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C’est le nom qu’on donne au livre des livres, au livre par excellence, au volume sacré qui renferme l’unique règle de notre foi, de nos mœurs, et de notre conduite. Les juifs l’appellent le Mikra ou la Leçon. Les chrétiens la désignent par les noms suivants, à l’exemple des saints auteurs :
1°. L’Écriture (2 Timothée 3.16 ; Actes 8.32 ; 2 Pierre 1.20) ou Les Écritures (Matthieu 22.29 ; Actes 18.24) ;
2°. Les Saintes Écritures (Romains 1.2), ou les Saintes Lettres (2 Timothée 3.15) ;
3°. La Loi, pour tout l’Ancien Testament (Jean 10.34 ; 12.34 ; 1 Corinthiens 14.21) ;
4°. L’Ancien Testament (2 Corinthiens 3.14).
La Bible a toujours été divisée en plusieurs livres, mais la division par chapitres et versets est d’origine assez récente. Il paraît, d’après Clément d’Alexandrie, Athanase, et quelques autres Pères, que dans les premiers temps du christianisme, les saintes Écritures étaient divisées en courts paragraphes, dits parasch’s et haphtar’s pour l’Ancien Testament, stiques et péricopes pour le Nouveau (voir Steiger. Introd. au Nouveau Testament, p. 73 et suiv.) ; la division actuelle en chapitres est attribuée par les uns à Arlott, moine toscan, par d’autres, avec plus de probabilité, au cardinal Hugo de Sainte Chair, qui vivait au treizième siècle ; par d’autres enfin à Étienne Longton, archevêque de Cantorbéry, vers l’an 1250.Quant à la division par versets, elle ne fut peut-être fixée telle qu’elle est maintenant que vers l’an 1450 pour l’Ancien Testament, et vers l’an 1551 pour le Nouveau. C’est en 1450 que parut la Concordance hébraïque du Juif Mardochée Nathan ; et, en 1551, ce fut l’imprimeur genevois Robert Étienne qui divisa le Nouveau Testament en 7956 versets ; il modifia aussi la division de l’Ancien Testament, qui compta 23205 versets.
La Bible entière se compose de l’Ancien et du Nouveau Testament ; tous les livres du premier furent écrits avant l’incarnation de notre Sauveur, ceux du second le furent tous après sa résurrection. Ceux de l’Ancien Testament sont écrits en hébreu, sauf quelques chapitres d’Esdras et de Daniel, et un verset de Jérémie, qui sont écrits en caldéen ; ceux du Nouveau Testament sont en grec, mais d’un grec fortement mêlé d’hébraïsmes. Il est à remarquer d’ailleurs qu’ils furent tous écrits, les uns comme les autres, dans la langue au moyen de laquelle ils pouvaient le mieux être compris par l’Église d’alors ; ce qui montre aussi qu’à mesure que la Bible parvient à de nouveaux peuples, il faut, par des traductions, mettre ce peuple en état de la lire et de la comprendre ; il faut qu’il y ait effectivement partout des traductions vulgates, c’est-à -dire pour le vulgaire, pour le peuple ; c’est ce que l’Église romaine a très bien compris dans le temps où on parlait latin. Depuis lors il y a eu, à cet égard comme à tant d’autres, une variation dans sa manière de voir, à tel point que les mandements de quelques évêques proscrivent maintenant la Bible ; quelques curés la brûlent ; M. Joseph de Maistre a pu dire : « Sans notes et sans explications l’Écriture sainte est un POISON » (Soirées de St. Pétersbourg, T. 2, p. 343, fin du dernier entretien).
Vers le temps de notre Seigneur, les Juifs partageaient leur Bible en vingt-deux livres, selon le nombre des lettres de l’alphabeth hébreu. C’étaient :
Les cinq livres de Moïse, dits la Loi.
Treize livres des Prophètes, savoir : 1° Josué ; 2° Les Juges et Ruth ; 3° Les deux livres de Samuel ; 4° Les Rois et les Chroniques ; 5° Ésaïe ; 6° Jérémie et les Lamentations ; 7° Ézéchiel ; 8° Daniel ; 9° Les douze Petits Prophètes ; 10° Job ; 11° Esdras ; 12° Néhémie ; 13° Ester.
Enfin quatre livres, dits hagiographes ou écrits saints : les Psaumes, les Proverbes, l’Ecclésiaste, et le Cantique des Cantiques. Ce dernier recueil portait encore le nom général de Psaumes. Ainsi, qui disait : « La loi, les prophètes et les psaumes » disait la Bible tout entière (Luc 24.44).
