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Abram

Nommé ensuite Abraham, fils [aîné (Voyez Aran)] de Tharé, naquit à Ur, ville de Chaldée, l’an du monde 2008, avant Jésus-Christ 1992, avant l’ère vulgaire 1996 [D. Calmet n’ayant rien dit de la difficulté chronologique que soulève le discours de saint Étienne (Actes 7.4) par rapport à ce patriarche, nous croyons devoir l’indiquer en peu de mots en donnant la réponse qui nous a semblé la plus solide. On voit par la Genèse (Genèse 12.4), qu’Abraham partit de Charran à l’âge de soixante-quinze ans ll était né la soixante-dixième année de Tharé, son père (Genèse 11.26), d’où il suit que son départ doit être fixé à l’an 145 de son père, qui vécut deux cent cinq ans (vers. 32). Or, suivant l’interprétation de plusieurs interprètes, saint Étienne dit qu’Abraham ne quitta la Mésopotamie qu’après la mort de Tharé, son père. La contradiction que cette interprétation fait naître entre saint Étienne et Moïse prouve bien qu’elle est fausse ; et en effet, en considérant le texte des Actes avec attention, on voit qu’il ne s’agit pas de l’envoi d’Abraham dans la Palestine, mais de sa transplantation définitive dans la Judée, où habitaient les Juifs de Jérusalem auxquels parlait saint Étienne. Or cette transplantation n’eut lieu qu’après la mort de Tharé. En voici la preuve. Parti de Charran à soixante-quinze ans, Abraham vint à Sichem, puis à Bethel, puis en Égypte. Il revint plus tard à Béthel, et fut habiter pendant quelque temps la plaine de Mambré, mais non d’une manière stable : car après la ruine de Sodome, il fut à Gérare, dans le pays des Philistins, où naquit Isaac, et il demeura dans ce pays un grand nombre d’années (Genèse 21.34). Enfin il se retira à Hébron, où mourut Sara. Abraham acheta alors dans le territoire de Mambré le champ où il enterra son épouse, et se fixant définitivement dans ce lieu il y demeura jusqu’à sa mort. Or cette fixation eut lieu un an après la mort de Tharé, car Sara avait au moment de sa mort cent vingt-sept ans (Genèse 23.1) ; et comme Abraham était de neuf ans plus âgé que son épouse (Genèse 17.17-24), cette mort arriva la cent trente-sixième année de son âge. Or, de 156, retranché 75, l’âge d’Abraham au moment de son départ, il reste soixante et un ans, c’est-à-dire un an de plus que ne vécut Tharé après le départ d’Abraham. Donc saint Étienne a eu raison de dire qu’Abraham n’a été définitivement établi dans la Judée qu’après la mort de son père Tharé].

Il passa les premières années de sa vie dans la maison de son père, où l’on adorait les idoles. Plusieurs croient qu’au commencement lui-même fut engagé dans ce faux culte, mais que Dieu l’ayant éclairé, il renonça et souffrit même une rude persécution pour la bonne cause, ayant été jeté par les Chaldéens dans une fournaise ardente ; mais Dieu l’en tira miraculeusement. Le texte de la Vulgate (Néhémie 9.7) marque expressément qu’il fut garanti du feu des Chaldéens ; et les Juifs L’enseignent ainsi communément. Mais il y a beaucoup d’apparence que ce sentiment n’est fondé que sur l’équivoque du nom Ur, qui signifie du feu, et la ville d’Ur, d’où Dieu tira Abraham, pour le faire venir dans la Terre promise. Il fit donc apparemment connaître à son père la vanité de l’idolâtrie, puisqu’il l’engagea à quitter la ville d’Ur, où il était établi, pour aller au lieu où le Seigneur appelait Abram. Ils vinrent d’abord à la ville de Charres, ou Haran en Mésopotamie, où Tharé, père d’Abraham, mourut (Genèse 11.31). De là, Abraham passa dans la Palestine, qui était occupée par les chananéens [A la manière dont l’auteur raconte les faits, on croirait qu’Abraham savait que la Palestine était le pays où Dieu voulait le faire venir et accomplir les promesses qu’il lui avait faites. Dieu, lorsque Abraham était à Ur, lui dit : Quittez votre patrie et venez au pays que je vous montrerai (Genèse 12.1 ; Actes 7.2-3) ; Abraham, plein de foi en la parole divine, partit sans savoir où il allait (Hébreux 11.8). Dieu avait ajouté : Je ferai sortir de vous un grand peuple, je vous bénirai ; je rendrai votre nom célèbre… Tous les peuples de la terre seront bénis en vous (Genèse 22.18), dans l’un de votre race, qui est, dit saint Paul, Jésus-Christ (Galates 3.8-16). Venez au pays que je vous montrerai : c’est là ce qu’on appelle la vocation d’Abraham, elle eut lieu, non à Harran, mais à Ur. Par cette parole (de Dieu), dit Bossuet, Abraham est fait le père de tous les croyants, et sa postérité est choisie pour être la source d’où la bénédiction doit s’étendre par toute la terre. En cette promesse était renfermée la venue du Messie, tant de fois prédit à nos pères, mais toujours prédit comme celui qui devait être le sauveur de tous les gentils et de tous les peuples du monde. Ainsi ce germe béni, promis à Ève, devint aussi le germe et le rejeton d’Abraham].

Dieu lui promit de lui donner la propriété de ce pays, et de le combler de bénédictions (Genèse 12.1-3). Cependant, le patriarche n’y acquit pas un pouce de terre, et il y vécut toujours comme étranger (Actes 7.5).

Quelque temps après qu’il fut arrivé dans ce pays [Après avoir traversé la plaine de Sichem, il séjourna d’abord dans celle de Moré, et ensuite en un lieu situé entre Béthel et Haï. C’est dans ce dernier séjour que la famine vint le trouver]., il y survint une grande famine qui l’obligea d’aller en Égypte (Genèse 12.10) pour y trouver de la nourriture. Prévoyant que les Égyptiens, frappés de la beauté de Sara, son épouse, pourraient la lui ravir et lui ôter la vie, s’ils savaient qu’elle fût sa femme, il la pria de trouver bon qu’il dît qu’elle était sa sœur. Sara y consentit ; et lorsqu’elle fut en Égypte, on parla de sa beauté extraordinaire à Pharaon, qui l’enleva et la voulut prendre pour femme ; mais Dieu le frappa de si grandes plaies, qu’il l’obligea à la rendre. Après la famine, Abraham sortit de l’Égypte et revint dans la terre de Chanaan, ou il tendit ses tentes entre Béthel et Haï, où il avait bâti un autel quelque temps auparavant (Genèse 13.1). Comme Abraham et Loth, son neveu, avaient de grands troupeaux, et qu’ils ne pouvaient, pour cette raison, demeurer ensemble, ils se séparèrent. Loth se retira à Sodome, et Abraham dans la vallée de Mambré, près d’Hébron, en 2084, avant Jésus-Christ 1916 ; avant l’ère vulgaire 1920.

Quelques années après (8 ans), Loth ayant été pris dans la guerre que Codorlahomor, avec ses alliés, fit aux rois de Sodome et de Gomorre, d’Adama, de Séboïm et de Ségor, Abraham, avec ses gens, poursuivit les rois victorieux, et les ayant atteints à Dan, près les sources du Jourdain, il les dissipa, reprit tout le butin, avec Loth, son neveu, et les ramena à Sodome (Voyez ci-après l’article Codorlahomor). À son retour, comme il passait près de Salem ou Jérusalem, Melchisédech, roi de cette ville, et prêtre du Très-Haut, vint au-devant de lui, le combla de bénédictions, lui présenta du pain et du vin pour lui et pour son armée (Genèse 14.1) ; ou bien il offrit au Seigneur du pain et du vin en sacrifice d’actions de grâces. Après cela, le Seigneur renouvela à Abraham toutes les promesses qu’il lui avait faites (Genèse 15.1), lui promit de nouveau la possession de la terre de Chanaan et une postérité aussi nombreuse que les étoiles du ciel. [D. Calmet néglige souvent de rapporter des faits essentiels ; ici c’est l’annonce que Dieu fait à Abraham du séjour de ses descendants en Égypte, de leur servitude et de leur délivrance (Genèse 15.15-16 ; Actes 7.6-7)].

Comme il n’avait point d’enfants, et qu’il ne comptait plus d’en avoir, à cause de son âge fort avancé et de la stérilité de Sara, il consentit à la sollicitation de son épouse, qui le pria de prendre pour femme Agar ; sa servante (Genèse 16.1-2), s’imaginant que par les enfants qu’il en aurait, Dieu pourrait exécuter les promesses qu’il lui avait faites d’une nombreuse postérité. Il épousa donc Agar l’an du monde 2093, avant Jésus-Christ 1907, avant l’ère vulgaire 1911. Mais celle-ci voyant qu’elle avait conçu, commença à mépriser Sara, sa maîtresse. Sara s’en plaignit à Abraham ; et Abraham dit à Sara qu’elle pouvait faire de sa servante ce qu’elle voudrait. Sara ayant donc maltraité Agar, elle s’enfuit. Mais l’ange du Seigneur lui étant apparu dans le désert, lui dit de s’en retourner à la maison de son maître, et d’être plus soumise à sa maîtresse. Elle y retourna, et quelque temps après, elle enfanta Ismaël, l’an du monde 2094, avant Jésus-Christ 1906, avant l’ère vulgaire 1910.

