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[ou, plus communément, Abgare], roi d’Edesse, étant travaillé d’une maladie fort fâcheuse et incurable [Certains y voient la goutte et (ou) la lèpre noire], apprit les guérisons miraculeuses que Jésus-Christ faisait dans la Judée. Il lui envoya un courrier, nommé Ananie, avec une lettre conçue en ces termes : Abgare, toparque d’Edesse, à Jésus sauveur plein de bonté, qui a paru dans le pays de Jérusalem, Salut. J’ai appris les prodiges et les guérisons que vous faites, sans employer ni herbes ni médicaments, mais par votre seule parole. On dit que vous donnez la vue aux aveugles, que vous faites marcher droit les boiteux, que vous purifiez les lépreux, que vous chassez les esprits malins et les démons, que vous guérissez ceux qui sont affligés de longues maladies et que vous rendez la vie aux morts. Étant instruit de ces merveilles, je crois sans difficulté l’une de ces deux choses : ou vous êtes Dieu même descendu du ciel pour opérer de tels prodiges, ou vous êtes Fils de Dieu, qui les faites. C’est pourquoi j’ai pris la liberté de vous écrire cette lettre, pour vous supplier de me venir voir, et de me guérir d’une incommodité que j’ai. J’apprends que les Juifs murmurent contre vous et qu’ils cherchent votre perte ; ma ville ; quoique petite, est belle et agréable, elle suffira pour nous deux (traduction légèrement retouchée).
Jésus-Christ lui fit réponse en ces termes : Vous êtes heureux, Ô Abgare, d’avoir cru en moi, sans m’avoir vu ; car il est écrit de moi, que ceux qui m’auront vu ne croiront point en moi, et que ceux qui ne m’auront point vu croiront et seront sauvés : À l’égard de ce que vous désirez que je vous aille voir, je dois accomplir dans le pays où je suis toutes les choses pour lesquelles je suis venu ; après quoi je retournerai vers celui qui m’a envoyé. Et quand je serai parti d’ici, je vous enverrai un de mes disciples, afin qu’il vous guérisse de votre maladie et qu’il vous donne la vie, à vous et à ceux qui sont avec vous.
Eusèbe dit qu’il a tiré ces lettres des archives de la ville d’Edesse, et il ajoute que saint Thomas, après la résurrection du Sauveur, envoya saint Thadée, un des septante disciples, fort différent de l’apôtre saint Thadée, pour y annoncer Jésus-Christ, et pour guérir le roi Abagare. Thadée y alla, convertit le roi et tout son peuple, fit une infinité de merveilles au milieu d’eux et rendit la santé au roi. Il y en a qui croient que le Sauveur lui envoya, outre la lettre dont nous venons de parler, son portrait imprimé sur un suaire : mais la plupart des critiques rejettent toute cette histoire, et regardent les deux lettres que nous avons rapportées, comme des pièces sans autorité.
Abagare, ou Abgar, fut ainsi appelé parce qu’il était boiteux ; ainsi on ne doit pas l’appeler Agbar, comme s’il dérivait de l’Arabe Akbar, qui signifie grand. La ville d’Edesse où il régnait est communément nommée Orfa ; la tradition commune de tous les orientaux, tant chrétiens que musulmans, est que ce prince écrivit une lettre à Notre-Seigneur, et qu’il en reçut une réponse, avec un mouchoir où sa divine face était empreinte. C’est ce que dit M. d’Herbelot dans sa Bibliothèque orientale. Cela ne détruit pas ce que nous avons dit d’Abgare, et ne suffit pas pour établir l’authenticité et la vérité de la prétendue lettre d’Abgare à Jésus-Christ, et la réponse de Jésus-Christ à Abgare. Les Orientaux pour l’ordinaire sont fort peu exacts en fait d’histoire, et leurs traditions ne sont pas toujours sûres. Edesse que quelques-uns ont mise sur l’Euphrate, en était éloignée d’une journée. La rivière sur laquelle elle est assise est la Scyrtus, dont les débordements sont fréquents et dangereux. Sous Justin cette ville fut renversée par les eaux ; et l’empereur l’ayant fait rétablir, lui donna le nom de Justinopolis. Elle a pris depuis le nom d’Orb. Elle commença à avoir des rois avant le règne d’Auguste. Ces rois portèrent d’ordinaire le nom d’Abgare ; et M. Vaillant a donné une suite de ces rois qui furent tous chrétiens depuis le premier siècle.