Les Juifs modernes comptent vingt-quatre livres, auxquels ils assignent une autorité inégale. Avant tous marchent les cinq livres de Moïse ; puis viennent les livres de Josué, des Juges, de Samuel, des Rois, d’Ésaïe, de Jérémie, d’Ézéchiel et des douze petits prophètes ; ils sont inspirés aussi, mais d’une inspiration et d’une autorité inférieure à celle des premiers. Quant aux autres, c’est à peine s’ils daignent admettre quelque intervention surhumaine dans leur composition ; Daniel est en complète défaveur auprès d’eux : on conçoit que la clarté des soixante et dix semaines ne soit pas de nature à les prédisposer à le reconnaître pour authentique.
La manière dont les chrétiens ont divisé les livres de l’Ancien Testament est bien plus rationnelle. En tête se trouvent les livres historiques, plus faciles à comprendre, et dont il est nécessaire de connaître et d’avoir compris le contenu, pour l’intelligence des doctrines et des prophéties ; puis les livres sentencieux, de doctrine, ou d’instruction ; enfin les Prophètes. Si l’on voulait les ranger dans l’ordre des temps, le livre de Job occuperait peut-être la première place ; puis la Genèse, l’Exode, le Lévitique, les Nombres, etc., jusqu’à 2 Samueluel ; puis les Psaumes, les Proverbes, l’Ecclésiaste, le Cantique de Salomon, Jonas, Amos, Osée, Joël, Nahum, Ésaïe, Michée, Sophonie, Habacuc, Jérémie, Lamentations, Abdias, Ézéchiel, 1 et 2Rois, Daniel, Aggée, Zacharie, Esdras, 1 et 2 Chroniques, Ester, Néhémie et Malachie. Nous aurons du reste à revenir sur toutes ces questions à mesure que nous traiterons de chaque livre en détail. « Les livres du Nouveau Testament, comme ceux de l’Ancien, se divisent en historiques, dogmatiques et prophétiques ; ils disent la fondation de l’Église, la foi de l’Église, et les destinées de l’Église ; l’amour de Christ, la pensée de Christ et les jugements de Christ. Les quatre Évangiles et les Actes racontent l’histoire du salut et la fondation de l’Église ; les Épîtres, au nombre de vingt-et-un, appartiennent à la seconde classe ; l’Apocalypse est le seul livre de la troisième, le seul essentiellement et entièrement prophétique. Quant à leur classement chronologique, il règne à cet égard une incertitude complète, et il n’y a pas deux auteurs d’accord sur ce point.
Voici, en effet, l’ordre dans lequel les classe Bickersteth (Considérations sur l’Écriture sainte) : An 38 : Matthieu ; 52 : 1 et 2 Thessaloniciens, Galates ; 56 : 1 Corinthiens ; 57 : 2 Corinthiens ; 58 : Romains ; 61 : Éphésiens, Jacques ; 62 : Philippiens, Colossiens, Philémon ; 63 : Luc, Hébreux, Actes ; 64 : 1 Timothée, Tite, 1 Pierre ; 65 : Marc, 2 Timothée ; 66 : 2 Pierre ; 70 : Jude ; 90 : 1, 2 et 3 Jean 1.; 95 : Apocalypse ; 97 : Jean.
Voici maintenant Horne (Introd. to the Study of the Bible) : An 37 ou 38 (ou 61) : Matthieu ; 52 : 1 et 2 Thessaloniciens et Galates ; 56 : 1 Corinthiens ; 57 : Romains ; 58 : 2 Corinthiens ; entre 60 et 63, Marc ; 61 : Éphésiens, Jacques ; 62 : Philippiens, Colossiens, Philémon ; 63 : Hébreux, Luc, Actes ; 64 : 1 Timothée, 2 Timothée, 2 Pierre, Jude : 68 ou 69, 1, 2 et 3 Jean 1.; 97 : Apocalypse ; 98 : Jean.
D’après Archibald Alexander, il faudrait les classer de la manière suivante, les livres historiques n’étant pas comptés : 1 et 2 Thessaloniciens, Galates, 1 Corinthiens, 1 Timothée, Jacques, Romains, 2 Corinthiens, 1 et 2 Pierre, Éphésiens, Colossiens, Philémon, Philippiens, Hébreux, Tite, 2 Timothée, Jude, 1, 2, 3Jean, Apocalypse.
