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Matthieu

Saint Matthieu, apôtre et évangéliste, était fils d’Alphée (Marc 2.14 Luc 5.27), Galiléen de naissance, juif de religion, et publicain de profession. On examinera ci-après ce que c’était que les publicains. Voyez leur article. Les autres évangélistes l’appellent simplement Levi, qui était son nom hébreu. Pour lui, il se nomme toujours Matthieu, qui était apparemment le nom qu’on lui donnait dans sa profession de publicain ou de commis pour recevoir les impôts. Il décrit sans ménagement sa première profession, pour relever davantage la grâce que Jésus-Christ lui avait faite en l’élevant à l’apostolat. Sa demeure ordinaire était à Capharnatim, et il avait son bureau hors de la ville et sur la mer de Tibériade, qui en est proche. C’est là où il était lorsque Jésus l’appela à sa suite (Matthieu 9.9 Marc 2.14 Luc 5.27). Matthieu l’ayant ouï, le suivit aussitôt sans perdre un moment, et sans se mettre en peine d’arranger ses affaires et de mettre ordre à ses comptes.

Porphyre et l’empereur Julien accusaient saint Matthieu de légèreté d’avoir ainsi suivi inconsidérément un homme qu’il ne connaissait point ; mais saint Jérôme répond à cela qu’il est très-probable que saint Matthieu avait eu auparavant connaissance des miracles et de la doctrine de Jésus-Christ, qu’il avait pu entendre prêcher plusieurs fois ; enfin que l’éclat de la divinité du Sauveur, qui était caché sous son humanité, était seule capable d’attirer à lui sur-le-champ tous ceux qui le voyaient seulement. Saint Augustin dit que dans cette occasion saint Matthieu se sentit vivement touché d’un attrait intérieur qui le détermina doucement et agréablement, mais puissamment et invinciblement, à suivre Jésus-Christ.

Saint Matthieu ayant renoncé à sa profession, à tous ses biens et à toutes ses prétentions, invità le Sauveur à manger dans sa maison (Matthieu 9.10-11). Jésus s’y trouva avec ses disciples, et plusieurs publicains et autres personnes de la connaissance de saint Matthieu, qui se mirent aussi à table avec lui. Ce que les pharisiens ayant vu, ils dirent aux disciples du Sauveur : Pourquoi votre maitre mange-t-il avec des publicains et des gens de mauvaise vie ? Jésus, les ayant entendus, leur dit : Ce ne sont point les sains, mais les malades qui ont besoin de médecins. C’est pourquoi allez, et apprenez-le sens de cette parole J’aime mieux la miséricorde que le sacrifice ; car je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs. Voilà tout ce que l’Évangile nous apprend de saint Matthieu. Ce que dit l’Écriture qu’il était fils d’Alphée, a fait dire à quelques anciens et à tous les nouveaux Grecs qu’il était frère de Jacques, fils d’Alphée, ou le Mineur, nommé autrement frère du Seigneur ; mais il n’y a en cela aucune apparence. Voyez ci-devant Cléophas et Alphée, il fut fait apôtre la même année qu’il fut converti ; et par conséquent il fut appelé à l’apostolat la première année de la prédication de Jésus-Christ. Il est quelquefois nommé le septième entre les apôtres, et quelquefois le huitième.

Saint Clément d’Alexandrie dit qu’il ne mangeait jamais de viande, et qu’il se contentait, pour sa nourriture, de fruits, de légumes et d’herbes. Le sentiment le plus commun, parmi les anciens et les modernes, est qu’il prêcha et souffrit le martyre dans la Perse, ou chez les Parthes, ou dans la Caramanie, qui obéissait alors aux Parthes. Rufin, Socrate, le faux Abdias et plusieurs autres le font prêcher et mourir dans l’Éthiopie. Saint Clément d’Alexandrie cite d’Héracléon, disciple de Valentin, que saint Matthieu est sorti de ce monde non par, le martyre, mais par une mort naturelle ce que le Ménologe de Basile et quelques Grecs paraissent suivre. Mais d’autres Grecs disent aussi quelquefois qu’il a consommé sa vie par le feu. Nicéphore dit qu’ayant par ses prières éteint le feu qui était allumé autour de lui, il rendit son âme en paix. Adon et les autres Latins disent qu’il est mort par le martyre ; et Abdias, auteur peu certain, le décrit ainsi. Il dit que Hirtacus, roi d’Éthiopie, frère et successeur d’Æglippus, souhaitant ardemment d’épouser Iphigénie, fille du roi son frère, laquelle était défia consacrée à Dieu, et le saint apôtre lui ayant représenté qu’il ne le pouvait faire sans crime, parce qu’elle était consacrée à Dieu, ce prince, en colère, envoya un de ses gardes qui lui coupa la tète. Il voulut ensuite faire brûler Iphigénie dans sa maison ; mais les flammes furent portées par un vent violent contre la maison d’Ilirtacus, qui en fut entièrement consumée.

