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[ou Jephté], juge d’Israël et successeur de Jaïr dans le gouvernement du peuple ; il était fils d’un nommé Galaad et d’une de ses concubines (Juges 11.1-3) ou simplement il était natif de Maspha, fils d’une courtisane et d’un père nommé Galaad. Celui-ci ayant épousé une femme légitime, et en ayant eu des enfants, ses enfants chassèrent Jephté de la maison paternelle, disant qu’il ne pouvait être héritier avec eux (Juges 11.7). Jephté se retira dans le pays de Tob, et y devint chef d’une troupe de voleurs et de gens ramassés. En ce temps-là les Israélites de delà le Jourdain, se voyant pressés par les Ammonites, vinrent prier Jephté de leur donner du secours et de les commander. Jephté leur reprocha d’abord l’injustice qu’ils lui avaient faite ou du moins qu’ils n’avaient pas empêchée, lorsqu’on le chassa de la maison de son père. Mais comme ces gens le priaient avec beaucoup d’instance, il leur dit qu’il voulait bien leur donner du secours, pourvu qu’à la fin de la guerre ils le reconnussent pour leur chef. Ils s’y accordèrent et le lui promirent avec serment. Ceci arriva l’an du monde 2817, avant Jésus-Christ 1183, avant l’ère commune 1187.
Jephté, ayant été reconnu pour chef des Israélites dans une assemblée du peuple, députa vers les Ammonites pour leur dire : qu’y entre vous et moi ? Pourquoi êtes-vous venus m’attaquer et ravager mon pays ? Le roi des Ammonites lui répondit : C’est parce qu’Israël venant d’Égypte, a pris mon pays. Rendez-le moi donc maintenant et demeurons en paix. Jephté envoya de nouveaux ambassadeurs aux Ammonites, pour leur dire qu’Israël ne leur avait rien pris, mais seulement aux Amorrhéens, et que tout ce qu’il possédait au delà du Jourdain, il le possédait par droit de conquête. Il ajouta : Si vous croyez avoir droit de jouir de ce que Chamos, votre dieu, vous a donné, pourquoi ne jouirions-nous pas de ce que le Seigneur, notre Dieu, nous a accordé ? Séphor, roi des Moabites, qui vivait du temps de Moïse, fut témoin de la conquête que nous fîmes de son pays, qui était alors entre les mains des Amorrhéens, et cependant il ne se plaignit point et n’en demanda pas la restitution ; et vous venez aujourd’hui la demander après un si long temps. Que si vous continuez à me vouloir faire une guerre injuste, que le Seigneur en soit le juge et qu’il soit l’arbitre de cette journée entre Israël et les enfants d’Ammon.
Le roi des Ammonites ne voulut pas se rendre à ces raisons, et Jephté, rempli de l’Esprit du Seigneur, commença à rassembler des troupes, en parcourant tout le pays qu’occupaient les Israélites au delà du Jourdain. Alors il fit un vœu au Seigneur, s’il lui donnait la victoire contre les Ammonites, de lui offrir en holocauste le premier qui sortirait de sa maison et qui viendrait au-devant de lui. La bataille s’étant donnée, Jephté demeura victorieux et ravagea tout le pays d’Ammon. Mais comme il revenait dans sa maison, sa fille unique vint au-devant de lui en dansant au son des tambours. Alors Jephté, déchirant ses habits, dit : malheureux que je suis I Ma fille, vous m’avez trompé et vous vous êtes trompée vous-même ; car j’ai fait un vœu au Seigneur, et je ne puis manquer à ma promesse. Sa fille répondit : Mon père, si vous avez fait vœu au Seigneur, faites de moi tout ce que vous avez promis ; accordez-moi seulement la grâce que je vous demande : Laissez-moi aller sur les montagnes pendant deux mois, afin que j’y pleure ma virginité avec mes compagnes. Jephté la laissa libre pendant deux mois ; après quoi, il exécuta ce qu’il avait promis.