D’après Olshausen, pour quelques épîtres seulement : 1 et 2 Thessaloniciens, Galates, 1 et 2 Corinthiens, Romains, Éphésiens, Colossiens, Philémon, Philippiens.
D’après A. Bost enfin : 1 Pierre, 1 et 2 Thessaloniciens, Galates, 1 et 2 Corinthiens, Romains, Jacques, Philémon, Philippiens, Éphésiens, Colossiens, Hébreux, 1 Timothée, Tite, 2 Pierre, 2 Timothée, Jude, 1, 2, 3Jean, Apocalypse.
Il n’y a pas besoin d’un plus grand nombre d’exemples pour prouver que la solution exacte de cette question de chronologie est impossible. Depuis Marcion, qui met l’épître aux Galates en tète, jusqu’à Schrader qui la met en queue de toutes celles qui ont été écrites par saint Paul, il y a ample marge pour les variantes, et elles n’ont pas manqué.
Plusieurs livres mentionnés dans l’Ancien Testament sont perdus. Ce sont :
1° le livre des guerres de l’Éternel (Nombres 21.14) ;
2° le livre de Jashar, ou du droiturier (Josué 10.13 ; 2 Samuel 1.18) ;
3° le droit du royaume (1 Samuel 10.25) ouvrage de Samuel sur la Constitution hébraïque ;
4° le livre des faits de Salomon (1 Rois 11.41) ;
5° un livre des Chroniques des rois de Juda et d’Israël (1 Rois 14.19-29 ; 15.7) ;
6° les divers livres scientifiques et poétiques de Salomon (1 Rois 4.31-33) ;
7° les Chroniques du roi David (1 Chroniques 27.24) ;
8° Vie de David, écrite par Samuel, Gad et Nathan (1 Chroniques 29.29) ;
9° Vie de Salomon, par Nathan, Akhija et Jehdo (2 Chroniques 9.29) ;
10° Vie de Roboam, par Semahia et Iddo (2 Chroniques 12.15) ;
11° Vie d’Abija, par Iddo (2 Chroniques 13.22) ;
12° Vie de Ozias, par Ésaïe (2 Chroniques 26.22) ;
13° Vie d’Ézéchias, par Ésaïe (2 Chroniques 32.32) ;
14° une Vie de Manassé, par Osée(ou par quelques prophètes) (2 Chroniques 33.18) ;
15° des Lamentations, ou chants funèbres, sur Josias (2 Chroniques 35.25) ;
16° les Paroles anciennes (1 Chroniques 4.22). Est-ce un livre ou la tradition ? Ajoutons qu’au temps de Salomon l’habitude d’écrire était déjà si répandue, que le Sage a pu dire « qu il n’y avait point de fin à faire beaucoup de livres » (Ecclésiaste 12.12).
Il ne paraît du reste pas que ces livres, quelle que soit l’autorité personnelle de leurs auteurs, aient jamais été regardés comme inspirés et jouissant de l’autorité divine ; cependant ils sont cités par les écrivains sacrés comme utiles à consulter et dignes de confiance.
Quant au Nouveau Testament, si dans les premiers siècles du christianisme divers hérétiques tentèrent d’introduire de faux Évangiles, de faux Actes et de fausses Épîtres, la fraude fut bientôt découverte et jugée par l’Église, v. Apocryphes.
Il paraît qu’avant le règne de Josias les saints livres s’étaient presque entièrement perdus ; ce qui explique à la fois la joie et la surprise pleine de crainte qu’éprouvèrent ce pieux monarque et ses courtisans lorsque Hilkija le sacrificateur eut trouvé dans la maison de l’Éternel le livre de la Loi (quelques-uns pensent l’autographe de Moïse), comme enseveli sous la poussière ou sous les ornements du temple (2 Rois 22.8). Jusqu’à cette époque, les livres saints avaient été déposés successivement devant l’Éternel, près de l’arche de l’alliance (Deutéronome 17.18 ; 31.9-26 ; Josué 24.26 ; 1 Samuel 10.25), usage que l’on retrouve chez presque tous les anciens peuples de l’Orient, et notamment en Égypte et à Babylone. Dès lors ils continuèrent d’être lus et conservés ; mais au temps de la captivité des Juifs, de leur retour et de la construction du second temple, des circonstances nouvelles rendirent nécessaire un nouveau mode de conservation pour les livres saints. C’est à Esdras que les Juifs attribuent l’honneur d’avoir, sous la direction de l’Esprit d’en haut, recueilli et rédigé les livres du canon actuel, ou les trois parties du code sacré, en retranchant les écrits inauthentiques, en comparant les manuscrits les uns avec les autres, en corrigeant les inexactitudes qui, avec le temps, avaient pu se glisser dans l’une ou l’autre des copies. Il fut secondé dans ce travail par une réunion d’hommes savants et pieux, Josué, Zorobabel, Aggée, Zacharie, Malachie, Néhémie, Simon le juste, etc., qui, au nombre de cent-vingt, formèrent le grand collège ou la grande synagogue. De là vient le profond respect et la vénération que les Juifs ont pour Esdras ; ils aiment à le comparer avec Moïse : « Moïse, disent-ils, a donné la loi, mais Esdras l’a restaurée ». (Hsevernick, Hist. du canon de l’Ancien Testament, Mél. de Théol. Réf., 2 cahier, 1834).