L’Église latine fait aujourd’hui la fête de saint Matthieu le 21 de septembre, auquel elle est marquée dans Bède et dans le Sacramentaire de saint Grégoire. Les Martyrologes de saint Jérôme, qui la mettent le même jour, la marquent aussi le 7 d’octobre et le 6 de mai, auquel le Martyrologe romain célèbre aujourd’hui la translation de son corps. On assure qu’il fut transporté d’Éthiopie en Bretagne, ou en Bithynie ; que de là il fut apporté à Salerne, dans le royaume de Naples en Italie, en l’an 954., où on le trouva en 1080. Le duc Robert y fit bâtir une grande église sous son nom, où son corps fut mis du temps de Grégoire VII.

Quelques anciens, comme Clément Alexandrin et Origène, et quelques modernes, conune Grotius, distinguent saint Matthieu de Lévi, fils d’Alphée, marqué dans saint Marc et dans saint Luc. Voici les raisons de cette conjecture :

1° Saint Matthieu n’est jamais nommé Lévi, ni Lévi Matthieu, dans les livres du Nouveau Testament.

2° Héracléon, cité dans saint Clément d’Alexandrie, parle de saint Matthieu et de Lévi comme de deux personnes différentes ; et saint Clément ne réfute point cette opinion : il semble donc l’adoeter.

3° Origène, écrivant contre Celse, dit que Lévi le Publicain, qui suivait Jésus-Christ, n’est pas du nombre des apôtres, si ce n’est selon quelques exemplaires de l’Évangile de saint Marc. En effet quelques exemplaires de saint Marc, et entre autres l’ancien manuscrit de Cambridge, lisent dans saint Marc, 2.14 : Jésus vit Jacques, fils d’Alphée ; d’autres : Il vit Matthieu le Publicain, au lieu de Lévi le Publicain, qu’on lit dans la Vulgate et dans la plupart des manuscrits grecs, et dans tous les imprimés. Grotius dit que Lévi pouvait être le maitre du bureau, et Matthieu l’un de ses commis, et que le festin auquel assista Jésus se fit non dans la maison de Matthieu, mais dans celle de Lévi.

Mais ces raisons suffisent-elles pour détruire un sentiment si ancien, si bien fondé, si universellement reçu dans l’Église ? L’opinion particulière d’Héracléon, le doute d’Origène, le silence de saint Clément, qui ne réfute pas Héracléon, la leçon de quelques manuscrits, doivent-ils l’emporter sur le consentement de tous les autres exemplaires imprimés et manuscrits, sur le consentement de tous les autres Pères et de tous les auteurs ecclésiastiq ues, depuis le siècle des apôtres jusqu’aujourd’hui ? Ajoutez qu’Origène lui-même, dans la préface de son Commentaire sur l’Épître aux Romains, et dans un fragment, cité dans la Chaîne, sur saint Matthieu, confirme le sentiment commun. M. Cotelier et Dodwell croient que Lévi qu’Héracléon distingue de saint Matthieu n’est pas Lévi le Publicain, mais Lebbée, qui est le même que saint Thaddée, apôtre.

