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Le nom du deuxième livre du Pentateuque vient du texte grec des LXX, qui emploie dans Exode 19.1 ce mot exodos = sortie ; du titre du livre dans la Vulgate latine (Exodus), il a passé dans nos Bibles. Les Juifs l’appellent Ellèh chemôth (« voici les noms… » les deux premiers mots de Exode 1.1), ou Chemôth tout court. Le livre reprend l’histoire des clans israélites au moment où, après un séjour plus ou moins long en Égypte, ils subissent les vexations d’un pharaon qui « n’avait pas connu Joseph » (Exode 1.8) ; et il se termine par la mention des faits qui se sont passés au Sinaï. La suite régulière d’Exode se trouve dans Lévitique et Nombres, avec lesquels il forme un tout bien lié, puisque la législation du Lévitique est censée appartenir aussi à la période sinaïtique, et que Nombres raconte la fin du voyage au désert (Pour la division du Pentateuque en cinq livres, voir Genèse). L’Exode se divise en deux parties :
L’Exode se distingue des autres livres par la variété de son contenu, comme par la complexité des sujets qu’il traite, renfermant, en des proportions à peu près égales, des textes narratifs et des groupes de lois. Le livre résulte de la combinaison des trois mêmes documents qui ont servi à composer la Genèse et dont aucun n’est contemporain des faits racontés ; le plus ancien, J, a été rédigé environ quatre cents ans après l’époque mosaïque, tandis que le plus récent, P, nous fait descendre jusque vers le milieu du Ve siècle.
À la façon dont J, E et P (pour leurs caractéristiques et dates respectives, voir Pentateuque) ont été utilisés dans Exode, on constate que les deux premiers, séparés par un espace d’environ un siècle, ne peuvent pas toujours être distingués l’un de l’autre aussi nettement que dans Genèse ; le critère fourni jusqu’ici par la différence dans l’usage du nom divin fait défaut à partir de Exode 3, puisque E, comme J, emploie dès lors Yahvé, pour désigner Dieu. Cependant la présence, dans ces trois livres centraux, de récits en double, permet de retrouver, dans un grand nombre de cas, les caractères propres à chacun d’eux ; voyez, par exemple, les deux récits de la vocation de Moïse, chapitres 3 et 6 ; de l’envoi des cailles, Exode 16, Nombres 11 ; l’eau jaillissant du rocher à Mériba, Exode 17, Nombres 20 ; l’institution d’auxiliaires de Moïse, Exode 18, Nombres 11 ; le triple récit concernant les lévites, Exode 32.29 ; Nombres 3.6 ; Nombres 3.10 ; Nombres 18.6. Mais c’est surtout dans les textes législatifs que les doublets sont nombreux ; outre les difficultés que présente, à cet égard, le récit des faits qui se sont passés au Sinaï, on trouve en double mention : une loi sur la Pâque, Exode 12.1-13 ; Exode 12.43-49 ; sur la fête des Pains sans levain, Exode 12.14-20 ; Exode 13.3-10 (Exode 23.16 ; Exode 34.18) ; l’offrande des premiers-nés, Exode 22.29 ; Exode 34.19 et suivant ; le triple pèlerinage annuel, Exode 23.14 ; Exode 23.17 ; Exode 34.23. On constate aussi :
De tout cela, il résulte qu’on ne saurait faire de Moïse l’auteur de l’Exode ; ce livre lui-même, d’ailleurs, pas plus que Genèse, ne se donne jamais comme étant l’œuvre autobiographique de Moïse, dont il parle toujours à la troisième personne. Bien plus, il relève expressément, comme constituant une intervention exceptionnelle de sa part dans ce genre d’activité, deux seuls cas dans lesquels Moïse reçoit la mission de mettre par écrit : 1° le récit de la victoire sur Amalek, Exode 17.14 ; 2° les paroles de l’alliance qui venaient d’être proclamées, Exode 34.27 - Cette mention spéciale d’une activité littéraire eût été superflue, si Moïse avait été l’auteur habituel des récits.