Quant à la collection des livres du Nouveau Testament, il est bien naturel de supposer que les Églises primitives, liées entre elles par les liens d’une même foi et d’un même amour, se soient communiqué les unes aux autres les ouvrages, lettres ou autres écrits, qu’elles possédaient et qu’elles avaient reçus des apôtres et des évangélistes. Rien de plus naturel encore que la supposition qu’on copiait souvent dans les Églises chrétiennes des ouvrages d’une telle importance. De cette manière, les exemplaires se répandirent promptement, et les collections se multiplièrent. Il s’en fit un grand nombre, mais elles conservèrent un caractère privé, non officiel, jusqu’à ce qu’enfin, lors du concile de Nicée, la collection que nous possédons actuellement reçut le caractère d’autorité et d’authenticité nécessaire pour la constituer en canon inspiré. Il n’est pas nécessaire de supposer qu’il y ait eu sur ce sujet des délibérations régulières, en forme, ni un arrêté exprès, et l’on comprend que la réunion des évêques et des théologiens les plus distingués de tous les pays de l’empire pouvait par elle-même conduire à ce résultat (v. pour plus de détails l’ouvrage de Steiger cité plus haut).
C’est ici que s’arrête notre tâche ; elle a été ingrate et sèche. Il en resterait une plus belle, mais qui n’appartient plus au plan de notre Dictionnaire : ce serait de dire les beautés innombrables que renferme ce livre dont nous n’avons touché que la forme matérielle. C’est avec regret que nous devons abandonner à d’autres ce beau travail : à d’autres, le soin d’en montrer la divinité ; à d’autres, démontrer la richesse de l’ensemble et la richesse des détails ; à d’autres, de faire ressortir cette empreinte céleste et ce parfum d’antique sainteté ; à d’autres, d’en faire voir la majesté pleine d’onction, la douceur sérieuse, la tendre sévérité, l’inépuisable profondeur et l’éblouissante clarté. Disons seulement que ce livre, riche de faits et de poésie, sublime de morale, le seul exact et vrai dans ses prophéties, présente le phénomène remarquable d’un recueil dont les fragments, composés à plus de mille ans d’intervalle, ne laissent en aucune manière apercevoir la différence des dates, et consacrent partout une seule et même doctrine : l’harmonie la plus parfaite se rencontre depuis la Genèse jusqu’à Malachie, dans les dogmes, dans l’élévation et dans la direction d’esprit de ces écrivains : c’est que le vrai beau, le vrai bon, le vrai grand, est le même toujours comme chez tous les peuples, car il ne peut venir directement que de Dieu.
Aussi la Bible a-t-elle eu toujours ses admirateurs en dehors même du peuple des croyants, mais des admirateurs de divers genres. Tous ont compris au moins une des faces du livre sacré, et l’ont mise en saillie, au détriment peut-être de ce qui fait l’essence même de la Révélation. La morale en a paru sublime à Jean-Jacques, et la poésie à Chateaubriand ; l’un et l’autre de ces deux grands écrivains ont cru rendre hommage à la vérité divine, mais leur intelligence ne l’avait pas comprise, l’un admirait les résultats, l’autre la forme extérieure ; ils ont loué le christianisme et la révélation, en partant du point de vue de l’homme, du bon humain, du beau humain, et c’est en le comparant avec ces notions terrestres, avec les maximes, avec l’esthétique humaine, qu’ils ont pu le trouver divin, mais d’une divinité relative, et non point absolue. Ce volume de la loi sainte n’a pas eu force de loi pour eux, leur théologie et leur morale sont connues.
