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C’est le nom de Dieu, nom ineffable et mystérieux, que le Seigneur n’a point déclaré aux anciens patriarches avant Moïse (Exode 6.3). L’hébreu, au lieu d’Adonai, lit Jéhovah. J’ai apparu à Abraham et à Isaac dans le Dieu Sadai ; mais je ne leur ai point fait connaître mon nom Jéhovah. Sadai signifie celui qui se suffit à lui-même ; Jéhovah, celui qui subsiste par lui-même, et qui donne l’être et l’existence aux autres. Quand Dieu dit à Moïse qu’il n’a pas fait connaître son nom Jéhovah aux anciens patriarches, ce n’est pas à dire qu’ils ne l’aient pas connu sous l’idée de Dieu créateur et subsistant par lui-même ; mais c’est qu’il ne leur avait pas révélé ce nom, qui exprime si bien sa nature, et sous lequel il a voulu principalement être invoqué dans la suite. Il est vrai que Moïse se sert souvent de ce nom dans la Genèse ; par exemple. Il dit (Genèse 4.26) que les enfants de Seth furent surnommés du nom de Jéhovah ; et qu’Abraham jura (Genèse 14.22) et leva la main au nom de Jéhovah ; et enfin le Seigneur dit à Abraham (Genèse 15.7) : Je suis le Dieu Jéhovah, qui vous ai tiré d’Ur, de Chaldée, etc. Mais c’est que la Genèse a été écrite après que Dieu eut révélé ce nom à Moïse, Il s’en sert dans ce livre par anticipation, et parce qu’au temps où il écrivait, les Juifs se servaient communément du nom de Jéhovah. Il a suivi en cela l’usage de son temps, et non pas celui du temps des patriarches dont il écrit la vie.
Au reste, quand nous prononçons Jéhovah, nous suivons la foule ; car on ne sait pas distinctement la manière dont on doit exprimer ce nom propre et incommunicable du Seigneur, que l’on écrit par jod, hé, vau, hé, et qui dérive du verbe haiah, il a été. Les anciens l’ont exprimé différemment. Sanchoniathon écrit Jevo, Diodore de Sicile, Macrobe, saint Clément d’Alexandrie, saint Jérôme et Origène prononcent Jao ; saint Épiphane, Théodoret et les Samaritains, Jabé, ou Javé. On trouve aussi dans les anciens Jahoh, Javo, Jaou, Jaod. Louis Capel est pour Javo ; Drusius, pour Javé ; Mercerus, pour Jehevah ; Hottinger, pour Jehva. Les Maures appelaient leur Dieu Juba, que quelques-uns croient être le même que Jéhovah. Les Latins avaient apparemment pris leur Jovis, ou Jovis Pater, de Jéhovah. Il est certain que les quatre lettres que nous prononçons par Jéhovah, peuvent aussi s’exprimer par Javo, Jaho, Jaou, Jévo, Javé, Jehvah, etc., et que les anciens Hébreux n’en ignoraient pas la prononciation, puisqu’ils le récitaient dans leurs prières et dans la lecture de leurs livres saints.
Mais les Juifs, depuis la captivité de Babylone, par un respect excessif et superstitieux pour ce saint nom, ont quitté l’habitude de le prononcer, et en ont oublié la vraie prononciation. Je pense que les Septante, c’est-à -dire, les interprètes grecs que l’on cite sous ce nom, étaient déj à dans l’usage de ne le plus exprimer, puisque dans leur traduction ils le rendent ordinairement par Kyrios, le Seigneur. Origène, saint Jerôme, Eusèbe témoignent qu’encore de leur temps, les Juifs laissaient le nom de Jéhovah écrit dans leurs exemplaires en caractères anciens samaritains, au lieu de l’écrire en caractères chaldéens ou hébreux communs ; ce qui marque leur vénération pour ce saint nom, et la crainte qu’ils avaient que les étrangers, à qui la langue et le caractère chaldéen n’étaient pas inconnus, ne le découvrissent et n’en abusassent. Ces précautions toutefois n’ont pas empêché que les païens n’en aient souvent abusé. Origène enseigne qu’ils s’en servaient dans leurs exorcismes et dans leurs charmes contre les maladies. Saint Clément d’Alexandrie raconte que ceux des Égyptiens à qui il était permis d’entrer dans le temple du soleil, portaient autour d’eux le nom de Jaou. Trallien rapporte des vers magiques contre la goutte, où se trouvait le nom de Jacques ou Jaath.
