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L’un des Douze, auteur présumé du quatrième Évangile, des trois lettres désignées sous les noms de 1, 2 et 3 Jean et de l’Apocalypse. Le Nouveau Testament ne nous donne a son sujet que de brèves indications, et, même en s’appuyant sur le quatrième Évangile, comme nous le ferons dans cette notice, on ne peut donner qu’une esquisse très sommaire de sa vie et de son activité.
Originaire de Galilée, habitant Capernaüm (ou, de l’avis de quelques-uns, la bourgade voisine de Bethsaïda), Jean était fils de Zébédée, dont nous savons seulement qu’il était pêcheur et que, se faisant aider dans son travail de ses deux fils et de plusieurs ouvriers (Marc 1.20), il jouissait sans doute d’une certaine aisance. Il résulte de la comparaison de Matthieu 27.56 et de Marc 15.40 que sa mère s’appelait Salomé ; certains auteurs, se fondant sur Jean 19.25 et y trouvant l’énumération de quatre personnes : la mère de Jésus et la sœur de sa mère, Marie (femme) de Clopas (voir ce mot) et Marie de Magdala, ont cru pouvoir faire de Salomé une sœur de Marie, mère de Jésus (voir Marie). Salomé est mentionnée parmi les femmes qui accompagnaient Jésus et l’assistaient de leurs biens (Matthieu 27.66, cf. Luc 8.8) ; c’était une femme animée d’une foi ardente et courageuse ; sa présence au pied de la croix le prouve ; mais sa piété n’était point exempte d’ambition, sinon pour elle-même, du moins pour ses fils, comme le montre la requête que, d’accord avec eux, elle présenta à Jésus de les placer l’un à sa droite, l’autre à sa gauche lors de son avènement (Matthieu 20.20-28).
Des deux frères, fréquemment désignés comme les fils de Zébédée pour les distinguer d’autres jeunes gens portant les mêmes noms, Jacques, généralement mentionné le premier, était sans doute l’aîné ; ils avaient hérité tous deux du tempérament ardent et généreux de leur mère ; une étroite amitié les unissait et il fallut pour y mettre fin la mort violente de Jacques en 44 (Actes 12.2). D’après le récit de Jean 1.35-51, dont le caractère autobiographique a été relevé plus d’une fois, les deux jeunes gens seraient entrés en relation avec Jésus par l’entremise de Jean-Baptiste, qui comptait parmi ses disciples une assez forte proportion de Galiléens ; du moins semble-t-il que l’on ne fait pas violence au texte en admettant, malgré ses réticences, que les fils de Zébédée se trouvaient là aux côtés d’André et de Simon. Des liens étroits se formèrent dès ce moment entre Jésus et ses jeunes compatriotes, qui l’accompagnèrent en Galilée et ne le quittèrent plus (Jean 2.1-12). La tradition synoptique rapporte les choses un peu autrement : c’est en Galilée que Simon et André, d’abord, puis Jacques et Jean entendirent l’appel de Jésus et « qu’abandonnant tout, ils le suivirent » (Marc 1.16-20). Il a toujours paru assez facile de concilier ces deux versions en voyant dans le texte de Jean le récit de la première rencontre de Jésus avec ses futurs disciples et dans celui des Synoptiques le récit de leur vocation définitive.
