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Cinquième livre du Pentateuque et de l’Ancien Testament.
Le titre Deutéronome dérive à travers-le latin Deuteronomium du grec Deuteronomion. Il est dû aux LXX et vient de leur traduction erronée de Deutéronome 17.18. L’hébreu, en effet, dit dans ce passage : « [Le roi] écrira pour lui, dans un livre, une copie de cette loi ». Les LXX traduisent : « Le roi écrira pour lui, dans un livre, ce deutéronome (2e loi)… comme s’il s’agissait, non d’une copie de la loi, mais d’un nouveau document législatif, d’une seconde loi (cf. Josué 8.32, où les LXX emploient le même mot deuteronomion pour traduire le texte hébreu où il n’est parlé également que d’une copie de la loi écrite par Moïse).
Le Deutéronome, tel que nous le possédons actuellement, est censé contenir les derniers ordres et conseils donnés par Moïse au pays de Moab, peu avant sa mort et aussi peu avant la traversée du Jourdain et l’entrée des Israélites dans la Terre promise. Les instructions de Moïse sont présentées sous la forme de plusieurs discours. Les divisions les plus nettes sont les suivantes :
Le style du Deutéronome est différent de celui de tous les autres livres du Pentateuque. Cette différence, sensible même dans une traduction, est très marquée dans la langue originale. Des expressions caractéristiques ont été notées par divers savants (cf. Driver, Deuter., p. LXXVIII et Steuernagel, Deuter., 1923, p. 41s.). Elles prouvent que notre livre remonte, pour sa plus grande partie, à une période où ces expressions étaient usitées. Elles donnent à penser aussi que notre Deutéronome est, dans un certain sens, une unité littéraire. Il semble que la main d’un seul rédacteur ait réuni les diverses parties que nous avons indiquées dans le précédent paragraphe. Toutefois ceci ne signifie pas que tous les éléments du livre aient été conçus par le même esprit. Une lecture, même superficielle, nous oblige, au contraire, à conclure que le Deutéronome est composé d’un certain nombre d’unités distinctes qui ont été soudées ensemble. Le travail de soudure a laissé des traces, surtout dans les passages où le récit semble faire un nouveau départ. Neuf « introductions » au moins ont été « découvertes » par ceux qui se sont occupés de ce livre (cf. Siebens, L’origine du code deutéronomique, p. 229s., pour la liste de semblables introductions). Parfois les transitions sont abruptes ; c’est ainsi que le chapitre 27 constitue une coupure nette dans le récit, et du chapitre 29 à la fin du livre ces changements soudains sont très fréquents. Aussi pouvons-nous conclure sans hésitation qu’en dépit d’une certaine uniformité littéraire dans le style de tout le livre, les matériaux originels de celui-ci semblent émaner de sources très diverses.
La pensée centrale du Deutéronome n’est pas de retracer une histoire ou d’exposer des lois ; elle est religieuse. Le Dieu des Israélites est placé par notre livre à des hauteurs plus élevées que dans toute autre partie du Pentateuque. Dans le « rétrospectif » historique, Yahvé est appelé le Sauveur de son peuple ; et dans les passages se rapportant à la Loi, l’obéissance est réclamée en son nom seul. La fidélité et l’obéissance au Dieu d’Israël constituent le « leitmotiv » qui revient sans cesse.
À cette exaltation de Yahvé est dû sans nul doute le monothéisme du Deutéronome, distinct de la « monolâtrie » qui s’observe dans le reste du Pentateuque. Yahvé est le Dieu des dieux, le Seigneur des seigneurs (Deutéronome 10.17). Il n’y en a point d’autre (Deutéronome 4.35 ; Deutéronome 4.39).