Treize ans après (Genèse 17), le Seigneur renouvela avec Abraham son alliance et les promesses qu’il lui avait faites. Il changea le nom d’Abram, c’est-à-dire Père élevé, qu’il avait porté jusqu’alors, en celui d’Abraham, c’est-à-dire Père d’une grande multitude ; et celui de Saraï, c’est-à-dire ma princesse, en celui de Sara, c’est-à-dire princesse. Pour gage et pour marque de l’alliance qu’il faisait avec lui, il lui ordonna de prendre la circoncision, et de la donner à tous les mâles de sa maison, et lui promit expressément qu’il aurait un fils de Sara, son épouse, et cela dans un an.

Peu de temps après (An du monde 2107), les crimes de Sodome, de Gomorre et des villes voisines étant montés à leur comble, Dieu envoya trois anges pour les faire périr. Ils vinrent d’abord dans la vallée de Mambré (Genèse 18), où Abraham avait ses tentes. Dès qu’il les eut aperçus, il courut à eux, les invita à manger, leur lava les pieds, et se hâta de leur faire cuire de la viande. Sara leur fit des pains cuits sous la cendre ; et, après qu’ils eurent mangé, ils demandèrent à Abraham : Où est Sara, votre femme ? Abraham répondit : Elle est dans sa tente. Alors l’un d’eux lui dit : Dans un an, en cette même saison, je vous visiterai, et Sara aura un fils. Sara, qui était derrière la porte, ayant ouï cela, se mit à rire. Mais l’ange dit à Abraham : Pourquoi Sara a-t-elle ri ? Y a-t-il rien de difficile à Dieu ? Je reviendrai dans un an, comme je vous l’ai promis, et Sara aura un fils. Lorsqu’ils voulurent partir, Abraham les accompagna par honneur, et ils prirent leur route vers Sodome. Alors deux de ces anges ayant pris le devant, et s’avançant vers le pays de Sodome, le troisième, qui était demeuré avec Abraham, lui dit : Le cri de Sodome s’élève de plus en plus, et leurs crimes sont montés à leur comble. Je descendrai donc pour voir si le cri qui est monté jusqu’à moi, est véritable. Abraham, craignant que Loth, son neveu, ne fût enveloppé dans le malheur de cette ville, dit au Seigneur : Voudriez-vous perdre le juste avec l’impie ? S’il se trouve cinquante justes dans cette tille, les ferez-vous périr avec les autres ; et ne pardonnerez-vous pas à cette ville pour cinquante justes ? Je lui pardonnerai à cause d’eux, dit le Seigneur. Abraham ajouta : S’il ne s’y trouvait que quarante-cinq justes, feriez-vous périr toute la ville, sans avoir égard à ce nombre de justes ? Non, dit le Seigneur. Abraham, continuant à parler, vint par, degrés, en diminuant, jusqu’à dix justes ; et Dieu lui promit qu’il ne ferait pas périr celle ville, s’il y trouvait seulement dix justes. Mais il ne s’y en trouva qu’un seul, qui fut Loth, neveu d’Abraham (Genèse 19) et encore Dieu le préserva du malheur de Sodome, comme nous le dirons ailleurs.

Cependant Sara conçut, selon la promesse du Seigneur ; et Abraham ayant quitté la vallée de Mambré, s’avança vers le midi, et demeura comme étranger à Gérare (Genèse 20), où régnait Abimélech, dont nous avons parlé ci-devant. Abraham qui craignait qu’on ne lui enlevât Sara, et qu’on ne le fit mourir, dit, comme il avait déj à fait en Égypte, qu’elle était sa sœur. Aussitôt Abimélech en devint amoureux, et la prit dans sa maison, dans le dessein de l’épouser. Mais Dieu lui ayant apparu en songe, et lui ayant appris qu’elle était épouse d’Abraham, il la lui rendit avec de grands présents. La même année, Sara enfanta Isaac (Genèse 21, An du monde 2108, Avant Jésus-Christ 1892, Avant l’ère vulgaire 1896) et Abraham le circoncit, suivant l’ordre qu’il en avait reçu du Seigneur. L’enfant crût, et Abraham fit un grand festin à ses amis lorsqu’on le sevra. Un jour Sara ayant vu Ismaël, fils d’Agar, qui jouait avec Isaac son fils, elle dit à Abraham : Chassez cette femme avec son fils ; car Ismaël n’héritera point avec Isaac. Quelque répugnance qu’eût Abraham à chasser ainsi Agar et Ismaël, il le fit, lorsque Dieu lui eut fait connaître que c’était sa volonté.

Vers le même temps, Abimélech, roi de Gérare (Genèse 21.22), vint avec Phicol, chef de son armée, trouver Abraham, pour faire alliance avec lui. Abraham lui fit présent de sept jeunes brebis de son troupeau, pour servir de monument que le puits que ses gens avaient creusé, était à lui. Ils jurèrent alliance ensemble, et on donna à ce lieu le nom de Béer-Sabé, ou du Puits du jurement, à cause de l’alliance qu’ils y avaient jurée. Abraham y planta un bois, bâtit un autel, et y demeura quelque temps.

Après cela, Dieu dit à Abraham (Genèse 22, An du monde 2133, Avant Jésus-Christ 1867, Avant l’ère vulgaire 1871) de lui immoler son fils Isaac, sur une des montagnes qu’il lui montrerait. Abraham prit donc son fils avec quelques domestiques, et le mena vers la montagne de Moré, ou de Vision. Comme ils marchaient ensemble, Isaac dit à son père : Voilà le feu et le bois ; où est la victime pour l’holocauste ? Abraham répondit : Dieu y pourvoira, mon fils. Lorsqu’ils furent arrivés à la vue de la montagne, Abraham laissa ses serviteurs, et y monta seul avec Isaac ; et l’ayant lié, il se mit en devoir de l’immoler. Mais comme il était près de lui donner le coup, un ange du ciel lui cria : N’étendez point la main pour frapper l’enfant ; je connais maintenant que vous craignez-le Seigneur, puisque pour lui obéir vous n’avez point épargné votre fils unique. En même temps, Abraham ayant aperçu un bélier qui était embarrassé par les cornes dans un buisson, il le prit, et l’offrit en holocauste en la place de son fils ; et il donna à ce lieu le nom du Seigneur qui voit. Cela arriva l’an du monde 2133, Isaac étant, âgé d’environ vingt-cinq ans.

Douze ans après, c’est-à-dire, l’an du monde 2145, avant Jésus-Christ 1855, avant l’ère vulgaire 1859, Sara, épouse d’Abraham, mourut dans la ville d’Hébron, autrement Arbée (Genèse 23). Abraham était apparemment à Bersabée, lorsqu’elle mourut. Mais ayant appris sa mort, il vint à Hébron, pour la pleurer, et pour lui rendre les derniers devoirs. Il se présenta à la porte de la ville devant l’assemblée du peuple, pour les supplier de lui accorder le droit de sépulture pour sa femme parmi eux ; car, étant étranger dans le pays, et n’y ayant aucun fonds en propre, il ne pouvait prétendre au droit d’une sépulture honorable dans les sépulcres du pays, sans l’agrément des propriétaires. Il pria donc Ephron, un des habitants, de lui vendre un champ nommé Macphéla avec la caverne et le sépulcre qui y étaient. L’achat s’en fit en présence de tout le peuple d’Hébron, moyennant le poids de quatre cents sicles d’argent, qui valent six cent quarante-huit livres, six sols, huit deniers de notre monnaie ; et Abraham enterra Sara, après en avoir fait le deuil suivant la manière du pays.

Abraham se sentant vieux, songea à marier son fils Isaac (Genèse 24). Il envoya Eliézer, intendant de sa maison, en Mésopotamie, avec ordre d’amener une femme de sa nation, pour la faire épouser à Isaac. Eliézer exécuta cette commission avec toute la sagesse qu’on pouvait souhaiter, et amena Rébecca, fille de Bathuel, petite-fille de Nachor, et par conséquent nièce d’Abraham. Isaac l’épousa, et la logea dans la tente de Sara sa mère (An du monde 2148, Avant Jésus-Christ 1852, Avant l’ère vulgaire 1856). Abraham, après la mort de Sara, épousa Céthura, dont il eut six fils : Zamram, Jecsan, Madan, Madian, Jesboc et Sué, qui furent tous chefs de différents peuples, dont la demeure fut dans l’Arabie, et aux environs de la Palestine. Enfin, après avoir vécu cent soixante-quinze ans, il mourut (An du monde 2183, Avant Jésus-Christ 1817, Avant l’ère vulgaire 1821) accablé de vieillesse, et fut enterré, avec Sara sa femme, dans le champ et dans la caverne de Macphéla qu’il avait achetés d’Ephron.