Cependant ceux de la tribu d’Éphraïm (Juges 12.1-5), jaloux de la victoire que Jephté venait de remporter contre les Ammonites, passèrent le Jourdain en tumulte, vinrent se plaindre à Jephté de ce qu’il ne les avait pas appelés à cette guerre, et le menacèrent de mettre le feu à sa maison. Jephté leur répondit qu’il les avait envoyé prier de venir à son secours ; mais que voyant qu’ils ne venaient pas, il avait mis son âme dans ses mains et avait hasardé un combat. Ceux d’Éphraïm ne se rendant pas à ces raisons, Jephté assembla le peuple de Galaad, leur livra bataille et les vainquit. Les victorieux ne se contentant pas de les avoir mis en fuite, se saisirent des gués du Jourdain ; et lorsque quelqu’un d’Éphraïm venait sur le bord du fleuve pour se sauver, ceux de Galaad lui demandaient : N’êtes-vous pas d’Éphraïm ? Il répondait : Non. Ils lui répliquaient : Dites donc schibboleth, qui signifie un épi ; mais au lieu de schibboleth, ils disaient sibboleth, sans aspiration ; et aussitôt on les prenait et on les tuait au passage du Jourdain ; en sorte qu’il y eut quarante-deux mille hommes de la tribu d’Éphraïm qui furent tués ce jour-là.
Nous ne connaissons aucune autre particularité de la vie et du gouvernement de Jephté ; nous savons seulement qu’il jugea Israël pendant six ans (Il mourut lan du monde 2823, Avant Jésus-Christ 1177, Avant l’ère vulgaire 1181), et qu’il fut enterré dans la ville de Maspha en Galaad (Juges 12.7). Saint Paul (Hébreux 11.31) le met entre les saints de l’Ancien Testament qui se sont distingués par le mérite de leur foi.
Il semble que la fable d’Iphigénie, fille d’Agamemnon, est tirée de l’histoire de Jephté. Agamemnon ayant par mégarde tué la biche de Diane, la déesse irritée fit naître des obstacles qui retardèrent le départ de la flotte. On consulta le devin Calchas, qui déclara que les dieux demandaient une victime du sang d’Agamemnon. Iphigénie fut conduite pour être immolée ; mais Diane, touchée de compassion, mit une biche en la place d’Iphigénie. La biche fut sacrifiée, et Iphigénie fut faite prêtresse de Diane Orthia, dans la Taurique, où l’on Immolait des victimes humaines [Écoutons sur ce point Delon de Lavaur, qui, après avoir cité l’histoire de Jephté, continue en ces termes : « Voyons à présent, et mettons, vis-à-vis, la fable d’Iphigénie, dans les principaux traits qui la composent : les temps conviennent à-peu-près ; l’opinion que le nom d’Iphigénie est pris de la fille de Jephté parait très-bien fondée ; la conformité en est sensible, puisqu’il n’y a eu qu’à changer Iphtigénie en Iphigénie, pour en faire précisément la fille de Jephté, qu’on appelait aussi Iephté ou Iiphtah ; ainsi sa fille devait être appelée lphtigénie, qui veut dire fille de Jephté. Agamemnon, qui est dépeint comme un vaillant guerrier et un admirable chef, fut choisi par les Grecs pour leur général et leur prince contre les Troyens, du commun consentement de la Grèce assemblée dans la ville et le port d’Aulide dans la Béotie. Dès qu’il eut accepté le commandement, il envoya des ambassadeurs à Troie au roi Priam, pour lui demander satisfaction sur l’enlèvement dont les Grecs se plaignaient ; les Troyens ayant refusé de leur donner cette satisfaction, Agamemnon, pour mettre dans son parti les dieux qui paraissaient irrités contre les Grecs et opposés au succès de leur entreprise, après leur avoir sacrifié, eut recours à Calchas, leur interprète, qui déclara de leur part que les dieux, et particulièrement Diane, ne pouvaient être apaisés, ni accorder aux Grecs un heureux voyage, que par le sacrifice d’Iphigénie, fille d’Agamemnon.
D’autres, dont l’opinion est la plus vraisemblable (et elle est suivie par Cicéron), ont dit qu’Agamemnon, pour s’attirer la protection des dieux dans la guerre dont il était déclaré le chef, leur avait dévoué ce qui naîtrait de plus beau dans son royaume ; et que sa fille Iphigénie ayant surpassé tout le reste en beauté, il se crut obligé de l’immoler ; Ce que Cicéron condamne, en jugeant qu’il y avait moins de mal à ne pas tenir sa promesse qu’à commettre un parricide.
