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Signifiant : Dieu avec nous. Nom symbolique donné par le prophète Ésaïe à l’enfant dont la naissance devait être un signe pour le roi Achaz (Ésaïe 7.14).
La prophétie d’Ésaïe fut ensuite appliquée à la naissance du Christ (Matthieu 1.23). Enfin le même terme se retrouve dans un troisième passage (Ésaïe 8.8), mais là un léger changement des points-voyelles dans le texte hébreu permet de traduire d’une manière qui semble plus conforme au contexte : « … couvriront ton pays, car Dieu est avec nous » ; comme le verset 10 de ce chapitre se termine par la même phrase, cette correction donne sans doute au passage son vrai sens ; de toute façon ce troisième texte n’apporte aucune indication pour l’explication des deux autres. Il faut étudier ceux-ci séparément, déterminer d’abord le sens des paroles du prophète Ésaïe, puis considérer l’emploi qui en a été fait par le premier Évangile.
En 735-734 avant Jésus-Christ, les rois de Syrie et d’Éphraïm firent alliance contre le royaume de Juda dont ils pensaient vaincre sans peine et remplacer le roi, récemment monté sur le trône. Achaz, pris de peur, eut l’idée d’appeler à son aide Tiglath-Piléser, le puissant monarque assyrien (2 Rois 16.7) ; mauvaise politique, qui ne pouvait conduire le petit peuple juif qu’à la perte de son indépendance. Le prophète Ésaïe, fort de sa foi en Dieu, vient réconforter le roi et le pousse à demander un signe manifeste de la protection divine. Achaz refuse hypocritement ; il ne veut pas, dit-il, tenter Dieu. Alors le prophète indigné lui indique de lui-même le signe du Seigneur : « Voici, la vierge sera enceinte ; elle enfantera un fils et lui donnera le nom d’Emmanuel. Il se nourrira de laitage et de miel, jusqu’à ce qu’il sache rejeter le mal et choisir le bien. Or, avant que l’enfant sache rejeter le mal et choisir le bien, le pays dont tu redoutes les deux rois sera dévasté » (Ésaïe 7.14 ; Ésaïe 7.16).
Quel sens attribuer à ces paroles ? L’étude du texte prouve dès l’abord que le terme traduit par « vierge » dans la plupart de nos versions, le serait plus exactement par « jeune fille » ou « jeune femme ». Le mot hébreu aima n’indique pas s’il s’agit ou non d’une femme mariée. L’hébreu possède d’ailleurs un autre terme pour désigner une vierge. Mais si ce premier point semble aujourd’hui généralement admis, les opinions diffèrent lorsqu’il s’agit de savoir à quelle femme ou jeune fille Ésaïe fait ici allusion. Serait-ce Marie, mère de Jésus ? Mais dans cette hypothèse, comment expliquer que le signe d’Ésaïe en soit réellement un pour le roi Achaz, et comment cette prophétie se rattacherait-elle au reste du chapitre qui parle des malheurs contemporains aux débuts de son règne ? Serait-ce la femme du prophète (par analogie avec le passage Ésaïe 8.3 ; Ésaïe 8.4), ou encore celle d’Achaz (dont le fils Ezéchias semble avoir été l’objet des plus grandes espérances), ou tout simplement une jeune femme quelconque (l’article n’ayant pas en hébreu le sens défini qu’il a dans nos langues modernes), peut-être une des jeunes femmes de la suite d’Achaz que le prophète désignerait comme devant devenir mère avant peu de temps ? Cette précision, il est vrai, n’aurait qu’une importance secondaire ; en effet, dans cette interprétation, le signe divin serait d’abord la foi de cette femme qui, en ces temps difficiles, n’hésiterait pas à appeler son nouveau-né du nom d’Emmanuel, « Dieu est avec nous », et surtout la délivrance que Dieu enverrait à son peuple, avant que l’enfant sût distinguer le bien du mal, c’est-à-dire dans un délai assez bref. Toutefois une période d’asservissement ou de calamité publique précéderait cette délivrance : l’image du lait et du miel dont l’enfant doit faire sa nourriture représente en effet très probablement le retour pour Israël de la vie agricole et citadine à la vie pastorale (cf. Ésaïe 7.22).