Les Orientaux, tant chrétiens que musulmans, même les Indiens et les infidèles, connaissent le patriarche Abraham et en font de grands éloges. Voici ce que les Arabes, qui sont descendus des patriarches, nous en apprennent. Abraham était fils d’Azar, et petit-fils de Tharé ; c’est ainsi que le racontent tous les historiens arabes. Il faut donc que Tharé, que l’Écriture donne pour père à Abraham, ait aussi porté le nom d’Azar, chose qui n’est pas extraordinaire dans l’Orient, plusieurs personnes ont deux noms, et nous en avons divers exemples dans l’Écriture. Si nos chronologistes, selon la remarque de M. d’Herbelot, avaient eu connaissance de cette généalogie arabique, ils n’auraient pas été obligés de recourir à une seconde transmigration d’Abraham, dont l’Écriture ne parle point, pour accorder l’époque de sa sortie de la ville d’Ur, avec les années de son âge ; ils seraient sortis aisément de toutes ces difficullés en admettant deux Tharé ; l’un surnommé Azar et père d’Abraham, et l’autre, Tharé aïeul de ce patriarche ; ce qui n’est nullement contraire au texte sacré.

On peut faire une histoire suivie de la vie d’Abraham, tirée de la tradition des Orientaux. En voici un échantillon. Nemrod, le fameux Nemrod, fils de Chanaan, et grand chasseur que l’on croit avoir été le premier roi après le déluge, tenait son siège dans Babylone qu’il avait bâtie. Ce prince vit en songe pendant la nuit une étoile qui se levait sur l’horizon, et dont la lumière effaçait celle du soleil. Les devins consultés sur ce songe, lui prédirent qu’il devait naître dans Babylone un enfant qui deviendrait en peu de temps un grand prince, qu’il avait tout à craindre de cet enfant, quoiqu’il ne fût pas encore conçu. Nemrod, effrayé de cette réponse, ordonna dans le moment que les hommes fussent séparés de leurs femmes, et il ordonna un officier de dix en dix maisons, pour les empêcher de se voir. Azar, guide de Nemrod, trompa ses gardes, et coucha une nuit avec sa femme nommée Adna. Le lendemain, les mages qui observaient tous les moments de ce temps-là, vinrent avertir Nernrod que l’enfant dont il était menacé avait été conçu cette même nuit ; ce qui obligea ce prince à ordonner que l’on gardât soigneusement toutes les femmes grosses, et que l’on mît à mort tous les enfants qui en naîtraient. Adna qui ne donnait aucune marque de grossesse, ne fut point gardée. Elle alla faire ses couches à la campagne, dans une grotte, dont elle ferma exactement l’entrée ; et à son retour, elle dit à son mari qu’elle avait accouché d’un fils, qui était mort aussitôt après sa naissance.

Adna cependant allait souvent à la grotte, pour visiter son enfant et pour lui donner lu lait ; mais elle le trouvait toujours suçant le bout de ses doigts, dont l’un lui fournissait du lait, et l’autre du miel. Ce miracle la surprit, mais il la tranquillisa sur le soin de la nourriture de cet enfant ; et voyant que la Providence s’en chargeait, elle se contenta d’y aller de temps en temps pour le visiter. Bientôt elle s’aperçut qu’il croissait en trois jours autant que les autres enfants le font en un mois, de sorte qu’à peine quinze lunes furent écoulées, qu’il parut aussi grand qu’un enfant de quinze ans. Alors Adna déclara à Azar que le fils dont elle était accouchée, et qu’elle lui avait ditêtre mort, était plein de vie et que Dieu avait pourvu miraculeusement à sa subsistance.

Azar accourut aussitôt à la grotte, y trouva son fils, et dit à la mère de l’amener à la ville, parce qu’il voulait le présenter à Nemrod, et le placer à la cour. Sur le soir Adna le fit sortir de son antre, et le fit passer par une prairie, où paissaient des troupeaux de toutes sortes d’animaux domestiques. C’était pour le jeune Abraham un spectacle tout nouveau il demandait le nom de chacun à sa mère, qui l’instruisait, des noms, des qualités et des usages de tous les animaux. Abraham continua à lui demander qui était celui qui avait produit toutes ces choses. Adna lui dit que toutes les choses de ce monde avaient leur créateur et leur seigneur. Et qui est donc celui qui m’a mis au monde, répliqua-t-il ? Adna lui dit : C’est moi. Et qui est votre seigneur reprit Abraham ? C’est Azar, lui répondit-elle. Comme il continuait à lui demander qui était le seigneur d’Azar, elle lui dit que c’était Nemrod. Il voulait pousser plus loin sa gradation, mais elle l’arrêta en lui disant qu’il ne fallait pas pousser plus loin ses recherches de peur de danger.

Il arriva à la ville, qu’il vit plongée dans toutes sortes de superstitions et d’idolâtries ; puis s’en retourna à sa grotte, toujours occupé de l’envie de connaître son créateur. Il vit un jour, en revenant à Babylone, les étoiles qui brillaient dans le ciel, et entre autres celle de Vénus, que plusieurs adoraient ; il dit en lui-même : Voilà peut-être le Dieu et le Créateur du monde. Mais quelque temps après, ayant aperçu que cette étoile se couchait, il dit : Certainement ce ne peut être ici le maître de l’univers : car il ne peutêtre sujet à ce changement. Il considéra peu après la lune dans son plein, et il lui vint en pensée que ce pourrait bien être l’auteur de toutes choses qu’il cherchait mais l’ayant vue passer sur l’horizon comme les autres astres, il en porta le même jugement qu’il avait fait de l’étoile de Vénus. Enfin, comme il approchait de la ville ; il vit une infinité de gens qui adoraient le soleilà son lever, il fut tenté d’en faire de même ; mais ayant vu que cet astre déclinait et prenait sa route vers l’occident comme les autres, il en conclut qu’il n’était ni son Créateur, ni son Seigneur, ni son Dieu.

Azar le présenta à Nemrod, qui était assis sur un trône élevé, ayant autour de lui un grand nombre d’esclaves des mieux faits de l’un et de l’antre sexe. Abraham demanda à son père qui était ce personnage si élevé au-dessus des autres. Azar lui répondit que c’était le roi Nemrod que tous ces gens-là reconnaissaient pour leur dieu. Il ne peut être leur Dieu, répliqua Abraham, puisqu’il est moins beau, et par conséquent moins parfait que la plupart de ceux qui sont autour de lui. Abraham prit de là occasion de parler à son père de l’unité de Dieu, ce qui lui attira dans la suite de grands démêlés avec lui et avec les principaux de la cour de Nemrod, qui ne voulaient pas acquiescer aux vérités qu’il leur disait. Nemrod en ayant été informé. le fit jeter dans une fournaise ardente, d’où il sortit néanmoins sain et sauf.

Pendant une grande peste, ayant distribué aux pauvres tout ce qu’il y avait de provision dans ses greniers, il envoya vers un de ses amis en Égypte, pour le prier de lui donner du grain. Cet ami ayant appris des gens d’Abraham le sujet de leur voyage, leur dit : Nous craignons aussi la famine en ce pays-ci ; je sais d’ailleurs qu’Abraham ne manque point des provisions nécessaires pour sa famille, et que le grain qu’il me demande n’est pas pour lui, mais seulement pour les pauvres : ainsi je ne crois pas qu’il soit juste de lui envoyer ce dont nous pourrons avoir besoin pour la subsistance des nôtres.

Ce refus, quoique assaisonné de belles paroles, affligea extrêmement les gens d’Abraham, et quand ils furent près de la demeure de leur maître, craignant les moqueries des gens du pays, qui les verraient revenir en cet état et qui peut-être en prendraient sujet de mépriser Abraham, résolurent, pour déguiser leur honte, de remplir leurs sacs d’un sable très-blanc et très-fin qu’ils trouvèrent dans leur chemin. Étant arrivés à la maison, le principal de la troupe raconta à son maître tout ce qui leur était arrivé et ce qu’ils avaient fait. Abraham, sans s’en alarmer, entra dans son oratoire pour s’en consoler avec Dieu.

Cependant Sara, son épouse, qui ne savait rien de tout cela, ayant vu des chameaux arriver, prit aussitôt un sac qu’elle trouva plein d’excellente farine, dont elle fit du pain pour les pauvres. Abraham, après avoir fini sa prière, sortit de son oratoire, et sentant l’odeur du pain nouvellement cuit, il demanda à Sara de quelle farine elle l’avait fait : De celle de votre ami d’Égypte, répondit-elle, que vos chameaux viennent d’apporter. Dites plutôt, répliqua Abraham, du véritable ami, qui est Dieu, qui ne nous abandonne jamais au besoin. Depuis ce temps, Abraham fut qualifié l’Ami de Dieu, nom qui lui est donné par les prophètes (Isaïe 41.8 ; Daniel 3.35), et que les Musulmans lui donnent communément, d’où vient qu’ils donnent à Hébron où il est enterré, le nom de la ville de l’Ami de Dieu : toutefois ils le mettent beaucoup au-dessous de leur faux prophète Mahomet : Abraham, dit l’un d’eux, n’était qu’un officier de son armée, et le Messie n’est que le Maître des cérémonies de sa cour.