On ne doit pas s’étonner, toutefois, de voir les hommages rendus à ce livre par ceux-là mêmes qui lui refusent obéissance ; il est fait pour captiver, pour enchaîner les plus grands génies. Universel, à la portée de chacun, simple parce qu’il est élevé, ce volume peut intéresser tout fils et toute fille d’Adam, parce qu’il embrasse les intérêts de l’humanité toute entière, dans ses rapports avec un avenir voilé à tous, éternel pour tous, et dont il est la préparation. Est-il besoin de dire que c’est le livre que la tendre enfance comprend et dévore avec le plus d’avidité ? Joseph, Moïse, Samuel, Samson, David, Daniel, le petit Jésus, n’est-ce pas là une littérature pour l’enfance ; et depuis Pascal jusqu’à Lamartine, ne vous ont-ils pas tous raconté les impressions profondes qu’ils conservaient dans l’âge mûr, de ces lectures faites sur les genoux de leur mère ? N’est-ce pas encore le livre des femmes, et l’histoire ne montre-t-elle pas à tous les moments de réveil religieux, les femmes émues à la vue de ces pages tendres et solennelles ? C’est que la Bible leur dit l’origine de leurs douleurs, elle leur montre Ève, et Rachel, et Ruth, et la mère de Moïse, et les femmes pieuses qui assistaient notre Sauveur de leurs biens, et Dorcas la mère des pauvres. C’est aussi le livre des serviteurs et des esclaves, un livre qui, en leur enjoignant l’obéissance la plus rigoureuse, adoucit leur sort de bien des manières, et parle au cœur de leurs maîtres pour les disposer à la bienveillance et au support. Combien l’Ancien Testament n’a-t-il pas pris soin d’alléger la pénible condition des esclaves, en leur offrant des garanties contre la violence et la brutalité de leurs maîtres qui ne pouvaient plus s’en regarder comme les propriétaires ! C’est le livre des rois, comme celui des peuples, celui des grands et des petits, celui des riches et des pauvres ; à chacun il balance avec tant d’équilibre les droits et les devoirs, que l’on ne peut rien imaginer de plus parfait, de plus exact, de plus rationnel, de plus saint.
Mais par-dessus tous ses autres titres, la Bible est le livre des âmes, un livre intime, intérieur, qui raconte l’histoire du cœur, lui parle de malheur et de salut, dépeint les luttes du péché, les combats, les tentations, les chutes, les maladies morales, et les remèdes du ciel. C’est d’une autre vie qu’elle parle ; elle donne à l’âme une individualité sensible, capable d’éprouver des besoins ; l’âme est un individu comme le corps, il faut soigner la première, et soigner le second ; mais pour le corps les moyens sont connus, pour l’âme ils doivent être révélés ; l’âme tend aux choses qui sont invisibles, à celles qui sont éternelles, à celles qui sont spirituelles. C’est vers un avenir de l’âme que la Bible nous mène, elle nous le montre, elle nous le fait connaître, elle répond ainsi aux soupirs secrets et mystérieux, aux désirs qui ne se prononcent pas ; elle comble les vides, elle donne des forces, de la joie, de la santé, de la vie ; elle apprend un salut inimaginable que la pensée de Dieu, pleine d’amour et de sagesse, a seule pu concevoir dès l’Éternité (1 Corinthiens 2.15).
Les plus grands génies se sont tous humiliés devant la croix et devant la Bible ; Pascal et Descartes, en France, Newton en Angleterre, Leibnitz en Allemagne, et si tous n’ont pas cru de cœur, tous ont vénéré ce document merveilleux, jusqu’à ces deux grands écrivains dont nous parlions tout à l’heure, le philosophe de Genève et le poète de Saint-Malo. Sans doute l’on trouvera des noms qui se sont raidis contre le livre saint, mais s’ils l’ont rejeté, c’est qu’ils affectaient de rejeter toute divinité ; on a déjà nommé Voltaire et les siens ; mais la fin de cet homme reste comme un épouvantail pour ceux qui seraient tentés de vivre de la même vie, de suivre le même chemin, de se repaître de la même incrédulité.
