute, mais le récit biblique se tait sur ce point. Le fils de David, le constructeur du temple, l’auteur de trois des livres du canon, ne saurait être un réprouvé ; il a pu tomber, mais il a dû se relever, et si la réprobation pesait sur lui, le livre des Chroniques ne nous laisserait pas sous l’impression de sa fidélité ; ce n’est même que parce qu’il s’est repenti que l’auteur des Chroniques a pu passer sa chute sous silence. Une Chute n’était qu’un fait, une apostasie finale eût modifié, ou plutôt changé complètement le jugement que l’histoire doit porter sur ce monarque ; et si Dieu l’a jugé digne de lui dénoncer lui-même les châtiments qui fondraient sur son royaume, c’est que Dieu ne le rejetait point ; il est d’ailleurs probable que cette vision, et les troubles de ses derniers jours, furent le moyen dont Dieu se servit pour le ramener à lui.
10°. La tradition et les légendes se sont emparées de cette vie si riche et si grande, et l’Orient chante encore Salomon ; nous n’avons pas à nous en occuper ; le seul fait à signaler est la durée de quatre-vingts ans que Josèphe donne à ce règne ; en faisant mourir Salomon à quatre-vingt-quatorze ans, il en fait une sorte de Louis XIV, moins les guerres et les persécutions religieuses.
11°. Le nom de Salomon est souvent rappelé dans l’histoire de ses successeurs, ou à propos du temple et du culte. En dehors des livres historiques de l’Ancien Testament, on le trouve (Psaumes 72.1 ; Jérémie 52.20 ; Néhémie 13.26 ; Matthieu 6.29 ; 12.42 ; Luc. 11.31 ; 12.27 ; Jean 10.23 ; Actes 3.11 ; 5.12 ; 7.47), et il est à remarquer que dans tous ceux de ces passages où il sert de terme de comparaison, il est nommé avec défaveur et comme terme inférieur.
Le parallèle suivant complétera ce qui a été dit ailleurs du caractère de ce monarque, et contribuera à jeter du jour sur sa vie, sa philosophie et ses récits. Une étude profonde du sujet, et une intelligence parfaite du sens hébreu, ont seules pu inspirer à M. F. de Rougemont ce remarquable fragment. « David et Salomon s’expliquent l’un l’autre par l’opposition de leurs caractères. Le premier est un homme pratique dont la vie agitée est pleine de faits intéressants ; le second est un homme théorique, et ses jours s’écoulent uniformes et tranquilles en un temps de paix. Le premier a la conscience très délicate et le cœur droit et sincère, il sent vivement et ses péchés et les grâces que Dieu lui a faites, et il exprime avec une extrême vérité toutes ses impressions personnelles ; le second a plus d’intelligence que de sens moral, il généralise ses expériences intimes, et trouve une vérité et une sentence où son père n’aurait vu qu’un sentiment individuel. David parle dans ses Psaumes au nom de tous les fidèles et même du Messie, parce qu’il est par son cœur intimement lié au grand corps de l’Assemblée ; Salomon reste plus en dehors de cette sainte communauté, et lui apporte bien moins son cœur que ses écrits, où il a consigné des vérités générales. La foi et la sainteté sont le tout de David ; Salomon est en outre savant, philosophe, poète, il est le seul artiste et le seul littérateur du peuple hébreu. David possède les choses seules nécessaires et concentre sur elles toute son âme ; Salomon embrasse par sa pensée une sphère beaucoup plus vaste, il aime tout ce qui est profond, sublime, mystérieux, grandiose. Ce contraste entre David et son fils se reproduit fréquemment dans l’histoire ; un prince d’un génie excentrique remplace sur le trône son père, homme pratique et sage ; à Philippe de Macédoine succède Alexandre le Grand ; à Pépin, Charles le Grand ; à Henri l’Oiseleur, Otton le Grand ; à Louis XIII, Louis le Grand.
« La Bible nous donne elle-même la clef du caractère de Salomon, comme elle le fait au reste pour la plupart de ses principaux personnages. Hénoc marchait avec Dieu (Genèse 5.22), nous dit-elle ; Élie se tenait devant le Seigneur (1 Rois 17.1) ; Abraham croyait en l’Éternel (Genèse 15 ; Romains 4.3) ; David était un homme selon le cœur de Dieu (Actes 13.22) ; le cœur d’Assa était droit devant l’Éternel (1 Rois 15.14). De Salomon, que l’Éternel aima dès son enfance (2 Samuel 12.24-25), il est dit qu’il aimait l’Éternel (1 Rois 3.3) ; nul autre homme n’a reçu dans l’Ancien Testament un semblable témoignage.