Saint Matthieu écrivit son Évangile avant qu’il partit de Judée pour aller prêcher dans la province qui lui avait été assignée, les fidèles de la Palestine l’ayant prié de leur laisser par écrit ce qu’il leur avait enseigné de vive voix. Quelques Pères enseignent qu’il en fut aussi prié par les apôtres. Il l’écrivit à Jérusalem eu langue hébraïque ou syriaque, qui était alors commune dans la Judée. On croit qu’il commença à y travailler vers l’an 41 de l’ère vulgaire, et la huitième année après la résurrection du Sauveur. Presque tous, les anciens manuscrits grecs le marquent ainsi à la fin de son Évangile. L’auteur de l’ouvrage imparfait sur saint Matthieu, suivi de Baronius et de Cornélius à Lapide, veulent qu’il l’écrivit à l’occasion de la première dispersion des apôtres, après la mort de saint Étienne, vers la troisième ou quatrième année après la résurrection de Jésus-Christ. Saint Irénée croit qu’il le composa pendant que saint Pierre et saint Paul prêchaient à Rome et fondaient l’Église de Jésus-Christ : ce qui revient à l’an 61 de l’ère commune. Mais s’il est vrai que saint Matthieu soit le premier qui ait écrit l’Évangile, comme on le croit communément, et que saint Marc l’ait abrégé vers l’an 4.3 de Jésus-Christ, il s’ensuit clairement qu’on le doit mettre avant l’an 61 de notre ère vulgaire, et qu’il suffit de le placer vers l’an 41 (Voyez Pierre).

L’Évangile hébreu, ou plutét syriaque, de saint Matthieu, Chaldaico Syroque sermone, sed Hebraicis litteris scriptum, comme parle saint Jérôme, fut en usage pendant un long temps parmi les Juifs convertis au christianisme. Et lorsqu’ils se retirèrent à Pella, quelque temps avant le siège de Jérusalem par les Romains, ils l’emportèrent avec eux. De là cet Évangile se répandit dans la Décapole et dans tout le pays de delà le Jourdain, où les chrétiens hébraïsants s’en servaient encore du temps de saint Épiphane et d’Eusèbe de Césarée. Mais ces chrétiens ne conservèrent pas ce sacré dépôt avec assez de fidélité ; ils y ajoutèrent diverses particularités qu’ils pouvaient avoir apprises de la bouche des apôtres ou de leurs premiers disciples : ce qui le rendit d’abord suspect aux autres fidèles. Ensuite, les ébionites l’ayant corrompu par additions ou retranchements favorables à leurs erreurs, il fut abandonné par les autres Églises, qui conservaient la saine doctrine et qui s’attachèrent à l’ancienne version grecque qui en avait été faite sur l’hébreu ou le syriaque, peu de temps après saint Matthieu.

Du temps d’Origène, l’Évangile hébreu des chrétiens hébraïsants ne passait déjà plus pour aùthentique. Eusèbe le met parmi les écrits supposés ; et les passages que l’on en trouve dans les anciens Pères, si différents du Grec que nous avons, font assez voir qu’il n’était que trop altéré. En voici quelques exemples. Il y était porté que cet homme à qui Jésus-Christ dit : Allez, vendez ce que vous avez, donnez-le aux pauvres, et suivez-moi ; que cet homme, dis-je, s’en alla, grattant sa tête. Saint Clément d’Alexandrie, cité du même Évangile : Celui qui admirera régnera, et celui qui régnera se reposera ; et ces autres : Mon secret est à moi et à ceux de ma maison. Origène fait dire à Jésus-Christ, suivant l’Évangile des Hébreux : Ma mère le Saint-Esprit m’a pris par un de mes cheveux et m’a transporté sur la haute montagne du Thabor. Dans l’Hébreu, Ruach, qui signifie l’Esprit, est du féminin ; d’où vient qu’il dit : Ma mère le Saint-Esprit. Ailleurs on y lisait que le Saint-Esprit, parlant à Jésus-Christ lorsqu’il sortit du baptême de Jean, lui dit : Mon. Fils, j’attendais votre venue dans tous les prophètes ; vous êtes mon Fils bien-aimé, qui régnez éternellement. Et encore : La mère de Jésus et ses frères lui disaient : Voilà Jean qui baptise pour la rémission des péchés : allons nousfaire baptiser par lui. Mais il leur répondit : Quel mal ai-je fait, pour me faire baptiser par lui ? si ce n’est que cela même que je viens de dire ne soit un péché d’ignorance.

