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Le culte qui dans son expression la plus simple est l’adoration que l’homme rend à la Divinité, prend une acception plus large et plus étendue à mesure que l’homme s’élève lui-même davantage ; et depuis la religion naturelle jusqu’à la religion chrétienne, en passant par le monothéisme juif, on peut voir se développer l’idée du culte au point que ce mot finit par désigner presque tous les rapports de l’homme avec Dieu, son adoration, ses prières, la constitution extérieure de son Église, et jusqu’à la foi qu’il professe, jusqu’à la manière dont il conçoit des vérités révélées.
Il n’est que deux cultes successivement reconnus par l’Écriture sainte, le culte préparatoire du judaïsme, et le culte spirituel du chef de l’Église : le premier était ordonné dans tous ses détails, le second abandonné à l’âme pieuse du fidèle converti, et guidé par les directions de l’Écriture et du Saint-Esprit ; dans le premier la forme dominait, dans le second l’idée et l’amour ; le premier était un pédagogue pour l’homme irrégénéré, le second est la conversation du chrétien avec Dieu : dans l’un et dans l’autre on voit le même homme et le même Dieu, mais dans le culte ancien l’homme est séparé de Dieu, dans l’alliance nouvelle Dieu et l’homme sont réconciliés. Ces deux cultes sont divins dans leur institution, et l’Écriture appelle tout autre culte un culte étranger, sous quelque forme que se présente l’idolâtrie, et quels que soient les objets auxquels elle se rapporte.
Le chef de l’ancienne Alliance, Abraham, fut choisi de Dieu pour être le dépositaire privilégié des vérités éternelles : c’est en lui que fut incarnée, pour ainsi dire, la doctrine de l’unité de Dieu, du monothéisme ; une portion seulement de sa famille et de sa descendance fut appelée à jouir des mêmes grâces, tandis que nous voyons clairement l’idolâtrie régner dans les autres branches (Genèse 31.19-30 ; 35.2 ; Josué 24.2-14). Le culte des patriarches était aussi simple que possible, et consistait presque exclusivement dans la prière (Genèse 24.63), et dans les sacrifices. Il n’y avait pas de lieu spécialement destiné au culte, et le croyant pouvait prier et offrir ses victimes partout où il se sentait disposé à le faire, quoique l’on choisît préférablement, soit des hauteurs solitaires où l’on pensait pouvoir communiquer plus directement avec Dieu (Genèse 22.2 ; 31.54), soit des lieux où la Divinité s’était manifestée visiblement à quelqu’un des membres de la famille ; on y élevait alors un autel hâtivement et simplement travaillé (Genèse 12.7-8 ; 13.4 ; 26.25 ; 46.1), ou même une simple pierre que l’on consacrait par des libations d’huile (28.18 ; 35.14). Quelquefois c’était un bosquet, ou la réunion de quelques arbres, qui servait de temple à ces premiers croyants (Genèse 13.18 ; 21.33) ; nous voyons même Isaac sortir et se rendre dans les champs pour prier (24.63). Il ne paraît nulle part que ni l’une ni l’autre de ces deux formes du culte eussent été prescrites aux patriarches : la prière sortait de leur cœur comme un besoin bien naturel, ou comme l’expression de leur reconnaissance ; les sacrifices étaient comme une prophétie intérieure, comme le pressentiment, vague mais réel, du sacrifice qui devait un jour les réconcilier entièrement avec Dieu ; il y avait plus de foi que d’intelligence dans la pratique de cette cérémonie, et si les patriarches ne s’avouaient pas à eux-mêmes les idées de condamnation et d’expiation, c’est qu’ils étaient encore des enfants dans la foi, peu formés, peu susceptibles de recevoir et de supporter des doctrines plus avancées, plus profondes, plus mystérieuses ; mais comme des enfants ils aimaient leur Père céleste et lui offraient les dons que leur cœur leur inspirait. C’est là ce que l’apôtre entend quand il dit en parlant des anciens (Hébreux 11.13) : « Ils ont vu ces choses de loin, ils les ont crues, ils les ont saluées ». À cette époque il n’y avait point encore de clergé ; le chef de la famille en était aussi le pontife : la seule exception qui semble contredire ce fait, c’est l’exemple de Melchisédec, q. v.
