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I. Ce mot, agricultura, se trouve trois fois dans la Vulgate, mais deux fois seulement pour signifier l’art de cultiver la terre : (2 Chroniques 16.10 ; 2 Machabées 12.1) Le mot agricola, signifiant l’homme qui exerce cet art, y est employé au moins vingt-cinq fois, mais presque aussi souvent dans le sens métaphorique que dans le sens propre. C’est seulement lorsqu’il est question de Caïn que ce mot paraît pour la première fois (Genèse 4.2) : Caïn fut agriculteur. On le trouve deux autres fois dans la Genèse : (Genèse 9.20 ; 25.27).
« Les premiers chapitres de la Genèse nous apprennent que Caïn fut occupé de la culture des terres, qu’il les féconda par ses travaux, et qu’il fut le père du labourage. Ainsi, dès les premiers jours du monde le labourage fut regardé comme le seul moyen d’obtenir de la terre les richesses qu’elle produisait auparavant d’elle-même et sans culture (Genèse 4.2) » C’est M. Glaire qui s’exprime en ces termes, dans un ouvrage destiné surtout aux élèves du sanctuaire, et dans lequel se trouvent malheureusement beaucoup d’erreurs. Le passage que nous venons de citer en renferme au moins deux qu’il importe de relever. L’auteur sacré ne dit pas que Caïn fut le père du labourage ; l’agriculture ne fut pas inventée comme le fut la musique (Genèse 4.21), et Adam, qui cultivait la terre avant Caïn (Genèse 3.23), n’est pas non plus appelé le père ou l’inventeur de l’agriculture, parce que sans doute il ne l’inventa pas (Genèse 2.15 ; 3.17). La Genèse ne dit pas non plus que la terre, même avant la chute, produisît d’elle-même et sans culture ; elle dit même expressément le contraire : Dieu mit l’homme dans l’Éden ou le jardin de délices afin qu’il le cultivât (Genèse 2.15). Il est inexact de dire qu’aux premiers jours du monde, que l’homme passa dans l’innocence, le labourage était le seul moyen d’obtenir de la terre les richesses nécessaires à sa subsistance ; car on fait par là disparaître la différence qui existe entre la loi de cultiver l’Éden et celle de cultiver la terre maudite ; et c’est après la chute que le labourage devint le seul moyen d’obtenir de la terre les richesses qu’elle produisait auparavant par une culture récréative. Enfin, dire que dès les premiers jours du monde, le labourage était si nécessaire et si pénible, et en même temps que la terre produisait auparavant d’elle-même et sans culture, c’est commettre une contradiction dans les termes.
II. En général, les économistes disent que la barbarie est l’état des peuplades qui vivent de chasse et de pêche ; que le premier degré de la civilisation est marqué par la vie pastorale, le deuxième par la vie agricole, et le troisième par la vie industrielle. Parmi ces savants observateurs, qui sont parfois grands amateurs de théories, on en compte un assez bon nombre qui prétendent que la barbarie ou l’état sauvage fut le premier état social de l’homme. Rien d’un peu spécieux ne se montre à l’appui d’une pareille idée ; je ne comprends même pas comment on a osé la jeter au milieu d’une société civilisée. L’histoire fait voir des peuples dégénérés, tombés du haut en bas de l’échelle sociale, mais elle n’en mentionne aucun qui de lui-même soit sorti de la vie sauvage, aucun même qui ait parcouru successivement les premiers degrés de la civilisation sans secours étranger.
Je n’hésite pas à dire que l’état sauvage n’a point été l’état primitif de l’humanité. J’ajoute que la première famille humaine, après la chute (car j’admets la chute, ne serait-ce que pour comprendre quelque chose à l’histoire de l’homme), se trouvait dans un milieu de civilisation, dont sortit la seconde pour entrer dans un état plus avancé. Et pour cela j’ai des preuves contre lesquelles il n’y a plus d’objections possibles, attendu que toutes les objections n’ont abouti qu’à les rendre plus convaincantes.