Philon dit qu’après la punition du blasphémateur qui fut lapidé dans le désert (Lévitique 24.14), Dieu fit publier une loi nouvelle par Moïse, qui portait : Quiconque maudira le Seigneur sera coupable de péché ; et quiconque prononcera le nom de Dieu sera puni de mort. C’est ainsi que les Septante et Théodoret lisent ce verset, au lieu que dans l’hébreu et dans la Vulgate on lit simplement : Celui qui maudira ses dieux (elohim) portera la peine de son péché ; et celui qui blasphémera le nom du Seigneur sera puni de mort. Philon ajoute que cette loi de Moïse est pleine d’une profonde sagesse, et que la première partie de son ordonnance défend de blasphémer les faux dieux des gentils ; et la seconde ne veut pas que l’on nomme seulement mal à propos le nom de Dieu ; que c’est un crime digne de mort, et punissable des derniers supplices, de se servir de ce saint nom par manière d’acquit, et seulement pour orner et remplir son discours. Josèphe s’exprime avec la même réserve sur le nom de Dieu. Il dit que Dieu étant apparu à Moïse dans le buisson ardent, lui révéla son nom, qu’il n’avait jamais découvert à homme, et dont il ne m’est pas, dit-il, permis de parler.
Les Juifs disent que depuis le retour de la captivité, on ne prononçait le nom de Dieu qu’une seule fois dans le temple ; et cela, au jour de l’Expiation solennelle ; encore faisait-on exprès du bruit, lorsque le grand prêtre le prononçait en présence d’un petit nombre de disciples choisis, qui le pouvaient entendre, sans que le peuple l’entendit. Mais depuis la destruction du temple, on a cessé entièrement de le prononcer ; d’où vient que l’on en a perdu la vraie prononciation. Les Juifs n’expriment plus du tout le sacré nom de Jéhovah ; mais en sa place ils disent Adonai ou Elohim, en lisant et en priant. Saint Jérôme les a imités en mettant (Exode 6.3) : Je ne leur ai point découvert mon nom Adonai, au lieu de mon nom Jéhovah. Les Hébreux modernes enseignent que c’est par la vertu du nom Jéhovah, que Moïse avait gravé sur la verge miraculeuse, qu’il faisait tous les prodiges dont il est parlé dans l’Écriture ; et que c’est par la même vertu que Jésus-Christ a fait tous ses miracles, ayant dérobé dans le temple le nom ineffable, qu’il mit dans sa cuisse entre cuir et chair. Ils ajoutent que nous en pourrions faire de même, si nous pouvions arriver à la parfaite prononciation de ce nom. Ils se flattent que le Messie leur apprendra ce grand secret, lorsqu’il sera venu dans le monde.
Les Juifs croient que qui saurait la vraie prononciation du nom de Jéhovah, ou du nom de quatre lettres, ne manquerait pas d’être exaucé de Dieu ; que s’ils n’ont pas le bonheur aujourd’hui d’être exaucés, cela ne vient que de ce qu’ils en ignorent la vraie prononciation. Que Simon le Juste, grand prêtre de leur nation, est le dernier qui l’ait reçue ; qu’après sa mort le nombre des profanes se multipliant, et abusant de ce nom divin, on cessa de le prononcer ; qu’à ce nom ils en substituèrent un autre composé de douze lettres, que le grand prêtre prononçait en donnant la bénédiction au peuple. Tarphon, rabbin fameux, que l’on croit être le même que Tryphon, contre lequel saint
Justin martyr dispute dans son dialogue ; Tarphon, dis-je, raconte qu’un jour, s’étant approché du prêtre pour entendre sa bénédiction, il s’aperçut qu’il n’articulait plus les douze lettres, et qu’il se contentait de marmotter, pendant que les lévites chantaient ; que cela venait de la multitude des profanes, auxquels il n’était pas de la prudence de découvrir ce nom sacré, de peur qu’ils n’en abusassent. Ils dénoncent dans leur Talmud des malédictions épouvantables contre ceux qui le prononcent ; ils se font un scrupule de tenter même de le prononcer ; ils prétendent que les anges n’en ont pas la liberté.