Puis, par une suite de dispensations célestes, et qui avaient sans doute pour but de préparer les enfants d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, à porter plus facilement le joug de l’Éternel, nous voyons cette famille toute entière transportée en Égypte, et subissant là le pesant et cruel joug des Pharaons : c’est bien la postérité d’Abraham, mais on cherche la religion d’Abraham, et sauf de rares exceptions l’on n’en trouve plus les traces : les esclaves sont livrés à la sensualité ; ce qu’ils aiment avant tout ce sont leurs concombres, leurs aulx, leurs oignons, leurs marmites de viande : ce qu’ils adorent c’est la nature, ce sont les dieux de leurs maîtres, un veau d’or et d’autres divinités diaboliques (Exode 32 ; Lévitique 17.7 ; Nombres 25.2 ; Amos 5.25-26). Ils ont changé la gloire de Dieu, dit le Psalmite (106.20), en la figure d’un bœuf qui foule le grain. Mais cette idolâtrie ne pouvait durer plus longtemps, Dieu ne pouvait oublier ses promesses : après le retour des ténèbres devait venir le retour de la lumière : le culte spirituel et libre des patriarches n’ayant pas suffi aux Israélites charnels, un culte de cérémonies et de formes allait succéder, revêtu d’une majesté foudroyante ; des menaces allaient se joindre aux promesses ; le premier anneau de cette alliance allait être pour les Israélites la délivrance de la servitude ; en échange de cette délivrance ils promettraient de se soumettre à la loi divine. Toutefois, pour le peuple de Dieu, ce changement extérieur de culte devait amener une constitution plus sévère, au lieu de l’ange de l’Éternel, c’était Moïse, qui serait le chef du peuple, et comme l’intermédiaire entre eux et le ciel.
Ce nouvel ordre de choses a pour base le monothéisme et le culte de Jéhovah, seul légal, et ordonné par la Loi. Des cérémonies nombreuses sont établies ; elles enlacent le peuple dans un long réseau de symboles qui s’emparent de tous les détails de sa vie publique et particulière, et l’instruisent malgré lui en lui communiquant et en le forçant à recevoir des idées et des impressions nouvelles. Leur Dieu est en même temps leur roi ; c’est le même qui leur donne à la fois des lois spirituelles et des lois matérielles, les lois du culte et les lois de la vie civile, les lois saintes et les lois sanitaires, les lois pour le ciel et les lois pour la terre : il n’y a pas deux consciences, pas deux morales, pas deux règles de conduite : il n’y a pas les péchés connus de Dieu seul, et ceux qui ne relèvent que de la justice humaine. Tout ce qui est délit sera découvert et puni. Des directions positives, et négatives, des vœux, des offrandes, des sacrifices, des ablutions, des jeunes, des fêtes, entrent dans la composition du| nouveau culte, et doivent, tout ensemble, humilier et sanctifier les Israélites : une pureté légale est établie, exigée, sans laquelle aucun acte du culte ne saurait être admis ; la circoncision appartient à l’ensemble de ces règles, et les domine ; elle signifie le retranchement du mal, et rappelle aux Juifs la sainteté de leur vocation. Les solennités religieuses sont en même temps des fêtes nationales, servant à fondre toujours plus en un seul peuple les douze familles. Une caste de prêtres appartenant à la famille de Lévi sert d’intermédiaire entre le peuple et Dieu. Un seul sanctuaire est établi au centre du pays (Deutéronome 12.5), pour proclamer l’unité divine et protester contre le polythéisme païen ; c’est là seulement qu’on pouvait adorer et sacrifier : les besoins religieux ne pouvaient pas être facilement satisfaits ; c’était une lacune, semble-t-il, et d’autant plus grande que le culte intérieur était dépassé par le culte extérieur, et comme assujetti à des formes matérielles : mais cette unité, cette centralisation, outre son importance pour le dogme, avait encore l’avantage d’exciter les besoins religieux, et de rendre les impressions de l’âme plus profondes et plus durables, lorsque trois fois par année les Israélites se rendaient régulièrement à la ville sainte pour y jouir de la présence invisible de leur Dieu. D’ailleurs la spiritualité de ce culte, celle surtout de ce Dieu qui ne devait résider nulle part corporellement, dont il était défendu de faire des représentations matérielles, peintes ou taillées, que d’ailleurs il était impossible de faire, son invisibilité qui semblait consacrer sa toute présence, étaient de réelles compensations pour les âmes fidèles qui auraient pu regretter l’institution d’un seul autel, d’un seul tabernacle, d’un seul temple. Ceux qui cherchaient Dieu sincèrement savaient qu’ils pouvaient le trouver partout, et rien à cet égard ne pouvait plus leur manquer. Pour les autres, le centre religieux était un appel, une prédication.