Agamemnon fut frappé et troublé de cette obligation ; il y consentit pourtant d’abord ; il eut ensuite de grands regrets sur sa fille. On le représente délibérant et dans le doute si les dieux pouvaient demander un parricide, et s’il était obligé de croire l’oracle, ou de tenir sa promesse. Les poètes ont ici ajouté à cette résistance des sentiments de la nature, des intrigues qui augmentent les difficultés de l’exécution de ce vœu ou de cet ordre du ciel, pour former des nœuds qui ornent leurs poèmes, et pour étaler l’éloquence qui ramena ce père à exécuter ce qu’il devait aux dieux. Ils font enfin triompher Agamemnon des faiblesses de la tendresse paternelle, par les motifs de son devoir et de sa gloire ; il prononce l’ordre à sa fille, qui exhorte elle-même son père à l’exécuter, avec une fermeté et une soumission merveilleuses ; elle le console et se trouve trop heureuse de mourir pour une si belle cause, pour procurer la victoire et la gloire de sa patrie : avec ces sentiments, elle échappe à sa mère ; elle se met entre les mains de son père, pour être conduite à l’autel, au milieu des pleurs de ses compagnes, et pour y être immolée.
Quelques auteurs ont dit qu’elle fut effectivement sacrifiée ; d’autres plus humains ont conté qu’elle avait été sauvée et enlevée dans un nuage par les dieux, contents de l’acceptation du sacrifice, qui envoyèrent une biche pour être immolée au lieu d’elle (Ils ont pris ce trait du sacrifice d’Isaac) d’autres ont imaginé qu’elle avait été changée elle-même par les dieux en une biche ou en une ourse. Le premier fond de cette fable était qu’elle avait été enlevée près de l’autel dans un tumulte, et qu’on avait trouvé à sa place une biche avec laquelle le sacrifice fut accompli. Dictys de Crète dit que cet animal fut substitué pour sauver Iphigénie.
Le point dans lequel ces diverses traditions conviennent est qu’Iphigénie ne parut plus dans son pays ; la Fable lui donne à peu de frais une machine qui l’enleva dans la Chersonèse Taurique, où elle consacra le reste de ses jours au service du temple de Diane, dans lequel on immolait à cette déesse des hosties humaines, en mémoire du sacrifice de la prêtresse. Les poètes ont substitué ces sacrifices, plus conformes à leur art et à leur religion, aux pleurs et aux fêtes lugubres par lesquelles les filles d’Israël célébraient tous les ans la mort de la fille de Jephté. Cette biche ou cette ourse ont été imaginées sur les courses que la fille de Jephté fit durant deux mois sur les montagnes et dans les forêts, qu’elle remplissait de regrets sur elle et sur sa famille, de mourir sans postérité
Les dieux, après cette obéissance rendue à leurs ordres, donnèrent aux Grecs un départ heureux et une glorieuse victoire.
La raison et le succès du sacrifice, ce sacrifice même, ou l’enlèvement de ces princesses sur le point d’être immolées, la figure de biche courant dans les forêts et sur les montagnes, leur retraite dans un temple pour y être consacrées le reste de leurs jours au service divin, sont d’une même origine ; le fruit de ce sacrifice fut également une grande victoire, et la raison en avait été un vœu imprudent, fait par les pères de ces célèbres victimes. C’est ce qui a été copié aussi fidèlement dans la fable d’Idoménée, roi de Crète, moins diversifiée dans les différents auteurs qui l’ont rapportée, et qui roule chez tous, d’une manière uniforme, sur un vœu tout à fait semblable à celui de Jephté. Rien ne peut approcher de la représentation qui est faite de cette fable dans l’incomparable ouvrage des Aventures de Télémaque, qui s’est si fort élevé au-dessus de celui des Aventures d’Ulysse, son père. La ressemblance de cette copie avec son original est si sensible, que plusieurs l’ont reconnue ; nous n’en rapporterons que les traits essentiels, sur lesquels on peut aisément la conférer avec l’original. Idoménée, roi de l’île de Crète, et l’un des princes qui étaient au fameux siège de Troie, s’en retournant après le siège fini, fut surpris par une tempête si furieuse, que les plus habiles pilotes désespéraient de pouvoir éviter le naufrage. En cet état, où l’on ne se voit aucune ressource humaine, on a recours au ciel, chacun faisait des vœux, et Idoménée adressant les siens au dieu de la mer, lui promit solennellement que s’il lui procurait le retour dans son île, il lui sacrifierait la première personne qui s’y présenterait devant lui.