Toutefois, la loi du progrès nous montre trois états de société dans l’histoire de la civilisation, le pastoral, l’agricole et l’industriel. J’admets la succession de ces états dans les sociétés dégénérées qui, enfin, se trouvent peu à peu refaites par le contact et le commerce qu’elles ont avec les sociétés plus civilisées ; mais je ne la distingue pas, cette succession, dans l’histoire des premières familles humaines. J’y vois, au contraire, tout ce dont sont privées les sociétés tombées au-dessous de l’état pastoral.
La vie agricole est donc le second degré de la civilisation ; que ce soit une déduction de la théorie du progrès ou un fait historique, peu importe ici ; c’est une assertion des économistes, et j’en prends acte.
Recherchons maintenant ce que l’histoire nous apprend touchant l’état de l’homme à l’origine. Interrogeons la Bible, oui, la Bible, car c’est le monument historique le plus ancien, celui qui explique et confirme les autres. Nulle autorité, en fait d’histoire, n’est aussi imposante ni aussi vénérable que celle de la Bible ; et on ne saurait citer un témoignage qui vaille celui de ce livre, considéré, si l’on veut, comme œuvre purement humaine.
Ses premières pages nous apprennent que Dieu, après avoir créé Adam, c’est-à-dire l’homme ou l’humanité (car il s’agit tout à la fois et du genre et de l’individu), le mit dans l’Éden, afin qu’il le cullivât (Genèse 2.15). Voilà donc l’homme créé dans le second degré de la civilisation, le voilà vivant de la vie agricole. Cet état social fut sans doute altéré par la chute, mais il n’en fut pas moins celui de l’homme déchu, qui dut alors travailler avec beaucoup de peine la terre maudite et devenue stérile (Genèse 3.17-19). Si Abel, en s’adonnant à la vie pastorale, faisait descendre la civilisation d’un degré, Caïn maintint l’état originel tant qu’il vécut dans le voisinage de son père, et le fit avancer dans la suite en créant la vie industrielle (Voyez mon addition à l’article d’Abel). Il bâtit une ville (Genèse 4.17), et Josèphe nous le dépeint comme le type d’une civilisation presque aussi avancée que la nôtre (Voyez Caïn). Il n’y avait sans doute pas d’académies, mais on y voyait, grâces à ce meurtrier du premier juste, des philosophes et des scélérats, comme nous en voyons dans nos sociétés actuelles, qu’on dit beaucoup plus élevées que les anciennes.
Parmi ses descendants, Jabel introduisit la vie pastorale (Genèse 4.20), effrayé peut-être des excès qui suivaient le progrès social. Jabel appartenait à la septième génération depuis Adam ; c’était, si on en juge par l’état auquel il s’est voué et les circonstances, un homme de mœurs douces, d’un cœur droit et d’un esprit juste : il n’était pas fait pour le vice ni les vaines spéculations ; il se fit berger, comme l’avait été Abel, et fut le fondateur de la vie pastorale, qui est celle de l’homme libre qui veut vivre tranquille ici-bas.
Jubal, son frère, paraît avoir inventé la musique ; et Tubal-Caïn, né du même père, mais non de la même mère, fut, dans l’art de travailler avec le marteau, plus habile en toutes sortes d’ouvrages d’airain ou de fer que ceux qui l’avaient cultivé avant lui (Genèse 4.17-22). J’ai dit plus habile, parce que l’Écriture m’y autorise : elle ne dit pas qu’il fut le père de ceux qui travaillent les métaux, comme elle dit de Jubal qu’il le fut de ceux qui cultivent la musique (Voyez Fer). Ainsi, de ce que, d’après l’histoire, l’agriculture a été le premier état de l’homme dès son apparition sur la terre, il s’ensuit : 1. que l’homme a commencé par vivre de la vie civilisée ; et 2. que les économistes, quand ils conjecturent qu’il vécut d’abord de la vie sauvage, sont en contradiction avec l’histoire.
