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Nazareth

Petite ville dans la tribu de Zabulon, dans la basse Galilée, au couchant du Thabor, et à l’orient de Ptolémaïde. Eusèbe dit qu’elle est à quinze milles de Légion vers l’orient. Cette ville est très-célèbre dans les Écritures, pour avoir été la demeure de Jésus-Christ pendant les trente premières années de sa vie (Luc 2.51). C’est là ou le Sauveur s’est incarné, où il a vécu sous l’obéissance de Joseph et de Marie, et d’où il a pris le nom de Nazaréen. Depuis qu’il eut commencé sa mission, il y prêcha quelquefois dans la synagogue (Luc 4.16). Mais comme ses compatriotes n’avaient point de foi en lui, et que la bassesse de sa naissance leur causait du scandale, il n’y fit pas beaucoup de miracles (Matthieu 13.54-58), et ne voulut pas même y demeurer ; de sorte qu’il fixa sa demeure à Capharnaüm pendant les troisdernières années de sa vie (Matthieu 4.13). La ville de Nazareth était située sur une nauteur, et il y avait à côté un rocher, d’où les Nazaréens voulurent un jour précipiter le Sauveur, parce qu’il leur reprochait leur incrédulité (Luc 4.29).

Saint Épiphane dit que de son temps Nazareth n’était plus qu’une bourgade, et que jusqu’au règne de Constantin, les Juifs seuls l’habitaient, à l’exclusion des chrétiens. Adamnanus, écrivain du septième siècle, dit que de son temps on voyait à Nazareth deux grandes églises : l’une au milieu de la ville, bâtie sur deux arcades, au lieu où était autrefois la maison où notre Sauveur fut élevé. Au-dessous des deux arcades dont on vient de parler, il y avait une fort belle fontaine, qui fournissait de l’eau à toute la ville, et d’où par une poulie l’on en tirait aussi pour l’église qui était au-dessus. La seconde église de Nazareth était bâtie au lieu qu’occupait autrefois la maison où l’ange saint Gabriel annonça à la sainte Vierge le mystère de l’incarnation. Voilà ce que dit Adaninanus. Saint Villibrode au huitième siècle, parle de la même église de Nazareth, et dit que les chrétiens étaient souvent obligés de la racheter, à prix d’argent, des païens qui la voulaient démolir. Phocas, qui écrivait au douzième siècle, dit qu’aussitôt qu’on est entré dans Nazareth, on trouve l’église de saint Gabriel, au-dessous de laquelle est une petite voûte, où est la fontaine près de laquelle l’ange parla d’abord à Marie. Remarquez que les Orientaux croient que d’abord l’ange parla à Marie près d’une fontaine, et ensuite dans sa maison. Phocas ajoute qu’il y a dans la même ville une fort belle église, qui était autrefois la maison de saint Joseph. On assure que l’église de Nazareth, ou de l’Incarnation, dont nous avons parlé, et qui est soutenue sur deux arcades, subsiste encore aujourd’hui.

Au reste, tout ce que l’on vient de dire, rend fort suspecte la fameuse translation de la maison de la sainte Vierge, que l’on prétend avoir été faite en 1291 de la ville de Nazareth, par le ministère des anges, dans la Dalmatie ; d’où ensuite elle fut transportée quatre ans après, au delà du golfe de Venise, dans le diocèse de Récanati, en la Marche d’Ancône, dans une terre d’une dame nommé Laurette, d’où est venu le nom de Notre-Daine de Laurette à l’église qui s’y trouva. Mais comme la situation de cette sainte maison se trouvait dans un bois, où l’on ne pouvait aller sans danger, à cause des voleurs, elle fut transportée une troisième fois à une demi-lieue de là, sur une colline ; et enfin encore un peu plus loin, où elle est aujourd’hui. Il y a beaucoup d’apparence que toutes ces différentes translations ne sont autres que des bâtiments que l’on a construits sur la forme de l’église de Nazareth ; de même qu’en plusieurs endroits on a bâti des sépulcres sur le modèle de celui de Jérusalem.