L’appel à l’obéissance est pénétré par un esprit d’amour. Cette note ne retentit nulle part ailleurs dans le Pentateuque, sauf dans Exode 20.6. Yahvé a choisi Israël à cause de son amour pour cette nation (Deutéronome 7.7 ; Deutéronome 7.8 ; Deutéronome 8.17 ; Deutéronome 9.4-6). À Israël maintenant d’adopter une attitude semblable à l’égard de Yahvé (Deutéronome 10 ; Deutéronome 12 ; Deutéronome 12.13-28 ; Deutéronome 13.3 ; Deutéronome 19.9 ; Deutéronome 30.3 ; Deutéronome 30.16 ; Deutéronome 30.20)
Il faut remarquer que l’amour de Dieu s’adresse aux Israélites en tant que nation, et non individuellement (Deutéronome 4.37 ; Deutéronome 7.13 ; Deutéronome 23.6 ; Deutéronome 33.3). Cet enseignement de l’amour dans le Deutéronome est, dans l’Ancien Testament, l’avant-coureur de la révélation que devait apporter plus tard le Nouveau Testament dans Jean 3.16 : « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique ». Il est significatif que Jésus, lorsqu’il fut tenté, ait tiré toutes ses réponses du Deutéronome.
L’amour de Dieu lui ayant inspiré de choisir Israël, Israël devait de toute évidence être un peuple saint devant l’Éternel. Cette sainteté lui interdisait de reconnaître d’autres dieux (Deutéronome 7.6 et suivant) et lui ordonnait des pratiques religieuses impliquant l’abolition de tout culte rendu aux faux dieux (Deutéronome 14.1-2). Pour la même raison, le peuple devait éviter toute nourriture impure (Deutéronome 14.21). L’idolâtrie était punissable de mort (Deutéronome 13.2-12 ; Deutéronome 17.5 ; Deutéronome 20.16-18).
L’esprit d’amour ne pénètre pas seulement les passages d’exhortation ou de morale, mais encore les lois. Ainsi l’homme devait avoir certains égards pour son voisin et se conduire charitablement envers la veuve, l’orphelin, le « lévite » et l’étranger (Deutéronome 10.18 ; Deutéronome 10.19 ; Deutéronome 24.17-21). Il était interdit d’exploiter le pauvre (Deutéronome 24.6, Deutéronome 24.10, Deutéronome 24.13). Ces sentiments d’humanité s’étendaient même aux animaux (Deutéronome 22.6 ; Deutéronome 22.7 ; Deutéronome 25.4). Si l’on objecte que l’esprit d’amour du Deutéronome est superficiel et non réel, sous prétexte que certaines lois contre l’idolâtrie étaient cruelles et inhumaines, rappelons-nous que l’idée centrale du Deutéronome est d’établir la suprématie de Yahvé et que toute la structure théologique du livre est fondée sur cette suprématie. Tout ce qui eût risqué de la compromettre devait donc être traité avec une extrême rigueur. L’amour pour l’homme est grand dans le Deutéronome, mais l’amour pour Dieu est plus grand encore.
L’un des caractères exceptionnels de notre livre est le fait que, plaidant en faveur de certains principes dans le domaine abstrait, il assure l’application de ces idéaux dans le domaine concret. À côté d’exhortations véhémentes à la fidélité et à l’obéissance envers Yahvé, il y a des lois spécifiques qui fournissent les moyens d’atteindre l’idéal présenté. Nous entendons les lois « religieuses » dans le code (cf. surtout chapitre 12-18, 26), où est requise la « centralisation du culte », l’« unité du sanctuaire ».
Certains auteurs ont suggéré que le Deutéronome n’exige pas l’unité du sanctuaire à Jérusalem, mais simplement la purification des sanctuaires situés sur divers points de la Palestine (cf. Oestreicher, Das deut’ische Grundgesetz, p. 103ss ; Stasrk, Das Probl. des Deut., p. 33ss ; et Welch, Code of Deut.). Ces savants appuient leur théorie principalement sur leur interprétation de la recommandation, souvent répétée, que les sacrifices soient offerts bammâqôm acher yibkhar Yahvé, ce qu’ils traduisent « dans chaque lieu que Yahvé choisira », rompant avec la traduction habituelle : « au lieu que Yahvé choisira ». Mais, comme on l’a montré ailleurs en détail, cette interprétation n’est pas admissible (cf. Siebens L’origine du code deutéronomique, p. 103-118). Nous convenons avec ces savants que le but des lois religieuses, dans le code, est l’exaltation de Yahvé, l’adoration purifiée par la suppression d’éléments cananéens et païens. Mais nous croyons que cet objectif devait être atteint grâce à la centralisation du culte à Jérusalem. Théorie et pratique s’accordent ici d’une façon qui ne se trouve nulle autre part dans la Bible.
