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Du bas latin zelosus, dérivé du grec zélos = zèle. L’étymologie de ces mots explique qu’ils puissent être pris en bonne ou en mauvaise part : ils peuvent désigner en effet la vertu d’un zèle fervent pour une sainte cause désintéressée, le vice d’une basse envie personnelle, ou les divers degrés intermédiaires d’une intransigeance justifiée ou non. Cette diversité se trouvait déjà chez les Hébreux, avec les termes de la racine qânâ, applicables originairement à une vive émotion qui fait changer le visage de couleur. Elle se retrouve dans le Nouveau Testament, avec le grec zélos, dont la racine zêô signifie bouillonner. Elle se marque dans nos versions par la variété des traductions : jalousie, zèle jaloux, zèle, sainte ferveur, ardeur, ardent amour, passion, empressement, recherche ardente, sollicitude, aspiration, ambition, indignation, colère, fureur, envie, rivalité, animosité, acrimonie, etc. Ici nous nous bornons à la jalousie proprement dite, qui comporte dans tous les cas un état d’esprit exclusif, plus ou moins ombrageux et susceptible et, suivant les circonstances, plus ou moins légitime.
D’après divers passages de l’Ancien Testament, l’amour entre homme et femme, irrésistible comme la mort, entraînant la jalousie inflexible comme le sépulcre (Cantique 8.6), redoutable est donc la fureur de l’époux trahi (Proverbes 6.34) ou de celui qui craint la trahison (Proverbes 27.4), mais il ne devrait pas être systématiquement jaloux (Siracide 9.1). Pour le cas où le mari suspectait la fidélité de sa femme, la législation sacerdotale de Nombres 5.11-31 réglementait « l’oblation de jalousie », vieux rituel dont l’origine doit plonger dans une épreuve de magie : le sacrificateur devait faire boire à la femme les « eaux amères » (eau sacrée mélangée à la poussière du sol du Tabernacle) qui amèneraient, pensait-on, la malédiction sur la coupable et seraient inoffensives pour l’innocente. D’où l’expression « eau de jalousie », restée dans notre langue pour désigner ce mode de « jugement de Dieu ».
Il est tout naturel que ce caractère ait été attribué au Dieu de la Révélation : avant tout, il est le seul Dieu, donc ses exigences sont absolues (début du Décalogue, Deutéronome 5.7, ou du Chenia., Deutéronome 6.4 et suivant ; comparez les prophètes, Ésaïe 42.8, etc.). L’Éternel, en choisissant son peuple, est devenu comme l’époux d’Israël (Osée 2.19 et suivant, Jérémie 2.2 ; Ézéchiel 16.8 ; Ésaïe 62.5), et cette image comporte en même temps l’obligation de fidélité réciproque et le droit corrélatif à la jalousie conjugale. C’est ce droit de Dieu au service sans partage de ses adorateurs qui est affirmé dans le titre du « Dieu jaloux » (Exode 20.5 ; Exode 34.14 ; Deutéronome 4.24 ; Deutéronome 6.15 ; Josué 24.19, Nahum 1.2) ; ce qui « provoque la jalousie de Jéhovah », c’est l’idolâtrie, flagrant délit de l’infidélité envers lui (Deutéronome 32.16 ; Deutéronome 32.21 ; 1 Rois 14.22 ; Psaumes 78.58 ; Ézéchiel 8.3 ; Ézéchiel 8.5) ; ce sont les arrêts de la jalousie du Seigneur qui frappent les pécheurs (Deutéronome 29.20 ; Sophonie 1.18 ; Psaumes 79.5 ; Ézéchiel 5.13), et ses châtiments sont même assimilés à la vengeance sanguinaire du mari outragé, dans les violents apologues sur l’adultère d’Israël (Ézéchiel 16.38 ; Ézéchiel 16.42 ; Ézéchiel 23.25). Dans le tableau apocryphe des rétributions finales, où le Seigneur paraît comme un guerrier armé de pied en cap, c’est sa jalousie qui est présentée comme son armure (Sagesse 5.17). Sous cet anthropomorphisme (expression qui attribue à Dieu des états d’esprit et des actes humains), il faut reconnaître en réalité le fondement divin de la religion et de la morale : c’est la révélation du monothéisme, insérée dans la constitution même du peuple qui aura pour mission de le faire connaître au monde lorsque l’amour de Dieu pour Israël sera compris enfin comme s’étendant à tous les hommes. Aussi l’enseignement du Christ, alors même qu’il ne mentionne pas explicitement la jalousie de l’Éternel, la suppose-t-il implicitement lorsqu’il rappelle le premier commandement, la proclamation monothéiste par excellence (Marc 12.28 et suivants), lorsqu’il tranche souverainement de l’impossibilité de servir deux maîtres et dénonce la plus dangereuse idole : Mammon (Matthieu 6.24), lorsqu’il se déclare le seul capable de révéler le Père (Matthieu 11.27), lorsqu’il prétend être aimé d’un amour supérieur a toutes les affections humaines (Matthieu 10.37 ; Matthieu 12.46-50), etc. (voir Haine). Les affirmations de ce genre abondent, encore plus nettes, dans le quatrième Évangile ; (cf. Jean 1.18 ; Jean 14.6 ; Jean 14.9 etc.) les apôtres rendent un vibrant et unanime témoignage au caractère unique et absolu du salut de Dieu en Jésus-Christ (Actes 4.12 ; 1 Corinthiens 3.11 ; Galates 1.8 et suivant, Colossiens 1.15 et suivants, 1 Jean 5.12 etc.), et la belle image paulinienne de l’union mystique entre le Christ et l’Église dont il est le Chef et l’Époux implique les droits du Sauveur sur l’épouse pour laquelle il s’est livré lui-même afin de la sanctifier (Éphésiens 5.22-33 ; 2 Corinthiens 11.2 etc.).