Il est étonnant qu’on leur ait conservé à tous le nom d’Abgare, qui signifie boiteux, comme le dit M. d’Herbelot. Il est bien plus croyable qu’ils prirent le nom d’Agbar, qui signifie grand, et qu’on donna à celui qui écrivit à Jésus-Christ le nom d’Abgare, par une espèce de sobriquet, au lieu d’Agbar, à cause de son incommodité ; si tant est toutefois que les Orientaux ne nous en imposent point par leur tradition.
Les difficultés qu’on entasse pour détruire le récit d’Eusèbe et la vérité des lettres du Sauveur à Abgare, et d’Abgare au Sauveur, sont sans doute très-solides ; mais doivent-elles nous obliger à rejeter absolument et cette histoire, et les lettres dont nous parlons ? Ne suffirait-il pas d’en conclure que la vérité du fait a été altérée, et que les lettres ont été corrompues ? Qu’un roi d’Edesse ait été converti dès les premières années du christianisme par un des 70 disciples, qu’à son exemple toute la ville ait embrassé la foi ; c’est ce qui me parait indubitable. Pour les autres circonstances, qu’on ne les regarde, si l’on veut, que comme des embellissements et des traditions populaires et mal assorties ; que les lettres en l’état où elles sont, sont apocryphes et sans autorité : s’ensuit-il qu’il n’y en a jamais eu de vraies et d’authentiques, et que tout ceci n’est qu’une fable faite à plaisir ?
On raconte qu’Abgare, roi d’Edesse, qui avait contribué à la défaite de Crassus, fut obligé de se soumettre à Auguste, qui lui ôta le titre de roi, ne lui laissa que celui de Toparque, ou de commandant du lieu, et l’emmena à Rome pour s’assurer de sa fidélité. Abgare, s’ennuyant du séjour de cette grande ville, s’avisa d’une petite ruse pour engager Auguste, à lui accorder la permission de s’en retourner à Edesse. Il prit à la chasse quelques bêtes farouches toutes vivantes, et ayant fait ramasser de la terre des tanières où chacune avait été prise, la fit répandre séparément en différents endroits de l’amphithéâtre. On y lâcha ces animaux, et chacun d’eux se porta incontinent vers la terre de sa tanière. L’empereur comprit aisément ce que voulait dire Abgare, et le renvoya dans son petit royaume. Abgare en partant demanda et obtint permission de bâtir un cirque à Edesse ; il mourut quelques années après son retour, laissant un fils peu digne de lui ; ce fils ayant maltraité ses sujets, et craignant d’être puni par les Romains, se jeta dans le parti des Perses.
C’est ce que raconte Procope, qui veut que le premier Abgare soit le même qui écrivit à Jésus-Christ, et que le second soit son fils, chrétien comme lui ; mais cela est insoutenable. Jésus-Christ ne commença à prêcher que l’an 14. de Tibère, 30 de l’ère vulgaire, plus de 80 ans après la défaite de Crassus ; Abgare n’a pu croire en Jésus-Christ que depuis la prédication, et même depuis la mort du Sauveur, et Jésus-Christ n’est mort que la dix-septième-année de Tibère. De plus nous avons quelques médailles frappées à Edesse sous le règne de Tibère, où cet empereur est nommé dieu des Edesséniens. Ils n’étaient donc pas alors convertis au christianisme.
