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Haine

La haine n’est pas seulement absence d’amour (voir ce mot) ; c’est un état de colère réfléchie et permanente qui veut du mal à quelqu’un. Mais on appelle aussi haine l’horreur éprouvée contre le mal. Ainsi, suivant que l’objet haï est une personne aimable ou détestable, représente une cause bonne ou mauvaise (cf. Matthieu 6.24), la haine ressentie à son égard est vice ou vertu ; comme dit l’Ecclésiaste (Ecclésiaste 3.8), « il y a un temps pour aimer et un temps pour haïr, un temps pour la guerre et un temps pour la paix ».

I Haine envers le prochain

La loi de Dieu en Israël l’interdit explicitement (Lévitique 19.17 et suivant), et Jésus la cite : « Il a été dit : Tu aimeras ton prochain…  » (Matthieu 5.43) ; mais il termine la citation par l’addition : « … et tu haïras ton ennemi », qui ne se trouve nulle part dans l’Ancien Testament. Au contraire, la loi prescrit de rendre service même à l’ennemi (Exode 23.4 et suivant), la morale israélite dénonce sous divers aspects la haine et la vengeance (Proverbes 9.8 ; Proverbes 10.12 ; Proverbes 15.17 ; Proverbes 24.17 ; Proverbes 25.21), et l’on peut citer à côté des exemples de haine (Genèse 26.27 ; Genèse 27.41 ; Genèse 37.4 ; Genèse 37.8 ; 2 Samuel 13.22 etc.) des exemples de bonté, de support et de pardon (Genèse 45.1 ; Genèse 50.15 ; Genèse 50.21 ; 1 Samuel 24.7 ; 2 Rois 6.22 etc.). C’est pourquoi l’on peut voir dans la fin de la citation une allusion de Jésus à l’interprétation abusive que les rabbins et les scribes avaient donnée de la Loi : en retenant les vieilles consignes d’extermination contre les peuples ennemis (Exode 23.23 et suivant, Deutéronome 7.1 ; Deutéronome 25.19), et en traduisant « prochain » par « ami », « ennemi national » par « ennemi personnel », ils arrivaient à justifier par la lettre la haine entre individus. Il se peut aussi que le Seigneur, jugeant la Loi de haut dans ce cas comme dans les autres (Matthieu 5.21 ; Matthieu 5.27 ; Matthieu 5.31 ; Matthieu 5.33 ; Matthieu 5.38) ait réellement entendu dire que son inspiration générale faisait tendre à la haine envers l’ennemi, l’élection d’Israël ayant été reçue par celui-ci, non comme une grâce imméritée, comme une noblesse l’obligeant au service de Jéhovah et des nations (Ésaïe 49.6 etc.), mais comme le prétexte d’un orgueil national intense (cf. Psaume 83 ; Jonas 3.10 à Jonas 4.11, le livre d’Esth.), qui devait finir par provoquer le jugement de Tacite sur les Juifs (Hist., V, 5) : « entre eux, d’une fidélité à toute épreuve, toujours prêts à la compassion, mais ennemis haineux envers tous les étrangers ». L’esprit des sujets du Royaume de Dieu est tout autre : « Aimez vos ennemis » ; non pas : chérissez en bons amis (grec philêté) les méchants et les pervers, mais : aimez-les en Dieu (grec agapaté), « priez pour eux », dans l’esprit des « fils de Dieu » envers toutes les créatures du même Père (Matthieu 5.44, cf. Luc 6.27). Appelés par l’Évangile à aimer leur prochain comme eux-mêmes (Matthieu 22.39), à s’aimer les uns les autres comme le Christ les a aimés (Jean 15.12), les chrétiens doivent voir dans la haine entre frères l’absence d’amour pour le Père et comme un meurtre en puissance éventuel (1 Jean 2.9 ; 1 Jean 3.15 ; 1 Jean 4.20 cf. Matthieu 24.10). Voir Amour.