Il semble que les profanes mêmes aient eu quelque connaissance de ce grand nom, de ce nom ineffable. Nous avons encore dans les vers dorés de Pythagore un serment par celui qui a les quatre lettres ; on lisait dans le frontispice d’un temple de Delphes, au rapport d’Eusèbe, cette inscription : « Tu es ». Les Égyptiens avaient mis sur un des leurs, celle-ci : « Je suis ». Les païens avaient certains noms de leurs dieux qu’ils n’osaient prononcer. Cicéron en allègue un exemple dans un catalogue qu’il fait des divinités païennes. Lucain dit que la terre aurait tremblé, si on les avait prononces ; Celui de Romulus était marqué dans les archives publiques, comme parmi les Juifs celui de Jéhovah, par les quatre consonnes qui composent son nom. Mais c’était moins par respect qu’ils en usaient ainsi que dans la crainte qu’on n’évoquât les dieux tutélaires de leurs villes. [Voyez Trinité].
Les docteurs juifs cabalistes ont beaucoup subtilisé sur le nom de Jéhovah. Ils remarquent, par exemple, que dans la Genèse, Moïse ne donne à Dieu que le nom Elohim, pendant qu’il parle de la création du monde ; mais il lui donne celui de Jéhovah, après avoir achevé la création : c’est que, dans le premier instant, Dieu paraissait en quelque sorte imparfait, en produisant les êtres par parties : mais après avoir achevé son ouvrage, il prend le nom de Jéhovah, qui est un nom d’une perfection infinie. C’est à cela qu’ils rapportent ces paroles du Deutéronome : L’ouvrage du rocher est parfait, ou plutôt l’ouvrage de Dieu, ce rocher tout-puissant, est parfait.
Les lettres qui composent ce nom adorable sont toutes pleines de mystères. Le jod qui est la première, marque la pensée, l’idée de Dieu : c’est une lumière inaccessible aux hommes ; c’est une de ces choses que l’œil de l’homme n’a point vues, et que l’esprit de l’homme n’a point comprises ; que c’est de cette lettre dont parlait Job en disant (Job 28.21) : qu’elle s’est cachée loin des yeux de l’homme vivant, etc. Le hé, qui est la dernière des quatre lettres, découvre l’unité de Dieu et du Créateur. C’est de là que sortent les quatre fleuves du paradis terrestre, c’est-à -dire, les quatre majestés de Dieu que les Juifs appellent Schekinah.
Le nom de Dieu renferme toutes choses : celui qui le prononce ébranle le ciel et la terre, et inspire la terreur aux anges mêmes. Ce nom a une autorité souveraine ; il gouverne le monde par sa puissance. Les autres noms et surnoms de la Divinité se rangent autour de lui, comme les officiers et les soldats autour de leur roi ou de leur général ; ils reçoivent de lui ses ordres et lui obéissent. C’est la source des grâces et des bénédictions ; c’est le canal des miséricordes de Dieu sur les hommes. Qui saurait tous les mystères du nom de Dieu n’ignorerait rien de toutes les voies de sa justice et de sa providence.
Les musulmans se servent souvent du nom de hu, ou hou, qui signifie à -peu-près la même chose que Jéhovah ; c’est-à -dire, lui, celui qui est. Ils mettent ce nom au commencement de leurs rescrits, passe-ports, lettres patentes ; ils le prononcent souvent dans leurs prières : il y en a qui le répètent si souvent et avec tant de véhémence en criant de toutes leurs forces hou, hou, hou, qu’à la fin ils s’étourdissent, et tombent dans des syncopes qu’ils appellent extases. Mais le grand nom de Dieu est celui d’Allah, qu’ils prononcent souvent, et auquel ils ont une grande confiance. Ils disent que c’est par la vertu de ce nom que Noé faisait voguer l’arche à sa volonté ; que Japhet l’avait gravé sur une pierre précieuse qu’il laissa à ses enfants, et par le moyen de laquelle il faisait descendre la pluie quand il voulait. C’est, disent-ils, par le même nom que Jésus-Christ opérait ses miracles. Enfin chez les Arabes, et chez tous ceux qui font profession du mahométisme, le nom d’Allah correspond à ceux d’Elohim et d’Adonaï chez les Hébreux, et même à celui de Jéhovah, que l’on appelle ineffable, et d’un mot grec tetragrammaton, ou de quatre lettres, qui marque plus particulièrement l’essence divine.
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