Selon le récit de Procope, il semblerait que le prince qui traita si mal ses sujets, qu’il fut obligé de se sauver chez les Perses, était celui qui crut en Jésus-Christ et qui amena tout son peuple à la foi. Eusèbe met cette conversion en l’an trois cent quarante, ce qui revient à l’ère 29 de Jésus-Christ, en suivant l’ère des Edesséniens, qui est la même que celle des Séleucides, qui la commençaient à la mort d’Alexandre le Grand. Mais en l’an 29 du Sauveur, Abgare ne pouvait encore avoir aucune connaissance de Jésus-Christ, qui ne commença à précher que l’année suivante. Il vaut donc mieux lire, avec Rufin, l’an 343, qui revient à l’année de la mort de Jésus-Christ, suivant l’ère vulgaire [A l’occasion d’un livre intitulé : Recherches historiques sur la personne de Jésus-Christ, par M. Peignot (de Dijon), qui rapporte la lettre d’Abgare et la réponse du divin Sauveur, M. Bonnetty examine la foi qu’elles méritent : « L’auteur qui nous les a conservées, dit-il, est Eusèbe, évêque de Césarée en Palestine, vivant vers le milieu du quatrième siècle, l’un des hommes les plus éclairés et les plus érudits de son temps ; il annonce les avoir tirées des archives publiques de la ville d’Edesse, où elles se trouvent en syriaque. Saint Ephrem, le Syrien, diacre de cette même ville d’Edesse vers l’an 379, homme distingué par son esprit et par sa vertu, parle de cette histoire comme d’une chose reçue de son temps de tout le monde et sans aucune difficulté.
En effet, plusieurs auteurs ecclésiastiques de cette époque en font également mention. On peut citer entre autres le comte Darius, dans une lettre à saint Augustin ; Procope, Evagre, saint Jean Damascène, saint Théodore le Lecteur, et beaucoup d’autres anciens auteurs qui ne font aucune difficulté de reconnaître ces lettres pour authentiques.
Vers ces derniers temps, plus d’une controverse s’est élevée à l’occasion de ces lettres ; le P. Noël Alexandre, le critique Du Pin et plusieurs autres auteurs catholiques les ont regardées comme non authentiques. Le Nain de Tillemont, critique non moins célèbre, croit cette correspondance véritable ; c’est aussi le sentiment de l’abbé Bergier. « On ne fonde sur ce monument, dit ce théologien, aucun fait, aucun dogme, aucun point de morale ; et c’est pour cela même qu’il ne parait pas probable que l’on ait fait une supercherie sans motifs. » (Bergier).
Il faut en effet convenir, dit un auteur distingué, que si cette lettre a été fabriquée, le faussaire n’a pas été maladroit, car il n’y a aucune expression qui ne convienne parfaitement au caractère, à l’esprit et à la position du Sauveur ; bien plus, il est prouvé que la promesse faite par Jésus à Abgare a reçu son accomplissement. Lorsqu’il fut monté au ciel, saint Thomas, l’un des apôtres, envoya par son ordre, à Edesse, Thadée, l’un des soixante-douze disciples ; celui-ci y guérit le roi, y opéra un grand nombre de miracles, et y établit si bien l’Évangile, qu’Edesse, comme on le voit dans l’histoire ecclésiastique, se distingua plusieurs siècles de suite par la foi et par la piété de ses princes et de ses habitants.
À ces lettres d’Abgare et de Jésus-Christ se rattache l’histoire d’un portrait dit l’Image miraculeuse d’Edesse ou portrait de Jésus-Christ peint par lui-même. On dit, en effet, qu’Abgare, affligé que le Sauveur n’eût pu venir le voir, envoya à Jérusalem un peintre chargé de faire son portrait. Mais ce peintre n’ayant pu venir à bout de son dessein, empêché qu’il était par l’éclat brillant qui sortait du visage de Jésus, le Sauveur prit la toile sur laquelle le peintre travaillait, la trempa dans l’eau, et l’ayant appliquée sur sa figure, les traits de son visage y furent miraculeusement empreints. Ce portrait, transporté à Edesse, y aurait, d’après Evagre, historien du Ve siècle, sauvé la ville assiégée par Cosroës, roi des Perses, et y aurait été conservé jusqu’en l’année 944 de Jésus-Christ, époque où l’émir d’Edesse le céda à l’empereur Romain Lécapène, qui le fit venir à Constantinople, où il arriva le 16 août. 944. Nous ne raconterons pas au long l’histoire de cette image, parce que la plupart des auteurs conviennent que plusieurs circonstances au moins sont falsifiées. Ceux qui voudront de plus grands détails les trouveront dans les Recherches historiques sur la personne de Jésus-Christ, pages 49, et dans Fleury, Histoire ecclésiastique, livre 55. »
Le célèbre Addison, dans son excellent ouvrage sur la religion chrétienne, n’a pas craint d’invoquer le témoignage de ces lettres, car, quoi qu’en dise son traducteur, il en admet l’authenticité : « L’histoire d’Abgare, dit-il, touchant la lettre que ce prince écrivit à Notre-Seigneur, est un récit d’un très-grand poids. Quoique je ne veuille pas beaucoup y insister, je hasarderai cependant de dire que si certains faits de l’histoire profane étaient appuyés de preuves aussi-fortes, la raison ne permettrait presque pas de les révoquer en doute. Je me persuade que vous serez de cet avis, si vous vous donnez la peine de lire, outre les auteurs qui ont défendu l’authenticité de ces lettres, les nouveaux arguments dont s’est servi feu le docteur Grabe dans le second volume de son Spicilegium. » Ce langage annonce un homme convaincu, mais qui ne veut imposer sa conviction à personne.