Ils ne sont pas d’accord sur le nombre des anges qui furent reçus dans la tente d’Abrabam. Démiathi en reconnaît trois, savoir : Gabriel, Arraphel et Michel ; le premier avait la commission d’exterminer Sodome, le second, celle d’annoncer à Abraham la naissance d’Isaac ; et le troisième celle de délivrer Loth de la ruine de Sodome. Abraham les ayant reçus dans sa tente, leur servit un veau rôti, dit Mahomet dans son Alcoran, mais voyant qu’ils ne mangeaient point, il fut saisi de frayeur, craignant que ce ne fussent des ennemis ; car, suivant les coutumes d’Orient, il n’y a point de plus grande marque d’inimitié que le refus de manger et de boire avec celui qui nous invite à sa table. Les anges le rassurèrent donc, en lui disant : Ne craignez point ; car nous sommes envoyés de la part de Dieu vers le peuple de Loth. Sara, qui était présente, se mit à rire, continue Mahomet, qui ignore la vraie histoire d’Abraham et qui la raconte à sa manière : Ses interprètes disent que la cause des ris de Sara, était ou la joie de voir Abraham délivré de sa frayeur, ou le désir de voir la punition de ceux de Sodome, ou l’admiration de voir des anges revêtus de la forme humaine.

Les anges donc l’ayant vue rire, lui donnèrent la bonne nouvelle qu’elle aurait un fils nommé Isaac, et qu’Isaac deviendrait père de Jacob. À cela Sara répondit : Que serait-ce de moi, si, en l’âge où je suis, et mon mari étant aussi vieux qu’il est, j’accouchais d’un fils ? La chose serait assurément merveilleuse. Mais les anges lui répondirent : Pourquoi vous étonnez-vous de l’ouvrage de Dieu ? La bénédiction est sur Abraham et sur vous, car vous êtes choisis pourêtre chefs d’une grande famille. Après cela, les anges s’avancèrent vers Sodome, et Abraham contesta longtemps avec Dieu pour tâcher de le détourner de détruire le peuple de Loth, disant aux anges : Vous allez ruiner des villes où il y a peut-être cent personnes de fidèles dans chacune. C’est ainsi qu’on lit cette histoire dans l’Alcoran.

Celle d’Agar et d’Ismaël y est encore un peu altérée ; on y lit cette prière d’Abraham : Seigneur j’ai placé un de mes enfants dans une vallée stérile, auprès de votre maison sacrée : sur quoi les interprètes racontent que Sara, ne pouvant souffrir dans la Palestine Agar, ni son, fils Ismaël, pria Abraham de les envoyer dans un pays désert et sans eau. Cette demande troubla Abraham ; mais l’ange Gabriel lui ayant fait connaître qu’il devait acquiescer aux volontés de Sara, il obéit aussitôt, et ayant pris la mère et l’enfant, il les transporta au territoire de la Mecque, qui était alors stérile et sans eau. Mais l’ange y fit sourdre une fontaine sous les pieds d’Ismaël : c’est le puits de Zemzem, si fameux parmi les Turcs et le seul qui soit dans ces cantons-là. En même temps, Dieu versa sa bénédiction sur le pays, et il devint si fertile qu’on y voit en même temps des fruits des quatre saisons de l’année et en grande abondance.

Il n’y avait point encore de temple bâti à la Mecque, mais seulement un grand édifice nommé Sorah, construit, disent-ils, par le patriarche Seth dès le temps d’Adam en forme de temple. Cette antiquité le rendait respectable, et tous ceux du pays le visitaient par dévotion. Dans la suite, Abraham et Ismaël y rebâtirent ce temple qui avait été ruiné par le déluge. Les Musulmans le nomment Cabah, ou la Maison carrée, et ils le visitent au moins une fois en leur vie par dévotion, et se tournent vers lui, lorsqu’ils prient, en quelque endroit du monde qu’ils se rencontrent.

Il y a grande apparence que les anciens Arabes et les Ismaélites rendaient dans ce temple un culte d’idolâtrie à Bacchus et à Uranie ou Vénus la Céleste. Hérodote assure qu’ils n’adorent que ces deux seules divinités qu’ils appellent Bacchus Urotalt et Uranie Alilat. Strabon dit qu’ils n’ont point d’autres dieux que Jupiter et Bacchus ; Ammien leur donne pour dieux le Ciel et Bacchus. Philostorge dans Photius dit qu’ils sacrifiaient au soleil, à la lune et aux démons. S. Nil, dans l’histoire du massacre des moines du mont Sina, assure qu’ils sacrifient au soleil et à l’étoile du matin. Maxime de Tyr parle d’une grande pierre carrée à laquelle ils rendaient des honneurs divins, et quand les Sarrazins se convertissaient au christianisme, on les obligeait d’anathématiser cette pierre qui était auparavant l’objet de leur culte.

On raconte que la tribu des Arabes nommée Gioram, ayant été obligée de céder la Mecque et son temple aux Ismaélites qui étaient devenus les plus forts, le chef des Gioramides jeta la pierre noire et deux gazelles d’or dans le puits Zemzem, dont on a parlé, et ferma si bien l’orifice de ce puits, qu’on ne le put découvrir de longtemps.

Abdalmotleb, aïeul de Mahomet, tira la pierre noire de ce puits et la remit au même lieu du temple d’où elle avait été détachée. Elle est encore aujourd’hui attachée à une des colonnes du portique du temple de la Mecque, et les pèlerins turcs ne croiraient pas avoir bien fait leur pèlerinage, s’ils n’avaient baisé plusieurs fois cette pierre à laquelle ils attribuent mille qualités prétendues miraculeuses. Ce n’est pas seulement cette pierre noire à qui les Arabes ont rendu un culte superstitieux. Les anciens Ismaélites qui fréquentaient le temple bâti par Abraham à la Mecque, en détachaient des pierres qu’ils portaient avec eux et qu’ils plaçaient sous une tente vers laquelle ils se tournaient pour prier. Comme le culte du temple de la Mecque consistait en divers tournoiements, ils appelèrent ces pierres dasuar, qui signifie la même chose, et faisaient autour d’elles les mêmes cérémonies que l’on faisait autour du temple. C’est ainsi qu’un respect outré pour la mémoire d’Abraham, a jeté ces misérables peuples dans la superstition et dans l’impiété. Il y a beaucoup d’apparence que tout ce qu’ils disent du temple bâti à la Mecque par Abraham, n’est autre chose qu’une fiction ajoutée au récit que fait Moïse de l’autel (Genèse 21.33) érigé par ce patriarche à Bersabée et du bois planté autour de cet autel.

Ils racontent de plus qu’Abraham fit un jour cette prière à Dieu : Seigneur, faites-moi voir comment vous ressuscitez les morts. Le Seigneur lui répondit : N’avez-vous pas la foi ? Oui, Seigneur, mais je vous fais seulement cette demande pour contenter mon cœur. En ce même temps, le démon considérant le cadavre d’un homme que la mer avait jeté sur le rivage, et dont les bêtes farouches, les oiseaux et les poissons avaient chacun dévoré une partie, crut que c’était une belle occasion de tendre un piège aux hommes sur la créance de la résurrection. Alors Abraham se rendit par l’ordre de Dieu sur le rivage, et le démon l’ayant aussitôt abordé sous la forme d’un homme étonné, lui demanda comment il se pourrait faire que les membres de ce cadavre dispersés dans le ventre de tant d’animaux divers, pourraient se rejoindre au jour de la résurrection générale. Abraham lui répondit : Celui qui a pu tirer toutes les parties du corps du fond du néant, saura bien les retrouver dans les divers endroits de la nature où elles sont dispersées. Le potier met en pièces un vase de terre, et le refait de la même terre, quand il lui plaît.

Ensuite Dieu dit à Abraham : Prenez quatre oiseaux, mettez-les en pièces, et portez-en les parties divisées sur quatre montagnes séparées ; après cela, appelez-les, et vous verrez que ces oiseaux viendront tous quatre aussitôt à vous. Ceci est imité de ce qui est dit dans la Genèse (Genèse 15.9-11) du sacrifice d’une vache de trois ans, d’une chèvre de trois ans, d’un bélier de trois ans, d’une tourterelle et d’une colombe qu’Abraham partagea en deux parties et qu’il mit sur des autels séparés ; mais les Turcs y ont ajouté diverses circonstances. Ils disent que les quatre oiseaux dont parle Mahomet, étaient le coq, le corbeau, la colombe et le paon ; qu’Abraham, après les avoir mis en pièces, en fit une anatomie exacte, qu’il les mêla tous ensemble ; quelques-uns ajoutent qu’il les pila dans un mortier et n’en composa qu’une masse de laquelle il fit quatre portions qu’il porta sur la cime de quatre montagnes différentes ; après quoi, tenant leurs têtes qu’il avait réservées, il les appela séparément par leur nom, et chacun d’eux revint aussitôt se rejoindre à sa tête et s’envola. C’est ainsi que Dieu convainquit Abraham de la résurrection future.

Une des plus grandes prérogatives d’Abraham, selon les Musulmans est la tige d’où est sortie la glorieuse Vierge Marie et son Fils dont ils reconnaissent la conception et la naissance miraculeuse d’une Mère Vierge et exempte de la corruption originelle.