Malgré les difficultés résultant de toutes ces modifications apportées aux textes originaux des documents, on peut reconstruire en grande partie J et E, et retrouver les vues théologiques et la terminologie propres à chacun, surtout dans la première partie, chapitres 1-15. P y présente aussi ses particularités de style, sa prédilection pour les données chronologiques et généalogiques ; partout la narration n’y fournit que le cadre nécessaire aux lois ; voir, par exemple, dans Exode 12.1 ; Exode 12.13, lorsque l’annonce de la dixième plaie fournit à P l’occasion d’insérer dans son texte des règles pour la fête de Pâques, ainsi que le rituel de celle des Pains sans levain, versets 14, 20, etc. Le caractère transcendant de Dieu y est nettement marqué ; l’histoire des plaies est une manifestation de la puissance divine, qui agit sous la forme de prodiges, dans lesquels les facteurs naturels ne jouent aucun rôle. Partout P accentue le caractère nécessaire de l’institution sacerdotale et met en relief la personne d’Aaron, alors que celle-ci apparaît très effacée dans J et E (voir Aaron).
La base chronologique de l’Exode est difficile à établir, car le livre lui-même ne fournit pas les précisions qu’on est en droit d’attendre d’un ouvrage d’histoire, tandis qu’il renferme bien des traits qui rappellent le genre propre à la légende. C’est ainsi qu’il ne nous a transmis les noms d’aucun des pharaons sous le règne desquels les clans hébreux entrèrent en Égypte, y furent persécutés et en sortirent, tandis qu’il a conservé ceux des deux sages-femmes (chiffre déjà bien étonnant, pour une population qui aurait compté 600 000 adultes masculins, Exode 12.37) auxquelles le pharaon aurait ordonné de supprimer tous les nouveau-nés mâles des Hébreux (Gressmann, Die Anfoenge Israels, volume II, p. 10 des Schr. des Alten Testaments, 1914). Pour obtenir une base chronologique probable, la méthode à employer consistera donc à confronter le texte biblique avec les données de l’histoire et de l’archéologie égyptiennes, et à voir si ce texte rapporte des faits cadrant avec la situation d’une époque déterminée. Est-il, tout d’abord, possible de relever, ailleurs dans l’Ancien Testament, des données qui pourraient servir de points de départ pour établir la chronologie de la période de l’Exode ? On a cité parfois :
On peut constater qu’il existe, à la base de l’Exode, un ensemble de données qui, d’une manière générale, paraissent bien cadrer avec la réalité historique que nous font connaître les découvertes archéologiques de notre époque. « Diverses inscriptions relatent bien l’admission d’Asiatiques en Égypte. Mais aucune d’elles ne peut viser l’entrée des Hébreux au pays des pharaons : la date ou le contenu des textes s’y opposent. Ils prouvent cependant la très grande vraisemblance des faits racontés par la tradition israélite » (Adolphe Lods, Israël, des origines au milieu du VIIIe siècle, p. 189, 193ss). Les conditions politiques et économiques de la Palestine et de l’Égypte, telles qu’elles se présentent à nous au XVe siècle avant Jésus-Christ, dans les tablettes de Tell el-Amarna (voir Genèse), seraient de nature à expliquer que, sous la pression de la famine et de diverses difficultés intérieures, des clans hébreux aient été poussés à émigrer en Égypte. On peut considérer comme reposant sur une base historique la tradition contenue dans nos trois documents et d’après laquelle les clans hébreux auraient reçu la permission de s’établir dans la région que J appelle « terre de Gosen » (Genèse 47.6) et P « le pays de Ramsès » (Genèse 47.11) ; ces deux noms paraissent, en effet, désigner la même région, car on voit les LXX rendre par le nom de Ramsès le Gosen de Genèse 46.28. Cette région, qui serait délimitée par les localités de Zagazig à l’Ouest, de Belbeis au sud et l’extrémité du ouâdi Tumilat à l’est (d’autres retendent plus au Nord, jusqu’au bras tanitique du Nil ; ainsi Ebers, et Lods O.C., p. 196), était placée dans la sphère d’influence de l’empire des pharaons, et l’on peut aisément se représenter que les clans hébreux y aient fait un séjour temporaire. En effet, Ed. Naville a conclu, de l’étude de textes appartenant aux XIXe et XXe dynasties, que la région de Gosen n’était pas « une province organisée, occupée par une population agricole », mais « une contrée de pâturages qui pouvait être assignée à des émigrants étrangers, sans dépouiller la population indigène » ; et, en fait, les données égyptiennes parlent, à diverses reprises, de clans asiatiques qui, à l’instar de Joseph et de ses frères, auraient obtenu l’autorisation de s’établir dans cette région ; c’aurait été en particulier (d’après Breasted, Ancient Records, III, 273) le cas très peu d’années après le départ des Israélites.