L’an 1252, saint Louis se rendit en pélerinage à Nazareth (Michaud, Histoire des Croisodes, livre 16 tome 4 pages 308). Après la mort de ce saint monarque, une petite armée de chrétiens, composée de six à sept mille hommes, s’avança sur le territoire des musulmans… Les soldats de la croix marchèrent vers la ville de Nazareth, sur les murs de laquelle ils plantèrent l’étendard de Jésus-Christ. Ils ne purent se rappeler sans indignation que Bibars (sultan d’Égypte) avait fait détruire de fond en comble l’église de cette ville, consacrée à la Vierge : Nazareth fut livrée au pillage, et tous les musulmans qu’on trouva dans la ville conquise, immolés par le glaive, expièrent l’incendie et la destruction d’un des plus beaux monuments élevés par les chrétiens en Syrie. Après cette victoire, dont on ne peut louer les croisés, les musulmans ne cessèrent point de faire des excursions sur le territoire des Francs (Id ibid., livre 18 tome 5 pages 92).

M. Gillot de Kerhardène, an mois de septembre 1829, était à Nazareth, et c’est de là qu’il écrivit plusieurs lettres à l’historien des croisades. Nous allons extraire quelques passages de cette correspondance. De Séphorio à-Nazareth ; dit-il, on compte, en ligne droite, une heure et demie ; plus on s’éloigne de la fontaine de Séphorie, plus le sol devient inculte et rocailleux ; il faut gravir, pour arriver à Nazareth, une montagne stérile qui la domine au nord-ouest. De la fontaine de Séphonie à Nazareth, on compte près d’une heure… Les environs de Nazareth sont tristes comme les environs de Jérusalem…

Je suis monté sur la terrasse du couvent latin pour jouir de l’aspect de la ville et de la vallée… On a la cité devant soi, au nord-ouest, derrière soi, un bois de nopals et le cimetière, et sur la droite, à l’est, la fontaine de la Madone ; à gauche, vers le sud-ouest, la grotte d’El-Tremore et le ravin du Précipice. Comme toute la ville est sur la pente méridionale d’une montagne, elle se dessine en amphithéâtre irrégulier quand on la contemple du fond de la vallée, qui a la forme d’une vasque oblongue ; mais, pour en bien saisir le panorama, il faut l’examiner soit de la terrasse du couvent latin, soit des flancs lointains de la montagne opposée. De ces deux points, la perspective a quelque chose de grandiose et de monotone tout à la fois, à cause de l’uniformité de couleur.

On voit d’abord, au milieu des maisons turques, au haut de la ville, l’église maronite qui s’étend du sud au nord ; ayant sa façade à l’est, elle a devant elle une petite place et domine toutes les terrasses environnantes ; en descendant vers la droite jusqu’à la rue du Bazar, on voit l’église grecque, et, un peu plus bas, la maison de saint Joseph, où travailla Jésus. Près de l’église grecque on découvre l’ancienne synagogue où, suivant la tradition, le Christ commenta un jour de sabbat la prophétie d’Isaïe au sujet du rédempteur promis, et s’en fit l’application…

Des trois églises chrétiennes, celle de Sainte-Marie est sans contredit la plus remarquable ; en France même elle serait admirée, tant elle est gracieuse et riche. Quant aux trois mosquées, elles n’ont rien qui mérite de fixer l’attention ; les nombreux minarets, comme autant de colonnes isolées, se perdent çà et là dans l’ensemble des édifices musulmans et chrétiens. Les six temples suffisent à une population de dix mille âmes, composée de chrétiens des trois rites et de musulmans. Parmi les rues sinueuses qui serpentent en montant ou en descendant sur les flancs de la montagne, on distingue la grande rue du Bazar, la rue qu’on suit en venant d’Acre et qui se prolonge jusqu’au khan du pacha, la rue qui mène de la ville à la fontaine de la Madone, située à un demi-mille du couvent latin. Les autres petites rues en zigzag, qui descendent de la ville dans la plaine, ne se dessinent pas assez nettement pour être remarquées ; Nazareth étant sans portes, sans murailles, sans fossés, toutes ces petites rues qui se croisent en tous sens et tournent autour des maisons, dont elles forment autant d’îles, restent confondues et masquées par les lignes des terrasses.