Les mages ou adorateurs du feu qui subsistent encore aujourd’hui dans la Perse, n’ont pas moins de respect pour Abraham qu’en ont les sectateurs de Mahomet. Ils croient que Zoroastre, leur grand maître, est le même qu’Abraham, et qu’il fut surnommé Zerdoust ou Zoroastre, c’est-à-dire l’Ami du feu, parce qu’ayant été jeté par Nemrod dans une fournaise ardente, il en sortit sain et sauf, le feu l’ayant, pour ainsi dire, caressé et traité en ami au lieu de lui nuire. Nous avons parlé ci-devant des livres qu’ils lui attribuent.

On trouve un livre de saint Ephrem le Syrien, traduit du syriaque en arabe, sur le voyage qu’Abraham fit en Égypte : il est dans la bibliothèque du roi, n° 792, et dans le même volume on lit un discours de saint Athanase, patriarche d’Alexandrie, sur la mort d’Abraham, prononcé le 28 du mois de mars, auquel jour les chrétiens cophtes ou égyptiens célèbrent sa fête. On dit qu’en l’an de Jésus-Christ 1119, on découvrit près d’Hébron le tombeau d’Abraham, dans lequel étaient aussi enterrés Jacob et Isaac. Les corps de ces patriarches étaient encore très-entiers, et on trouva dans leurs sépulcres plusieurs lampes d’or et d’argent, ce qui fut vu d’un grand nombre de personnes. Les Musulmans ont un si grand respect pour ce tombeau qu’ils en font leur quatrième pèlerinage, les trois premiers étant ceux de la Mecque de Médine et de Jérusalem. Les chrétiens bâtirent une église sur la caverne de Macphela, où le saint patriarche fut enterré et dans la suite les Turcs la changèrent en une mosquée.

Le lieu où Abraham reçut les trois anges, c’est-à-dire le chêne de Mambré, fut aussi honoré par les Chrétiens, et même par les Juifs et les Païens. Voyez ci-après les articles de térébinthe et de Mambré. Enfin on a bâti une chapelle sur le mont Moriah, qui fait partie de celui de Sion ou du Calvaire, dans la supposition que c’était ce lieu où Abraham avait voulu sacrifier son fils Isaac.

Le Sauveur nous assure dans l’Évangile (Jean 8.56) qu’Abraham avait désiré avec ardeur de voir le jour de son avénement, qu’il l’avait vu et s’en était réjoui ; il nous dit ailleurs (Matthieu 8.11) que le bonheur des justes en l’autre vie est d’être placés avec Abraham, Isaac et Jacob dans le royaume du ciel et d’être reçus dans le sein d’Abraham (Luc 16.22) comme dans un lieu de repos opposé au malheur de l’enfer. L’empereur Alexandre Sévère qui ne connaissait Abraham que par les merveilles qu’en racontaient les Juifs et les chrétiens, en avait conçu une si haute idée, qu’il le mettait avec Jésus-Christ au nombre de ses divinités.

Les Pères de l’Église ont comblé d’éloges ce grand patriarche ; les saints de l’Ancien Testament et les prophètes l’ont proposé comme le modèle d’une foi et d’une obéissance parfaite aux ordres du Seigneur. Depuis très-longtemps, on fait mention de son sacrifice dans le canon de la messe, et on l’invoque dans les prières pour les agonisants. On l’a placé dans les martyrologes dès le neuvième siècle. Il se trouve dans ceux d’Adon, d’Usuard et dans l’ancien Romain au neuvième d’octobre. On lui rend un culte particulier dans l’ordre de Fontevrault et dans la congrégation de l’Oratoire en France, où l’on fait un office particulier, en son honneur.

On a débité bien des fables sur la personne d’Abraham, et on a embelli son histoire par un grand nombre de fictions. On a prétendu qu’il avait régné à Damas, qu’il avait demeuré longtemps en Égypte, et qu’il y avait enseigné aux Égyptiens l’astronomie et même l’arithmétique. On veut qu’il ait inventé les lettres et la langue hébraïques, ou les caractères des Syriens et des Chaldéens. On lui attribue divers ouvrages ; entre autres, le livre fameux intitulé Jézira, ou de la Création. Il en est fait mention dans le Talmud, et de célèbres rabbins en ont fait grand cas. Mais ceux qui l’ont examiné sans prévention en parlent avec beaucoup de mépris. Aux premiers siècles du christianisme, les hérétiques séthiens débitèrent un Apocalypse d’Abraham. Saint Athanase dans sa Synopse, parle de l’Assomption d’Abraham. Origène fait mention d’un ouvrage apocryphe d’Abraham, où deux anges, l’un du justice, et l’autre d’iniquité, se disputent sur la perte ou le salut d’Abraham. Des Juifs lui attribuent aussi les prières du Matin et le Psaume 90, et un Traité de l’idolâtrie et quelques autres ouvrages. Les mages ou adorateurs du feu qui font profession de la religion des deux principes, croient que Zoroastre, qui est leur grand prophète, est le même qu’Abraham, Ils lui attribuent les livres qu’ils nomment Zeud, Pazeud et Vostha, dans lesquels sont compris tous les points de leur religion. Mais c’est assez parler de ces ouvrages supposés [Cet article est, tout à la fois, déjà trop long et encore trop court, Je me propose, sans m’astreindre à plus d’ordre qu’on y en voit, pour ne pas trop le déparer, d’y ajouter, en indiquant des documents qu’on ne trouvera pas complètement inutiles et en rapportant des jugements, des appréciations et des faits dont on me saura peut-être quelque gré. De ce qui va suivre on trouverait peu de choses dans mon Histoire de l’Ancien Testament, où l’histoire d’Abraham est traitée avec étendue, mais elle en offre d’autres, non moins importantes, qui ne peuvent avoir place ici. Eusèbe a recueilli sur Abraham des témoignages fournis par Bérose, Hécatée (Hécatée avait écrit une Vie d’Abraham. Quoiqu’il n’en soit venu rien jusqu’à nous, son auteur a néanmoins droit d’être mentionné parmi ceux dont nous avons des fragments biographiques sur le Père des Croyants.), Nicolas de Damas, Eupolème, Artapane, Melon et Philon l’ancien, cités, les uns par Alexandre Polyhistor, qui vivait près d’un siècle avant Jésus-Christ, et par Josèphe, descendant d’Abraham, qui écrivit l’histoire de sa nation quand sa nation ne fut plus. Ces témoignages confirment le récit de Moïse, et même y ajoutent des faits ou des traditions qu’il faut discuter avec critique avant de les admettre comme certains et de les joindre à ceux que l’historien sacré nous a transmis.

Josèphe (Antiq) qui se borne à considérer Abraham sous des rapports purement humains, parle de lui en ces termes : C’était, dit-il, un homme très-sage, très-prudent, de très-grand esprit et si éloquent, qu’il pouvait persuader tout ce qu’il voulait. Comme nul autre ne l’égalait en capacité et en vertu, il donna aux hommes une connaissance de la grandeur de Dieu beaucoup plus parfaite qu’ils ne l’avaient auparavant ; car il fut le premier qui osa dire qu’il n’y a qu’un Dieu, que l’univers est l’ouvrage de ses mains, et que c’est à sa seule bonté, et non pas à nos propres forces ; que nous devons attribuer tout notre bonheur. Ce qui le portait à parler de la sorte, c’était qu’après avoir attentivement considéré ce qui se passe sur la terre, sur la mer, le cours du soleil, de la lune et des étoiles, il avait aisément jugé qu’il y a quelque puissance supérieure qui règle leurs mouvements, et sans laquelle toutes choses tomberaient dans la confusion et dans le désordre ; qu’elles n’ont par elles-mêmes aucun pouvoir de nous procurer les avantages que nous en tirons ; mais qu’elles le reçoivent de cette puissance supérieure à qui elles sont absolument soumises : qui est ce qui nous oblige à l’honorer seul, et à reconnaître ce que nous lui devons par de continuelles actions de grâces.

« C’est en vain que Voltaire et d’autres incrédules, est-il dit dans l’article Abraham de la Biographie catholique signé C. D. R., ont voulu jeter des doutes sur l’histoire d’Abraham ; en vain l’ont-ils comparé à Thaut chez les Égyptiens, à Zoroastre chez les Perses, pour l’assimiler à des hommes plus connus par une célébrité vague que par une histoire bien avérée. Rien de plus suivi, de plus détaillé, de plus satisfaisant que l’histoire d’Abraham telle qu’elle est écrite par Moïse, dont le bisaïeul avait vécu plus de 130 ans avec Jacob, petit-fils de ce patriarche. Aussi exact qu’impartial, l’écrivain sacré nous apprend l’origine et la patrie de ce grand homme, ses voyages, ses vertus et ses fautes (s’il est permis de juger humainement ses réticences à l’égard de Sara). Il marque tous les lieux qu’avait habités ce patriarche, les autels qu’il avait élevés, les puits qu’il avait creusés, les terrains qu’il avait acquis, les rois avec lesquels il avait eu des démêlés ou contracté des alliances. Ce n’est pas ainsi qu’on parle d’un personnage fabuleux. Est-ce avec cette précision qu’on a bâti les traditions qui concernent Isis, Osiris, Thaut ou même Zoroastre ? Pour preuve de leur descendance de ce patriarche, les Juifs produisent des généalogies authentiques, et sur lesquelles étaient fondés non-seulement leurs espérances et le droit commun de leur nation à la possession de la terre de Chanaan, mais encore les droits respectifs de chaque tribu, et de chaque particulier dans chaque tribu : les Juifs n’étaient pas les seuls qui se vantassent de descendre d’Abraham. Les Ismaélites s’en glorifiaient aussi ; et ces deux nations toujours ennemies l’une de l’autre, loin de se disputer mutuellement cette commune origine, se réunissaient pour l’attester à toute la terre. Les Arabes mahométans descendus des Ismaélites reconnaissent si bien Abraham pour leur père, qu’ils lui attribuent la fondation de la Mecque ; tradition fausse, mais qui néanmoins confirme l’existence de ce patriarche. »