La correspondance dont il s’agit et la guérison qui en fut la suite sont des faits constamment reconnus pour certains dans l’Arménie. Moïse de Chorène, historien de cette nation qui était la sienne, et dont Edesse était la capitale au temps de Notre-Seigneur, rapporte cette correspondance qui ne présente que de légères différences avec la copie donnée par Eusèbe ; toutefois ces différences pourraient peut-être contribuer à établir l’authenticité des lettres. Nous allons les reproduire, traduites de l’historien arménien par M. Eugène Bore, savant orientaliste, avantageusement connu par ses voyages en Asie et par ses écrits. Mais il faut auparavant faire connaître Abgare, et nous ne pouvons que copier M. Boreé : « Nous empruntons aux historiens de l’Orient, dit-il, et principalement aux Arméniens, les documents relatifs à la vie et aux actes de ce roi justement célèbre ; Si l’on ne s’était constamment borné, à ne consulter que les auteurs grecs et latins, fort mal instruits généralement des choses de l’Asie, dont ils ignoraient et les idiomes et les mœurs, on n’aurait pas été jusqu’à nier même l’existence de ce puissant roi d’Edesse, qui pacifia le vaste empire de la Perse et le royaume d’Arménie, Abgare, fils d’Arsham, lequel, après avoir pris la place de son frère Tigrane, s’était fait confirmer par l’empereur Auguste dans le gouvernement de l’Arménie, naquit peu d’années avant le Rédempteur du monde ; sa sagesse, sa bonté et ses autres vertus lui firent donner le nom d’Avakaïr, qui signifie en arménien l’homme par excellence, titre glorieux que les Grecs ont étrangement défiguré sous le nom d’Abkaïr ou Abgare. Les anciennes traditions du pays célèbrent sa beauté, sa taille héroïque et les prodiges de valeur qui l’illustrèrent dès sa première jeunesse. Il était encore enfant lorsqu’il perdit son père Arsham, qui le laissa maître de la Mésopotamie et des quatre Arménies. Ses premiers faits d’armes sont la vigoureuse défense qu’il opposa aux troupes d’Hérode, qui voulait le contraindre à placer sa statue dans les temples de son royaume, près de celles d’Auguste. La défaite du roi des Juifs attira sur lui les regards de l’empereur romain, qui crut découvrir, dans cette opposition une tentative de révolte et un premier effort pour se soustraire à sa dépendance. Abgare, qui craignait d’avoir bientôt sur les bras d’autres légions romaines, comprit qu’il devait aller lui-même rendre raison à l’empereur de sa conduite, et il partit pour Rome, où il séjourna trois ans. Alors il renouvela les traités d’alliance qui l’unissaient à l’empire et revint dans ses États comblé de nouveaux témoignages d’honneur et d’estime. À son arrivée à Nisibe, il entreprit d’utiles travaux, éleva de somptueux édifices et bâtit dans la Mésopotamie une ville du nom d’Abgarshat. Il transféra ensuite le siège de son royaume à Edesse qu’il rebâtit et fortifia. La mort d’Arshavir, roi de Perse, jeta la discorde parmi ses trois fils, qui prétendaient également à sa succession. Abgare fut choisi pour arbitre, et il se déclara en faveur d’Artaces l’aîné. Son jugement fut accepté par les divers partis, et la tranquillité fut rétablie dans la Perse. Des courtisans envieux calomnièrent sa conduite près de l’empereur Tibère, qui venait de succéder à Auguste, et lui représentèrent le monarque d’Edesse comme un prince remuant et ambitieux, qui fomentait à dessein des divisions dans la Perse, afin de la détacher du parti des Romains. Hérode Antipater fit peser sur lui une autre accusation également injuste ; et c’était pour se disculper près du général Marinus, qui commandait