III. M. Dureau de la Malle, un de ces économistes qui prétendent que l’état sauvage fut l’état primitif de l’homme, et pour qui cependant la Bible est souvent la plus imposante des autorités, dit que, suivant la Genèse (Genèse 4.2-3) les céréales furent découvertes dans la Palestine, et que là aussi commença l’agriculture. La Genèse ne parle point de la découverte des céréales. M. de la Malle croit que Caïn les cultiva, et que ce sont des fruits de cette espèce qu’il offrit à Dieu ; mais la Genèse dit que Caïn cultiva la terre et offrit à Dieu des fruits de la terre. J’admets cependant que ces fruits étaient des céréales, mais j’en nie la découverte, supposée, en disant que Caïn avait appris de son père à les semer et à les récolter, assertion autorisée par la Genèse qui constate qu’Adam cultivait la terre avant la naissance de son fils. La Genèse ne dit pas non plus que l’agriculture ait commencé dans la Palestine : elle dit que ce fut dans l’Éden, et hors de l’Éden quand le premier homme en eut été chassé ; mais où était situé l’Éden ? était-ce en Palestine ? M. de la Malle confond ordinairement, soit par distraction, soit par système, le monde post-diluvien avec le monde anté-diluvien. La patrie des céréales a pu, après le déluge, être ailleurs qu’auparavant ; cette réflexion était bien de nature à engager M. de la Malle à chercher un témoignage qui n’appartînt pas à un monde séparé du nôtre par une catastrophe telle que celle du déluge. Il en aurait trouvé un, mais qui, d’un côté, semble encore moins favorable à son hypothèse sur la découverte des céréales, et qui, d’un autre côté, aurait un peu mieux appuyé celle qu’il exprime sur le pays où, suivant lui, commença l’agriculture. Noé, quand il entra dans l’arche, connaissait l’art de cultiver la terre ; il connaissait sans doute aussi les céréales, puisque plus de seize cents ans avant lui, Caïn, de l’aveu de M. de la Malle, les cultivait. Or, la Genèse (Genèse 8.4 ; 9.20) dit de Noé que, sorti de l’arche qui s’était arrêtée sur le mont Ararát, il s’appliquait à cultiver la terre. Voilà le texte que l’auteur devait citer ; mais ce texte ne lui permettait pas d’énoncer son hypothèse sur la découverte des céréales, et comme il y tenait, et qu’il lui semblait trop dur de priver le monde pendant seize grands siècles de cette nourriture, il a pensé qu’attribuant cette découverte imaginaire à Caïn plutôt qu’à Noé, son hypothèse aurait beaucoup plus de chances d’être accueillie. Quant au lieu où Noé s’appliquait à cultiver la terre, la Genèse ne le désigne pas expressément ; il semble qu’il la cultiva d’abord non loin du mont Ararát (Genèse 8.4 ; 11.2), que l’opinion commune place dans l’Arménie, et ensuite dans le pays de Chanaan (Genèse 9.21-22 ; 10.15-19), ainsi nommé du nom d’un de ses petits-fils, et qui fait partie de la Palestine.
IV. « L’agriculture est la nourrice du genre humain ; elle a des principes, une expérience, des théories qui l’élèvent au rang d’une science des plus étendues. Que penserons-nous donc des peuples anciens qui l’ont regardée comme une profession servile, et chez lesquels le citoyen n’osait se déclarer agriculteur ; des philosophies grecs qui soutenaient qu’une bonne république ne donnerait jamais aux artisans le droit de cité, et qui livraient à des esclaves la culture des terres ? Moïse au contraire dirigea les citoyens vers l’agriculture, d’abord parce que rien ne lui paraissait plus utile, ensuite parce qu’il existe, pour les peuples comme pour les familles, des circonstances particulières où il leur convient de se satisfaire à eux-mêmes, et de vivre autant que possible dans leur intérieur…
Le premier moyen de faire fleurir l’agriculture est de l’honorer. N’avait-elle pas cet avantage chez les Hébreux, où les mêmes hommes passaient des soins de la campagne aux plus hautes fonctions publiques ? »