II Haine envers le mal

1. De la part de Dieu

À l’égard du mal, négation de sa volonté, révolte contre Lui, l’attitude de Dieu est celle du Maître suprême qui sans jamais pactiser avec lui poursuivra son écrasement jusqu’à complète victoire ; c’est donc par un anthropomorphisme tout naturel que cette attitude irréductible est appelée haine de Dieu. Elle est maintes fois affirmée en ce qui concerne diverses formes de péché : méchanceté (Psaumes 45.8), orgueil, mensonge et autres abominations (Proverbes 6.16 ; Siracide 10.7 ; Siracide 15.13), fêtes religieuses formalistes et palais de la corruption (Amos 5.21 ; Amos 6.8 ; Ésaïe 1.14), rapine (Ésaïe 61.8), divorces (Malachie 2.16). Dans cette haine de Dieu est parfois englobé le pécheur : le méchant et le violent (Psaumes 11.5), le peuple révolté (Jérémie 12.8) ; s’il ne peut haïr rien de ce qu’il a créé (Sagesse 11.24), il hait ses créatures devenues impies (Sagesse 12.4 ; Sagesse 14.9) ; cette expression de sa haine équivaut à une sentence de culpabilité (cf. Deutéronome 1.27 ; Malachie 1.3, cité Romains 9.13). La même aversion devant l’iniquité est attribuée au Seigneur Jésus glorifié (Hébreux 1.9 ; Apocalypse 2.6).

2. De la part de l’homme

Dans la communion avec le Dieu saint, le croyant apprend donc à son tour à tenir le péché pour odieux, c’est-à-dire haïssable. « Craindre l’Éternel, c’est haïr le mal » (Proverbes 6.13). D’où les appels des prophètes (Amos 5.15 etc.), et les protestations des fidèles déclarant à Dieu leur haine pour ce qu’il hait (Psaumes 119.104 ; Psaumes 119.163 ; Psaumes 97.10 ; Siracide 25.2), et l’ordre de Jude (Jude 1.23) de haïr dans le vêtement jusqu’à l’apparence ou jusqu’à la fréquentation des gens corrompus. Cette haine humaine, d’un cœur lui-même pécheur, risque toujours de devenir coupable, de dégénérer en vanité, en animosité, voire en fanatisme (cf. par exemple Psaumes 139.21). L’expérience chrétienne est celle de l’apôtre Paul qui gémit, comme étant asservi au péché, de faire encore le mal qu’il hait (Romains 7.15), mais qui sait la victoire assurée en Christ (Romains 7.25). Et la première épître de Jean, commentant l’enseignement du Seigneur dans le style même du quatrième Évangile (voir l’alinéa suivant), montre qu’il s’agit d’une prise de position définitive dans le combat contre le mal, ou mieux d’une prise de possession de l’amour de Dieu : « N’aimez point le monde, etc. » (1 Jean 2.15).

III Haine des hommes envers le bien

1. Envers Dieu et Jésus-Christ

Dans ce tragique combat entre le monde et Dieu, le monde pécheur a pris position, lui aussi. Les « méchants » haïssent ce que Dieu donne à aimer : connaissance (Proverbes 1.29), sagesse (Proverbes 8.36), réprimande (Amos 5.10 ; Psaumes 50.17 ; Proverbes 12.1 ; Proverbes 15.10), travail ( Siracide 7.15), et le bien en général (Michée 3.2). À travers ces exigences de leur conscience, ce qu’ils haïssent, c’est Dieu ; ils se constituent « ses ennemis » (Exode 20.5 ; Deutéronome 5.9 ; Deutéronome 7.10 ; Deutéronome 32.41 ; Psaumes 68.2 ; Psaumes 83.3 etc.). Le monde, s’opposant à tout ce qui vient du Père (1 Jean 2.16), s’est opposé entre tous au Fils qu’il a envoyé : quiconque fait le mal hait la lumière qu’il apporte (Jean 3.20) et qui révèle les œuvres mauvaises (Jean 7.7) ; le monde l’a haï (Jean 18.15), d’une haine persistante et obstinée (comme l’indique le temps parfait du verbe grec), et cela « sans cause » (Jean 18.25, cf. Psaumes 35.19 ; Psaumes 69.5), c’est-à-dire sans autre cause que le péché même qu’il condamnait en eux. C’est la même haine dirigée contre le Fils et contre le Père, péché sans excuse puisque déclaration de guerre sans trêve à Dieu lui-même (Jean 15.22 ; Jean 15.23 ; Jean 15.24). Jésus l’a mise en scène dans la parabole des mines (Luc 19.14).