alors en Palestine, qu’Abgare envoya son fidèle secrétaire Ananey. À son retour à Jérusalem, Ananey lui raconta ce qu’il avait entendu dire du Messie, qui parcourait alors la Judée en faisant le bien. Le récit de ses miracles étonna le roi, qui crut aussitôt reconnaître le Fils de Dieu. Ces prodiges, disait-il, ne sont point ceux d’un homme ; le pouvoir de ressusciter les morts n’appartient qu’à la Divinité. Or, le roi était travaillé en ce moment d’une maladie cruelle. Tous les médecins avaient en vain épuisé les secrets de leur art, ils n’avaient obtenu aucun heureux résultat. Abgare espéra que le Messie pourrait le guérir de son mal ; en conséquence, il lui écrivit une lettre conçue en ces termes : Abgare, fils d’Arscham, prince d’Edesse, à Jésus, sauveur et bienfaiteur nouvellement apparu au pays de Jérusalem, salut. Nous avons entendu parler de vous et des guérisons opérées par vos mains sans aucun remède ; car, comme on le dit, vous donnez l’ouïe aux sourds, la vue aux aveugles, vous faites marcher les boiteux, vous purifiez les lépreux, vous chassez les esprits impurs, vous rendez la santé à ceux qu’afflige une longue maladie, et vous ressuscitez les morts. En apprenant ceci, j’ai fait cette double supposition : que vous êtes ou Dieu même descendu du ciel, ou le Fils de Dieu. C’est pourquoi je vous ai écrit de prendre la peine de venir chez moi et de me guérir de la maladie que j’ai depuis longtemps. J’ai aussi appris que, les Juifs murmurent contre vous et qu’ils veulent vous persécuter. Ma ville, quoique petite, est assez agréable, et elle suffirait pour nous deux. Les porteurs de la lettre trouvèrent Notre-Seigneur à Jérusalem, et c’est ce qu’indiquent les Évangiles par ce passage que, quelques idolâtres étaient venus le trouver. Jésus reçut cette lettre, mais il n’alla point à Edesse ; il fit à Abgare la réponse suivante : Heureux celui qui croit en moi sans m’avoir vu, car c’est de moi qu’il est écrit que ceux qui me voient ne croient pas en moi, et que ceux qui ne me voient pas croient et reçoivent la vie. Vous m’écrivez d’aller vous trouver ; mais il faut que j’accomplisse toutes les choses pour lesquelles j’ai été envoyé. Après leur accomplissement, je m’élèverai vers celui qui m’a envoyé, et je, vous enverrai un de mes disciples pour guérir votre maladie, vous donner la vie et à tous ceux qui sont avec vous.
Abgare reçut cette lettre d’Ananey qui lui remit en même temps l’image du Sauveur, que l’on conserve jusqu’à ce jour dans l’église d’Edesse. »
Ceux qui rejettent ces pièces comme supposées disent, entre autres raisons, qu’elles sont empreintes de petitesse. Des incrédules ont avancé la même chose pour attaquer l’Évangile ; c’est ici le cas de rappeler que les pensées de Dieu ne sont pas les pensées des hommes, de ceux qui suivent ou Bélial ou Mammon. Jésus-Christ est venu pour les petits, pour ceux qui croient, qui cherchent le royaume de Dieu et sa justice. M. Eugène Boré, savant orientaliste, auquel nous empruntons les détails fournis par Moïse de Chorène, dit au sujet de la correspondance et de la guérison d’Abgare : « Comme sa demande était faite dans un esprit de foi et d’humilité, le Sauveur l’exauça. » Concluons que le reproche de petitesse est absurde. Dira-t-on : Pourquoi Jésus a-t-il écrit à Abgare ? pourquoi ne le guérit-il pas de suite par l’effet de sa puissance divine ? pourquoi a-t-il laissé souffrir ce malheureux roi, dont la foi se montre pourtant manifeste ? pourquoi a-t-il mis entre lui et le malade un de ses disciples, inutile instrument d’un miracle qu’il pouvait opérer d’un acte de sa volonté ?