L’Évangile hébreu de saint Matthieu, qui avait été corrompu par les ébionites, qui se séparèrent d’eux et tombèrent dans plusieurs erreurs sur la divinité de Jésus-Christ et sur la virginité de Marie, cet Évangile demeura assez longtemps dans sa pureté entre les mains des nazaréens, ou des premiers fidèles de la Palestine. Il y avait encore de ces nazaréens du temps de saint Jérôme, et il ne leur reproche aucune erreur semblable à celle des ébionites. Ils ne retranchaient rien de l’Évangile, et rejetaient avec mépris les traditions des pharisiens, quoique fort zélés d’ailleurs pour les observations de la loi. Au reste, le vrai Évangile hébreu de saint Matthieu ne subsiste plus, que l’on sache, en aucun endroit ; car ceux que Sébastien Munster et Du Tillet ont fait iinpritner ne sont d’aucune autorité, puisqu’ils sont modernes et traduits en hébreu sur le latin ou sur le grec. D’autres ont soutenu que l’Évangile syriaque de saint Matthieu, qui est imprimé à part et dans les polyglottes, était le texte original de saint Matthieu ; mais ceux qui l’ont examiné avec plus de soin remarquent que cette traduction est faite sur le grec. Voyez les Prolégomènes de M. Mille, et notre Préface générale sur le Nouveau Testament.

La version grecque que nous avons de l’Évangile de saint Matthieu, et qui passe aujourd’hui pour l’original, a été faite dès les temps apostoliques ; l’auteur en est inconnu, on l’a attribué au hasard à qui l’on a jugé plus à propos : les uns à saint Matthieu lui-même ; les autres à saint Jacques le Mineur, évêque de Jérusalem (a) ; d’autres, à saint Jean l’Évangéliste, ou à saint Paul, ou à saint Luc, ou à saint Barnabé. Papias, dans Eusèbe, dit que chacun s’est mêlé de l’interpréter en grec comme il a pu. Quant à la traduction latine, on convient qu’elle est faite sur le grec, et n’est guère moins ancienne que la grecque même ; mais l’auteur en est encore plus inconnu, et il est impossible d’en fixer le temps et l’occasion.

Quelques modernes se sont avisés de révoquer en doute ce que nous avons établi et supposé jusqu’ici, suivant le témoignage de tous les anciens, que saint Matthieu avait écrit son Évangile en caractères hébreux et en langue hébraïque ; c’est-à-dire, dans la langue dont les Juifs d’alors se servaient communément dans la Palestine, qui était un syriaque mêlé d’hébreu et de chaldéen. Ils soutiennent que saint Matthieu écrivit en grec, et que ce que l’on dit de son prétendu original hébreu est faux ou mal entendu. Les Pères, comme Origène, saint Épiphane et saint Jérôme, n’en parlent pas d’une manière uniforme : ils le citent, mais ils ne lui donnent pas autant d’autorité qu’ils auraient dû faire, s’ils eussent cru que c’était l’original de saint Matthieu. Si l’on en avait eu cette idée, l’aurait-on laissé périr dans l’Église ? Si saint Matthieu avait écrit en hébreu, verrait-on dans son ouvrage l’interprétation des noms hébreux en grec ? Y citerait-il l’Écriture comme il la cite, suivant les Septante ? La langue grecque était alors commune dans la Palestine, dans tout l’Orient, dans tout l’empire, dans Rome même, puisque saint Paul écrit en grec aux Romains. Saint Pierre et saint Jacques écrivent en la même langue aux Juifs dispersés dans les provinces d’Orient ; et saint Paul aux Hébreux de la Palestine. Enfin, pendant que tous les autres auteurs du Nouveau Testament ont écrit en grec, pourquoi veut-on que saint Matthieu seul ait écrit en hébreu ? Voilà ce que l’on a coutume d’apporter, pour appuyer ce sentiment (1).

Mais, il n’est pas malaisé de répondre à toutes ces raisons.

1° Le témoignage uniforme de tous les anciens, qui enseignent que saint Matthieu a écrit son Évangile en hébreu, est certainement d’un très-grand poids. Ils n’en parlaient pas en l’air ; ils avaient vu, ils avaient consulté cet Évangile écrit en cette langue. Il est vrai qu’ils n’en ont pas toujours parlé d’une manière uniforme ; mais c’est qu’il y en avait de deux sortes : l’un, pur et entier, dont ils ont parlé avec estime ; et l’autre corrompu par les hérétiques, qu’ils ont méprisé et regardé comme apocryphe.

