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C’est le nom que les Hébreux ont donné (shir ha-shirim) à un cantique de Salomon qu’ils regardaient comme le plus excellent des cantiques. Quelques auteurs disent que Salomon le composa à l’occasion de son mariage ; suivant les uns, ce serait à l’occasion de son premier mariage ; suivant les autres, plus tard, lors de son mariage avec la fille d’Égypte, en guise d’épithalame (Calmet). On regarde souvent le Cantique comme le premier des trois ouvrages qui nous restent de Salomon, un ouvrage de jeunesse, presque une chanson d’amour ; les Proverbes seraient alors l’ouvrage de l’âge mûr, et l’Ecclésiaste celui du vieillard dégoûté des vanités de la vie. Il paraît cependant, et une lecture attentive de ce cantique sublime confirme cette manière de voir, que lorsque Salomon le composa, il savait déjà surabondamment ce que c’est que l’amour. L’opinion peu connue de Heidegger (Enchiridion Bibl.) est à la fois pleine d’intérêt et de vérité : « L’on trouve, dit-il, dans ce cantique un cœur de vieillard usé, cassé, blasé sur les agitations, les troubles intérieurs et autres passions de l’âme ; et c’est probablement après s’être lassé de l’amour peu chaste des femmes qui l’avaient fasciné, que son esprit s’est tourné vers la méditation plus pieuse de l’amour spirituel du Christ et de ceux qui lui appartiennent ».
Comme on s’est beaucoup occupé de ce livre en diverses manières, on l’a aussi diversement divisé en petits chants, couplets ou chapitres. Calmet y trouve sept nuits ou sept jours marqués assez distinctement, parce qu’on célébrait les noces pendant sept jours chez les Hébreux (v. Genèse 29.27). Nos Bibles, et Heidegger, ont divisé le Cantique en huit parties ; enfin le Docteur John Mason l’a partagé en douze couplets ou idylles, à l’imitation de quelques poètes arabes. Voici quels seraient ces morceaux : 1° 1.1-8 ; 2° 1.9-2.7 ; 3° 2.8-17 ; 4° 3.1-5 ; 5° 3.6-4.7 ; 6° 4.8-5.1 ; 7° 5.2-6.10 ; 8° 6.11-13 ; 9° 7.1-9 ; 10° 7.10-8.4 ; 11° 8.5-7 ; 12° 8.8-14. « Ce poème, dit Ch. Nodier (Bibl. sacr.), est le modèle et le désespoir à la fois de tous ceux qui seraient tentés de s’exercer dans le même genre, si de pareilles inspirations pouvaient jamais se reproduire ».
Saint Jérôme nous apprend que les Hébreux avaient interdit la lecture du Cantique aux hommes âgés de moins de trente ans ; ils craignaient les abus d’une interprétation particulière mal comprise ; cependant l’estime qu’ils avaient pour le Cantique était telle qu’ils en faisaient une lecture publique à la fête de Pâques, et qu’ils le comprenaient, avec Ruth, Ester, l’Ecclésiaste et les Lamentations, dans le recueil d’hagiographes appelé les cinq volumes, dénomination empruntée des cinq livres de Moïse. De même que la synagogue, l’Église chrétienne a toujours reçu ce livre dans le Canon ; Théodore de Mopsueste seul dans l’antiquité, et quelques auteurs modernes d’une morale sévère, en ont nié la canonicité. Les raisons qu’on allègue pour le faire rejeter, sont d’abord que le nom de Dieu ne s’y trouve pas, puis, que ce livre n’est jamais cité par les auteurs sacrés du Nouveau Testament. À ce double égard nous répondrons que le Cantique étant une allégorie, il n’était pas nécessaire, il eût même été singulier de nommer par son nom celui qui était représenté sous la figure d’un époux aimable et aimant, dans tout le cours de ce petit poème ; et s’il est vrai que les écrivains du Nouveau Testament ne l’aient pas cité, il y a bien d’autres livres aussi, qu’ils n’ont pas nommé expressément, et qui n’en sont pas moins reconnus comme inspirés ; il y est fait d’ailleurs plusieurs allusions qui, si elles ne sont pas directes, montrent au moins que l’allégorie du Cantique a été reconnue et sanctionnée par le Sauveur et par ses apôtres (on peut voir Matthieu 9.15 ; 22.2 ; 25.1-11 ; Jean 3.29 ; 2 Corinthiens 11.2 ; Éphésiens 5.23-27 ; Apocalypse 19.7-9 ; 21.2-9 ; 22.17, et ailleurs, cf. encore Ésaïe 5.1-7 ; 52.7).
Il est impossible qu’un homme irrégénéré puisse lire ce livre et en comprendre le sens spirituel ; ceux-là seuls peuvent le lire avec fruit qui disent de tout leur cœur de Jésus-Christ ce que l’épouse dit de son fiancé : C’est ici mon bien-aimé ; c’est ici mon ami (5.16). Le Cantique est écrit de telle sorte qu’il offre une espèce de sens à chacun : c’est comme une glace polie, comme une eau pure et transparente qui monte ou descend, et qui reste toujours au niveau de l’œil qui la contemple ; à celui dont le cœur est impur, elle apparaît impure aussi : elle est basse pour celui qui est bas, elle s’élève à mesure que l’homme s’élève, et celui qui a compris le Christ, son amour et son sacrifice, saura voir dans l’épouse une âme fidèle qui rend amour pour amour, dévouement pour dévouement, et reconnaissance pour sacrifice.