Ce n’est plus le temps de défendre l’authenticité des livres saints, et de prouver qu’ils ne sont point l’ouvrage de l’imposture. Assez longtemps on l’a dit, on l’a crié ; maintenant on ne le crie plus, on le murmure, et peu de personnes osent encore avouer un système qui ne repose que sur la corruption du cœur. Toutefois, à cause du grand bruit qu’ont fait les adversaires, il peut être utile de rappeler quelques-uns des ouvrages qui leur ont été répondus, et qui, sous diverses faces, ont abordé la même question, et l’ont traitée soit avec les armes du sérieux, soit avec celles de l’ironie. Nous citerons seulement : les Pensées de Pascal ; l’ouvrage d’Abbadie, si remarquable par la méthode et le raisonnement que des évêques l’ont recommandé, mais, cela va sans dire, en négligeant d’ajouter qu’Abbadie était un ministre protestant (v. Bungener, Trois Sermons sous Louis XV p. 93.) ; Lardney ; le Tableau des preuves évidentes du Christianisme, de Paley ; Massillon, Sermon sur l’évidence de la loi de Dieu (Rien ne paraît clair, dit-il, à ceux qui voudraient que rien ne le fut, comme tout parait droit à ceux qui ont intérêt que tout le soit) ; Erskine, Addisson, Haldane, Chalmers ; les Lettres de quelques juifs portugais par Guénée, et enfin les Lettres Helviennes, provinciales philosophiques du Jésuite Barruel, ouvrage admirable, mais écrit parfois avec trop d’exagération, dans lequel on trouve tracé, de main de maître, le tableau vivant et parlant de ces folies auxquelles on ne croirait pas si elles n’étaient autant de faits.
Après la question d’authenticité vient celle de l’inspiration des saints écrits : peu d’ouvrages ont paru en France sur cette matière ; nous ne saurions en indiquer de meilleur que la Théopneustie de M. Gaussen, quoique nous ne puissions en accepter les conclusions, ni même en admettre tous les raisonnements ; c’est du moins un ouvrage complet, intéressant, et qui respire et inspire le respect et l’amour de la Parole de Dieu.
Parmi les livres les plus utiles pour faciliter la lecture de la Bible nous signalerons, en finissant, l’ouvrage de Bickersteth, déjà cité ; l’Histoire sacrée de E. Bonnechose, le Morgenland de Preiswerk, dont deux volumes sont traduits en français ; l’abrégé des livres historiques de l’A. T. par Jérémie Risler ; la Lucile d’Ad. Monod ; plusieurs ouvrages de Roussel, Oster, Malan ; Boucher, sur le droit qu’a tout homme de lire la Bible ; le Commentaire de Gerlach sur le N. T. (trad. par Bonnet et Baup) ; enfin et surtout l’importante Concordance de M. Mackenzie, et le nouveau recueil de parallèles que nous annonce ce consciencieux et infatigable écrivain. Quant aux travaux sur des parties spéciales de la Parole de Dieu, nous les indiquerons au fur et à mesure que l’occasion s’en présentera.
La langue française ne possède aucune traduction, pour ainsi dire officielle, de la Bible ; nos meilleures versions sont celles de Martin et d’Osterwald, qui toutes les deux devraient être refaites en partie, et celle de Genève, 1712, qui leur est préférable. Celle de 1805 ne vaut pas grand chose. La nouvelle version des Hagiographes par M. Perret-Gentil de Neuchâtel, est tout ensemble un beau monument de science théologique et une œuvre littéraire remarquable. La traduction du N. T. qui a paru à Genève en 1835, n’est pas toujours fidèle. Une traduction du N. T. faite par une société de ministres vaudois, et publiée en 1839, se caractérise par son exactitude et souvent par le bonheur avec lequel sont rendues les tournures mêmes de l’original ; quelquefois cependant elle est obscure : la 2e édition qui vient de paraître (Lyon, 1849) est accompagnée de parallèles.
La langue anglaise possède une version authentique excellente qui est une des meilleures qui existent ; il en a été publié, en 1848, une édition avec cartes, notes et parallèles, par la Tract Society de Londres, sous le nom de Paragraphe Bible, parce que les strophes des livres poétiques y sont indiquées, autant du moins qu’on peut les reconnaître dans l’original. Le docteur Conquest a publié une version nouvelle avec vingt mille corrections ; il y en a beaucoup de superflues.
L’Allemagne a celle que lui a donné le fécond et puissant génie du grand Luther, chef-d’œuvre de science, de travail et de piété ; celle de Meyer de Francfort, enrichie de notes précieuses, courtes et complètes ; enfin celle du professeur De Wette, qui jouit d’une réputation justement méritée.
