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La possession diffère de l’obsession, en ce que dans l’obsession le démon agit au dehors, et dans la possession il agit au dedans. Voyez ci-devant Obsession. Les exemples de possessions sont communs, surtout dans le Nouveau Testament.
Jésus-Christ et ses apôtres ont guéri une infinité de possédés : les histoires ecclésiastiques en fournissent encore un grand nombre. Mais comme on sait par plusieurs expériences que souvent on a abusé de la crédulité des simples par des obsessions et des possessions feintes, quelques prétendus esprits forts se sont imaginé que toutes ces obsessions étaient des maladies de l’esprit, et des effets d’une imagination fortement frappée ; que quelquefois des personnes se croyaient de bonne foi possédées ; que d’autres feignaient de l’être pour parvenir à certaines fins ; qu’en un mot il n’y avait ni obsessions ni possessions véritables. Voici ce qu’on dit de plus plausible pour ce sentiment :
Le démon ne peut naturellement agir sur nos corps ; il est d’une nature toute spirituelle, et ne peut, par sa seule volonté, remuer nos membres, ni agir sur nos humeurs et nos organes, sans une permission expresse de Dieu. S’il avait naturellement ce pouvoir, tout le monde serait plein de possédés et d’obsédés ; il exercerait à tout moment sa haine contre les hommes, et ferait éclater sa puissance et son empire avec tout l’éclat dont son orgueil pourrait s’aviser. Combien ne verrait-on pas tous les jours d’hommes possédés, agités, tourmentés, étouffés, étranglés, précipités, noyés, brûlés, si l’on accordait au démon le pouvoir dont nous parlons ? Si l’on dit que Dieu modère ce pouvoir, et qu’il réprime le démon, et ne lui permet pas d’exercer sa malice contre des pécheurs et des méchants, ne voyons-nous pas, an contraire, que souvent il possède ou qu’il obsède des personnes très-innocentes ? On sait ce qu’il fit souffrir à Job ; on voit des enfants possédés, et d’autres personnes dont la vie paraît avoir été sans crime et sans désordre.
Pourquoi ne voit-on des possédés el des possédées qu’en certains temps et en certains pays ? Qu’il y a des nations entières où l’on ne connaît point de possédés ? D’où vient qu’on n’en voit que dans des pays dont les peuples sont superstitieux, et dans des personnes d’un esprit peu solide, ou d’un tempérament mélancolique ? Qu’on examine tous ceux et celles qui se disent ou qui se sont dits possédés ou possédées, je suis certain qu’il ne s’en trouvera aucun qui n’ait quelques-unes des qualités et des faiblesses dont je viens de parler.
Si l’on suppose que le démon arrête ou suspend les opérations de l’âme d’un possédé, pour se mettre lui-même en la place de l’âme, ou même que plusieurs démons agitent et possèdent un même énergumène, la difficulté sera encore plus grande. Comment concevoir celle âme qui n’agit plus dans le corps qu’elle anime, et qui le livre, pour ainsi dire, au pouvoir du démon ? Coin-ment tant de ces mauvais esprits peuvent-ils s’accorder à gouverner un seul homme ? Si tout cela se peut faire sans miracle, que deviendra la preuve des miracles pour les incrédules ? Ne diront-ils pas que tout ce-que nous appelons miracles sont des opérations du démon ? Et s’il faut un miracle, pour qu’un homme soit possédé du démon, voilà Dieu auteur, ou du moins coopérateur du démon dans les obsessions et dans les possessions des hommes.
On a tant d’exemples de choses toutes naturelles, qui toutefois paraissent surnaturelles, qu’on a lieu de croire que ce qu’on appelle possessions du démon n’est pas d’une autre sorte. Tant de gens s’imaginent être changés en loups, en bœufs, être de verre ou de beurre, être devenus rois ou princes, personne, dans ces cas, ne recourt ni au démon ni au miracle. On dit tout simplement que c’est un dérangement dans le cerveau, une maladie de l’esprit ou de l’imagination, causée par une chaleur de viscères ou par un excès de bile noire. Personne n’a recours aux exorcismes ou aux prêtres. On va aux médecins, aux remèdes, aux bains : on cherche des expédients pour guérir l’imagination du malade, ou pour lui donner une autre tournure. N’en serait-il pas de même des possédés ? Ne réussirait-on pas à les guérir par des remèdes naturels, en les purgeant, les rafraîchissant, les trompant artificieusement, et leur faisant croire que le démon s’est enfui, et les a quittés ? On a sur cela des expériences fort singulières ; mais quand on les rapporterait, les partisans des possessions diraient toujours que ces gens n’étaient pas possédés, et qu’ils ne nient pas qu’il n’y ait dans cette matière bien de l’illusion ; mais qu’ils soutiennent que parmi ce grand nombre d’énergumènes ; on ne peut nier qu’il n’y en ait eu de vraiment possédés. Les autres soutiennent qu’il n’y en a aucuns, et qu’on peut expliquer naturellement tout ce qui arrive aux possédés, sans recourir au démon : c’est là tout le nœud de la difficulté.