Ville sans gloire et sans souvenirs bibliques, Nazareth n’est quelque chose que par le séjour du Christ et de la Vierge, et par les sanctuaires que les fidèles viennent y visiter…

Sous les rois francs, Nazareth était un archevêché ; cette ville est indiquée dans l’Oriens Christianus comme métropole de plusieurs cités, maintenant effacées de la terre. D’après les chroniques, l’archevêque de Nazareth assista au concile du royaume latin, qui se tint à Naplouse, à deux journées de Nazareth. Ce concile publia plusieurs règlements de discipline, ayant pour but la réforme du clergé… Nazareth, qui surpasse aujourd’hui Tibériade, lui cédait alors sous le rapport de l’importance politique. Elle n’avait point de seigneur particulier, comme cette ancienne capitale de la Galilée ; elle n’avait guère qu’un rang religieux, tandis que Tibériade, fière de sa position, de ses murs crénelés, de sa citadelle, avait un rang féodal. Les rôles sont bien changés ; Nazareth a maintenant une population nombreuse et un mutselim ; Tibériade compte à peine deux mille habitants, que tyrannise un aga turc.

Baudoin le Lépreux, étant tombé malade à Nazareth pendant que l’armée chrétienne était campée dans la plaine de Séphorie, convoqua les barons autour de son lit de douleur, et, en présence de sa mère et du patriarche de Jérusalem, il institua Guy de Lusignan lieutenant général du royaume Vous vous souvenez aussi que Baudoin V mourut à Nazareth avant d’avoir eu la force de soutenir le glaive qui servait de sceptre aux rois latins. Je suis forcé de terminer cette lettre sans avoir pu vous dire un mot du Précipice, cet abîme mystérieux où l’ingratitude précipita, comme un criminel, le Sauveur du genre humain, le plus doux des hommes. La carrière publique du Christ commença sur la montagne de Nazareth, pour finir sur le Golgotha ; un essai d’agonie en Galilée précéda ainsi le drame du Calvaire, pour que les hommes, à l’exemple de Dieu, apprissent à souffrir. La souffrance est de toutes les sciences celle que le Christ a cru devoir surtout enseigner, tant cette science est nécessaire au genre humain. » (Correspond d’Orient, lettre 133, tome 5).

M. de Lamartine a aussi visité Nazareth (au mois d’octobre 1832), et a écrit à cette occasion quelques lignes que nous ne pouvons nous empêcher de reproduire ici. Il parle d’abord, en général, de la terre du Christ et des miracles.