Il n’est pas possible de déterminer exactement la durée du séjour en Gosen : les rares textes bibliques que l’on pourrait interroger amènent à des conclusions divergentes et peu sûres ; c’est ainsi que les uns indiquent neuf générations entre Jacob et David (voir Genèse 38.29 comparé avec Ruth 4.18-22) sans compter ces deux personnages, tandis que d’autres (Exode 6.16 ; Exode 6.20, comparez avec 1 Chroniques 6.49 ; 1 Chroniques 6.63) en comptent treize de Jacob à Tsadok contemporain de David, non compris ces deux-là. On pourrait même, d’après J, croire que le séjour en Égypte n’aurait duré qu’une cinquantaine d’années et que la sortie aurait eu lieu au cours de la deuxième génération.
Quelles sont, d’après la majorité des critiques, les circonstances historiques qui rendirent possible cette sortie d’Égypte, pour les clans hébreux ? L’Exode le donne à entendre assez clairement, dans des récits qui s’ouvrent par ces simples mots : « il s’éleva sur l’Égypte un nouveau roi qui n’avait pas connu Joseph » (Exode 1.8) ; en d’autres termes, il a dû se produire, dans les conditions politiques du pays, des changements qui avaient eu pour conséquence de modifier profondément la situation des clans israélites : les usurpateurs hyksos avaient été expulsés par des souverains appartenant aux dynasties indigènes, qui n’avaient plus les mêmes raisons de favoriser ces clans d’immigrés et qui devaient même trouver opportun d’affaiblir cette population de race étrangère, dont le nombre s’était sans doute beaucoup accru, qui occupait une portion du territoire particulièrement exposée aux invasions venant d’Asie et qui, en outre, pouvait avoir, à un moment donné, la tentation d’unir ses forces à celles de ses congénères restés en Palestine, ou de faire cause commune avec les ennemis du dehors, en s’émancipant du joug qui pesait sur elle ; Exode 1.12 le dit assez clairement : « on prit en aversion les enfants d’Israël ».
Les conditions dans lesquelles la dix-neuvième dynastie monta sur le trône justifiaient les craintes auxquelles il vient d’être fait allusion. Séti Ier n’avait pas pu reconquérir les territoires qui avaient été pris par les Hittites ; son successeur, Ramsès II, avait bien conclu un traité avec ces derniers, à la suite d’une campagne d’une réussite douteuse ; mais la situation en Syrie n’était pas sûre et on pouvait redouter, pour l’avenir, des complications de ce côté-là. Quelle position prendraient donc les clans établis à la frontière d’Égypte ? C’est alors que se serait ouverte la période de persécutions et de corvées que racontent les premiers chapitres d’Exode. Bien que la résidence méridionale de Thèbes fût restée la capitale religieuse de l’empire, Ramsès envisagea l’opportunité de construire entre autres, dans le Delta septentrional, deux villes dont Exode 1.11 nous donne les noms : Pithôm, retrouvée par Edouard Naville dans le Tell el-Maskuta du ouâdi Tumilat actuel, et Raamsès, signifiant : Per Ramsès, la Demeure de Ramsès, résidence royale septentrionale que les uns identifient avec le Tell Rotab du ouâdi Tumilat, tandis que d’autres (ainsi Brugsch, Alan Gardiner, Lods) la retrouvent plus au nord dans la ville de San (Tanis). C’est donc lui qui, pour la majorité des critiques, aurait été « le nouveau roi qui n’avait pas connu Joseph », le monarque fastueux, passionné pour les constructions grandioses, qui régna soixante-sept ans et mourut presque centenaire, laissant après lui une très nombreuse postérité, parmi laquelle s’éleva son treizième fils et successeur Mernephta, qui aurait été le pharaon sous lequel se produisit l’exode.