Sur la nouvelle de son arrivée, le plus empressé, pour aller au-devant du roi, fut son fils. Ce prince infortuné se présenta le premier aux yeux de son malheureux père, qui, ne pouvant le regarder et fuyant sa vue, fut quelque temps sans oser lui apprendre le malheur commun, qui faisait sa tristesse : après l’avoir déclaré, il voulut se percer lui-même de son épée. Les assistants arrêtèrent sa main ; ils lui représentèrent ensuite que, pour satisfaire à une promesse imprudente, les dieux ne pouvaient agréer qu’un père donnât la mort à son fils, et qu’on pouvait les apaiser par d’autres sacrifices. Le fils cependant faisait voir une constante résolution de mourir pour dégager la promesse de son père, et pour détourner de sa tête la vengeance du dieu méprisé. Idoménée prend un moment qu’on le laissait libre, et plonge son épée dans le cœur de son fils ; on retient encore sa main qui tournait l’épée contre lui-même. Après ce coup dénaturé, la fureur le saisit. Ce roi, auparavant très-sage, ne sait pendant quelque temps ce qu’il fait ni ce qu’il dit. Les dieux eux-mêmes se déclarèrent contre un sacrifice si impie, par une peste qu’ils envoient dans cette île ; le peuple, frappé d’horreur pour cette barbarie, de pitié pour le fils poignardé, et de crainte pour les marques de l’indignation divine, ne reconnaît plus son roi et ne veut plus lui obéir. Il n’y a de salut pour lui qu’à quitter la Crète et à remonter sur ses vaisseaux, accompagné de ceux qui lui étaient demeurés fidèles. Enfin, revenu à lui-même, il aborde en Italie, où il fonde un nouveau royaume, contraint de quitter celui que sa naissance et les lois de son pays lui avaient donné après Minos et Deucalion, son aïeul et son père.
Virgile a conté comme ce roi avait été chassé de son royaume, et qu’Enée apprit que le trône en était vacant. Télémaque, parcourant les mers pour chercher son père, trouva la Crète dans cet état, et les Crétois occupés à s’élire un roi à la place d’Idoménée. Otez, les épisodes, les ornements et les suites de ces fables, le fond et l’essentiel ne sont que la copie de l’histoire de Jephté. »]
Il y a quelque chose de si extraordinaire dans le vœu de Jephté, que, quoique l’Écriture en parle en termes formels et très-clairs, on ne laisse pas d’y trouver des difficultés qui embarrassent les commentateurs.
L’esprit du Seigneur s’étant saisi de Jephté, dit l’auteur sacré (Juges 11.29-31), il parcourut le pays de Galaad et de Manassé ; sans doute pour ramasser des troupes et former une armée qui pût repousser les Ammonites, et délivrer dans la suite les Israélites de leurs incursions : Et il fit un vœu au Seigneur, en lui disant : Si vous livrez entre mes mains les enfants d’Ammon, je vous offrirai en holocauste le premier qui sortira de la porte de ma maison pour venir au-devant de moi, lorsque je reviendrai vainqueur des Ammonites.
Il dit clairement qu’il offrira en holocauste la première personne de sa maison qui viendra au-devant de lui à son retour de la défaite dus Ammonites. Remarquez qu’il ne dit pas la première chose, le premier animal, mais la première personne. De plus il ne dit pas simplement qu’il vouera, qu’il consacrera, qu’il offrira au Seigneur celui qui viendra le premier, à sa rencontre ; mais il ajoute affirmativement qu’on lui offrira en holocauste. C’est le véritable sens du texte, et les Pères l’ont ainsi expliqué, comme on le verra ci-après.
Cependant, malgré l’évidence du texte : quelques nouveaux interprètes l’expliquent d’une autre manière, et traduisent ainsi l’hébreu : Et la chose qui sortira des portes de ma maison ; lorsque je retournerai en paix de la guerre des Ammonites, elle sera au Seigneur, et je la lui offrirai en holocauste. Jephté voue au Seigneur, disent-ils, ce qui viendra au-devant de lui, soit homme, soit bête ; mais non pas de la même manière : c’est-à-dire, si c’est un homme ou une femme, je les consacrerai au Seigneur, ils seront au Seigneur ; si c’est un animal pur et propre au sacrifice, je l’immolerai au Seigneur ; si c’est un animal immonde, par exemple un chien, je le ferai mourir, ou je le rachèterai. De plus Jephté pouvait-il ignorer que les sacrifices de victimes humaines étaient odieux aux yeux de Dieu ?
