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Massore

Ce terme hébreu Massora signifie tradition. Il dérive du verbe masar, qui signifie donner, présenter, offrir. On nomme Massorèthes les docteurs hébreux qui ont fixé la leçon du texte sacré, en y ajoutant les points-voyelles, et qui ont fait les remarques marginales que l’on voit aux marges des Bibles hébraïques imprimées, qui ont compté avec une exactitude scrupuleuse tous les mots et les versets, et même les lettres de chaque livre, afin que dans la suite on ne pût plus y faire aucun changement, et que la leçon en fût fixée pour toujours. Comme les Hébreux écrivent souvent leurs mots sans aucune voyelle qui en détermine le son, il n’y a qu’une certaine tradition qu’ils ont de père en fils qui les règle dans la manière de lire certaines consonnes, qui peuvent avoir plusieurs significations, selon la qualité des voyelles qu’on y supplée. Par exemple, ces lettres d, b, r, se peuvent prononcer par dabar, une parole, ou il a dit ; daber, la mort ou la peste ; dabir, un parvis ; dabber, parlez ; daber, celui qui parle ; et ainsi du reste. C’est donc la tradition qui apprend aux Juifs de quelle manière il faut prononcer ce mot dans les différents endroits où il se trouve, et c’est en suivant cette tradition que les Massorèthes ont inventé les points-voyelles, pour en fixer la leçon d’une manière invariable. C’est pour cela qu’on les appelle Massorèthes, et leur ouvrage, la Massore, ou la Tradition.

Ces points-voyelles suppléent aux voyelles, lorsqu’elles manquent, et ils marquent quel son on doit leur donner lorsqu’elles sont dans le texte et si l’on doit les prononcer ou les laisser en repos, si elles sont longues ou brèves, si l’on doit les prononcer d’un son plein et entier, ou seulement à demi, et comme en courant. On met ces points-voyelles ordinairement au-dessous des lettres et quelquefois au-dessus. Il y a en tout treize points-voyelles ; cinq longues, cinq brèves et trois plus brèves. On peut voir les grammaires hébraïques. C’est une erreur de dire que la langue hébraïque n’a point de voyelles : elle a ses voyelles comme les autres langues, mais elle ne les met pas toujours dans l’écriture. Voyez ci-devant l’article lettres.

Les Massorèthes ent aussi marqué les accents et les points. Les accents servent à la prononciation, au chant et à la lecture des mots. Les points servent à séparer les mots et les versets, comme parmi nous les points, les virgules et les autres marques, qui partagent les versets d’un livre.

À l’égard des lettres, les Massorèthes ont exactement marqué celles qui sont de trop ou de moins dans le texte ; si un mot est écrit d’une manière irrégulière ; si une lettre est mise pour une autre ; si elle est plus grande ou plus courte, ou renversée, ou suspendue ; car les Hébreux ont pour les livres sacrés un respect si extraordinaire, qu’ils se feraient un scrupule de changer la situation même d’une lettre qui est visiblement hors de sa place. Ils aiment mieux y reconnaître du mystère. Leurs ancêtres n’étaient certainement pas si scrupuleux, puisque l’on trouve dans le texte sacré tant de fautes qui ne viennent que de la négligence ou de l’ignorance des copistes.

Enfin, lorsqu’il y a des variétés de leçon dans le texte, ou qu’il y a faute, ils mettent en marge la manière dont il faut lire, mais sans toucher au texte. Ce qui est dans le texte est ce qu’ils appellent chetib, c’est-à-dire, écrit ; et ce qu’ils mettent en marge, ils le nomment keri, c’est-à-dire, leçon, ou lisez ; comme s’il y avait : Écrivez de cette sorte ; mais lisez ainsi. Par exemple, lorsqu’ils trouvent certains noms, ils en substituent d’autres. Ils substituent au nom sacré de Jéhovah celui de Adonaï ou Elohim ; et au lieu de certains termes peu honnêtes, ils en prononcent d’autres plus civils.