Mernephta, qui régna vingt ans (1234-1214), nous est connu par la victoire que, dans les débuts de son règne, il remporta sur les Libyens établis à l’ouest de son royaume. Il l’est surtout par une stèle du plus haut intérêt, découverte en 1896 par Flinders Pétrie, dans le tombeau du pharaon. L’inscription fait d’abord mention de la défaite infligée aux Libyens, de la paix imposée aux Hittites ; puis, par la mention d’un certain nombre de noms, elle montre que diverses villes de Palestine ont été prises et soumises, et déclare, à la fin, que « tous les pays sont pacifiés ». Parmi les noms cités, on trouve celui d’Israël, précédé du dénominatif égyptien qui accompagne habituellement les noms d’hommes ; il s’agit donc bien ici d’une collectivité, d’un peuple. Mais, à quelle défaite subie par Israël peut-il être fait allusion ici ? Et que faut-il entendre par Israël ? Il est difficile de répondre à cette question. L’opinion la plus probable paraît être celle qui voit, indiqués par ce nom, les clans hébreux qui étaient restés établis en Canaan, alors que d’autres avaient émigré en Égypte. Griffiths (ouvrage cité, p. 52ss) pense qu’il serait fait allusion aux événements racontés Nombres 14.40 et suivants (Deutéronome 1.41 ; Deutéronome 1.46), à cette défaite des Israélites qui, pendant le voyage au désert, avaient essayé d’envahir Canaan par le sud, et qui furent battus par les Amalécites et les Cananéens. Cette opinion est aussi celle de Lods, O.C., p. 214. Maspéro voyait, dans l’expression « leur semence (ou race) n’est plus », une allusion aux persécutions dirigées par Ramsès II contre les clans hébreux de Gosen, et trouvait dans ces mots « la version égyptienne de l’exode, courante à la cour de Mernephta ». Ajoutons ici que cette sortie d’Égypte a dû se produire dans les premières années du règne de Mernephta, car un document de la VIIIe année de ce règne, cité par Breasted (Ancient Records, III, 173), fait mention de tribus de bédouins édomites qui auraient été admises à habiter la région même que les clans hébreux avaient occupée ; il fallait donc que ceux-ci fussent déjà partis. Dans l’absence presque complète de données égyptiennes concernant les clans israélites et leur séjour dans le pays du Nil, la mention de ce peuple sur un monument épigraphique datant de l’époque présumée du pharaon sous lequel aurait eu lieu l’exode, revêt un intérêt tout particulier, et, malgré les objections que l’on a pu faire et que quelques critiques font encore à cette identification de Mernephta avec le pharaon de l’Exode, les raisons favorables paraissent l’emporter sur les autres ; et le fait que l’on a retrouvé la momie de ce monarque dans la nécropole de Thèbes n’infirme nullement cette identification, car le récit du désastre subi par les Égyptiens au passage de la mer des Roseaux ne dit nulle part expressément que le pharaon lui-même ait péri dans les eaux ; s’il y avait trouvé la mort, l’hymne de victoire de Exode 15 aurait certainement relevé le fait, et il n’en dit rien. Indiquons ici, pour terminer, quelques-unes des dates proposées par divers critiques pour l’Exode :
Tous les faits racontés par l’Exode sont groupés autour du grand nom de Moïse. La tradition a conservé le souvenir des traits principaux de sa vie ; elle a raconté les circonstances extraordinaires qui ont accompagné sa naissance, comme aussi elle évoquera, dans Deutéronome 34, les conditions mystérieuses dans lesquelles se produisit sa mort. Elle le montre tout ensemble comme guide, chef et juge de ses compatriotes, celui qui a su leur donner l’unité nationale, et surtout celui qui leur a révélé une forme plus haute et plus pure de la connaissance religieuse ; enfin, elle a vu en lui le grand législateur auquel elle a fait remonter la promulgation de toutes les lois de la nation. Pour tous les détails de sa biographie, voir Moïse.