Les défenseurs des possessions du démon remarquent que, si tout cela n’était qu’illusion, Jésus-Christ, les apôtres et l’Église seraient dans l’erreur, et nous y engageraient volontairement, en parlant, en agissant, en priant, comme s’il y avait de vrais possédés. Le Sauveur parle et commande aux démons qui agitaient les énergumènes. Ces démons répondent et obéissent, et donnent des marques de leur présence, en tourmentant ces malheureux, qu’ils étaient obligés de quitter ; ils leur causent de violentes convulsions, les jettent par terre, les laissent comme morts, se retirent dans des pourceaux, et précipitent ces animaux dans la mer. Peut-on nommer cela illusion ? Les prières et les exorcismes de l’enlise ne sont ils pas un jeu et une momerie, si les posséder ne sont que des Malades imaginaires ? Jésus-Christ donne pour preuve de sa mission que les démons sont chassés (Luc 7.20-21) ; il promet à ses apôtres le même pouvoir, dont il use lu i-même envers ces mauvais esprits (Marc 16.17). Tout cela n’est-il que chimère ?
On convient qu’il y a plusieurs marques équivoques d’une vraie possession ; mais il y en a aussi de certaines. Une personne peut contrefaire la possédée, et imiter les actions, les paroles et les mouvements d’un énergumène ; les contorsions, les cris, les hurlements, les convulsions, certains efforts qui paraissent venir du surnaturel, peuvent être l’effet d’une imagination échauffée, ou d’un sang mélancolique, ou d’un artifice trompeur ; mais que tout d’un coup une personne entende des langues qu’elle n’a jamais apprises, qu’elle parle de matières relevées qu’elle n’a jamais étudiées, qu’elle découvre des choses cachées et inconnues, qu’elle agisse et qu’elle parle d’une manière fort éloignée de son inclination naturelle, qu’elle s’élève en l’air sans aucun secours sensible, que tout cela lui arrive, sans qu’on puisse dire qu’elle s’y porte par intérêt, par passion, ni par aucun motif naturel. Si toutes ces circonstances ou la plupart d’entre elles se rencontrent dans une possession, pourra-t-on dire qu’elle ne soit pas véritable ?
Or il y a plusieurs possessions où plusieurs de ces circonstances se sont rencontrées. Il y en a donc de véritables ; mais surtout celles que l’Évangile nous donne pour telles. Dieu permit que du temps de Notre Sauveur il y en eût un grand nombre dans Israël, pour lui fournir plus d’occasions de signaler sa puissance, et pour nous procurer plus de preuves de sa mission et de sa divinité.
Quoiqu’on avoue que les vraies possessions du démon sont très-rares, et qu’elles sont très-difficiles à reconnaître, toutefois on ne convient pas qu’elles soient miraculeuses. Elles n’arrivent pas sans la permission de Dieu ; mais elles ne sont ni contraires, ni même supérieures aux lois naturelles. Personne ne recourt au miracle, pour dire qu’un bon ange nous inspire de bonnes penséese ou qu’il nous fait éviter un danger : on suppose de même qu’un démon peut nous induire au mal, exciter dans nos corps des impressions déréglées, et causer des tempêtes. L’Écriture attribue aux mauvais anges la mort des premiers-nés de l’Égypte, et la défaite de l’armée de Sennachérib (Voyez Sennacherib) ; elle attribue aux bons anges la pluie de feu qui consuma Sodome et Gomorrhe. Ces événements sont miraculeux dans certaines circonstances, mais non pas en toutes. Dieu ne fait que laisser agir les démons ; ils exercent en cela un pouvoir qui leur est naturel, qui est arrêté et suspendu par la puissance de Dieu. On décide trop hardiment sur la nature de cet esprit qu’on connaît si peu.
Josèphe a cru que les possessions du démon étaient causées par l’âme des scélérats, qui, craignant de se rendre au lieu de son supplice, s’empare du corps d’un homme, l’agite et le tourmente, et fait ce qu’il peut pour le faire périr. Ce sentiment paraît particulier à Josèphe ; car le commun des Juifs ne doutait point que ce ne fussent des démons qui possédassent les énergumènes. L’Erriture, dans Tobie (Tobie 6.19 ; 8.2-3), nous apprend que le démon Asmodée a été mis en fuite par la fumée du foie d’un poisson. Josèphe raconte que Salomon composa des exorçisines pour chasser les mauvais esprits des corps des possédés, et qu’un Juif, nominé Eléazar, guérit en présence de Vespasien quelques possédés, en leur mettant sous le nez un anneau dans lequel était enchgssée la racine d’une herbe enseignée par Salomon. En même temps qu’on prononçait le nom de ce prince et l’exorcisme qu’il avait enseigné, le malade tombait par terre, et le démon ne le tourmentait plus. Ils croyaient donc et que les démons agissaient sur les corps, et que les corps faisaient impression sur eux. On peut consulter sur cette matière des possessions et obsessions des démons la Dissertation que nous avons composée exprès sur cela, dans le nouveau recueil de nos Dissertations, imprimées à part, en 3 vol in-4°, à Paris, 1720.
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