Un beau commentaire dont je n’ai eu connaissance que dernièrement, et que les théologiens ne sauraient dédaigner malgré sa forme, a paru à Halle, de 1845 à 1847, sous le titre : Das Hohelied. Jn Liedern, von G. Jahn. Il est divisé en trois parties, répondant à trois manifestations de la grâce divine :
1°. L’œuvre dans la foi (Cantique 1.1 à 2.7).
2°. Le travail dans l’amour (2.8 à 3.11) ;
3°. La conservation dans la grâce (4.1 à 8.4).
L’épilogue, le oui de l’époux et l’amen de l’épouse (8.5-14), répond au prologue qui dédie ces poésies à l’Allemagne souffrante, comme la lumière véritable qui doit faire ressortir les ténèbres des lumières faussement ainsi nommées.
Ce volume renferme soixante-quatre délicieuses poésies, qui sont autant de développements spirituels des versets qui en forment le thème ; il est difficile de préférer l’une à l’autre, et plus difficile encore de les traduire en français. Voici, par exemple, et en réservant les imperfections de la traduction, comment l’auteur paraphrase le verset 4 du chap. 1er : « O filles de Jérusalem, je suis brune, mais de bonne grâce, comme les tentes de Kédar, comme les courtines de Salomon ». Ce morceau est intitulé Selbstbeschauung, Contemplation, Examen de soi-même :
Du cabinet de mon roi,
Comme épouse de mon roi,
Je suis sortie
Et me suis regardée,
Et me suis vue
Noir le visage, noires les mains.
C’est mon roi, mon soleil
Qui m’a ainsi brunie.
Car ma vie tout entière,
Aux rayons de ce soleil,
Ma volonté, mes désirs,
Tout parait noir.
Ce que je fais et touché,
C’est d’une main noircie.
Les traces de mes pas,
Je les vois noires aussi.
Vous, filles de ma mère.
Noire je suis tout entière,
Et pourtant l’épouse du roi,
(Mon bonheur est certain) :
Belle et de bonne grâce,
Parée pour la noce.
Afin qu’en ma beauté
Se réjouisse mon époux.
Il m’a préparé
Un merveilleux vêtement,
Avec cris, avec larmes,
Dans une ardente lutte de mort.
C’est la robe du salut ;
Je m’en enveloppe tout entière.
Elle m’étreint de tous les côtés,
Et me fait blanche et pure ;
Car on ne voit plus rien
De ma peau brune et noire ;
Et ainsi j’apparais belle
Comme l’épouse d’un roi.
Noire je suis de moi-même,
Et pauvre, et faible, et nue,
Pourtant aimable par la grâce.
Glorieuse, riche et grande ;
Noire je suis de naissance,
Mais blanche par la grâce.
Blanche je ne suis devenue
Que lorsque noire je me suis reconnue.
Le noir est condamné de Dieu,
Car Dieu est vêtu de lumière.
Je puis me dire blanche,
Mon Seigneur ne me laisse pas noire.
Chaque soir je suis noircie
Des péchés de la journée.
De mon Seigneur la patience
M’a blanchie chaque matin.
C’est quand je me reconnais noire
Que je plais à mon ami.
Et plus je suis noire à mes yeux,
Plus je suis agréable aux siens.
Oui, plus ma peau est brune,
Plus ressort la blancheur de sa robe.
De la tête jusqu’aux pieds
La justice m’enveloppe.
O filles de ma mère !
Je suis brune, c’est vrai ;
Mais néanmoins de bonne grâce,
Et l’épouse du roi éternel.
Ce petit morceau donnera peut-être une idée du genre et de l’esprit du livre. On trouvera bien rarement un pareil mélange de la grâce naturelle et de la grâce divine, de l’esprit humain et de l’esprit de Dieu. « L’amour est le sujet du Cantique des Cantiques, que la tradition attribue à Salomon, et qui suppose chez son auteur une âme éminemment mystique, ou du moins susceptible des affections terrestres les plus vives et les plus délicates. On peut y voir, soit une allégorie orientale et une peinture figurée de l’amour de l’Épouse ou de l’âme individuelle pour son Dieu, soit un tableau de l’amour de l’homme pour la femme, qui était alors généralement traitée comme un être subalterne, et que cette affection profonde remettait à sa vraie place en lui rendant sa dignité morale et sa liberté. Mais, en tout cas, on ne peut nier que ces chants ne correspondent exactement à ce que nous savons, soit de Salomon aimant l’Éternel, soit de Salomon aimant la fille de Pharaon. Ils sont d’ailleurs un ouvrage de sa jeunesse, et des juges impartiaux les ont déclarés le chef-d’œuvre de la poésie lyrique orientale » (Rougemont).
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