Continuons de citer. Il y a quelques pages de M. Coquerel, dans sa Biographie sacrée, sur Abraham que je voudrais rapporter, à la condition de ne point laisser passer quelques endroits sans observations ; mais ce serait peut-être abuser d’une permission qu’on a coutume de présumer, et je vais me borner à deux ou trois fragments. « Le nom d’Abraham, dit donc M. Coquerel, est sans contredit celui qui s’est le plus généralement conservé dans la mémoire des hommes. Il ouvre les traditions, les cultes, les annales d’une foule de peuples différents ; l’Asie est encore pleine de sa gloire ; le Juif, le Chrétien, le Musulman remontent d’un commun accord jusqu’à lui. Aussi des fables sans nombre se sont mêlées à son histoire ; les rêveries des rabbins, les imaginations des poètes, les inexactitudes des narrateurs, les attaques des incrédules l’ont de siècle en siècle défigurée. On a voulu reconnaître Abraham parmi les dieux et les héros des divers paganismes ; on l’a considéré comme un personnage allégorique, un être imaginaire, le génie d’un astre, le chef d’une école d’astrologues et de mages. Tant de souvenirs et de fables supposent nécessairement un grand fonds de vérité ; comment la mémoire d’Abraham ne se serait-elle pas perdue, s’il n’avait été célèbre durant sa vie que comme possesseur de riches troupeaux, errant avec sa famille de contrée en contrée ? Il faut plus que cela pour remplir trois continents de sa renommée ; combien de ses contemporains, dont les noms sont oubliés, seraient devenus à ce prix illustres comme lui ? Tant de gloire ne peut être un hasard. » M. Coqueret examine successivement les principaux faits ; arrivé à la naissance d’Isaac, il passe bientôt à l’événement du mont Moriah, le plus célèbre de toute cette histoire. « La naissance d’Isaac, dit-il, sort du cours ordinaire de la nature ; c’est en vain que l’on cite, pour la rendre probable, quelques rares exemples tirés de diverses époques ; elle ne cesse d’étonner que lorsqu’on se rappelle les promesses divines. Elles ont paru un moment être rétractées, lorsque le patriarche a reçu l’ordre de sacrifier son fils, et cette épreuve semble en contradiction avec l’horreur si fortement exprimée dans l’Écriture pour les sacrifices humains. Ecartons ici les comparaisons absurdes et téméraires que fournirait le paganisme, et, pour justifier cette dernière épreuve que Dieu fit subir à Abraham, prêtons l’oreille à la voix la plus sainte que nous puissions écouter ; le Christ a dit (Matthieu 10.37) : Celui lui aime son père ou sa mère, son fils ou sa fille plus que moi, n’est pas digne de moi. Voilà l’explication la plus juste et la plus simple de l’ordre donné au patriarche ; sans doute l’homme doit à sa foi, le sacrifice de ses affections les plus chères ; car sa foi vaut mieux. Celle du père des croyants, modèle de toutes, devait être éprouvée jusqu’à la mort, parce qu’il n’y a rien sur la terre de plus fort que la mort. Accoutumé depuis longtemps à des révélations, il ne pouvait se méprendre sur un commandement divin ; Isaac était le fils de la promesse et Dieu le lui redemande, et sans murmure il le rend, pleinement persuadé (Romains 4.21) que celui qui avait promis, était puissant pour accomplir. Quel autre sacrifice aurait rempli ce but admirable ? que pouvait perdre Abraham ? Rien, tant qu’Isaac lui restait. Sa famille, il en était éloigné ; son épouse, ç’eût été un deuil ordinaire ; sa patrie, il en était sorti ; ses richesses, un coup si léger aurait à peine effleuré un cœur tel que le sien ; qu’avait-il accepté des dépouilles de cinq rois vaincus ? sa gloire, il savait qu’elle n’appartenait qu’à Dieu, et de ses autres fils, il s’était volontairement séparé. Toutes ces épreuves auraient fait un Job, et non un Abraham. Le sacrifice d’Isaac, de l’héritier bien moins de ses trésors périssables que, des promesses divines, pouvait seul mettre le comble, à sa foi. D’ailleurs, l’expérience a prouvé de tout temps et même de nos jours combien le fanatisme est enclin à séparer la foi et les œuvres ; il fallait donc, comme saint Jacques l’a remarqué (Jacques 2.21), que la foi destinée à servir de modèle à tout croyant, fût agissante ; et certes, c’était bien une œuvre que ce sacrifice, ce départ, ce voyage de trois jours, ces terribles apprêts. Plus on y réfléchit, plus on se persuade que cette épreuve seule pouvait achever la sanctification d’Abraham, et compléter son exemple. Convenons-en donc avec franchise, cet événement nous étonne, parce que, malgré nous peut-être, nous le transportons à nos jours ; chaque père se met à la place d’Abraham ; et que ferait un père aujourd’hui, si Dieu lui demandait un fils en sacrifice ? La réponse est aussi facile que rassurante ; les temps sont changés du tout au tout ; Dieu ne le demandera pas ; mais l’exemple n’en reste pas moins. La vie entière d’Abraham est une longue épreuve de sa foi ; ce mot seul l’explique, et ce sacrifice seul la résume ; ce n’est donc pas tant la résignation sublime d’un père immolant son fils qu’il faut voir ici, mais la foi du gardien des vérités divines immolant l’unique héritier qui les doit recueillir et conserver après lui. Ce point de vue montre assez que cette grande épreuve a été et sera unique entre toutes celles de l’humanité ; aucun mortel ne s’est trouvé et ne se trouvera jamais dans la position d’Abraham ; il y a contradiction à croire qu’un pareil sacrifice puisse être deux fois demandé. L’alliance de Dieu avec une seule race d’hommes ne recommencera pas. Le nom d’Abraham, dit plus loin et en terminant M. Coquerel, son exemple, son alliance, les promesses qu’il a reçues (Exode 2.24 ; 2 Rois 13.23), les épreuves qu’il a subies, remplissent l’Écriture. Les ministres et les historiens des deux économies, en retraçant au peuple élu ses destinées, en rappelant les voies qui ont préparé la rédemption, remontent presque toujours jusqu’à lui. L’Eternel daigna porter le nom de Dieu d’Abraham (Exode 3.6 ; 4.5), et le Christ a pris dans ce litre l’une des preuves qu’il donne de notre immortalité (Matthieu 22.32 ; Marc 12.26 ; Luc 20.37). La voix de la nuée rappelle plusieurs fois à Moïse (Exode 6.3 ; 33.1 ; 32.13) que Dieu s’est manifesté à Abraham ; le législateur (Lévitique 26.42), dans une de ses intercessions, s’appuie du souvenir des serments divins, et dans ses discours au peuple il cite à chaque instant le nom du patriarche (Nombres 32.11 ; Deutéronome 1.8 ; 6.10 ; 9.5 ; 29.13 ; 30.20 ; 34.4). Josué dans ses adieux (Josué 24.3) Élie lors de son sacrifice (1 Rois 18.36), David dans ses psaumes et sa dernière prière (1 Chroniques 16.16 ; Psaumes 106.6 ; 1 Chroniques 29.18 ; Psaumes 48.9), Josaphat lors du jeûne qu’il a célébré (2 Chroniques 20.7), Ézéchias dans sa réformation (2 Chroniques 30.6), et Néhémie à la fête du rétablissement (Néhémie 9.7), ont rendu témoignage à son alliance.

L’Évangile n’est pas moins plein de sa mémoire, à commencer par les cantiques de Marie et de Zacharie (Luc 1.55) ; le titre de fils d’Abraham était encore si saint aux yeux des Juifs, comme l’indiquent une foule de passages, qu’ils se croyaient assez sanctifiés par le droit de le prendre (Matthieu 3.9 ; Luc 3.8) ; le Christ l’a donné (Luc 13.16) à une infirme qu’il a guérie et à Zachée qu’il a converti (Luc 19.9), et à qui il fut obligé de montrer qu’en ne faisant pas les œuvres d’Abraham (Jean 8.33), on perdait tout droit aux privilèges de sa race ; idée que saint Paul a reproduite (Actes 13.26 ; Romains 9.7).

