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C’est ce que la charité donne aux pauvres (Matthieu 6.1-4). En hébreu, l’on exprimait cette idée par le mot de justice, parce que l’aumône est une dette que l’on acquitte non pas envers le pauvre, mais envers le Seigneur (cf. Psaumes 112.9 ; 2 Corinthiens 9.9-10). En grec, les mots qu’on a rendus par aumône, signifient miséricorde et grâce, parce que c’est le véritable amour, la véritable compassion qui doit en être le principe ; c’est un acte de bon vouloir et de fraternité religieuse envers le nécessiteux (Actes 10.2-4 ; 24.17 ; 2 Corinthiens 8.7).
La loi de Moïse prescrivait l’aumône proprement dite, et semblait sanctionner ainsi cette fameuse charité légale, si redoutée de nos économistes. Mais si l’on doit reconnaître qu’en effet chez nous les lois en faveur des pauvres font les pauvres ; si ce fait a atteint, en Angleterre surtout, un degré effrayant de vérité, l’on peut croire aussi que la défectuosité dans les résultats tient à un vice dans l’exécution, vice inhérent à l’état actuel de la société, dont on ne saurait faire un reproche à cette société, mais qui ne se trouvait pas le même dans l’organisation fraternelle, théocratique et agricole de la société mosaïque. Aussi ne voyons-nous nulle part jusqu’à l’avènement des rois et au luxe de la monarchie, mentionner des mendiants dans l’histoire juive. La charité légale, au lieu de propager la misère, l’adoucissait ; et ce résultat, que partout l’on voudrait obtenir maintenant, on doit lui assigner pour causes, directes ou indirectes : d’abord l’esprit patriarcal et l’honneur de famille, plus forts alors que l’intérêt des temps modernes ; puis la fixité des héritages, les lois sur l’esclavage, le nombre restreint et la qualité bien déterminée de ceux qui avaient le droit d’être assistés ; enfin la nature même des richesses et des occupations des Hébreux.
L’aumône ne consistait pas dans de petites pièces d’argent, négligente, commode et dédaigneuse offrande jetée par le riche dans l’humble chapeau du pauvre : c’étaient des prêts sans intérêt pour celui qui voulait travailler, des denrées au moment de la récolte, un coin de champ à moissonner, quelques raisins à grappiller ; puis, au bout de sept ans, les fruits spontanés de l’année sabbatique ; autant d’aumônes qui obligeaient au travail, à l’ordre et à l’économie, ceux qui voulaient y avoir part. Cette charité légale ne dispensait donc pas du travail, elle n’encourageait pas l’oisiveté : elle faisait vivre les vrais pauvres, sans offrir à d’autres la tentation de négliger leurs devoirs pour venir se classer au nombre des assistés. Chacun, d’ailleurs, ne pouvait pas indifféremment recourir à l’aumône publique, mais seulement la veuve, l’étranger, le lévite et l’orphelin, qui n’ayant ni les uns ni les autres aucun fond de terre, aucun antécédent qu’ils eussent pu économiser, aucunes avances faites, étaient véritablement, par leur infortune, dignes de la compassion des Hébreux. Le vieillard même n’avait aucun droit à la charité, car il devait avoir des fils travaillant pour lui, et, s’il avait vécu avec économie, il pouvait avoir amassé de quoi se faire aider par des serviteurs.
Quant à la somme qui pouvait être exigée des Israélites pour subvenir aux besoins des pauvres et du culte, quant aux charités qui leur étaient prescrites et qu’ils devaient faire chaque année, voici comment Saurin les résume dans son beau sermon sur l’Aumône, « calcul, dit-il, qui peut nous convaincre de cette triste vérité, que si la religion chrétienne l’emporte sur les autres, c’est dans les Évangiles, mais non dans la conduite de ceux qui la professent.
1°. Les Juifs devaient s’abstenir de tous les fruits qui croissaient les trois premières années, depuis qu’un arbre fruitier avait été planté. Ces premiers fruits s’appelaient le prépuce : c’était un crime de se les approprier (Lévitique 19.23).