2° Quelque commune que fût la langue grecque dans la Palestine, et quoiqu’elle pût être la langue vulgaire de certaines villes de ce pays, ou le nombre des Grecs était plus grand que celui des autres habitants, il est certain toutefois que le commun des Juifs parlait plus ordinairement ce qu’ils appelaient hébreu, mais qui était plutôt un sy riaque et un Chaldéen mêlé de quelques mots hébreux. On le voit par l’Évangile même, qui nous a conservé quelques mots hébreux que Jésus-Christ a prononcés, et qu’on ne rapporte pas comme une chose singulière, en sorte qu’on en puisse conclure qu’il n’en a point prononcé d’autres ; il paraît, au contraire, que c’était son langage ordinaire ; et saint Paul ayant été arrêté dans le temple (Actes 21.40 ; 22.2), et voulant parler à la multitude des Juifs, fit faire silence et les harangua en hébreu ; ce qui fut cause qu’en l’écouta beaucoup plus attentivement.

3° Les noms hébreux que l’on explique en grec dans l’Évangile de saint Matthieu prouvent tout le contraire de ce que l’on en veut conclure. Cela démontre que le traducteur est grec, et que l’original est hébreu.

4° Il n’est pas vrai que saint Matthieu cite l’Écriture suivant les Septante. De dix passages de l’Ancien Testament qu’il a cités il y en a sept où il parle d’une façon plus approchante de l’hébreu que des Septante ; et seulement trois, où il cite conformément aux Septante. Mais dans ces endroits, les Septante sont conformes à l’Hébreu. Saint Jérôme avance en général que ce saint évangéliste suit l’hébreu dans ses citations ; mais il est certain que d’ordinaire il cite de mémoire, et rapporte non les propres paroles, mais seulement le sens des passages.

5° Enfin, quoique saint Paul, saint Pierre et saint Jacques aient écrit en grec aux Juifs de la Palestine, et aux Juifs dispersés dans l’Orient, il ne s’ensuit pas que saint Matthieu n’ait pas écrit en hébreu. Nous ne prétendons pas qu’il ait été obligé d’écrire en cette langue ; mais il s’agit de savoir s’il y a écrit ; or c’est un fait qui est attesté par tous les anciens, dont plusieurs ont vu son original, et ont été très-capables d’en juger, comme Origène, Eusèbe et saint Jérôme. De dire comment cet ancien Évangile s’est perdu, c’est ce que nous n’entreprenons pas ; mais il est aisé de comprendre que, ayant été alléré par les ébionites, il tomba d’abord dans le mépris, et ensuite insensiblement dans l’oubli. Le Grec qui était demeuré pur, fut conservé et regardé comme le seul authentique.

Le but principal de saint Matthieu dans son Évangile a été, selon saint Augustin, de nous rapporter la race royale de Jésus-Christ, et de représenter la vie humaine qu’il a menée parmi les hommes. Saint Ambroise remarque qu’aucun évangéliste n’est entré dans un plus grand détail des actions de Jésus-Christ que saint Matthieu, et ne nous a donné des règles de vie et des instructions morales plus conformes à nos besoins et à l’intention de Jésus-Christ. Le vénérable Pierre de Damien dit que saint Matthieu tient parmi les autres évangélistes le même rang que Moïse parmi les écrivains de l’Ancien Testament, ayant été le premier écrivain de la loi-nouvelle, comme Moïse l’est de l’ancienne. Lorsqu’il commença à écrire, la grande question parmi les Juifs était de savoir si Jésus-Christ était le Messie, Saint Matthieu s’applique à en donner des preuves. Il montre par ses miracles, qu’il est le Christ ; que Marie sa Mère est vierge ; que Jésus n’est point venu pour détruire la loi, mais pour l’accomplir et la perfectionner ; que ses miracles ne sont point des opérations magiques, ni des effets, de l’industrie humaine, mais des preuves incontestables de la puissance de Dieu et de la mission de Jésus-Christ.

En comparant saint Matthieu avec les trois autres évangélistes, on remarque une assez grande diversité dans l’arrangement des faits historiques de la vie de notre Sauveur, depuis le chapitre 4.22, jusqu’au chapitre 14.13. Cette diversité embarrasse les chronologistes et les interprètes : les uns ont prétendu que saint Matthieu avait suivi l’ordre des temps, et qu’il fallait s’en tenir à son récit ; d’autres ont préféré les trois autres évangélistes ; et en effet il est plus naturel de s’en rapporter à trois témoins qu’à un seul ; et surtout à saint Marc, qui a accoutumé de suivre dans tout le reste saint Matthieu, l’ayant abandonné dans cela. Quelques-uns ont attribué ce dérangement dans saint Matthieu au simple hasard ; d’autres l’ont imputé à un dessein formé de ce saint évangéliste. Quoi qu’il en soit, cela ne porte aucun préjudice à la vérité des faits qui font l’essentiel de l’Évangile ; les auteurs sacrés ne s’étant jamais beaucoup mis en peine de suivre l’ordre des temps dans leurs récits.