Les trois documents d’Exode font précéder le récit de la sortie d’Égypte par celui de toute une série de fléaux dont Yahvé se serait servi pour briser la résistance du pharaon qui refusait de laisser partir les clans hébreux. Nous nous bornerons ici à l’observation suivante. Le chiffre de dix, qu’on a l’habitude d’indiquer pour l’ensemble de ces fléaux, ne se retrouve dans aucun des trois documents, dont chacun présente un nombre différent : J en raconte six (le Nil frappé, les grenouilles, les taons, la peste bovine, la grêle, les sauterelles) ; E, quatre (les eaux changées en sang, la grêle, les sauterelles, l’obscurité) et P, quatre (les eaux changées en sang, les grenouilles, les moustiques, les pustules). J et E parlent l’un et l’autre de la dixième plaie (mort des premiers-nés), que P a dû raconter aussi, bien que ses données ne figurent pas dans le récit actuel. Il existait donc une tradition nationale relative à des fléaux qui auraient précédé la sortie ; mais il y avait désaccord quant au nombre et à la forme de production de ces fléaux. J n’indiquait pas d’agent humain pour l’envoi ou le retrait des plaies, que Yahvé produisait par son action directe sur la nature ; tandis que, pour E et pour P, Yahvé est au-dessus de la nature, et les fléaux sont introduits par un intermédiaire terrestre, le bâton d’Aaron. D’après J, ces fléaux sont des faits naturels qui, en eux-mêmes, ne paraissent pas avoir un caractère miraculeux ; pour E et P, au contraire, ce sont avant tout des faits miraculeux. Pour les détails, voir Plaies d’Égypte.
La route de l’exode Voir Atlas 3 J, E et P racontent tous trois cet événement. À la base de la rédaction qui les a combinés se trouve P, qui en forme le cadre et donne le plus de détails géographiques, tandis que J n’en fournit que de très généraux, et que E cite les deux villes de Pithôm et de Ramsès et indique les deux routes que les clans pouvaient prendre en quittant Gosen. J décrit le phénomène de la colonne de nuée qui guidait les Israélites et qui, à un moment donné, vint se placer entre eux et les Égyptiens et, la nuit, se transforma en une colonne de feu. En outre, dans J, le chemin qui s’est ouvert à travers la mer et qui a permis le passage des Israélites, se referme sur les Égyptiens parce que Yahvé a fait souffler un vent d’Orient pendant la nuit. Dans E et P, le chemin qui s’ouvre et les flots qui se referment proviennent de l’intervention du bâton magique de Moïse, ils accentuent donc le fait prodigieux que J rattache, au contraire, à l’action d’un agent naturel employé par Yahvé. Quant à l’itinéraire suivi, il est, dans P, jalonné par un certain nombre de stations dont les noms ne sont pas tous identifiés ; le seul qui le soit d’une façon certaine est Pithom (voyez plus haut). Soukkoth est probablement l’équivalent de l’égyptien Tukut ou T’kut, et, d’après Cart (Au Sinaï et dans l’Arabie pétrée, Neuchâtel 1915, p. 399), ces noms désigneraient une région voisine de Pithom, plutôt qu’une ville. La localité d’Étham, « à l’extrémité du désert » (13.20) à laquelle les clans arrivent, est en dehors du ouâdi Tumilat actuel (l’ancien Gosen), et l’on retrouve dans ce nom le Chetam ou Chetem égyptien, c’est-à-dire la ligne de forteresses élevées à l’est pour arrêter les invasions des nomades asiatiques. C’est là que les clans changèrent de direction. Ils avaient le choix entre deux routes : celle qui, se dirigeant vers le nord-est, les aurait conduits, à travers le désert, directement au sud de Canaan ; c’était la route la plus courte, mais il fallait passer par la ligne des forteresses, et c’était aller au-devant de difficultés et de dangers certains, et s’exposer à une poursuite plus facile de la part du pharaon. Restait l’autre route, celle qui, au sortir de Gosen, aboutissait à une région entrecoupée par des étendues d’eau plus ou moins considérables : c’était, le plus au Nord, le lac Balah, puis, au sud, le lac Timsah, situé en face de l’ouverture du ouâdi Tumilat ; plus au sud encore, les lacs Amers, et enfin, le golfe actuel de Suez. Cette route est celle que, d’après les indices fournis par nos textes, les Israélites ont suivie. On s’est demandé si, à une époque très ancienne, la mer ne s’étendait pas jusqu’à la hauteur de Gosen ; c’était l’opinion d’un savant de l’expédition de Bonaparte en Égypte, Du Bois-Aymé, et celle d’Ed. Naville, dont les découvertes confirmeraient cette hypothèse (voyez Cart, O.C., p. 400-409). Les géologues ont même émis l’idée que, à l’époque la plus reculée, la Méditerranée et la mer Rouge auraient communiqué entre elles ; mais il ne paraît pas probable que, aux époques historiques, cet état de choses existât encore ; on pourrait admettre seulement qu’au moment de la sortie, les lacs recouvraient une étendue plus considérable qu’aujourd’hui, qu’ils étaient reliés entre eux et que, en se fondant sur l’état dans lequel se trouvaient les deux bassins du Timsah et des lacs Amers, lorsque fut percé l’isthme de Suez, ils étaient d’une faible profondeur. D’après l’hypothèse qui semble la plus probable, le passage se serait effectué à travers le lac Timsah ; c’est à la hauteur de la vallée de Tumilat qu’il aurait sa moindre largeur (environ 400 m), tandis qu’elle est beaucoup plus considérable au Nord. Si l’on admet qu’à une époque ancienne les lacs Timsah et Amers aient été reliés à la mer Rouge, on pourrait expliquer la possibilité du passage des clans israélites, en faisant intervenir un phénomène d’ordre naturel : l’action du vent (peut-être combinée avec celle de la marée ?) aurait amené un refoulement des eaux, lequel aurait permis le passage des Israélites ; J lui-même a d’ailleurs, rappelé cette action du vent d’est au verset 21, en l’attribuant à l’action providentielle de Dieu. Quant à l’expression de « mer des roseaux » employée par E pour désigner ici un lac intérieur, comme le Timsah, elle n’a rien d’extraordinaire, puisque le mot yâm est couramment employé en hébreu pour désigner une mer ou un lac (voyez Nombres 34.11, « la mer de Génézareth »), et, dans le cas présent, l’expression « mer des roseaux » se comprend d’autant mieux que les roseaux ne croissent pas dans les eaux salées ; ici, il est question d’un bassin intérieur jusque dans lequel, à l’époque des grandes crues, les eaux du Nil venaient se déverser par le ouâdi Tumilat : les roseaux pouvaient donc y croître à leur aise.
Exode 15.22 à Exode 40 présente, dans les textes racontant les faits qui ont précédé l’arrivée au Sinaï, bien des récits qui ne semblent pas être à leur place. Ainsi, dans chapitre 17, les murmures à Massa et Méribâ, il paraît difficile d’admettre qu’un même lieu ait porté ce double nom ; E parlait de la source de Massa, et J de celle de Méribâ. Or Deutéronome 32 51 appelle celle-ci Meribâ de Kâdesch, et, dans les récits parallèles de E et de P (Nombres 20), le fait en question se serait passé après l’arrivée à Kadès. C’est à ce même séjour à Kadès que doit se rapporter le fait raconté à (Nombres 17.8) et suivants, la défaite infligée aux Amalécites. Ceux-ci n’avaient rien à voir dans la région du centre de la péninsule sinaïtique, mais, dans Nombres 14.43 ; Nombres 14.45, lorsque les Israélites voulurent entrer directement en Canaan par le sud, ces mêmes Amalécites, qui habitaient au nord et à l’ouest de Kadès, les attaquèrent et les battirent. Le chapitre 17 serait donc plus à sa place dans le cycle des récits de Kadès. On dira la même chose du chapitre 18, qui fait supposer qu’Israël possédait déjà une certaine organisation judiciaire et des lois, que Moïse appliquait ; or, ces lois ne lui ont été données que plus tard, au Sinaï (chapitres 19-34). On a donc supposé que, entre le passage de la mer et le Sinaï, J