C’est dans ce discours que Jésus-Christ a rendu au patriarche le témoignage qu’il a tressailli de joie à la vue de la journée du salut. Être avec Abraham, être à table avec lui dans le royaume des cieux, être dans le sein d’Abraham (Matthieu 8.11 ; Luc 13.28 ; 16.22), sont des expressions figurées qui désignent la félicité à venir, et c’est comme père des croyants, qu’il est introduit dans la parabole du mauvais riche. Saint Pierre et Étienne (Actes 3.13 ; 7.2) l’ont nommé dans leurs apologies ; saint Paul s’appuyait (Romains 11.1 ; 2 Corinthiens 11.22) dans son ministère du nom de fils d’Abraham ; il explique sous un rapport allégorique la naissance de ses deux fils (Galates 4.22), montre pourquoi le Messie devait naître de sa race (Hébreux 2.16), et rappelle ses relations avec Melchisédech (Hébreux 7.1), en appliquant au Christ les idées que les Juifs y attachaient. Sa foi a surtout occupé les auteurs sacrés ; saint Paul y est revenu à plusieurs reprises (Romains 4.1 ; Galates 3.6 ; Hébreux 11.8), et saint Jacques en achève le développement, lorsqu’il fait voir comment elle s’accordait avec ses œuvres (Jacques 2.21). »

La situation d’Ur, patrie d’Abraham, a toujours été une question parmi les géographes ; suivant M. Buckingham, qui a longtemps séjourné en Asie, la tradition cite la moderne Orfa, l’Edesse des Grecs, comme étant la ville où fut le berceau d’Abraham. Josèphe dit qu’Abraham enseigna aux Égyptiens l’arithmétique et l’astronomie, qui leur étaient inconnues, et nous avons vu ci-dessus que D. Calmet assimile cette assertion aux fables et aux fictions dont on a embelli l’histoire du patriarche. L’historien juif n’est pas le seul qui rapporte un fait de ce genre, qui a dù provoquer le sourire de ceux qui ont pour les Égyptiens une admiration exclusive. Bérose, historien chaldéen, beaucoup plus ancien que lui, avait écrit qu’Abraham était fort versé dans la science des astres. Dira-t-on que c’est Josèphe qui le cite, et qu’ici son témoignage peut paraître suspect ? on ne le devrait pas. Mais voici Nicolas de Damas (cité par Eusèbe) qui dit qu’Abraham se fit un plaisir d’enseigner aux savants Égyptiens l’arithmétique et l’astronomie, sciences qui leur étaient complètement inconnues. Voici encore Eupolème, dont Alexandre Polyhistor a cité des fragments recueillis par Eusèbe : Abraham, dit-il, avait à Héliopolis des rapports habituels avec les prétres égyptiens. Il les initia à la connaissance de l’astrologie et leur enseigna encore d’autres sciences. Et Artapane, autre historien, cité aussi par Polyhistor et Eusèbe, dit qu’Abraham, s’étant rendu en Égypte auprès du roi Pharithon, lui apprit l’astronomie. Il paraît, d’après le récit d’Artapane, que le patriarche, lorsqu’il arriva en Égypte, venait de la Syrie ; si cependant, ajoute-t-il, nous devons nous en rapporter à certains livres dont les auteurs sont ignorés…, Abraham, très-versé dans l’astronomie, passa d’abord chez les Phéniciens et leur enseigna cette science. Plus tard il se rendit en Égypte. Cette dernière tradition porte aussi qu’Abraham venait de la Babylonie, c’est-à-dire de la Chaldée ou de la Mésopotamie, quand il arriva chez les Phéniciens. Josèphe dit encore qu’Abraham est celui par lequel les sciences dont il s’agit, l’arithmétique et l’astronomie, furent portées en Égypte, d’où elles passèrent dans la suite chez les Grecs. Nicolas de Damas (Eusèbe) l’avait déjà dit près d’un siècle avant lui. Banier, qui accuse les Bochart, les Huet, les Delort de Lavaur et autres savants, d’avoir trouvé un trop grand nombre de ressemblances entre les fables païennes ou les fictions poétiques et l’Histoire sainte, ne fait nulle difficulté de reconnaître, sur la foi de Bérose et d’Eupolème, qu’Abraham était fort versé dans la connaissance des astres ; et, à cette occasion, il ajoute : De la Chaldée l’astronomie passa en Égypte…, et de l’Égypte dans la Grèce : c’est le chemin ordinaire des sciences, des arts et des fables. Il est certain qu’on ne peut citer aucun monument qui autorise à dire que les Égyptiens avaient quelques connaissances astronomiques avant le séjour d’Abraham parmi eux.

« Nous trouvons chez les peuples primitifs, dit le Père Olivieri, une tradition universelle, soit de la semaine, soit de l’année de douze mois, et dès lors des multiples et des sous-multiples de douze dans la division du temps. Il y en a qui prétendent que ce sont des découvertes faites par les Égyptiens depuis un nombre de plusieurs milliers d’années ; cependant, quoique les ingénieurs de ces peuples aient su placer les quatre faces des pyramides du côté des quatre points cardinaux, on peut dire que les Égyptiens avaient encore assez tard une année imparfaite et sans rapport fixe avec les saisons ; comme aussi la véritable astronomie ne commença à Alexandrie, sous les rois grecs, que deux ou trois siècles avant Jésus-Christ ; Hipparque en fut le principal fondateur. De même, si l’on cherche des observations exactes antérieures à cette époque, ces astronomes n’en trouvent aucune dans leur Égypte ; ils n’en purent obtenir de la Chaldée que trois sur la lune, de 720 ans avant notre ère. Il est manifeste que l’Égypte des Pharaons, quelque admiration qu’on ait pour elle, ne put jamais faire de progrès dans la véritable astronomie ; ainsi, l’on peut trouver quelque vraisemblance au récit de Josèphe, lorsqu’il dit qu’Abraham, chaldéen d’origine, apporta aux Égyptiens les connaissances astronomiques de son pays, »

Si l’on en croit Nicolas de Damas, Abraham rendit aux Égyptiens un plus grand service ; le monothéisme n’avait point cessé d’exister parmi eux, mais une vaine et dangereuse philosophie menaçait de le détruire. Il y avait des discussions dont le bruit retentissait au loin. « Abraham, dit Nicolas, pressé par la famine qui désolait le pays de Chanaan, résolut de se rendre en Égypte, où régnait l’abondance, tant pour partager le sort des habitants que pour apprendre des prétres égyptiens ce qu’ils pensaient de la divinité ; disposé d’ailleurs à suivre leurs opinions, s’il les trouvait préférables, et à leur faire adopter les siennes, si elles étaient plus conformes à la sagesse… Il fréquenta les savants les plus illustres parmi eux, et donna ainsi plus de lustre à sa vertu et à sa renommée. En effet, les Égyptiens, divisés dans leurs mœurs, méprisaient réciproquement les institutions qu’ils n’observaient pas, et se portaient une haine mutuelle ; le sage Abraham, discutant avec chacun d’eux séparément, réfutait toutes leurs doctrines et leur en faisait voir le vide a la fausseté. Aussi fut-il admiré dans leurs assemblées comme un philosophe d’une profonde sagesse, non moins recommandable par la pénétration de son esprit, que par son éloquence persuasive. » Faut-il conclure de là que ces conférences d’Abraham firent revenir les savants égyptiens aux saines idées que le philosophisme s’efforçait d’anéantir ? Nous voyons bien que le Pharaon qui régnait au temps de Joseph parle comme s’il ne croyait qu’un seul Dieu (Genèse 41.38-39) ; mais ce Pharaon n’était pas Égyptien, il appartenait à la dynastie des Pasteurs.

On a recherché quel Pharaon régnait en Égypte, lorsque Abraham y séjourna. Ceux qui ont fait ces recherches sont partis de données différentes, et sont arrivés à des résultats différents : la question est maintenant plus difficile à résoudre. Cet événement, dit M. Champollion-Figeac, le plus ancien de ceux que la Bible mentionne à l’égard de l’Égypte, se passa, d’après les époques connues de l’Histoire sainte, pendant le règne d’un des rois de la 16e dynastie (Ce même égyptologue, dans la partie de son ouvrage intitulée Précis historique des dynasties égyptiennes, nous dit (pages 293, col. 2), lorsqu’il parle de la 16e dynastie, qu’à cette époque le peuple hébreu n’habitait pas loin de l’Égypte. Voilà une étrange distraction. Lorsqu’Abraham alla en Égypte, le peuple hébreu n’existait pas : tout le monde sait qu’il est père de ce peuple). Mais ce savant paraît admettre que les rois égyptiens, les princes, comme les prêtres, étaient monogames, et d’après la Bible (Genèse 12), il semble que le Pharaon ravisseur de Sara était polygame. Cette circonstance viendrait à l’appui du système de ceux qui fixent le même événement au temps d’un des rois pasteurs, présumés polygames, qui forment une des listes de la 17e dynastie ; mais d’après quelle donnée attribuerait-on la polygamie aux rois pasteurs ? J’aimerais mieux, en m’autorisant toutefois du témoignage de Nicolas de Damas, rapporter comme M. Champollion-Figeac, le séjour d’Abraham en Égypte à l’époque d’un roi Pharaon de la 16e dynastie ; parce qu’il est très-vraisemblable que les mauvaises doctrines philosophiques avaient corrompu les mœurs, porté les Égyptiens au mépris de leurs bonnes institutions et appelé parmi eux la polygamie, ou un désordre à-peu-près pareil. Le monothéisme, qui avait été le principe religieux exclusif des Égyptiens, était aussi fortement ébranlé. Depuis l’arrivée d’Abraham en Égypte, en l’an 2173 avant Jésus-Christ, date qui appartient à la 16e dynastie, jusqu’à l’invasion des pasteurs, en l’an 2082, il s’écoula un assez grand nombre d’années (91) pour qu’on puisse supposer que si les Égyptiens profitèrent des leçons d’Abraham et mirent sa doctrine en pratique, à la fin le philosophisme reparut, jeta de nouveau la confusion dans les esprits, la corruption dans les cœurs, peut-être le polythéisme dans la Religion, sûrement l’anarchie dans l’État, et ouvrit ainsi les portes à l’invasion. Je ne puis trouver d’autre cause au succès de l’entreprise des pasteurs contre l’Égypte. Manéthon (cité par Josèphe) considère cet. événement si plein de calamités, comme un châtiment de Dieu irrité contre les Égyptiens ; il est vrai qu’il dit ne savoir pas pourquoi Dieu était irrité : ce n’était pas, à coup sûr, parce qu’ils faisaient le bien. Si je n’ai fait que supposer une cause, Nicolas de Damas ne permet guère de douter qu’elle ne soit la vraie. Malgré ces données accordées tant bien que mal avec le système de chronologie de M. Champollion-Figeac, je n’adopte pas plus ce système qu’aucun de ceux dont il diffère. Je crois qu’ils sont tous défectueux, et je crois aussi que les mêmes données s’accorderaient avec tous les systèmes de chronologie, tant ceux qui ont déjà été imaginés, que, ceux qui le seront dans la suite.