2°. Les fruits de la quatrième année devaient être voués au Seigneur : c’était une chose sainte à l’Éternel (Lévitique 19.24). Il fallait les envoyer à Jérusalem, du moins il fallait en faire l’estimation et les racheter, en donnant au sacrificateur une somme équivalente ; en sorte que le peuple ne commençait à recueillir ses revenus que dans la cinquième année.
3°. Ils étaient obligés d’offrir à Dieu, chaque année, les prémices de tous les revenus de la terre (Deutéronome 26.2) ; les prémices, c’étaient les premiers fruits que la terre produisait. Quand le père de famille se promenait dans son jardin, et qu’il apercevait un arbre qui portait quelque fruit, il le marquait avec un fil, afin de pouvoir le reconnaître lorsqu’il serait parvenu à une maturité parfaite. Le père de famille mettait ce fruit dans une corbeille ; on assemblait ensuite tous ceux qui avaient été recueillis dans une ville ; cette ville envoyait des députés à Jérusalem : un bœuf couronné de fleurs était chargé de cette offrande, et ceux qui avaient la permission de le convoyer allaient en pompe à Jérusalem, en chantant ces paroles du Psaume 122.1 : « Je me suis réjoui à cause de ceux qui m’ont dit : nous monterons à la montagne de l’Éternel ». Quand ils étaient arrivés à la ville, ils chantaient ces autres paroles : « Nos pieds se sont arrêtés dans tes portes, ô Jérusalem ! » (v. 2). Ensuite ils allaient au temple, chacun ayant son offrande sur ses épaules, le roi même n’en étant pas excepté, et ils chantaient encore : « Portes, élevez vos linteaux ; huis éternels, haussez-vous » (Psaumes 24).
4°. Il fallait qu’ils laissassent ce qui croissait dans l’extrémité de leurs champs, et qu’ils le cédassent au pauvre (Lévitique 19.9). Et pour éviter les fraudes qui auraient pu se mêler dans cette pratique, ils avaient déterminé un point fixe à l’observation de cette loi, et ils laissaient la soixantième partie de leur champ pour cet usage.
5°. Les épis qui tombaient pendant la moisson étaient employés à la même fin (Lévitique 19). Et si vous consultez Josèphe (Antiquités judaïques 8, 4.), il vous dira que cet ordre de Dieu les obligeait non seulement à céder aux pauvres ces épis qui étaient tombés comme par hasard, mais d’en laisser tomber même volontairement et de propos délibéré (cf. Rut 2.16).
6°. Ils étaient obligés de donner chaque année pour les sacrificateurs la quarantième partie de leurs revenus ; du moins c’est ainsi que le sanhédrin avait expliqué la loi de Deutéronome 18.4.
7°. Ils en devaient une dixième pour l’entretien des Lévites (Nombres 18.21).
8°. Les revenus que portait la terre chaque septième année étaient pour les pauvres, du moins le propriétaire n’y avait pas plus de droit que les étrangers (Lévitique 25.23). Et les Juifs ont eu une si grande idée de ce précepte, qu’ils prétendent que c’est pour l’avoir violé, qu’ils ont été transportés à Babylone. C’est à cela qu’ils rapportent ces paroles du Lévitique 26.34 : « Alors la terre prendra plaisir à ses sabbats tout le temps qu’elle sera désolée, et lorsque vous serez au pays des ennemis, la terre se reposera et prendra plaisir à ses sabbats » (Cf. 2 Chroniques 36.21).
9°. Toutes les dettes contractées parmi le peuple devaient être remises entièrement après le terme de sept ans (Deutéronome 15.2). En sorte qu’un débiteur qui durant sept années était hors d’état de s’acquitter, devait être parfaitement absous.
Ajoutez à toutes ces dépenses les occasions extraordinaires, tant de sacrifices, tant d’oblations, tant de voyages à Jérusalem ; ajoutez-y le demi-sicle du sanctuaire, et vous verrez que Dieu avait imposé à son peuple un tribut qui allait à près de la moitié de ses revenus.
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