La jalousie de Dieu, dans l’Ancien Testament, s’applique aussi à son peuple, à ses fidèles : il s’identifie jalousement à eux et c’est par jalousie pour eux qu’il prend résolument leur parti. Nos traductions le disent en propres termes dans Joël 2.18 ; Zacharie 1.14 ; Zacharie 8.2 ; Ésaïe 59.17, et il est regrettable qu’ailleurs elles affaiblissent la vigueur de l’expression, par exemple dans Ésaïe 42.13 ; Ésaïe 63.15 et surtout dans Ésaïe 9.6 la conclusion du magnifique programme du règne messianique : « Voilà l’œuvre qu’accomplira la jalousie (mieux que : le zèle) de l’Éternel des armées ! » (Ésaïe 37.32). Même quand le Dieu d’Ézéchiel se montrera « jaloux de son saint nom », ce sera en ramenant les captifs de Jacob, dont il aura pitié (Ézéchiel 39.25), et en châtiant les oppresseurs d’Israël (Ézéchiel 36.5 ; Ézéchiel 38.19). Dans l’enseignement du Christ se retrouve quelque chose de cette faveur protectrice pour les siens ; de même que Dieu avait dit : « Qui vous touche, touche la prunelle de mon œil » (Zacharie 2.8), de même Jésus dit à ses disciples : « Qui vous écoute, m’écoute ; qui vous rejette, me rejette ; et qui me rejette, rejette Celui qui m’a envoyé » (Luc 10.16, cf. Matthieu 10.40). Il est jaloux pour les siens, pour « ces petits », les méprisés du monde : il garantit solennellement une récompense pour le moindre service qui leur est rendu (Matthieu 10.42), et il profère une terrible menace contre tout provocateur qui les pousserait au péché (Matthieu 18.6). Au jugement dernier, l’amour jaloux du Juge apparaîtra autrement humain que dans la description guerrière de la Sapience citée plus haut : « Dans la mesure où vous avez (ou non) fait du bien à ces plus petits d’entre mes frères, vous me l’avez (ou non) fait à moi-même. » (Matthieu 25.40 ; Matthieu 25.45).
Tel est le Dieu jaloux, qui ne saurait consentir aucun compromis avec le mal, tel doit être son serviteur, jalousement voué à l’honneur, à la victoire et au règne de ce Dieu. C’est en effet le caractère de certains jéhovistes militants, que consume ou dévore leur zèle jaloux pour l’Éternel et pour son culte : (Psaumes 69.10 ; Psaumes 119.139) contre le baalisme, Élie le prophète (1 Rois 19.10 ; 1 Rois 19.14, cf. 1 Macchabées 2.58) et Jéhu le justicier (2 Rois 10.16). Un exemple mémorable avait été celui du prêtre Phinées : indigné devant le scandale en Israël, il y avait coupé court de ses propres mains par une double mise a mort (Nombres 25.6 ; Nombres 25.18) ; son « zèle jaloux pour l’Éternel » (verset 11,13) devait être cité dans les apocryphes, à propos de l’exaltation des Macchabées (1 Macchabées 2.24-26 ; 1 Macchabées 2.54 ; 1 Macchabées 2.4 Macchabées 18.12 ; Siracide 45.23-25), et c’est en souvenir de lui que des fanatiques israélites devaient prendre le nom de Zélotes ou Cananites (voir ces mots). On voit par ces exemples combien l’élan de la jalousie pour Dieu peut se mélanger d’éléments humains inférieurs : les préférences personnelles (2 Samuel 21.2) et l’esprit de parti (Nombres 11.29) s’emparent facilement du vengeur de la sainte cause, dont la sainteté même conspire à favoriser son acharnement. C’est ainsi que chez les Juifs contemporains de Jésus et des apôtres, le zèle (toujours même mot que jalousie) pour le Temple et la Loi va de pair avec l’intolérance (Actes 21.20), zèle dégénéré dans la plus basse envie des grands chefs contre Jésus (Marc 15.10 ; Matthieu 27.18). Saul de Tarse, le type même de la jalousie messianique devenue zèle persécuteur (Philippiens 3.6 ; Actes 22.3 et suivants) et emportement fanatique (Galates 1.13 et suivant), déplorera plus tard chez ses compatriotes leur « zèle pour Dieu, qui est sans connaissance » (Romains 10.2). L’histoire du christianisme a vu de même la passion exaltée pour le Seigneur Jésus se confondre parfois avec des exclusivismes, dogmatiques, ecclésiastiques, politiques ou autres. « De toutes les vertus, la jalousie pour le Seigneur est celle qui rappelle le plus tôt le vieil homme à la rescousse pour venir renforcer