Citation : Tes pourquoi, dit le dieu, ne finiraient jamais.
Les voies de Dieu ne sont pas non plus les voies des hommes. Plusieurs traits de la vie du Sauveur présentent de l’analogie avec la conduite qu’il aurait tenue envers Abgare ; ainsi, entre autres, dans la guérison de la fille d’une Chananéenne (Matthieu 15.22-28), et dans celle d’un enfant possédé (Marc 9.18-26).
Continuons de citer Moïse de Chorène, d’après M. Boré. « Après l’ascension de Jésus, Thomas, l’un des douze apôtres, dit l’historien arménien, envoya Taddée, l’un des soixante-douze disciples, dans la ville d’Edesse pour guérir Abgare et l’évangéliser. Il descendit dans la maison de Tobie, prince juif, que l’on dit être de la famille des Pagradites, et qui, n’ayant pas abandonné le judaïsme au milieu des gentils, se convertit ensuite au christianisme. La nouvelle s’en répandit aussitôt dans la ville, et dès qu’Abgare l’eut apprise, il dit : C’est celui au sujet duquel Jésus a écrit. Il le manda près de lui, et lorsque Taddée entra dans la salle, son visage parut resplendissant à Abgare, qui, se levant de son trône, se prosterna et lui dit : Si tu es par hasard le disciple du bienheureux Jésus, qu’il m’a dit envoyer ici, ne peux-tu pas guérir mon mal ? Taddée lui répondit : Si tu crois en Jésus, le Fils de Dieu, ta demande sera exaucée. Abgare lui dit : Je crois en lui et en son Père, et c’est pour cela que je voulais aller à la tête de mes troupes exterminer la nation juive qui l’a Crucifié.
Alors Thaddée l’évangélisa, lui et toute la ville ; puis, lui imposant les mains, il le guérit ainsi qu’Abdia, l’un des grands de sa cour. Abgare et toute sa ville reçurent le baptême ; on ferma les portes des temples, et les statues furent couvertes de roseaux. Personne n’était amené violemment à la foi, et cependant, chaque jour le nombre des fidèles augmentait. »
M. Boré répète que « ces documents sont tirés de Moïse de Chorène, le plus ancien des historiens de l’Arménie. » Il ajoute que cet historien rapporte encore une autre lettre écrite par Abgare à Tibère ; la voici : Abgare, roi des Arméniens, à monseigneur Tibère, empereur des Romains, salut. Quoique convaincu que tout ce qui se passe dans votre empire n’est point caché à V.M., je, vous avertis cependant par cette lettre, comme votre fidèle ami, que les Juifs de Palestine ont crucifié le Christ, qui n’était aucunement coupable, à cause de ses grandes et bonnes œuvres, de ses prodiges et de ses miracles qui allaient jusqu’à ressusciter les morts. Sachez que cette puissance n’est pas celle d’un homme, mais bien celle d’un Dieu. Aussi, au moment où ils le crucifièrent, le ciel s’obscurcit et la terre trembla. Après trois jours il ressuscita, et présentement il accomplit dans tous les lieux des choses admirables par la main de ses disciples. Votre Majesté sait ce qu’il convient d’ordonner touchant les Juifs qui ont agi de la sorte. Il faut ordonner qu’en tous lieux on adore le Christ comme le vrai Dieu. Réponse : Tibère, empereur des Romains, à Abgare, roi des Arméniens, salut. On a lu devant moi la lettre dictée par votre amitié et pour laquelle je vous rends des actions de grâces. Pilate nous a donné des détails sur les miracles dont nous avions entendu parler précédemment, et il nous a dit comment, après sa résurrection, il avait été reconnu comme Dieu par beaucoup de gens. C’est pourquoi j’ai pensé à faire ce que vous me conseillez. Mais comme la coutume des Romains veut qu’une divinité ne soit reconnue que par ordre du sénat, j’ai consulté sur ce point cette assemblée qui a rejeté ma proposition. Toutefois nous avons permis à quiconque le voudra de reconnaître Jésus pour Dieu, en menaçant de la mort ceux qui le calomnieront. Quant aux Juifs qui ont osé le crucifier, bien qu’il méritât des honneurs et des récompenses au lieu de la croix et de la mort, lorsque j’aurai réduit les Espagnols révoltés, je leur infligerai le châtiment qu’ils méritent (La mort l’empêcha de mettre son projet à exécution, dit M. Boré).