On a attribué à saint Matthieu certains ouvrages apocryphes : comme le livre de l’Enfance de Jésus-Christ, condamné par le pape Gélase. Les ébionites avaient aussi supposé quelques écrits à cet apôtre. Nous avons vu ci-devant qu’ils avaient alteré son Évangile hébreu. On lui attribue aussi une liturgie éthiopienne. Les ébionites, les cérinthiens et d’autres hérétiques citaient l’Évangile de saint Matthieu sous le nom d’Évangile selon les Hébreux. C’est aussi apparemment le même Évangile qui est connu sous les noms d’Évangile des douze Apôtres, d’Évangile des Nazaréens, et d’Évangile selon saint Pierre. Eusèbe raconte que Pantaenus, philosophe chrétien, qui vivait à Alexandrie vers l’an de Jésus-Christ 184, trouva dans les Indes un Évangile de saint Matthieu, que l’on disait y avoir été porté par saint Barthélemy. Saint Jérôme et Rufin disent qu’il le rapporta à Alexandrie ; le même saint Jérôme dit qu’il y avait un exemplaire du texte hébreu de saint Matthieu dans la bibliothèque de Césarée en Palestine. En l’an 488, on trouva dans l’île de Cypre, sur la poitrine du corps de saint Barnabé, un exemplaire de l’Évangile de saint Matthieu, écrit de la propre main de saint Barnabé, sur une sorte de bois dur et précieux. Ce livre était apparemment en grec, puisqu’on le lisait tous les ans à Constantinople au jour du jeudi saint. Le comte Joseph trouva, au 4e siècle, à Tibériade, l’exemplaire hébreu de saint Matthieu dans un lieu secret, où les Juifs conservaient aussi l’Évangile de saint Jean et les Actes des apôtres, traduits de grec en hébreu.

Les Mahométans croient que saint Matthieu écrivit son Évangile à Alexandrie ; mais les chrétiens orientaux disent seulement que saint Barthélemi porta l’Évangile de saint Matthieu en Égypte, et de là en Éthiopie. Eutychius, patriarche d’Alexandrie, dit que saint Jean l’Évangéliste, outre son Évangile qu’il écrivait, traduisit aussi d’hébreu en grec celui de saint Matthieu.

(1) Un protestant, M. Charles Gravita, a soutenu, il y a bientôt vingt ans, devant la faculté de Montauban, une Thèse critique sur la langue originale de l’Évangile de saint Matthieu, imprimée à Paris en 1827, et formant 24 pages in-8°. Il établit que cette langue était l’hébraïque. La Revue protestante, tome V 5e année, pag.284, ne partage pas cette opinion. Elle reconnaît seulement que la question est peut-être douteuse, et produit des raisons qu’elle croit bien fortes contre la conclusion de M. Gravita. Mais il faut observer qu’elle ne réfute pas d’une manière suffisante les raisons sur lesquelles s’appuie l’auteur de la thèse. Au reste, laissons la parler :

« Il s’agit, pour M. Gravitz, de déterminer dans quelle langue l’Évangile de saint Matthieu a été écrit en original, question qui a divisé les plus savants critiques. Si l’auteur est arrivé à une conclusion différente de celle adoptée par la majorité des protestants, c’est parce que les arguments en faveur de l’original hébreu lui ont parut reposer sur des témoignages et des preuves qu’on ne saurait invalider. »

Il examine quelle est la langue originale de cet vangile, et les différentes opinions sur ce sujet. Il pense qu’il a été évidemment composé pour les Juifs de la Palestine ; que la langue hébraïque était alors langue vulgaire ; il expose en faveur de son hypothèse les témoignages de Papias, d’Irénée et d’Origène, ainsi que celui d’Eusèbe. Il se demande comment il se fait que l’original se soit perdu dans les premiers siècles, et ne se soit pas même conservé chez les chrétiens judaïsants, chez les nazaréens et les Ebionites, et il en conclut que cet Évangile, d’abord écrit en hébreu par Matthieu, se perdit ; de sorte qu’il ne nous reste qu’une traduction grecque exécutée peu après la publication du premier.