Quant aux auteurs de la Massore, ou aux Massorèthes, et au temps auquel ils ont vécu, et an jugement que l’on doit porter de leur travail, il y a assez de variétés de sentiments parmi les critiques. Les uns ont fort loué cette entreprise, et ont regardé l’ouvrage des Massorèthes commeune invention admirable pour ôter du texte une infinité d’équivoques et d’embarras, et pour mettre un frein à la licence et à la témérité des copistes et des critiques, qui souvent changeaient ou altéraient le texte sacré de leur autorité privée, ne consultant que leur propre esprit et leur fantaisie. D’autres ont blâmé cette entreprise, et ont soupçonné les Massorèthes d’avoir donné atteinte à la pureté du texte, en substituant à l’ancienne et véritable leçon de leurs pères une autre leçon plus favorable à leurs préjugés et plus contraire au christianisme, dont ils ont toujours, autant qu’ils ont pu, affaibli les preuves et les témoignages. Il est indubitable qu’ils ont souvent suivi et autorisé des leçons fort différentes de celles que suivaient les anciens interprètes grecs qui ont vécu avant Jésus-Christ. Quelquefois même ils s’éloignent de la leçon du Chaldéen, qui est le plus ancien auteur qui ait interprété en une langue approchant de l’hébreu le texte original de l’Écriture. Enfin on peut montrer que les anciens rabbins ne s’accordent pas toujours avec les Massorèthes. D’où il est aisé de conclure, ou que leur tradition n’a jamais été entièrement uniforme sur la manière de lire et d’interpréter le texte, ou qu’ils n’ont pas été fidèles à nous la représenter dans leur Massore.

Il y a des Juifs qui prétendent que la Massore vient de Moïse même ; que c’est lui qui confia aux anciens d’Israël la manière de lire et d’expliquer le texte sacré. D’autres en mettent l’origine sous Esdras et sous les membres de la grande synagogue, lesquels vivaient de son temps. Enfin il y en a d’autres qui en fixent le commencement au cinquième siècle de l’Église, et qui croient que ce sont les maîtres de l’école de Tibériade qui en furent les premiers auteurs. Mais on ne peut pas dire raisonnablement que Moïse soit auteur de la Massore de tous les livres de l’Ancien Testament, puisqu’ils n’ont été composés que longtemps après lui. On ne peut pas dire non plus que sous Esdras la manière de lire et de diviser la Bible ait été fixée, puisqu’il y a eu tant de diversités dans la leçon du texte et dans la manière de l’entendre, encore plusieurs siècles après lui ; par exemple, dans les Septante, dans Aquila, dans Symmaque et dans Théodotion, qui souvent ne sont si différents entre eux que parce que la manière de lire le texte n’était pas fixée de leur temps. Elle ne l’était pas même encore du temps d’Origène et de saint Jérôme, comme ce dernier Père le témoigne en plus d’un endroit.

Or ce Père, qui a vécu dans le quatrième-siècle et qui n’est mort que dans le cinquième, vers l’an 420, et qui dit si expressément que la manière de lire le texte hébreu n’était pas fixée de son temps, rend fort suspect ce que les rabbins enseignent de l’invention des points par les docteurs de Tibériade. Le Talmud, qui ne fut achevé, selon les uns, que l’an 500 de Jésus-Christ, ou, selon les autres, que l’an 643 ; le Talmud, dis-je, fournit encore des preuves qu’alors les points-voyelles n’étaient point inventés. Il n’en dit jamais un mot, quoiqu’il ait eu tant d’occasions d’en parler. Il rapporte même certaines histoires qui font juger qu’alors la manière de lire le texte n’était point arrêtée. Par exemple, Joab, général des armées de David, revenant d’une expédition contre les Amalécites, le roi lui demanda pourquoi il n’avait pas entièrement exterminé ce peuple. Joab répondit qu’il avait accompli tout ce que le Seigneur avait ordonné contre Amalec, en disant : Exterminez tous les mâles d’Amalec (en hébreu, sueur) ; David soutint qu’il fallait lire Becher (e), exterminer /a méritoire d’Amalec : mais Joab répliqua que son mattre lui avait toujours dit de lire sueur. Ce récit n’est qu’une fable, mais il prouve qu’alors la leçon de l’Hébreu était encore incertaine.

On cite le livre intitulé Cozri, qui contient une conférence entre le roi de Chozar et quelques Juifs, et dans lequel on suppose l’usage des points-voyelles, et on y dit que les mots composés de consonnes sans voyelles sont comme des femmes sans habits, qui n’osent parattre en public. On veut que cette conférence se soit tenue en 740 ; mais les plus habiles critiques traitent de fable et le livre et la conférence, et soutiennent que l’ouvrage intitulé Cozri ne fut composé que quatre cents ans après le septième siècle. Or personne ne nie qu’alors les points-voyelles n’aient été en usage.