Quand le Deutéronome fut-il écrit ? À qui est due sa composition ? Ces questions ont intrigué d’innombrables chercheurs, depuis le temps des plus anciens Pères de l’Église jusqu’à nos jours, et la littérature considérable inspirée par ce sujet montre l’incertitude qui l’entoure. Il y a six théories principales sur l’origine du Deutéronome.
La théorie suivant laquelle le Deutéronome daterait de l’époque de Salomon, ou des premiers temps de la royauté. Les adeptes de cette idée estiment que le code exige une centralisation non absolue, mais relative (Oestreicher, Staerk, Welch soutiennent cette théorie).
Si le Deutéronome n’a pas été écrit par Moïse, où placerons-nous ce livre dans l’histoire d’Israël ? Nous croyons que son origine doit se trouver dans la réforme sous Josias et la période qui suivit la découverte du livre dans le temple par Hilkija en 621. La comparaison ci-dessous entre quelques-unes des lois du Deutéronome et le récit des mesures prises par Josias pour sa réforme (2 Rois 22 ; 2 Rois 23) montrera que le principe central des parties religieuses du code est le même que celui qui inspira la réforme.
La grande majorité des savants d’aujourd’hui a reconnu l’identification suggérée par ce tableau, et l’interprétation généralement acceptée de ce fait est que le livre trouvé en 621 était notre Deutéronome ou une partie importante de ce livre, lequel fut révisé et complété plus tard. De Wette, Dissert. crit. exeg., 1805, a été, dans les temps modernes, le propagateur de cette idée, bien que plusieurs autres l’eussent professée avant lui (par exemple Athanase, Chrysostome, Jérôme, Procope, aussi bien que Hobbes, 1651, Samuel Parvish, 1739 et, en principe, Vater, 1805). Cette opinion est l’une des pierres angulaires de l’école critique Graf-Wellhausen, parce qu’elle aide à fixer les autres documents du Pentateuque. Comparé à la législation de l’Exode (JE), le Deutéronome semble appartenir à un stade ultérieur de développement social et religieux ; et comparé à la législation sacerdotale du Lévitique, le Deuteronome paraît être antérieur dans le développement progressif. Donc, si le Deutéronome est de 621 avant Jésus-Christ, il en résulte que JE doit être placé vers le VIIIe ou le IXe siècle, et P au Ve ou au VIe siècle avant Jésus-Christ (voir Pentateuque).
Il est significatif de noter que ceux aux yeux desquels le Deutéronome a été écrit durant un exil (palestinien ou babylonien) se rallient néanmoins à l’ordre des sources que nous avons indiqué, soit JE, D et P. Ils donnent à toutes ces lois une date plus tardive que celle qu’admet l’école dite critique. Mais les partisans de cette théorie, tels que Kennett et Hoelscher, ne donnent aucune explication des ressemblances remarquables qui existent entre le Deutéronome et le récit des événements rapportés dans 2 Rois 22 ; 2 Rois 23. Cette omission affaiblit sérieusement leur thèse.
Puisqu’il semble définitivement prouvé qu’il y a une certaine connexion entre l’origine du Deutéronome et les événements de 621, il nous reste à rechercher la nature de cette parenté. Quelques adeptes de l’école critique ont soutenu que le livre trouvé dans le temple avait été écrit durant le règne d’Ézéchias ou celui de Manassé et que, en raison de l’attitude de Manassé à l’égard du culte de Yahvé, le nouveau code ne put être mis en vigueur et disparut pour un temps, puis fut retrouvé par hasard en 621 (C’est le point de vue de Kuenen, Oettli, Addis, Westphal, Driver, Sellin). D’autres adeptes de la même école pensent que le livre trouvé dans le temple fut rédigé en secret peu après 621, en vue de susciter une réforme et d’amener la centralisation du culte à Jérusalem. Il serait entré dans le plan des instigateurs que le document fût trouvé fortuitement par Hilkija, qui aurait probablement joué son rôle dans cette « fraude pieuse » (ainsi pensent de Wette, Reuss, Graf, Wellhausen, Stade, Cheyne). Rien dans les textes ne justifie cette idée.