On croit assez généralement qu’Abraham et ses descendants, jusqu’à leur établissement dans le pays de Chanaan, ne s’appliquèrent nullement à l’agriculture ; il semble, en effet, qu’ils ne vécurent que de la vie nomade. Nous voyons Abraham, Isaac et Jacob changer de pays plusieurs fois, et il est souvent parlé de leurs troupeaux ; mais il est vrai aussi que ces patriarches exerçaient l’agriculture. Entre plusieurs textes que je pourrais citer, je me borne au suivant : Isaac quitta sa patrie, où était survenue une famine, et alla à Gérare ; il sema en ce pays, et recueillit l’année même le centuple d’orge, dans une partie des terrains que son père avait possédés avant lui, et son bien s’augmenta beaucoup (Genèse 26.1-12-18). Ce passage en explique quelques-uns qui regardent Abraham, notamment celui où Abimélech, roi de Gérare, félicitant le patriarche, lui dit : Dieu est avec vous dans tout ce que vous faites (Genèse 21.22) c’est-à-dire, sans doute, il fait extraordinairement produire les terres que je vous ai données (Genèse 20.15), et que vous cultivez (Genèse 21.33). L’état nomade, proprement dit et exclusif, ne s’allie pas avec l’état agricole, qui attache l’homme au sol, mais entre ces deux états, on peut reconnaître un milieu, l’état pastoral, qui s’exerce aussi dans une résidence fixe, et s’unit à l’état agricole. Les déplacements d’Abraham, d’Isaac et de Jacob n’ont pas été nombreux. Ces patriarches ont demeuré de longues années dans les mêmes endroits, et, personnages puissants dont les princes recherchaient l’alliance (Genèse 14.13 ; 21.22-27 ; 26.26-31), ils ont vécu de la vie pastorale et agricole plutôt que de la vie nomade.
Lorsque les fils de Jacob furent présentés au roi d’Égypte par leur frère, qui était son premier ministre, ils lui dirent : Vos serviteurs sont pasteurs de brebis, comme l’ont été nos pères (Genèse 47.3). Cela ne veut pas dire qu’ils ne fussent pas en même temps agriculteurs. Suivant le conseil que Joseph leur avait donné (Genèse 46.34), ils se déclarèrent seulement pasteurs, parce que c’était le moyen d’être plus favorablement reçus du Pharaon (qui lui-même était pasteur, le chef de ceux qui avaient vaincu les Égyptiens, et détrôné la dynastie nationale), et de lui faire juger que la contrée de Gessen, beaucoup moins peuplée probablement que les autres parties de l’Égypte, et située dans un coin de ce royaume et dans le voisinage de l’Arabie, était celle qu’il convenait de leur donner pour s’établir, afin qu’ils y vécussent, tranquilles et comme séparés des Égyptiens qui avaient en abomination, dit le texte, tous les pasteurs de brebis. Devenus habitants de cette contrée, encore vaste pour le nombre qu’ils étaient alors, les Israélites continuèrent le même genre de vie qu’avaient suivi leurs pères, et qui était tout à la fois pastoral et agricole. Dans la suite, comme leur population s’accroissait, il y en eut, peut-être en assez grand nombre, qui allèrent s’établir dans d’autres parties de l’Égypte.
Malgré ces témoignages fournis par l’histoire, M. Glaire avance que les Hébreux apprirent l’agriculture en Égypte. Comment croire qu’ils n’apprirent pas de leurs pères l’art de travailler les terres où ils habitaient, pour leur faire produire les Céréales nécessaires à leur subsistance ? M. Salvador dit que les Hébreux, revenus dans leur patrie et formant un peuple indépendant, usèrent de « méthodes agricoles, en partie exportées d’Égypte, en partie imitées des Phéniciens, en partie le fruit de leur propre expérience. » Cette assertion ne pourrait probablement pas être entièrement appuyée par les historiens sacrés ; mais du moins elle ne contredit pas les textes que j’ai cités.
Les bornes qui me sont prescrites par la nature de cet ouvrage ne me permettent pas de faire ici l’histoire de l’agriculture chez les Hébreux. J’ai suivi rapidement cet art, depuis l’origine de l’homme jusqu’à la sortie d’Égypte, et relevé des erreurs trop accréditées et trop répandues ; j’ai fait ce qui n’était pas fait, le reste n’est qu’à refaire.
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