« Salomon se place près de Jean, comme David près de Paul. Jean est le représentant de la vraie mystique chrétienne, et les notions de la vie, de l’amour et de la parole occupent chez lui une place beaucoup plus grande que chez les autres auteurs du Nouveau Testament. Ainsi Salomon donne au mot de vie ([]) le même sens profond que l’Apôtre ; il a, le premier, exposé les relations de l’âme avec Dieu sous celles de l’épouse avec son époux, et c’est lui qui, seul d’entre tous les écrivains de l’Ancienne Alliance, nous parle de la sagesse qui est de toute éternité auprès de Dieu.
Mais Salomon ne fut pas dans sa vie tout ce qu’il est dans ses écrits inspirés, et nous ne devons pas entendre par cet amour qu’il avait pour Dieu dès le commencement de son règne, celui qui s’appuie sur l’expérience du pardon et du salut, et qui procède tout entier de l’esprit de Dieu (Psaumes 116 ; 18.1). Il y avait certainement dans ce sentiment de Salomon un élément naturel et terrestre, et nous le compterions parmi ces âmes qu’un penchant inné entraîne vers les choses invisibles, et qui, si Dieu ne les garde, se précipitent dans ce faux mysticisme qui est de toutes les contrées et de tous les siècles. Salomon aura été préservé de cet écueil par le caractère éminemment pratique et positif de la religion mosaïque et du peuple hébreu, et par l’éducation pieuse qu’enfant, il avait reçue de son père et de sa mère (Proverbes 4.3).
« Mais le fanatisme n’est point l’unique écueil contre lequel viennent se briser ces âmes exaltées ; elles doivent se tenir en garde de la volupté autant que de l’exaltation ; et Salomon, dans sa longue
prospérité, se laissa séduire par ses femmes, auxquelles il s’était attaché avec passion (1 Rois 11.2) ; l’amour terrestre lui fit oublier l’amour divin et le plongea dans l’idolâtrie…
« Aimer Dieu, c’est le connaître, et la science religieuse est sœur de l’amour divin ; dans l’histoire des religions, les mystiques donnent la main aux gnostiques. Ainsi, Salomon pénètre plus avant que ne l’a fait aucun autre Israélite, dans les mystères divins, et Dieu lui accorde de nouvelles révélations qu’il nous a laissées par écrit. Ses regards d’aigle ont entrevu, comme à travers un voile épais, le Dieu un et triple, qui a laissé pénétrer dans son âme un rayon de sa gloire (Proverbes 8). Les scènes énigmatiques d’Eden ont occupé longtemps sa haute intelligence ; il a reconnu que le péché ne vient pas de Dieu et qu’il ne régnera pas toujours dans le monde (Ecclésiaste 3.11 ; 7.29), et l’expression figurée de l’arbre de vie lui est familière (Proverbes 3.18 ; 11.30 ; 13.12 ; 15.4), tandis qu’elle ne se retrouve nulle part ailleurs dans l’Ancien Testament et qu’elle ne reparaît que dans un écrit de Jean (l’Apocalypse). Salomon a saisi la vie spirituelle du fidèle comme un progrès lent et régulier, et il la compare tantôt à un chemin qu’on parcourt avec plus ou moins de rapidité, tantôt à la lumière du jour qui, pale et faible d’abord, grandit et brille d’un éclat toujours plus vif et plus pur jusqu’à sa perfection (Proverbes 4.18). La nature même a été l’objet de ses méditations religieuses.
« Cependant la science des choses divines n’exclut point chez le fidèle celle de l’homme ; Jean le prouve aussi bien que Salomon. Dans les écrits du premier, la communion habituelle de l’âme avec Dieu est inséparable d’une vie sainte et d’une charité active, et les hommes se divisent en deux classes uniques : les enfants de Dieu et les enfants du diable. Le second ne s’élève sans doute pas à une telle hauteur, mais il sait poursuivre la sagesse dans ses applications les plus diverses, et ce qui nous a été conservé de ses trois mille sentences ou proverbes, atteste une profonde étude du cœur humain…
« Poète de premier ordre, théologien mystique, moraliste ingénieux, savant naturaliste, habile homme d’État, même heureux guerrier, tel était Salomon, l’un de ces rares génies qui excellent dans les choses les plus diverses et embrassent toutes les sphères de l’activité humaine. »
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