Aux éditions françaises du Nouveau Testament, nous devons ajouter celle qui a été faite à Genève (imprimée à Bruxelles, 1843), à l’usage des catholiques romains. Elle restera comme un monument de l’activité des pasteurs de Genève, et du zèle avec lequel les dames de cette ville ont su faire, pour la parole de Dieu, ce que leurs mères avaient déjà fait pour conserver à leur patrie une précieuse collection d’histoire naturelle. Dans cette édition, tous les chapitres et passages dont la lecture est plus particulièrement recommandée, sont notés d’une raie bleue, parallèle à la marge ; les passages qui réfutent d’une manière directe les erreurs de l’Eglise romaine, sont soulignés à l’encre rouge, et de nombreuses notes, toutes de controverse, sont collées en regard des versets auxquels elles servent de commentaires, ou dont elles sont destinées à faire ressortir le sens. Ce travail, fait à la main, a dû exiger un temps considérable, et fait l’éloge de ceux qui l’ont conçu et de celles qui l’ont exécuté. On peut regretter cependant que les auteurs de ce commentaire d’un nouveau genre, n’aient pas utilisé davantage les passages relatifs au salut par la foi.
Parmi les commentaires allemands, nous citerons encore la Haus-Bibel de Richter. C’est par une méprise inexplicable que les publications de MM. Bagster and Son ont été oubliées. Les travaux bibliques de cette librairie, ses nombreuses et élégantes éditions, ses polyglottes, ses commentaires, ses cartes, son atlas biblique, lui ont fait une réputation plus qu’européenne, et placeront son nom dans l’histoire à coté de celui des Etienne pour le zèle chrétien, des Elzévirs pour la perfection typographique. Notons aussi The Domestic Bible du révérend ingram Cobbin (Partridge et Ûakey), avec commentaires, parallèles, plusieurs centaines de gravures, etc. ; et la nouvelle édition illustrée du commentaire de Matthieu Henry, faite par les soins des révérends E. Bickersteth, docteur Steane, Brown, Cobbin. Leifchild, Forsyth, et Bunliug.
Les Septante et la Vulgate sont les traductions les plus célèbres, sinon par leur mérite, au moins par leur antiquité, et le rôle qu’elles ont joué. Il y a diverses traditions sur l’origine des Septante, et leur histoire, qui se perd dans la nuit qui sépara les derniers prophètes de l’ancienne alliance et les jours apostoliques, présente plus d’une obscurité. D’après Aristobule, le Pentateuque aurait déjà été traduit en grec avant Ptolémée Philadelphe et Démétrius de Phalère ; ce dernier aurait conçu le plan de la traduction de tout l’Ancien Testament, il l’avait conseillée à Ptolémée Lagus, et le successeur de celui-ci, Philadelphe, l’aurait exécuté. On connaît l’ardeur avec laquelle les rois d’Egypte cherchaient à enrichir leur fameuse bibliothèque d’Alexandrie, et l’on comprend facilement qu’ils aient désiré avoir aussi un exemplaire du code sacré des Hébreux ; les Juifs exilés se sont empressés de procurer à l’Académie un exemplaire authentique et reconnu par le sénat (sanhédrin) de Jérusalem, composé de soixante-dix, ou soixante-douze membres (de là , peut-être, le nom de version des Septante ?) Ce code, composé dans une langue inconnue, fut traduit en grec. Le Pentateuque est peut-être le seul morceau qu’on envoya au roi ; il fut traduit avec plus d’intelligence et de soin ; cependant il prouve encore que les traducteurs n’étaient pas des docteurs de la loi, connaissant le texte, sa lecture, son interprétation et la théologie judaïque ; c’étaient des Juifs, instruits peut-être dans l’érudition grecque de ce temps, mais c’est la seule garantie qu’ils offrent, et elle n’est pas considérable. Les Juifs de l’Egypte, cependant, qui avaient à peu près oublié l’hébreu, se servirent de préférence de la traduction grecque qui venait de leur être donnée, et l’on voit par un grand nombre de passages du Nouveau Testament, que cette version était encore en usage au temps de notre Seigneur, qui paraît l’avoir lue lui-même. Mais après Christ, les Juifs l’abandonnèrent, soit à cause de ses défauts, soit par esprit de contradiction, parce que les chrétiens en faisaient grand cas. Ils la remplacèrent par celle d’Aquila, et plus tard ils renoncèrent même à toute traduction, bannirent de leur culte les langues païennes, et reprirent en hébreu, mais non sans y mêler du chaldéen et des expressions rabbiniques, leurs lectures et leurs prières, comme ils font encore aujourd’hui.