Les Juifs ont aussi des commentaires sur l’Écriture, lesquels ils appellent Midraschim, qui ont été composés depuis le Talmud, et qui contiennent une infinité de remarques grammaticales et de minuties sur les lettres, sur la manière d’écrire et de lire. Or dans ces commentaires il n’y a pas un mot des points-voyelles et de tout le travail des Massorèthes. Le livre des Scribes, ou Sopherim, qui est aussi postérieur au Talmud, puisque le Talmud y est cité comme un ouvrage ancien, et approuvé de tout le monde ; ce livre des Scribes contient une infinité de détails concernant le texte et l’écriture des livres saints. On y marque la nature, les qualités, ta mesure du parchemin sur lequelces livres doivent être écrits, quel espace doit être entre chaque ligne, combien de mots chaque ligne doit avoir, et combien de lignes il doit y avoir en chaque page, combien il faut de ratures pour rendre un volume profane, quelles lettres doivent être majuscules, etc. En un mot, on remarque dans cet ouvrage jusqu’aux moindres minuties sur le texte ; et toutefois on n’y dit pas un mot des points-voyelles et des autres remarques des Massorèthes.

On trouve encore chez les Juifs deux autres ouvrages postérieurs à ceux dont nous venons de parler qui sont les diversités de leçons du texte hébreu, marquées par les Juifs orientaux et par les Juifs occidentaux. Les Juifs occidentaux furent les premiers qui commencèrent à revoir le texte sur les manuscrits, à compter les lettres, à marquer les mots défectueux et ceux qui étaient pleins. Cet ouvrage ayant été communiqué aux Juifs orientaux qui vivaient à Babylone et au delà de l’Euphrate, ils l’examinèrent et confrontèrent à leur tour le texte hébreu sur les manuscrits. Ils remarquèrent deux cent seize endroits clans lesquels leurs manuf.crits étaient différents de aux de Jérusalem. Cette variété produisit entre eux deux partis, les Juifs de Jérusalem et ceux de Babylone, se tenant chacun à ses manuscrits et à son texte. Ces disputes n’arrivèrent que vers la fin du huitième siècle ou au commencement du neuvième. Ni les uns ni les autres ne se prévalent point de l’autorité des Massurèthes ni de leurs remarques. Il y a donc toute apparence qu’ils ne les connaissaient point encore.

Mais, peu de temps après, dans la dispute qui s’éleva entre les rabbins Aaron Ben-Aser, chef de l’école des Occidentaux, et Moyse Ben-Nephtali, chef de l’école des Orientaux, on parla beaucoup des points, des accents et des autres remarques sur la manière de lire les termes de l’Écriture ce qui fait juger que ce fut dans l’intervalle qui s’écoula entre l’an 840, auquel parurent les variétés de leçons des Occidentaux, et l’an 940, ou même 1030, auquel florissaient les rabbins Ben-Aser et Ben-Nephtali, que les Massorèthes commencèrent leur ouvrage. Mais il ne fut pas sitôt achevé ; il fallut un assez long temps pour le porter à sa perfection. Comme Aaron Ben-Aser présidait à l’école de Tibériade, cela a fait dire que la Massera avait pris naissance dans cette ville. On peut voir toutes ces raisons déduites avec beaucoup plus d’étendue dans les Exercitations du P. Morin, dans les Prolégomènes de Valton et dans l’ouvrage de Cappelle, intitulé : Arcanum punctuationis revelatum ; dans Buxtorf et dans tant d’autres auteurs qui ont travaillé sur ce sujet.

Isaac Vossius dit qu’il a manié plus de deux mille manuscrits hébreux, et qu’il n’en a vu aucun de ponctué qui soit ancien de plus de six cents ans. Il défie tous les partisans des points-voyelles d’en produire qui soient plus vieux, avec les points des Massorèthes. Que s’il s’en trouve quelques-uns de ponctués, on découvre aisément que la ponctuation est nouvelle et qu’elle a été ajoutée au manuscrit. Enfin une preuve de la nouveauté de cette invention, c’est que les exemplaires de la Bible qui se gardent en rouleau dans les synagogues sont encore aujourd’hui sans aucuns points. Il y a donc beaucoup d’apparence que cette invention n’est eu usage que depuis que les Juifs ont commencé à avoir des grammaires de leur langue, ce qui n’arriva qu’au neuvième siècle. Alors, pour faciliter la lecture de l’hébreu aux commençants, ils inventèrent les points-voyelles qui en fixent la lecture.

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