Après avoir dit que l’authenticité de ces lettres a beaucoup exercé la sagacité des critiques, M. Boré ajoute : « Tillemont, Pagi et d’autres ont réfuté longuement ceux qui la révoquent en doute. D’autres, comme Jean Damascène, se sont contentés de respecter l’antiquité de ces lettres et de croire à la possibilité de la correspondance, sans prétendre que les lettres soient exactement les mêmes. Dans un concile tenu sous le pape Gélase, l’an 494, on rangea cette correspondance parmi les apocryphes. Mais la sentence de l’Église ne détruit en rien l’autorité du témoignage des historiens de l’Arménie ou de la Syrie, et n’érige point en article de foi leur falsification, comme quelques-uns pourraient, l’imaginer. Le jugement que des écrits n’ont pas été transmis directement par les apôtres et n’ont point le degré d’authenticité des Évangiles, n’implique point en soi la fausseté de ces mêmes documents. Cette décision, les classe seulement dans la catégorie des autres sources historiques de l’antiquité. Toute l’Église d’Arménie a continuellement honoré de son respect cette tradition qui nous fait connaître un acte nouveau, de la bonté et de la miséricorde du Sauveur, et les Grecs conservèrent religieusement dans la bibliothèque de Constantinople, jusqu’à la prise de cette ville par les Turcs, un manuscrit syriaque qu’ils croyaient être l’autographe de ces lettres.
M. Cyprien Robert, dans un Cours d’histoire monumentale des premiers chrétiens, fait en abrégé le tableau des événements qui, à l’entrée du quatrième siècle, ont amené la dissolution du paganisme, et ce sujet lui rappelle les rois d’Edesse : « De grands personnages et même des princes, dit-il, avaient déj à reçu le christianisme quand Constantin vint le proclamer comme religion du monde. Tels étaient les Abgares ou dynastie royale d’Edesse, dont les monnaies offrent le premier exemple historiquement connu de la croix employée sur les monuments publics depuis Jésus-Christ. Ce précieux débris, le plus ancien témoin de l’art dans le christianisme, consiste en deux médailles, conservées à Vienne, au cabinet impérial des monnaies. L’Abgare qui fit frapper l’une parait avoir été contemporain de Commode, car elle porte la tête de cet empereur sur son revers ; l’autre est du temps de Sévère, mais son inscription est illisible. Au reste, ces Abgares auraient pu, à l’origine, comme fit d’abord Constantin, ne mettre la croix sur leurs casques et ceux de leurs soldats que comme un talisman de guerre, sans être, à proprement parler, chrétiens. Le dernier d’entre eux, dépossédé de son trône par Septime Sévère, pour avoir combattu contre Niger, son antagoniste, fit un voyage à Rome pour se réconcilier avec l’empereur, qui le reçut avec beaucoup de pompe ; et, par flatterie pour son nouveau maître, le roitelet prit le nom de Septimicus. Mais Caracalla marchant contre les Perses, s’empara d’Edesse, fit le roi prisonnier et réduisit son État en province de l’empire. Eusèbe nomme cet Abgare un saint homme. Cédrénus, au contraire, dit qu’il retomba dans le paganisme. La confrontation des légendes relatives à ce prince se trouve dans l’énorme compilation de l’Oriens Christianus et au tome premier de la Bibliothèque orientale. » (Voyez Edesse.)]
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