À visiter les lieux consacrés par un de ces mystérieux événements qui ont changé la face du monde, on éprouve quelque chose de semblable à ce qu’éprouve le voyageur qui remonte laborieusement le cours d’un vaste fleuve, comme le Nil ou le Gange, pour aller le découvrir et le contempler à sa source cachée et inconnue ; il me semblait, à moi aussi, gravissant les dernières collines qui me séparaient de Nazareth, que j’allais contempler à sa source mystérieuse cette religion vaste et féconde qui, depuis deux mille ans, s’est fait son lit dans l’univers, du haut des montagnes de Galilée, et a abreuvé tant de générations humaines de ses eaux pures et vivifiantes ! C’était là la source, dans le creux de ce rocher que je foulais sous mes pieds ; cette colline dont je franchissais les derniers degrés avait porté dans ses flancs le salut, la vie, la lumière, l’espérance du monde ; c’était là, à quelques pas de moi, que l’homme modèle avait pris naissance parmi les hommes, pour les retirer, par sa parole et par son exemple, de l’océan d’erreur et de corruption où le genre humain allait être submergé. Si je considérais la chose comme philosophe, c’était le point de départ du plus grand événement qui ait jamais remué le monde moral et politique, événement dont le contre-coup imprime seul encore un reste de mouvement et de vie au monde intellectuel ! c’était là qu’était sorti de l’obscurité, de la misère et de l’ignorance le plus grand, le plus juste, le plus sage, le plus vertueux de tous les hommes ; là était son berceau ! Là le théâtre de ses actions et de ses prédications touchantes ! de là il était sorti, jeune encore, avec quelques hommes obscurs et ignorants auxquels il avait imprimé la confiance de son génie et le courage de sa mission, pour aller sciemment affronter un ordre d’idées et de choses pas assez fort pour lui résister, mais assez fort pour le faire mourir !… De là, dis-je, il était sorti pour aller avec confiance conquérir la mort et l’empire universel de la postérité ! de là avait coulé le christianisme, source obscure, goutte d’eau inaperçue dans le creux du rocher de Nazareth, où deux passereaux n’auraient pu s’abreuver, qu’un rayon de soleil aurait pu tarir, et qui aujourd’hui, comme le grand océan des esprits, a comblé tous les abîmes de la sagesse humaine et baigné de ses flots intarissables le présent, le passé et l’avenir. Incrédule donc à la divinité de cet événement, mon âme encore eût été fortement ébranlée en approchant de son premier théâtre, et j’aurais découvert ma tête et incliné mon front sous la volonté occulte et fatalique qui avait fait jaillir tant de choses d’un si faible et si insensible commencement.

Mais, à considérer le mystère du christianisme en chrétien, c’est là, sous ce morceau de ciel bleu, au fond de cette vallée étroite et sombre, à l’ombre de cette petite colline dont les vieilles roches semblaient encore toutes fendues du tressaillement de joie qu’elles parle d’abord, en général, de la terre du, éprouvèrent en enfantant et en portant le Verbe enfant, ou du tressaillement de douleur qu’elles ressentirent en ensevelissant le Verbe mort ; c’était là le point fatal et sacré du globe que Dieu avait choisi de toute éternité pour faire descendre sur la terre sa vérité, sa justice et son amour incarné dans un Enfant-Dieu ; c’était là que le souffle divin était descendu à son heure sur une pauvre chaumière, séjour de l’humble travail, de la simplicité d’esprit et de l’infortune ; c’était là qu’il avait animé, dans le sein d’une vierge innocente et pure, quelque chose de doux, de tendre et de miséricordieux comme elle, de souffrant, de patient, de gémissant comme l’homme, de puissant, de surnaturel, de sage et de fort comme un Dieu ; c’était là que le Dieu-Homme avait passé par notre ignorance, notre faiblesse, notre travail et nos misères, pendant les années obscures de sa vie cachée, et qu’il avait en quelque sorte exercé la vie et pratiqué la terre avant de l’enseigner par sa pitrole, de la guérir par ses prodiges, et de la régénérer par sa mort ; c’était là que le ciel s’était ouvert et avait lancé sur la terre son esprit incarné, son Verbe fulminant, pour consumer jusqu’à la fin des temps l’iniquité et l’erreur, éprouver comme au feu du creuset nos vertus et nos vices, et allumer devant le Dieu unique et saint l’encens qui ne doit plus s’éteindre, l’encens de l’autel renouvelé, le parfum de la charité et de la vérité universelles.