et E ne contenaient aucun récit des événements de cette partie du voyage, et que le rédacteur aura comblé cette lacune en insérant dans le texte actuel des récits qui ne seraient que des parallèles ou des doubles de faits qui se seraient passés postérieurement à cette période. Enfin, les difficultés deviennent toujours plus grandes dès qu’on aborde les chapitres 19, 20, 24, 32-34, concernant les montées et descentes de Moïse au Sinaï, sur lequel il serait monté jusqu’à six fois ! Dans chapitre 19, on trouve deux récits parallèles, très enchevêtrés l’un dans l’autre, de l’apparition de Yahvé à Moïse ; le verset 2a (P) doit être placé avant le verset 1 ; le verset 18, qui suppose Dieu déjà descendu sur le Sinaï, doit être transposé entre verset 30a et 20b. Dans chapitre 20, les versets 18 et 21, se rattachant directement à Exode 19.19, devaient précéder et non pas suivre les révélations divines dont parle Exode 20.19. Le chapitre 24 présente les indices de remaniements divers ; deux versions d’une même tradition y ont été fondues : versets 1, 2, 9 et 11 d’une part, et versets 3, 8 de l’autre. En outre, dans versets 12-18, il y a deux épisodes distincts : les versets 12 et 15a qui préparent la remise des tables de la loi du chapitre 32, et les versets 15 et 18a qui préparent les prescriptions cultuelles des chapitres 25-31. Ni l’un ni l’autre ne font allusion à l’entrevue des 70 anciens avec Yahvé sur la montagne (verset 9 et 11) ; en effet, au début de ces deux épisodes, Moïse est au pied du Sinaï. Au chapitre 32 (histoire du veau d’or), on retrouve les traces très nettes de deux récits parallèles et distincts. Dans chapitre 33, les versets 7 et 11 ont été remaniés et l’ordre primitif des verset 12, 23 fortement troublé. Enfin, le chapitre 34 soulève des questions embarrassantes et, comme l’a observé Driver (Introduction Ancien Testament, 9e édition, p. 39), « la grosse difficulté réside dans le fait qu’une chose y est commandée, tandis qu’une autre y est faite », c’est-à-dire qu’au verset 1 c’est Yahvé lui-même qui va écrire les tables de la loi, alors qu’au verset 28 c’est Moïse qui grave les paroles de l’Alliance (voir plus loin). Le groupe de lois inséré actuellement dans Exode 34.10-26 et suivante trouve à une place qui ne lui convient nullement, puisque, après Exode 32.34 et Exode 33.1 ; Exode 33.3, qui renferment l’ordre de quitter le Sinaï, on ne s’attend plus à voir surgir un nouveau groupe de lois. La promulgation de ces lois doit, à l’origine, avoir été suivie de l’ordre de marche indiqué dans 32 3411 ; puis devaient venir Exode 33.12 ; Exode 34.9 ; Exode 33.15 ; Exode 33.16, qui donnent la suite logique des événements (Pour la question géographique soulevée par le Sinaï, voir ce mot). Ces chapitres, malgré la confusion qui y règne, sont très importants, parce qu’ils encadrent les groupes de lois les plus anciens de la législation hébraïque. Ce sont :
Exode 20.2 ; Exode 20.17, ne paraît pas avoir, à l’origine, appartenu à E ; pour la plupart des critiques, il y aurait été substitué, sous l’influence de la prédication prophétique du VIIIe siècle, à un Décalogue de nature cultuelle plus ancien, qu’on désigne sous le nom de Paroles de l’Horeb (nom que E emploie pour désigner la montagne de la Promulgation) et qui serait aujourd’hui fondu dans le Code de l’Alliance ; voyez 22 28b-29 23.12-19. Ce Décalogue moral présentait sans doute, dans sa teneur originale, la forme prohibitive brève que l’on retrouve aujourd’hui dans les 6e, 7e et 8e commandements. On a, en outre, remarqué qu’il existe des éléments de J et de E dans les 2e, 3e, 4e et 10e commandements ; des éléments de D dans les 2e, 3e, 4e et 5e ; enfin, que l’influence de P s’est exercée sur le 4e ; cela suppose un long développement, par lequel le Décalogue (voir ce mot) a dû passer avant d’en arriver à sa formule actuelle.