« Vous n’imiterez point, dit le Seigneur (Deutéronome 12.31), les abominations des peuples chananéens, qui ont offert à leurs dieux leurs fils et leurs filles, en les faisant passer par le feu. » Les principaux de la nation, les prêtres du Seigneur ne se seraient-ils pas opposés à l’exécution d’un pareil sacrifice ? Enfin, quand on avouerait que Jephté aurait dévoué sa fille, ne savait-il pas la loi qui lui permettait de la racheter pour une somme d’argent assez modique (Lévitique 27.2-3) ? « Celui qui aura fait un vœu, et qui aura voué sa vie au Seigneur, donnera le prix qui sera ordonné ; l’homme depuis vingt ans jusqu’à soixante donnera cinquante sicles, selon le poids du sanctuaire ; la femme en donnera trente : le garçon depuis cinq ans jusqu’à vingt donnera vingt sicles, la fille de même âge en donnera dix. C’est ce qu’on dit de plus plausible pour persuader que Jephté n’avait pas fait vœu d’immoler sa fille au Seigneur.
On peut répondre à ces raisons,
1° Que mal à propos on veut détourner le sens du texte, qui porte expressément, que celui qui viendra au-devant de lui sera au Seigneur, et lui sera offert en holocauste. Il parle d’une personne, et non d’une bête.
2° On ne prétend pas justifier ni le vœu précipité, ni son exécution littérale faite par Jephté ; on avoue que son vœu n’est pas selon la science, et que Dieu ne demandait pas qu’il lui offrît une telle victime. Il aurait beaucoup mieux fait de demander pardon de son imprudence, et de s’imposer, de l’avis du grand prêtre de sa nation, une peine proportionnée à sa faute.
3° Le rachat des choses dévouées que la loi permet n’est pas des choses dévouées par l’anathème, mais seulement de celles qui sont dévouées par dévouement simple. Les premiers ne se rachetaient point (Lévitique 28.28-29).
Les Pères et plusieurs habiles commentateurs n’ont pas fait difficulté de reconnaître que Jephté avait réellement offert sa fille en holocauste Josèphe le dit expressément. Le paraphraste chaldéen dit qu’il l’immola sans avoir consulté le grand prêtre ; et que s’il l’avait consulté, il aurait racheté sa fille d’une somme d’argent. Saint Ambroise déplore la dure promesse et la cruelle exécution du vœu de Jephté. Saint Augustin désapprouve la conduite de Jephté, et dit qu’il fit en cela ce qui était défendu par la loi, et qui ne lui avait été commandé par aucun ordre particulier. Il suppose par conséquent qu’il exécuta son vœu à la lettre. Saint Jérôme croit que Dieu en permit l’exécution, pour punir ce père imprudent de sa témérité. Saint Chrysostome remarque que Dieu, par une providence pleine de sagesse, permit que ce père fit réellement mourir sa fille, pour réprimer ceux qui dans la suite pourraient se porter légèrement à faire de pareilles promesses. C’était un exemple très-propre à inspirer aux hommes de la circonspection, et à les éloigner des vœux et des promesses précipitées. Saint Justin le martyr et Théodoret ont regardé cette action dans la même vue d’autres ne se sont pas contentés de supposer le sacrifice de la fille de Jephté comme un fait certain, ils l’ont loué et approuvé. L’auteur des Questions aux orthodoxes, imprimées sous le nom de saint Justin, ne doute pas que la piété envers Dieu qui lui fit immoler sa fille ne l’ait fait mettre par l’Apôtre au nombre des justes. Saint Jérôme s’exprime de même. Il dit ailleurs que, si le sacrifice n’est pas louable, au moins l’esprit et l’intention sont dignes d’approbation. Saint Ambroise n’ose l’accuser d’avoir exécuté sa promesse ; mis il le plaint de s’être trouvé dans la nécessité de ne pouvoir accomplir son vœu que par un parricide. Saint Thomas reconnaît que la foi et la dévotion qui le portèrent à faire ce vœu, venaient de Dieu, et que c’est ce qui l’a fait mettre par l’Apôtre au rang des justes (Hébreux 11.32-33) ; mais que ce qui gâta son action fut qu’il se laissa aller à son propre mouvement, en exécutant ce qu’il avait trop légèrement promis. On peut voir notre dissertation sur cette matière, celle de Louis Capelle, celle du père Alexandre, et les auteurs qui sont cités dans notre Bibliothèque sacrée [L’opinion des saints Pères sur le vœu de Jephté et sur l’exécution de ce vœu n’a d’autre fondement que la lecture qu’ils ont faite du récit dans une traduction. Quoi qu’en dise dom Calmet, le texte original peut être interprété, et fort bien interprété, dans un sens qui exclut l’immolation par l’effusion du sang. J’ai déjà eu occasion d’examiner à fond cette question, lorsque j’écrivais le troisième livre de mon Histoire de l’Ancien Testament (tome 1 pages 477) ; et l’étude que j’en fis à cette époque me donna la conviction que Jephté n’avait point immolé sa fille, mais qu’il l’avait consacrée au service de Dieu.