La version de la Vulgate fut commencée (355 après Jésus-Christ) par saint Jérôme, qui avait reconnu les fautes de la version latine Itala, traduite sur le texte déjà défectueux des Septante ; mais quoiqu’il eût été encouragé dans son travail par quelques-uns de ses amis les plus distingués, entre autres l’évêque Chromatius, sa traduction fut généralement mal accueillie, et ne fut guère approuvée que des sémi-pélagiens. Grégoire-le-Grand l’appuya plus tard, et au temps d’Isidore (VIIe siècle), elle était reçue et estimée à l’égal de l’Itala. Alcuin, chargé par Charlemagne d’en faire la révision, compara entre eux les nombreux manuscrits qu’il put se procurer, et les confronta avec le texte hébreu.
Au onzième siècle, une nouvelle révision fut jugée nécessaire, et Lanfranc, archevêque de Cantorbéry, lui donna son nom. De même, le cardinal Nicolas au douzième siècle. La Sorbonne fit faire ce travail par ses élèves, mais les dominicains (1256) le firent interdire. Hugues de Sainte-Chair fut plus heureux ; mais tous ces essais presque individuels ne firent qu’accroître la confusion.
La découverte de l’imprimerie, dans la seconde moitié du quinzième siècle, vint ranimer les espérances que l’on avait conçues de conduire à fin l’énorme entreprise d’une traduction latine de la Bible ; la première édition parut à Mayence en 1462, et constata les nombreuses corruptions du texte. En 1502, le cardinal Ximénès publia sa fameuse Bible d’Alcala, et, en mettant la Vulgate entre le texte grec et le texte hébreu, il dit dans sa préface « que c’est le Christ entre les deux larrons ! »
Gumelli (Paris 1504) et Castellanus (Venise 1511) publièrent la traduction et ses variantes. Robert Etienne en fit huit éditions successives, et corrigea la version latine d’après l’hébreu. Jean Benoît (1541) et Isidore Clarius (1542) firent un travail analogue, et ce dernier se plaignit assez librement des innombrables erreurs dont fourmillait la traduction de Jérôme, amendée, corrigée, changée depuis des siècles.
Le concile de Trente arrive. Après bien des débats, il nomme une commission d’examen qui ne fait rien. Vers la tin du concile, Pie IV nomma une autre commission, mais à Rome, et sous ses yeux. Pie V la renouvelle et en accélère les travaux. Douze ans après (1589), Sixte-Quint s’impatiente en voyant l’œuvre à peine ébauchée. Il en fait son affaire, et la nouvelle Vulgate s’imprime au Vatican, sous ses yeux (1590). Lui-même il revoit les épreuves. Hélas ! l’ouvrage du saint-père prêtait non seulement à la critique, ce qui était grave, mais à la plaisanterie, ce qui était pire. Hebrœi pour ebrii (Hébreux, pour ivres), pecoribus pour prioribus (les bestiaux, pour les premiers), etc. D’autres méprises semblables firent comprendre que le travail ne pouvait pas être ainsi lancé dans le monde ; et pour ne pas perdre l’édition, on se mit à raturer, on corrigea à la plume, et l’on recouvrit un grand nombre de passages avec des bandelettes de papier sur lesquelles on avait imprimé des corrections nouvelles.
Ce travail, qui n’en fut pas moins maintenu dans son privilège de version authentique, était à refaire. Grégoire XIV, successeur de Sixte-Quint, se remet immédiatement à l’ouvrage, et Clément VIII a le bonheur (1592) de publier enfin le texte qu’on ne corrigera plus. Elle diffère par six mille détails, et par une centaine de corrections importantes, de l’édition de Sixte-Quint, dont les papes cherchent à anéantir les exemplaires, et Bellarmin, en mettant sur le compte de l’imprimeur les fautes de l’édition sixtine, avoue encore dans sa préface, que les réviseurs de la nouvelle édition ont laissé passer bien des choses qui auraient eu besoin d’un examen plus rigoureux. La Vulgate existe enfin ; elle a déjà près de deux cent-soixante ans ; son enfantement a été laborieux. Elle est née dans un temps d’orage, elle a respiré dès lors un air trop vif, et tout porte en elle les caractères de la décrépitude. De cinquante ans plus jeune que les chefs-d’œuvre de la Réformation, elle a l’air d’avoir deux siècles de plus.
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