Je ne puis m’empêcher de faire une remarque et de la soumettre aux critiques. Abraham, près d’entrer en Égypte, dit à Sara sa femme : Vous êtes belle ; et les Égyptiens vous ayant vue, diront : C’est la femme de cet homme-là. Alors ils me tueront et vous conserveront pour eux. C’est pourquoi je vous prie de dire que vous êtes ma sœur (Genèse 12.11-15). Sara passa donc parmi les grands de l’Égypte ou les courtisans du Pharaon, principes Phononis (Genèse 15) pour la sœur d’Abraham. Or, elle fut ravie précisément, parce qu’elle passait pour n’avoir que cette qualité : Que ne m’avez-vous instruit, dit le Pharaon à Abraham, qu’elle était votre femme ? pourquoi avez-vous dit qu’elle était votre sœur, pour que je crusse qu’il m’était permis de la prendre pour ma femme (Genèse 18.19) ?

On a prouvé de différentes manières qu’Abraham ne fit point un mensonge en faisant passer Sara pour sa sœur. Cela n’empêche pas M. du Rozoir de tenir, dans l’articie déjà indiqué, le langage suivant : « Excuserons-nous, dit-il, avec les commentateurs sacrés le mensonge d’Abraham, et dirons-nous avec eux qu’il usa d’une sagesse innocente, en dissimulant qu’elle était sa femme aussi bien que sa sœur ? Sans penser qu’il soit utile d’invoquer ici, comme eux, la profondeur des desseins de Dieu, nous dirons humainement parlant, que la barbarie des mœurs en Orient, motivait et justifiait cette ruse. Un étranger arrivant dans un pays avec une belle épouse, était exposé à mille dangers ; venant avec sa sœur ; il n’avait rien à craindre. » M. du Rozoir ne nie pas que Sara fût la sœur d’Abraham ; elle était ou sa sœur (Genèse 20.12) ou sa nièce (Genèse 11.31), plutôt sa nièce que sa sœur, suivant plusieurs interprètes juifs et chrétiens. Personne, un écrivain surtout, ne doit ignorer quechez les Hébreux on appelait sœurs les proches parentes, nièces et cousines. Sara, sœur ou nièce d’Abraham devient sa femme, et dans deux circonstances, chez des étrangers, il dit : C’est ma sœur, où est le mensonge ? N’est-elle pas sa sœur ? Il déclare une partie de la vérité et dissimule l’autre : or, dissimuler une chose, et une chose que rien n’oblige à dire, qu’on a des motifs de laisser ignorer, est-ce donc mentir ? qui oserait le soutenir ? M. du Rovoir qui appelle mensonge une dissimulation légitime, dit que les commentateurs sacrés ont invoqué, pour excuser le mensonge d’Abraham, la profondeur des desseins de Dieu ; comment appellerait-il cette calomnie ? Ce qu’il ajoute n’explique rien : le récit de la Genèse fait clairement voir que l’état des mœurs égyptiennes motivait et justifiait cette ruse, et qu’Abraham arrivant dans ce pays avec sa belle épouse, était exposé à des dangers, tandis qu’en la faisant passer pour sa sœur, il n’avait rien à craindre : Il répète seulement ce récit qu’il avait la prétention d’expliquer. Il ne manque pas de savants de cette force-là.

Abraham, dit la Genèse, poursuivit les rois ligués et vainqueurs de la Pentapole jusqu’à Dan, où il les surprit de nuit (Genèse 14.14-15). M. Gillot de Kerhardène dans une de ses lettres à

M. Poujoulat, reconnaît la position de cet endroit dans « la belle presqu’île que tracent le petit Jourdain, le lac de Roulé ou les eaux de Méron, et le ruisseau de Jor qui, s’étant grossi d’un petit ruisseau au-dessous de Banias (ou Panéas), porte le nom de grand Jourdain… C’est dans cette presqu’île, au haut de la vallée, qu’Abraham surprit de nuit, dans leur camp, les quatre rois ; c’est là auprès du pont que campa, pendant l’été de 1113, l’armée persane de Monduc, soudan de Mosul… » L’historien sacré ajoute qu’Abraham, après cette surprise, continua de poursuivre les ennemis jusqu’à Hoba, qui est à la gauche de Damas. 0n a conjecturé que Hoba pourrait être la même qu’Abila ; je n’examine pas si on a rencontré juste. J’aime mieux rapporter quelques lignes de M. Poujoulat qui a demeuré un peu de temps à Damas, et a visité en observateur éclairé et attentif les environs de cette ville. « Plus de trente villages, dit-il, sont répandus autour de Damas ; la plupart de ces villages se trouvent au nord ou à l’est de la cité. À une heure de Damas, à l’est, les Israélites vont visiter au village de Jobar, le tombeau d’Élisée renfermé dans une synagogue… Le village de Bezé, à une demi-heure au nord de Jabar, indique la place où Abraham atteignit les quatre rois qui retenaient Loth prisonnier : c’est, dit-on, sur la montagne de Bezé que les quatre rois reçurent la sépulture. » Ainsi voilà le récit de la Genèse confirmé par l’inspection des lieux où s’accomplirent deux événements de la guerre de Chodorlahomor. L’Écriture ne dit pas que les quatre rois furent ensevelis dans le lieu où ils furent vaincus ; mais cette tradition prouve qu’on y conserve encore le souvenir du fait rapporté par l’historien sacré. On a même, à ce qu’il paraît, retrouvé le souvenir du sacrifice d’Abraham chez divers peuples. Les nègres appelés Wolofes, au rapport de M. Dard qui a longtemps vécu parmi eux, honorent cet événement par une fête commémoratoire appelée Tabaski. « Le sacrifice d’Abraham, dit M. de Paravey, se solennise avec pompe jusque chez les musulmans de Hami, dans la petite Boucharie et en Chine, aussi bien qu’à la Mecque. » D’après ce que D. Calmet a rapporté ci-dessus des croyances mahométanes, il ne faut pas s’étonner que ce fait, le plus frappant de la vie d’Abraham ait donné lieu à des solennités dans le mahométisme : car, dit un des plus célèbres orateurs de notre temps (Lacordaire), « l’Islam n’est au fond qu’un théisme traditionnel, ayant pour type plus ou moins exact les croyances et les mœurs de l’époque patriarcale. Le nom d’Abraham remplit le Coran tout entier ; il est la vie de l’Islam. C’est Abraham que Mahomet a voulu substituer à Jésus-Christ ; c’est par Abraham qu’il a voulu renverser à la fois le christianisme et l’idolâtrie ; Abraham a été pour lui ce que les premiers siècles chrétiens ont été depuis pour Luther. » Le lecteur se rappelle que c’est aussi à cause de son sacrifice qu’Abraham est nommé dans le canon de la messe.

Chez les chrétiens, les trois anges qui apparurent à Abraham sont regardés comme une image, une révélation de la Trinité divine. « Une foule de coupes, dit M. Cyprien Robert, tirées des catacombes, avec peintures sur émail représentant trois hommes assis à un banquet ; ne feraient-elles pas allusion au repas donné par le père du judaïsme aux trois célestes envoyés ? Quoi qu’il en soit, ce symbole abandonné peu à peu dans l’Église d’Occident, a conservé dans l’Église d’Orient toute son importance primitive ; on peut même dire que c’est en Russie la manière la plus ordinaire de figurer la Trinité. Les églises et salons de Moscou offrent une foule de peintures anciennes et modernes, où trois jeunes anges exactement pareils sont assis à une table ronde, sous la tente d’Abraham, tandis que des deux côtés, le patriarche et sa femme apportent des plats aux mystérieux convives. »]

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