Cette interprétation a un mérite : celui de réduire la prophétie aux temps et aux circonstances dans lesquelles elle a été prononcée et d’en atténuer le caractère merveilleux (voir une autre interprétation dans l’article Prophète). Elle paraît incomplète au moins sur un point, puisqu’elle laisse presque entièrement de côté le petit enfant promis. Ne paraît-il pas au contraire tenir dans la pensée d’Ésaïe la place importante ? On répond que dans un passage semblable (Ésaïe 8.3 ; Ésaïe 8.4) l’enfant n’était aussi qu’un prétexte, ce qui est vrai. Mais alors, pour que l’analogie entre les deux passages fût complète, on attendrait ici, outre la véhémente apostrophe du prophète, un « signe » de menace, en parfait accord d’ailleurs avec le reste du chapitre. Tout au contraire notre texte intercale entre l’apostrophe et l’annonce des calamités, une promesse assez inattendue. D’autre part, comment la foi de cette mère peut-elle être considérée comme un signe de Dieu ? Il reste là quelque obscurité. Or on a fait remarquer que déjà à cette époque devait exister en Juda l’attente d’un roi idéal, envoyé par Dieu, et descendant de la maison de David (par interprétation peut-être du passage 2 Samuel 7.12-16). Le moment n’était-il pas bien choisi (royaume de Juda en danger, roi incapable de le défendre) pour saisir cette promesse divine ? De plus, il faut bien le noter, cet acte de foi devenait en cette circonstance une menace à peine déguisée contre Achaz : « Tu ne veux pas appeler Dieu au secours de son peuple ? Il enverra lui-même un roi selon son cœur, capable de nous délivrer de nos ennemis ». Et le ton de ces paroles s’harmoniserait parfaitement avec l’indignation du début et le reste du chapitre (surtout si, comme plusieurs l’ont proposé, il faut considérer les mots « dont tu redoutes les deux rois » comme une adjonction postérieure et voir dans le pays dévasté le pays d’Israël lui-même). Plusieurs faits viennent étayer cette hypothèse. Que l’on relise les passages de Ésaïe 9.1-6 et Ésaïe 11 ; ils montrent clairement que le prophète Ésaïe avait à ce moment-là le cœur rempli d’espoir en songeant à ce « fils de David ». Que l’on relise encore le passage parallèle du prophète Michée : ces lignes, qu’elles soient de Michée lui-même, contemporain d’Ésaïe, ou d’un auteur de date plus récente, montrent au moins que l’espérance messianique fut très tôt familière au peuple juif. Enfin on a retrouvé dans les traditions populaires égyptiennes et babyloniennes l’expression d’espérances semblables : l’attente d’un roi-sauveur, né d’une mère divine ou peut-être même d’une vierge. À toutes ces remarques on a répondu, il est vrai, que les passages cités ici ont été écrits soit par Ésaïe — mais à une date postérieure à 735 — soit par des auteurs plus récents encore. Il est cependant permis de se demander tout d’abord si les arguments donnés pour rajeunir les textes cités sont aussi fondés qu’on le pense. Mais, de toute manière, est-il possible de ne pas reconnaître un air de parenté évidente entre Ésaïe 7.14 et les chapitres 9 et 11 ? Cette analogie à elle seule est suffisante pour étayer la thèse présentée plus haut et permettre de voir ici, avec beaucoup de vraisemblance, l’annonce prophétique de la naissance d’un messie-roi-sauveur. Ce passage ferait allusion à des idées connues de ceux pour qui il était écrit ; d’où sa concision et en particulier l’emploi de l’article défini, la jeune femme, sans autre explication (cf. Michée 5.2). Dans l’esprit du prophète, cette espérance devait se réaliser à bref délai : le moment était proche où Dieu serait au milieu de son peuple dans la personne de son envoyé, Emmanuel, « Dieu avec nous ».