Les frais du culte, le grand nombre des victimes, et l’entretien d’une nombreuse catégorie de prêtres et de lévites, n’étaient point aussi onéreux qu’on pourrait le croire au premier abord : il faut réfléchir en effet, et se transporter dans ce pays agricole, à cette époque, chez ce peuple. Sauf une très légère contribution en argent (Exode 30.13), tout l’ensemble des offrandes se composait des produits de la terre ou des troupeaux, et l’on sait que ce genre d’impôt est celui qui se perçoit le plus facilement chez tous les peuples. On pourrait presque dire des Lévites qu’ils ne recevaient point de traitement fixe, mais qu’ils étaient nourris par les personnes qu’ils visitaient, et à la table desquelles ils s’asseyaient comme des amis de la maison : ce n’était évidemment pas une charge publique, chacun s’estimait heureux et honoré de recevoir ces messagers bénis, personne n’eût voulu spéculer sous ce rapport, ni refuser d’échanger une faible partie de ses aliments journaliers contre les bienfaits religieux que ces hommes apportaient. On ne voit nulle part de plaintes à cet égard. Quant aux offrandes du temple, on peut dire à peu près la même chose : quelques victimes succombaient chaque jour, mais réparties sur un peuple riche en troupeaux, elles n’étaient guère remarquées, guère senties : et si parfois, bien rarement, nous voyons ce nombre devenir considérable (p.Exode 2 Chroniques 35.7-9), c’étaient des exceptions motivées, et qui par là même permettaient d’exiger du peuple des sacrifices plus grands qu’à l’ordinaire.
On est indécis sur la question de savoir s’il y avait dans le culte juif une partie correspondante à ce que nous appelons la prédication ; aucun texte bien précis ne le dit positivement ; d’un autre côté les visites journalières de lévites, et les réunions des Israélites pour les solennités, semblent indiquer assez qu’il y avait des exhortations et des instructions, soit particulières, soit générales : et les derniers chapitres du Deutéronome ne sont pas autre chose qu’une puissante et magnifique prédication.
Mais une lacune que l’on remarque avec étonnement dans toute l’institution du culte mosaïque, c’est l’absence de préceptes relatifs à la prière (v. cet art.). Nulle part elle n’est prescrite, lorsque tant d’autres formes sont si minutieusement détaillées ; il n’en est pas dit un mot, pas une allusion n’y ramène. C’est que précisément la prière n’est pas une forme ; et sans doute que dans cette économie toute préparatoire, matérielle, et l’on peut dire presque mécanique, Dieu ne voulait pas risquer de confondre dans l’esprit des Israélites ce qu’il y a de plus intérieur et de plus sacré avec ce qui n’est qu’observances légales. Le réformateur Mahomet a pu faire cela ; au milieu de toutes les cérémonies et prescriptions de son culte, il a pu dire aussi : vous prierez trois fois le jour en vous tournant du côté de la Mecque ; ce n’était pour lui qu’un anneau dans la chaîne qu’il imposait à ses sectateurs. Jéhovah ne l’a pas fait ; les prières eussent été un piège pour ceux qui n’en auraient pas compris la nature ; pour les autres il était superflu de les ordonner ; de l’abondance du cœur la bouche parle, et nous voyons par un grand nombre d’exemples que les fidèles savaient à qui s’adresser, et comment ils devaient le faire dans le besoin, dans la détresse, dans la reconnaissance.