Depuis, M. Brière, curé de Notre-Dame, à Nogent-le-Rotrou, m’a envoyé une dissertation manuscrite dont il est l’auteur, et dans laquelle il entreprend, avec beaucoup de clarté, de force et de talent, de réfuter le sentiment qui s’appuie sur le texte original, et d’établir, par l’autorité de la Vulgate et des saints Pères, que Jephté versa véritablement le sang de sa fille. Cet écrit est le mieux fait de ceux que j’ai lus sur ce sujet ; cependant il ne m’a rien enlevé de mon ancienne conviction, fondée sur des autorités et des raisons qui me paraissent plus solides.
Ceux qui soutiennent que Jephté accomplit son vœu en sacrifiant sa fille ne citent pas l’exemple de Saül, dont le vœu (car on dit que c’est un vœu) faillit coûter la vie à Jonathas, son fils (1 Samuel 14). Que l’on compare les deux récits, je crois que l’un peut servir à expliquer l’autre. Ils sont du même historien, et ont de frappantes analogies. Appuyés sur la Vulgate, les partisans de l’immolation triomphent assez facilement de leurs adversaires ; mais en pareille matière l’autorité de la Vulgate est moindre que celle de l’Hébreu : cette version n’a pas été inspirée, et le texte original l’a été. Il est très-certain que l’endroit où se trouve le vœu de Jephté est tout autre dans l’Hébreu. Il n’y a pas quicumque (être humain), mais asher, quodcumque (être humain ou animal) ; il n’y a pas primus non plus, ni dans les Septante, ni dans l’ancienne Vulgate. L’Hébreu porte littéralement : « Le sortant qui sortira des portes de ma maison… sera au Seigneur ou j’en ferai un holocauste. » Remarquez que cela s’accorde bien avec le quodcumque : si c’est une personne, je la consacrerai au Seigneur, si c’est un animal, je le lui immolerai. Ce vav conjonctif, qui a plusieurs significations, entre autres « ou », n’est rendu ni dans les Septante, ni dans l’ancienne, ni dans la nouvelle Vulgate ; et on ne cite pas de manuscrits hébreux où il ne soit pas. Ce« ou » indique qu’il faut quodcumque au lieu de quicumque. Quoique les Septante aient le masculin quicumque, c’est-à-dire, quoiqu’ils portent : « Le sortant… » néanmoins on peut le prendre comme signifiant le neutre ; aussi plusieurs Pères l’ont-ils rendu par quidquid. J’imagine que dans les Septante l’amphibologie de ce mot et l’omission de la particule« ou » sont la cause pour laquelle les Pères qui ont précédé saint Jérôme, ont cru à l’immolation ; saint Jérôme a suivi cette opinion, sans avoir eu peut-être l’occasion de l’examiner préalablement à fond.