Si nous croyons qu’il y a une relation directe entre le Deutéronome et la réforme de Josias, nous hésitons à admettre que le livre trouvé dans le temple fût notre Deutéronome ou un document très semblable. Ce « livre » mystérieux était sans aucun doute de nature à inspirer à Josias et à ses assistants la conviction que les formes du culte alors existantes n’étaient pas en accord avec la volonté de Yahvé. Mais nous n’avons aucune garantie que toutes les lois renfermées dans le Deutéronome actuel, même pas celles qui concernent le culte, fussent comprises dans le document qui venait d’être découvert et sur lequel Josias et ses aides se seraient appuyés pour guider leur réforme, comme l’on s’en réfère à une carte routière ou à un livre d’instructions. Nous inclinons plutôt à penser que le livre en question fut un stimulant pour les réformes qui se traduisirent par la centralisation du culte ; nous croyons que notre Deutéronome contient :
Bref, notre Deutéronome est une collection de documents d’origines très variées. Ceci s’applique aux « introductions » historiques comme aux lois. Beaucoup des éléments de notre Deutéronome sont d’une incontestable ancienneté, certains même peuvent remonter à Moïse. Mais l’assemblage de ces parties eut lieu probablement entre 621 et 586 avant Jésus-Christ. Le style de notre Deutéronome donne à penser qu’il a vu le jour durant cette période, car ce style a une ressemblance marquée avec celui de Jérémie ou des portions « deutéronomiques » du livre des Rois. Durant les dernières années de la royauté, une activité littéraire de ce même type semble avoir été très répandue. De nombreux adhérents de l’école critique estiment que cette rédaction est le résultat de plusieurs révisions d’un livre, lequel était en substance le même que le nôtre. Quelques auteurs (Steuernagel, Hempel, Puukko) ont tenté de démêler de façon précise les versions successives par lesquelles, selon eux, le Deutéronome a passé. Mais cette théorie d’un développement par des éditions ne nous semble pas justifiée (Pour une discussion plus approfondie sur ce point, voir Siebens, L’origine du code deutéronomique, pages 225ss).
Le Deutéronome contient des couches historiques et légales d’une réelle importance, remontant à des périodes variées de l’histoire d’Israël. Ainsi, parmi les lois, il en est qui dérivent de hautes préoccupations morales ou humanitaires et reflètent l’exaltation de Yahvé par les prophètes du VIIIe siècle, tels qu’Osée, Amos, Michée et Ésaïe. D’autres lois, comme celles qui correspondent exactement à JE, sont plus anciennes encore. Mais ces lois ne furent pas écrites en secret, puis perdues et retrouvées ensuite. Elles émanèrent de la vie elle-même à différentes périodes et furent enfin réunies aux lois relatives à la centralisation du culte à Jérusalem. De même, les parties « historiques » du Deutéronome, produit du génie littéraire naturel d’Israël, furent aussi rassemblées. Nous croyons que tous ces matériaux historiques, parénétiques ou législatifs furent réunis vers le moment que nous avons indiqué et subirent l’empreinte littéraire de cette époque.
Il serait déplorable, toutefois, que les controverses véhémentes suscitées à propos de l’origine du Deutéronome fissent oublier les richesses spirituelles de cet héritage sacré qui est le nôtre. Nulle part dans l’Ancien Testament nous ne trouvons un appel plus passionné à la foi en Dieu et à la fidélité envers Lui. Il n’est pas surprenant que Jésus, tenté, ait répondu uniquement par des citations du Deutéronome.
Vu l’espace limité dont nous disposons, nous ne saurions donner une bibliographie complète de la littérature considérable du sujet (cf. les bibliographies de Steuernagel, Le Deutéronome et Josué, 2e édition, 1923 ; Driver, Deuteronomy, 1895 ; Siebens, L’origine du code deutéronomique, 1929).
A.R.S.
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