Exode 20.22-23 19 (ainsi nommé d’après Exode 24.7), a été aussi rattaché à E, dont il rappelle la terminologie. On y distingue actuellement trois parties :
Ces deux derniers groupes, b) et c), sont généralement désignés par le mot debârîtn, répondant à l’expression Paroles de Yahvé qui sert à les résumer dans Exode 24.3. Ce groupe soulève de nombreuses questions critiques, quant à sa date et à la place qu’il occupe actuellement. En raison de l’état de civilisation qu’il suppose, il ne paraît pas pouvoir remonter jusqu’à l’époque mosaïque, au moins sous sa forme actuelle ; il vise une population établie dans le pays, vouée à l’agriculture et à l’élevage du bétail, de sorte que, tout en admettant qu’il contient des éléments plus anciens, on lui attribue assez généralement la date de composition de E, c’est-à-dire le milieu du VIIIe siècle. À voir la différence de genre des deux parties du Pacte, on peut déjà supposer qu’il a été constitué par des groupes de lois plus anciens. Quant à la place qu’il occupe aujourd’hui, elle paraît lui avoir été attribuée à une époque plus tardive ; il aurait, à l’origine, occupé la place du Deutéronome actuel, et il y aurait figuré sous la forme d’une dernière exhortation de Moïse (au moins dans la partie des michpâtîm), forme qui se retrouve encore à la fin de Exode 23.24 ; Exode 23.33, promesses relatives à l’entrée en Canaan. En tout cas, les ressemblances entre Deutéronome et Exode 21 ; Exode 22 ; Exode 23 sont si réelles qu’on a pu appeler le Deutéronome « un Pacte de l’Alliance élargi et développé » (Cornill). Le « Pacte » n’aurait été mis à la suite du Décalogue de Exode 20.2-17 que lorsque le Deutéronome eut été combiné avec J et E ; on l’aurait alors transporté à l’époque sinaïtique, avec laquelle il n’avait aucun rapport de date. En effet, nos textes n’établissent aucune relation entre ce Code et la promulgation de la loi au Sinaï ; le passage Exode 20.18-26 contient des éléments très disparates, les versets 18-21 (voyez plus haut) appartiennent au récit concernant le Décalogue et devaient suivre Exode 19.19 ; les versets 22, 26 sont, suivant les critiques, rattachés soit à E soit à J ; enfin, dans la suite des textes de J et de E, chapitres 31-34, il n’est fait aucune allusion au Pacte (voir Alliance, livre de l’).
De Exode 34.14 ; Exode 34.26, dans lequel certains critiques ont même vu un Dodécalogue, c’est-à-dire une série de douze prescriptions, présente un caractère archaïque très net et parle d’une époque où toute l’importance de la religion nationale résidait dans l’élément cultuel. On pourrait même attribuer à ce petit groupe la priorité sur le Décalogue moral classique de Exode 20, car ce dernier proscrit toute espèce d’image de la divinité, tandis que Exode 34 se borne à interdire toute image de métal fondu ; il y a là l’indice d’un progrès qui correspond bien à ce que nous dit l’histoire religieuse d’Israël. Ce Décalogue yahviste est placé à la suite d’un texte narratif, versets 1-9, dans lequel l’auteur a voulu donner un récit de l’histoire des deux tables de la loi et de l’alliance conclue entre Yahvé et son peuple ; les textes Exode 24.4 et Exode 34.27 se rapportent à cette alliance avec Yahvé ; dans J, ce sont donc les versets 14-26 du chapitre 24, et non les chapitres 21-23 qui constituent le « livre de l’alliance » auquel font allusion ces deux textes. La place que ce petit groupe cultuel occupe aujourd’hui, il la doit sans doute au rédacteur qui a fait du récit yahviste de la rupture des Tables, non pas le pendant de celui de E, mais sa suite. À l’origine, J et E ont dû placer le récit de la rédaction des Tables à la suite immédiate de l’arrivée au Sinaï : Exode 34.1-4 ; Exode 34.10-28 représenterait donc le récit yahviste original de la conclusion de l’alliance au Sinaï, par conséquent la suite naturelle de Exode 19.20-25 et de Exode 24.1 ; Exode 24.2 ; Exode 24.9-10 dans J.
Les deux groupes de lois, 25-31 et 35-40, de P. Le premier contient des instructions concernant : la construction de la Tente du Rendez-vous, les meubles sacrés, le parvis ; puis, l’élection d’Aaron et de ses fils comme prêtres ; le costume du grand-prêtre et l’installation des prêtres (chapitres 25-29). Dans chapitres 30-31, on trouve des prescriptions supplémentaires : l’autel des parfums, l’impôt de capitation, la cuve de bronze, l’huile sainte et le parfum ; les ouvriers chargés d’aménager la tente ; enfin, une ordonnance sur le sabbat. On remarquera :
Ant.-J. B.
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