Ce même récit présente d’autres différences : par exemple au verset 35, Jephté parlant à sa fille lui dit : Tu m’as trompé et tu t’es trompée toi-même. Rien n’annonce, rien ne motive de telles paroles ; il y a dans l’Hébreu : Tu m’as troublé, etc., paroles qui conviennent dans la circonstance, comme celles-ci de Jonathas : Mon père a troublé tout le monde, qu’il prononça dans une circonstance analogue. Toute la difficulté repose sur les paroles de Jephté, diversement interprétées. Or on sait qu’une des premières règles pour l’interprétation d’un texte obscur, c’est de le conférer avec ceux qui ont avec lui du rapport. Ainsi (Lévitique 27.2-3 ; 1 Samuel 1.11 ; 14.4 ; Isaïe 66.3). Une autre règle, c’est de juger les personnes, non d’après des circonstances qu’on suppose, des paroles dont le sens est contesté, des opinions superficielles, mais d’après leur législation, leurs mœurs, le rôle qu’elles jouent dans les événements, leur caractère, etc.
Les partisans de l’immolation motivent encore leur opinion sur d’autres passages du récit, par exemple, sur le verset 40, exprimé dans la Vulgate. Mais l’Hébreu est rendu différemment dans la Bible de Zurich.
M. le chevalier Drach, dans son savant livre intitulé : De l’Harmonie entre l’Église et la Synagogue, a consacré un chapitre à la vénération dont la virginité a été l’objet de la part de tous les peuples. À cette occasion, il traite en passant la question relative à la fille de Jephté ; mais il la résout, et voici comment « … Plusieurs Pères de l’Église d’une grande autorité disent que Jephté a accompli son vœu d’une manière sanglante… Cependant plusieurs écrivains catholiques ne craignent pas de soutenir que Jephté a sacrifié sa fille de la seule manière qui lui était propre, puisque la loi de Moïse interdisait expressément et sévèrement les sacrifices humains. Un vœu, et surtout son accomplissement, ne doit être que« de bono » comme disent les théologiens. Il la sacrifia donc par la mort civile, spirituelle, la consacrant à la retraite et à la prière, et la vouant à une virginité perpétuelle, comme nos religieux et nos religieuses qui meurent au monde, sans pour cela cesser de vivre de la vie naturelle… Ce grand théologien, comme aussi Nicolas de Lyre, un des plus savants et des plus habiles interprètes des Écritures, penchent visiblement vers cette opinion, sans que ni l’un ni l’autre n’ose se prononcer franchement.
Mais qu’il nous soit permis de dire que dans ce paragraphe, où nous traitons du respect des Hébreux pour la virginité, nous sommes au milieu de la synagogue. Or les principaux rabbins, Abarbanel, David Kimhhi, Lévi ben Gherschon, Isaac Abuhab, Samuel Laniado, etc., disent que Jephté voua sa fille à une virginité perpétuelle, afin qu’elle pût vaquer toute sa vie à la prière, l’enfermant dans un ermitage qu’il fit bâtir au haut de la montagne. C’est là que les vierges d’Israël allaient quatre fois par an pour s’entretenir avec elle et la consoler. Elles lui parlaient sans la voir, ainsi que cela se pratique dans certains couvents de femmes, parmi les Nazaréens (chrétiens). Ces rabbins s’appuient sur des raisons assez plausibles. Ce qui, à leurs yeux, prouve que le sacrifice de la fille de Jephté consistait dans sa consécration à la virginité, c’est que :
1° Au verset 36, elle dit : « Mon père, puisque tu as prononcé ce vœu, fais de moi ce que tu as promis » Un prêtre, et non Jephté, aurait dû l’immoler en victime.
2° Au lieu de pleurer la vie qu’elle allait perdre à un âge encore jeune, elle ne pleura que sur sa virginité, dans laquelle elle fut obligée de demeurer le reste de ses jours, verset 37.
3° Il était impossible, ainsi que nous l’avons dit, d’offrir une victime humaine. Abarbanel ajoute : « Et selon moi, c’est ce qui a donné aux nations d’Édom (aux chrétiens), l’idée de faire des monastères où les femmes s’enferment et observent une clôture perpétuelle ; et tant qu’elles vivent, elles ne voient plus aucun homme. » C’est ce qui a fait dire à Estius (…) Or, pour vouer à Jéhova la virginité d’une personne, il s’ensuit nécessairement qu’on devait la regarder comme agréable à Dieu.
Si ce chef guerrier conçut un vif chagrin du sacrifice auquel il ne put se soustraire, cela s’explique par le sentiment naturel, d’autant plus que la fille dont il devait se séparer pour la vie était son unique enfant, le seul objet de ses affections paternelles. »]
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