Du reste, il faut le dire, le culte tel qu’il fut institué par Moise, ne fut presque jamais observé dans son intégrité : l’histoire juive nous montre dans chaque période de nombreuses déviations, plus ou moins grandes, mais provenant toutes de l’immoralité, de la sensualité, qui semble avoir distingué particulièrement le peuple juif, et qui trouvait encore à s’alimenter dans le voisinage de certaines peuplades environnantes, ou par le contact avec le reste de ces nations que les Hébreux avaient épargnées, malgré l’ordre positif de leur Dieu. Cette immoralité même était peut-être, chez plusieurs, entretenue par le culte mosaïque, où le cérémonial semblait l’emporter sur le fond de la religion, et les observances remplacer la moralité, expier les désordres de la vie. Les prophètes combattirent toujours ce penchant à la fois incrédule et pervers. Après l’exil, différentes sectes se formèrent. Pendant que la grande masse du peuple s’attachait de plus en plus à la lettre, inventant chaque jour de nouvelles minuties, et qu’une certaine classe d’hommes, soi-disant éclairés ou esprits forts, cherchaient à allier la philosophie à la religion, en retranchant de la religion tout ce qui ne pouvait être compris de leur pauvre intelligence, un petit nombre d’hommes vraiment pieux cherchaient à maintenir l’esprit du véritable culte divin, s’adonnant à la pratique des bonnes œuvres, de la pureté et de l’humilité ; on les nommait Esséniens. Quelques siècles après que ces sectes eurent pris naissance dans le sein du peuple qui devait être un dans son culte, on vit naître dans un petit village de Juda, celui qui devait ramener l’unité sur la terre, mais une unité de cœur et d’esprit, reposant non plus sur le même culte ou sur les mêmes cérémonies, mais sur la même foi, sur des espérances communes.
C’est aussi pour le culte une ère entièrement nouvelle, parce que le culte est le reflet de la doctrine et des dispositions intérieures ; mais on ne peut plus le décrire comme on a décrit le culte ancien ; c’est quelque chose de moins tranché dans les formes, de plus vague, de plus libre. Le jeûne est maintenu comme bon, la confession mutuelle des péchés est introduite, le dévouement au règne de Dieu, les visites des malades, des pauvres, des prisonniers, sont recommandées ; le chant, la conférence des Écritures, la prière sont appelés à jouer un rôle plus capital et plus régulier dans le service divin ; mais l’observation des jours et des nouvelles lunes, les pratiques extérieures sont abolies : à la circoncision le baptême est substitué, mais avec une idée plus large et plus spirituelle ; à la Pâque succède un repas fraternel également commémoratif, mais rappelant un salut plus cher, plus grand, éternel. Il n’y a plus de castes sacerdotales ; tout fidèle est prêtre, chacun appartient à la sacrificature royale : plus de centralisation dans le lieu du culte ; les pères ont adoré à Jérusalem, le moment est venu où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité, partout où ils se rencontreront : il n’y a plus d’Église visible, mais une Église invisible, et des réunions visibles dans lesquelles le bon et le mauvais grain seront plus ou moins mélangés : à cette Église aucune forme n’est imposée, aux Églises de détail aucune forme non plus. Partout éclate la vie, et la vie seule a droit de régner désormais sur les hommes : on ne leur imposera plus de lourds fardeaux, et si des séducteurs sont venus ordonner le célibat et l’abstinence des viandes, l’Esprit les appelle expressément des révoltés de la foi, adonnés aux doctrines des démons (1 Timothée 4.1).
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