Comme je faisais ces réflexions, la tête baissée et le front chargé de mille autres pensées plus pesantes encore, j’aperçus à mes pieds, au fond d’une vallée creusée en forme de bassin ou de lac de terre, les maisons blanches et gracieusement groupées de Nazareth, sur les deux bords et au fond de ce bassin. L’église grecque, le haut minaret de la mosquée des Turcs, et les longues et larges murailles du couvent des Pères Latins, se faisaient distinguer d’abord ; quelques rues formées par des maisons moins vastes, mais d’une forme élégante et orientale, étaient répandues autour de ces édifices plus vastes, et animées d’un bruit et d’un mouvement de vie. Tout autour de la vallée ou du bassin de Nazareth, quelques bouquets de hauts nopals épineux, de figuiers dépouillés de leurs feuilles d’automne, et de grenadiers à la feuille légère et d’un vert tendre et jaune, étaient çà et là semés au hasard, donnant de la fraîcheur et de la grâce au paysage, comme des fleurs des champs autour d’un autel de village. Dieu seul sait ce qui se passa alors dans mon cœur ; mais d’un mouvement spontané et pour ainsi dire involontaire, je me trouvai aux pieds de mon cheval, à genoux dans la poussière, sur un des rochers bleus et poudreux du sentier en précipice que nous descendions. J’y restai quelques minutes dans une contemplation muette, où toutes les pensées de ma vie d’homme sceptique et de chrétien se pressaient tellement dans ma tête, qu’il m’était impossible d’en discerner une seule. Ces seuls mots s’échappaient de mes lèvres : Et Verbum caro factum est, et habitavit in nobis. Je les prononçai avec le sentiment sublime, profond et reconnaissant qu’ils renferment, et ce lieu les inspire si naturellement quo je fus frappé, en arrivant le soir au sanctuaire de l’Église Latine, de les trouver gravés en lettres d’or sur la table de marbre de l’autel souterrain dans la maison de Marie et Joseph. Puis, baissant religieusement la tête vers cette terre qui avait germé le Christ, je la baisai en silence, et je mouillai de quelques larmes de repentir, d’amour et d’espérance cette terre qui en a vu tant répandre, cette terre qui en a tant séché, en lui demandant un peu de vérité et d’amour.

Nous arrivâmes au couvent des Pères Latins de Nazareth, comme les dernières lueurs du soir doraient encore à peine les hautes murailles jaunes de l’église et du monastère. Une large porte de fer s’ouvrit devant nous ; nos chevaux entrèrent en glissant et en faisant retentir, sous le fer de leurs sabots, les dalles luisantes et sonores de l’avant-cour du couvent. La porte se referma derrière nous, et nous descendîmes de cheval devant la porte même de l’Église où fut autrefois l’humble maison de cette mère qui prêta son sein à l’hôte immortel, qui donna son lait à un Dieu. Le supérieur et le Père gardien étaient absents tous deux. Quelques frères napolitains et espagnols, occupés à faire vanner le blé du couvent sous la porte, nous reçurent assez froidement, et nous conduisirent dans un vaste corridor sur lequel s’ouvrent les cellules des frères et les chambres destinées aux étrangers. Nous y attendîmes longtemps l’arrivée du curé de Nazazareth, qui nous combla de politesse et nous fit préparer à chacun une chambre et un lit. Fatigués de la marche et des sentiments du jour, nous nous jetâmes sur nos lits, remettant au réveil de voir les lieux consacrés, et ne voulant pas nuire à l’ensemble de nos impressions par un premier coup d’œil jeté à la bâte sur les lieux saints, dont nous habitions déjà l’enceinte.

Je me levai plusieurs fois dans la nuit pour élever mon âme et ma voix vers Dieu, qui avait choisi dans ce lieu celui qui devait porter son Verbe à l’univers.