À l’aube du christianisme, à un moment où les controverses avec les Juifs revêtaient une importance toute particulière, on cherchait dans l’Ancien Testament des armes contre eux. Très tôt des listes de passages bibliques, préfigurant telle ou telle partie de la vie de Jésus, avaient été dressées par les chrétiens, et l’Évangile de Matthieu est tout particulièrement riche en références de ce genre ; c’est ainsi qu’il applique à Jésus l’annonce prophétique d’Ésaïe. Il suffit cependant de lire le passage précédant sa citation, pour voir la raison qui l’y pousse : Matthieu cite le texte d’Ésaïe dans la traduction grec des LXX, où le mot hébreu aima était clairement traduit par le mot parthénos, vierge. C’est sans contredit ce terme qui avant tout a retenu l’attention de l’évangéliste et qu’il souligne : du passage d’Ésaïe, laissant de côté tout le contexte, il n’emprunte que le nom de l’enfant et l’affirmation de la virginité de sa mère. Sur ce point il ne peut subsister aucun doute : c’est en pensant à la naissance miraculeuse de Jésus que Matthieu cite Ésaïe. Certains auteurs ont alors cru pouvoir affirmer que le dogme de la virginité de Marie n’avait pour toute origine que le passage même d’Ésaïe, ou plus exactement (Il faut bien le spécifier) le texte des LXX Présentée sous cette forme (l’idée de la naissance miraculeuse de Jésus-Christ, ayant en définitive à sa source une faute de traduction, un grossier contresens), cette explication ne manquera pas en vérité de paraître un peu trop simple. Mais elle se fortifie si l’on ajoute que la faute de traduction elle-même n’était sans doute pas involontaire. La croyance à une naissance surnaturelle d’un envoyé divin n’était pas, on l’a vu, spéciale au peuple juif. Sous l’influence du syncrétisme grec, ces conceptions semblent s’être encore développées en Israël autour de l’espérance messianique, et cela bien avant la naissance de Jésus. Ainsi s’expliquerait comment les LXX, vivant dans cette atmosphère, auraient traduit le terme vague de l’hébreu aima par celui de « vierge ». Maintenant, a-t-on le droit de conclure que la notion chrétienne de la naissance miraculeuse du Christ a la même origine ? Il faut constater d’abord que, dans le passage de Matthieu 1, le récit du songe de Joseph ne peut pas dériver de la seule interprétation de la prophétie d’Ésaïe. La citation s’appuie sur le récit pour prouver que Jésus est bien le Messie promis. Comment cette preuve en serait-elle une, si l’on pouvait douter du récit ? Le passage de Matthieu 1.18-25 venait donc très probablement d’une tradition indépendante, déjà fortement assise au moment où Matthieu écrivait. Il faut ajouter que l’Évangile de Luc affirme la même foi, sans se rattacher ni au passage d’Ésaïe ni à celui de Matthieu Ce n’est certes pas ici le lieu de discuter du dogme de la naissance miraculeuse du Christ. Il suffit d’indiquer que de toute manière l’affirmation, chez Matthieu, en paraît indépendante du passage d’Ésaïe ; et cette indépendance, de nos jours, paraîtra plus grande encore si les paroles du prophète sont prises dans leur sens exact, tel que l’on a essayé de le déterminer plus haut. Voir Jésus-Christ, II, 2.
On a encore voulu voir dans ce nom d’Emmanuel, appliqué à Jésus, une preuve de sa divinité ou de l’incarnation de Dieu en lui. C’est vouloir faire rendre au texte plus qu’il ne contient. Le sens du mot « Emmanuel » n’implique pas forcément que l’enfant appelé de ce nom soit considéré comme le fils de Dieu. Dans le passage d’Ésaïe, comme dans celui de Matthieu, ce nom paraît seulement la marque d’une attention toute particulière de Dieu et rappelle plutôt la promesse de Ésaïe 11.2 : « L’Esprit de l’Éternel reposera sur lui. »
Est-il besoin d’ajouter pour conclure que, de toute manière, rien n’empêchera le chrétien d’admirer en son Maître la merveilleuse, la providentielle réalisation des espérances par lesquelles Ésaïe, poussé par l’Esprit, se représentait sa venue, huit siècles avant sa naissance ? Car Jésus a bien été en fait le Messie-Roi Sauveur entrevu par le prophète. Et qui donc, mieux que lui, pouvait revendiquer ce beau titre d’Emmanuel : « Dieu est avec nous » ? J.P.B.
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