Quoique M. Gravita ait déployé beaucoup de savoir et de critique dans son travail, nous ne pouvons l’adopter, bleu que nous reconnaissions que la question est peutetre douteuse. Voici quelques-unes de nos raisons :

1° Entre les mains de qui a péri cet Évangile original de Matthieu en hébreu ? Entre les mains des nazaréens et des ébiouites, répond l’auteur. Mais cet Évangile des Hébreux, que ces sectes vénéraient, et qui serait, d’après l’auteur, le saint Matthieu original, est différent du texte grec que nous possédons. Comment donc notre texte serait-il la traduction d’un autre texte qui en diffère ? L’objection est grave. L’auteur répond que les ébionites corrompirent le vrai saint Matthieu ; fait possible, mais qui ne s’appuie sur aucune espèce de preuve. L’assertion est purement gratuite.

2° Quelqu’un a-t-il vu cet Évangile original ? Oui, dit M. Gravitz, mais c’était l’Évangile des Hébreux, que Jérôme assure avoir vu et traduit, et non notre Evaugile actuel de Matthieu, en langue hébraïque.

3° Surtout l’auteur ne nous paraît point avoir fait assez d’attention aux caractères parfaitement originaux du style de notre Evaugile grec de Matthieu, et à une considération qui nous semble décisive contre son hypothèse, et sur laquelle M. Cellerier, d’après Huy, a si bien insisté. Admettons un moment un original hébreu ; cette version renferme des passages de l’Ancien Testament ; ces passages, reproduits en hébreu par un Hébreu, vont naturellement être pris dans la version de la Bible hébraïque. Supposons maintenant qu’un traducteur grec se présente ; il arrive aux passages cités. Que va-t-il faire ? Ou bien il va prendre le texte même des Septante, pour rendre ces passages, ou bien il va les traduire lui-même en grec, d’après le texte original qu’il a sous les yeux. Il n’y a réellement que ces deux hypothèses possibles. Hébreux bien ! c’est précisément ce que le prétendu traducteur ne fait pas. En comparant Isaïe 42.2, et Matthieu 12.19, on voit que l’auteur de l’Évangile selon saint Matthieu ne traduit pas Isaïe comme les Septante, ne donne pas d’Isaïe une traduction grecque littérale, mais développe les paroles, et les accommode à sou but. Jamais un traducteur n’eût agi ainsi ; il eût tout simplement traduit ; ce qui est tout à fait incroyable, c’est que ce traducteur rendant en grec un verset hébreu de la Bible, n’eût donné ni la version des 70, ni aucune version à lui personnelle, mais qu’il eût modifié et développé la citation dans un sens favorable à son récit. On reconnait ici entièrement le cachet d’un auteur. Ces considérations nous paraissent sans réplique, et la réponse de M. Grawitz est très-faible.

Ses recherches paraissent aboutir plutôt à cette conclusion que saint Matthieu aurait écrit deux Évangiles, l’un en hébreu, et le même en grec ; ce qui n’est pas improbable. Nous aurions voulu aussi que ce savant candidat eût discuté la question de l’Évangile primitif (Ur-Evangelium) et l’hypothèse bizarre, qui consiste à soutenir que cet Évangile primitif fut rédigé en hébreu, d’après le consentement général des apôtres, et que, plus tard sur ce patron, Matthieu écrivit le sien. »

On comprend que la Revue protestante trouve que ses considérations sont sans réplique ; mais on va voir que dom Calinet y avait répondu cent ans auparavant, et de manière à ce qu’on ne les reproduisit jamais. Au reste il y a un fait qui domine les graves objections de la Revue protestante, c’est qu’il existait dans le siècle des apôtre, un Évangile hébreu dont saint Matthieu passait pour être l’auteur ; des disciples des apôtres et d’autres anciens écrivains l’attestent. Qu’on détruise d’abord leur témoignage. Tant qu’il subsiste, on ne fait que de vaincs objec, Mais on peut rechercher ; sans attaquer l’existence au fait, par qui et pourquoi l’ouvrage fut altéré, comment il s’est perdu, etc.

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