l’homme nouveau : combinaison qui tourne toujours au désastre ; elle n’en demeure pas moins la première vertu chrétienne, tout comme l’observation du premier commandement était la première vertu juive. » (A. Denney, DCG). Nous la trouvons représentée dans bien des passages du Nouveau Testament sous le nom de zèle (voir ce mot). Elle est superbement illustrée par l’action saintement vengeresse du Christ, jaloux de l’honneur de Dieu dans son Temple profané ; et les disciples ont raison d’y Voir une profonde application du mot du psalmiste : « Le zèle (ou la jalousie) de ta maison me dévore » (Jean 2.17, cf. Psaumes 69.10). À son tour saint Paul, sous le coup d’une intense émotion, se déclare jaloux au sujet des chrétiens qu’il a « fiancés à un seul époux, pour les présenter au Christ comme une vierge pure » ; il définit cette jalousie pour le Christ comme « la jalousie de Dieu » (2 Corinthiens 11.2). Il se peut enfin qu’il y ait une idée analogue dans Jacques 4.5, passage d’ailleurs obscur, peut-être allusion à un texte apocryphe inconnu (Bible du Centenaire).
Dans ce dernier texte, comme dans un ou deux autres que nous venons de citer, le terme grec n’est plus zêlos, qui peut se prendre en bonne ou en mauvaise-part, mais phtonos = envie, dont le sens est toujours péjoratif. Lorsqu’ils sont ensemble (Galates 5.20 et suivant), il n’y a aucun doute sur la portée de zêlos : il ne s’agit plus alors de noble passion, ni même d’honorable émulation, mais de la jalousie elle-même, cette tristesse dégradante, qui supporte impatiemment les avantages d’autrui. Pour l’étude comparative de ces deux termes grec, voir Trench, Synonymes du Nouveau Testament, p. 99 ; pour les définitions et les distinctions, parfois bien théoriques, entre la jalousie et l’envie (deux traductions souv, interchangeables dans nos versions bibliques), voir aussi, dans le présent ouvrage, Envie, Convoitise, Haine, etc. Une des nombreuses maximes désabusées de l’Ecclésiaste (Ecclésiaste 4.4) déclare générale parmi les hommes la jalousie mutuelle ; les deux Psaumes relatifs au problème de la prospérité du méchant veulent préserver le croyant de lui porter envie (Psaumes 37.1 ; Psaumes 73.3) ; même exhortation dans les Proverbes (Proverbes 3.31 ; Proverbes 14.30 ; Proverbes 23.17 etc.). Des jalousies nationales sont mentionnées, soit des autres peuples à l’égard de l’Assyrie (Ézéchiel 31.9), soit d’Éphraïm et de Juda entre eux (Ésaïe 11.13). Divers individus se conduisent en jaloux, ou sont ouvertement qualifiés tels :
C’est le « zèle amer » (Jacques 3.14 ; Jacques 3.16), état d’esprit envieux et combatif qui rend malheureux (Siracide 40.5) et engendre les animosités et querelles de toutes sortes (1 Corinthiens 3.3 ; 2 Corinthiens 12.20 ; Galates 5.20 ; Romains 13.13), jusqu’au meurtre (Jacques 4.2) ! Tout un passage de l’épître aux Corinthiens de Clément de Rome roule sur la jalousie, dont il énumère d’abord sept exemples de l’Ancien Testament (chapitres 3 et 4), puis sept exemples récents parmi lesquels Paul et Pierre, qui moururent martyrs « victimes de la jalousie ». De même c’était la jalousie des chefs qui avait commis le crime contre le Saint et le Juste (cf. Jean 15.24 et suivant). Un passage apocryphe attribuait l’introduction de la mort dans le monde à la jalousie du Diable (Sagesse 2.24). Tout au contraire la vertu chrétienne par excellence, la charité, a pour caractère de n’être point envieuse, littéralement jalouse (1 Corinthiens 13.4) ; et l’apôtre encadre son hymne magnifique entre ses exhortations à « rechercher avec une ferveur jalouse » (grec zêlouté) les dons supérieurs, en « poursuivant » la charité (1 Corinthiens 12.31 ; 1 Corinthiens 14.1-39). Par là, le chrétien apprend à ressembler à son Dieu, dont la jalousie est en définitive le sens de Son honneur et de Son amour suprêmes, réalisés et révélés pleinement en Jésus-Christ, don de l’amour du Père, modèle parfait de l’amour pour le Père et pour les frères.
Jean Laroche
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