Le lendemain, un Père italien vint nous conduire à l’église et au sanctuaire souterrain qui fut jadis la maison de la sainte Vierge et de saint Joseph. L’église est une large et haute nef à trois étages. L’étage supérieur est occupé par le chœur des Pères de Terre-Sainte, qui communique avec le couvent par une porte de derrière : l’étage inférieur est occupé par les fidèles ; il communique au chœur et au grand autel par un bel escalier à double rampe et à balustrades dorées. De cette partie de l’église et sous le grand autel, un escalier de quelques marches conduit à une petite chapelle et à un autel de marbre éclairés de lampes d’argent, placés à l’endroit même où la tradition suppose qu’eut lieu l’Annonciation. Cet autel est élevé sous la voûte, moitié naturelle, moitié artificielle, d’un rocher auquel était adossée, sans doute, la maison sainte. Derrière cette première voûte, deux autels souterrains plus obscurs servaient, dit-on, de cuisine et de cave à la sainte famille. Ces traditions plus ou moins fidèles, plus ou moins altérées par le besoin pieux de crédulité populaire, ou par le désir naturel à tous ces moines possesseurs d’une si précieuse relique, d’en augmenter l’intérêt en en multipliant les détails, ont ajouté peut-être quelques inventions bénévoles au puissant souvenir du lieu ; mais il n’est pas douteux que le couvent, et surtout l’église, n’aient été primitivement construits sur la place même qu’occupe la maison du divin héritier de la terre et du ciel. Lorsque son nom se fut répandu comme la lumière d’une nouvelle aurore, peu de temps après sa mort, lorsque sa mère et ses disciples vivaient encore, il est certain qu’ils durent se transmettre les uns aux autres le culte d’amour et de douleur que l’absence du divin maître leur avait laissé, et aller eux-mêmes souvent, et conduire les nouveaux chrétiens aux lieux où ils avaient vu vivre, parler, agir et mourir celui qu’ils adoraient aujourd’hui. Nulle piété humaine ne pourrait conserver aussi fidèlement la tradition d’un lieu cher à son souvenir, que ne le fit la piété des fidèles et des martyrs. On peut s’en rapporter, quant à l’exactitude des principaux sites de la rédemption, à la ferveur d’un culte naissant et à la vigilance d’un culte immortel. Nous tombâmes à genoux sur ces pierres, sous cette voûte, témoins du plus incompréhensible mystère de la charité divine pour l’homme, et nous priâmes. L’enthousiasme de la prière est un mystère aussi entre l’homme et Dieu : comme la pudeur, il jette un voile sur la pensée et dérobe aux hommes ce qui n’est que pour le ciel. Nous visitâmes aussi le couvent vaste et commode, édifice semblable à tous les couvents de France ou d’Italie, où les Pères Latins exercent aussi librement, et avec autant de sécurité et de publicité, les cérémonies de leur culte qu’ils pourraient le faire dans une rue de Rome, capitale du christianisme. On a, à cet égard, beaucoup calomnié les musulmans. La tolérance religieuse, je dirai plus, le respect religieux, sont profondément empreints dans les mœurs. Ils sont si religieux eux-mêmes et considèrent d’un œil si jaloux la liberté de leurs exercices religieux, que la religion des autres hommes est la dernière chose à laquelle ils se permettraient d’attenter. Ils ont quelquefois une sorte d’horreur pour une religion dont le symbole offense la leur, mais ils n’ont de mépris et de haine que pour l’homme qui ne prie le Tout-Puissant dans aucune langue : ces hommes, ils ne les comprennent pas, tant la pensée évidente de Dieu est toujours présente à leur esprit et préoccupe constamment leur âme. Quinze ou vingt Pères espagnols et italiens vivent dans ce couvent, occupés à chanter les louanges de l’Enfant-Dieu et les gloires de sa Mère, dans le temple même où ils vécurent pauvres et ignorés. L’un d’eux, qu’on appelle ie curé de Nazareth, est spécialement chargé des soins de la communauté chrétienne de la ville, qui compte sept à huit cents chrétiens catholiques, deux mille Grecs schismatiques, quelques maronites, et seulement un millier de musulmans. Les Pères nous conduisirent, dans le courant de la journée, aux églises maronites, à la synagogue ancienne où Jésus enfant allait s’instruire comme homme dans la loi qu’il devait purifier un jour, et dans l’atelier où saint Joseph exerçait son humble état de charpentier. Nous remarquons avec surprise et plaisir les marques de déférence et de respect que les habitants de Nazareth, même les Turcs, donnent partout aux Pères de Terre-Sainte. Un évêque, dans les rues d’une ville catholique, ne serait ni plus honoré, ni plus affectueusement prévenu que ces religieux ne le sont ici (Voyage en Orient, tome 1, pages 310 et suivants)

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