2. Envers les fidèles de Dieu

Les disciples du Christ doivent s’attendre à semblable destinée, dans la mesure même de leur ressemblance au Maître (Jean 15.18-21 ; Jean 17.14) ; ils seront haïs, à cause de lui par toutes sortes de gens, de toutes nations (Matthieu 10.22 et parallèle, Matthieu 24.9). Ils doivent, non s’en étonner (1 Jean 3.13), mais s’en réjouir comme de la preuve de leur communion avec le Sauveur et de l’approbation du Père (Luc 6.22 et suivant). C’était déjà l’expérience des croyants de l’ancienne alliance (Psaumes 44.8 ; Psaumes 129.6 ; Ésaïe 60.15 ; Ésaïe 66.5), et sur le seuil de la nouvelle alliance le vieillard Zacharie devait penser aux épouvantables exterminations des maîtres romains en Palestine depuis soixante ans, lorsque dans son cantique (voir Benedictus) il bénissait le Dieu d’Israël, qui « nous délivre de nos ennemis et de la main de tous ceux qui nous haïssent » (Luc 1.71).

IV Haine du chrétien envers sa vie et envers les siens

Nous avons distingué, plus haut (paragraphe 1), les deux verbes grecs : phileïn = chérir d’une affection naturelle et terrestre, et agapân = aimer d’un amour supérieur, aimer en Dieu. Cette distinction importe pour dissiper l’équivoque du verbe haïr : quand il s’oppose à l’amour divin, il désigne cette affirmation de personnalité, toujours coupable, que nous avons vue réprouvée comme haine de Dieu ou du prochain ; mais quand il s’oppose à certaines affections ou passions de la vie ordinaire, il peut s’appliquer à des refoulements qui, en des circonstances particulières, deviennent le devoir moral ou religieux : par exemple lorsque Jésus appelle son disciple à « haïr père, mère, etc. » (Luc 14.26, cf. Matthieu 10.37), à « haïr sa vie » (Jean 12.25). Inutile d’affaiblir la haine ici prescrite en l’interprétant comme une hyperbole équivalant à : moindre amour (comme dans Genèse 29.30 et suivant, Deutéronome 21.15). Ainsi qu’en d’autres déclarations solennelles, Jésus émet le principe général sous forme paradoxale et sans nuances ; mais il ressort du contexte et des passages analogues (Matthieu 5.29 ; Matthieu 6.24; Luc 18.29, etc.), qu’il vise les cas où le choix s’impose entre la fidélité au Christ et les affections naturelles. Normalement il n’y a pas incompatibilité entre l’une et les autres ; il serait monstrueux de haïr ses parents : péché de Juif hypocrite (Matthieu 15.4 et suivants) ou de païens dénaturés (Romains 1.30 et suivant) ; Jésus a trop mis en honneur la sainteté de la famille (Marc 10.1-16 ; Jean 19.25 et suivant, etc.) pour mériter le reproche de Renan, d’avoir prêché une « morale exaltée » qui, « à force de détacher l’homme de la terre, brisait la vie ». Seulement, les disciples du Seigneur doivent être prêts, dans la mesure même où leurs affections les plus chères représenteraient une inimitié à son égard, à les traiter comme des objets de haine, c’est-à-dire à les abandonner pour rester fidèles au Seigneur. Les premières générations de chrétiens connurent souvent, dans leur terrible acuité, ces conflits que le Maître avait prévus autour de sa personne et de son Évangile (Matthieu 10.34 ; Matthieu 10.36 ; comparez, aux temps barbares de l’ancienne alliance, Exode 32.26 et suivant, Deutéronome 33.9) ; il en surgit encore aujourd’hui, en particulier sur le terrain de la mission et de l’évan-gélisation. D’ailleurs le renoncement prescrit ne porte pas uniquement sur les affections de famille : il consiste dans le renoncement à soi-même (haïr sa vie, porter sa croix), renoncement au « moi haïssable », source de tous les égoïsmes et défections ; (cf. Luc 9.23 et parallèle) c’est en triomphant du moi, au service du Seigneur, que la vie humaine s’épanouit dans toute sa beauté, dans toute sa félicité, jusque dans la vie éternelle (Jean 12.25).

Jean Laroche

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