On peut être certain, dans tous les cas, que les fils de Zébédée firent partie du premier groupe de disciples qui se forma autour de Jésus, et quand, un peu plus tard, fut constitué le cercle des Douze, nous les y retrouvons au premier rang dans la compagnie de Simon et d’André ; les catalogues apostoliques (Matthieu 10.2-4 ; Marc 3.13-19; Luc 6.13 ; Luc 6.16 ; Actes 1.13), qui diffèrent légèrement sur d’autres points, sont unanimes sur celui-ci. Marc 3.17 note à ce moment le fait que Jésus surnomma les fils de Zébédée Boanerges, enfants du tonnerre, mot que l’on met généralement en rapport avec leur tempérament, dont l’ardeur pouvait aller jusqu’à la violence. Mais il y a plus : les fils de Zébédée constituent, avec Simon Pierre, à l’intérieur du cercle des Douze, un groupe plus intime dont Jésus s’entoura dans les circonstances particulièrement solennelles où, écartant la foule, il désira cependant avoir quelqu’un auprès de lui (résurrection de la fille de Jaïrus, transfiguration, prière en Gethsémané, Marc 5.37 ; Marc 9.2 ; Marc 14.33). Il faut même faire un pas de plus. Le quatrième Évangile, qui, fait assez curieux, ne mentionne nulle part (sauf dans l’appendice) les fils de Zébédée, relève à diverses reprises la présence auprès de Jésus d’un personnage qu’il appelle « le disciple que Jésus aimait » (Jean 13.23 ; Jean 19.26 ; Jean 20.2 ; Jean 21.7 ; Jean 21.20-25). Qui était ce disciple ? Évidemment l’un des Douze et, parmi ceux-ci, l’un de ceux qui jouissaient de l’intimité particulière de leur maître ; ce ne peut être Pierre, qui en est expressément distingué ; ni Jacques, disparu beaucoup trop tôt pour que se répandît dans l’Église le bruit qu’il ne mourrait point (Jean 21.23) et à qui nul n’attribua jamais la composition du quatrième Évangile ; il faut donc que ce soit Jean. On arrive au même résultat par une autre voie ; dans Jean 21.2 est notée la présence de sept disciples lors de l’apparition de Jésus ressuscité sur la rive du lac de Génézareth : Simon Pierre, Thomas, Nathanaël, les fils de Zébédée et deux autres disciples ; parmi eux se trouvait (verset 20) le disciple que Jésus aimait ; il est bien difficile d’admettre que ce dernier fût l’un des deux dont l’écrivain n’a pas jugé nécessaire de nous conserver le nom ; c’est certainement l’un des fils de Zébédée et, entre les deux, nous venons de le voir, il n’y a pas à hésiter. Remarquons en passant que c’est sans raison précise que l’on a voulu reconnaître Jean dans l’autre disciple mentionné Jean 18.15 et suivant, et conclu de cette identification à l’existence de relations d’amitié ou d’affaires entre la famille de Zébédée et la maison du souverain sacrificateur.
Les Évangiles, qui mentionnent d’assez nombreux incidents où Simon Pierre joua un rôle en vue, n’ont que fort peu de chose à raconter au sujet de Jean. La seule parole quelque peu caractéristique qu’ils lui attribuent en propre est la communication qu’il fait en ces termes à Jésus : « Maître, nous avons vu un homme qui chassait les démons en ton nom et nous l’en avons empêché parce qu’il ne te suit pas avec nous », communication qui lui valut cette réponse de Jésus, assez analogue à un blâme déguisé : « Ne l’en empêchez pas ; car celui qui n’est pas contre nous est pour nous » (Luc 9.49 et suivant). Dans deux autres occasions, Jean intervient en relation étroite avec Jacques, ou même avec Salomé ; c’est lorsque les deux frères proposent à Jésus de faire descendre le feu du ciel sur une bourgade de Samaritains où on avait refusé de les recevoir (Luc 9.51-56) et que, personnellement ou par l’entremise de leur mère, ils revendiquent la place d’honneur auprès de Jésus (Marc 10.35-46, Matthieu 20.20-28). Dans les deux cas leur violence et leurs visées ambitieuses déterminent, de la part de Jésus, une énergique protestation ; l’esprit qui les anime est précisément le contraire de celui dont il s’inspire lui-même et qu’il veut propager ici-bas.
C’est au moment de la catastrophe, alors que les disciples, effrayés, se sont enfuis, que Jean, sortant de sa réserve habituelle, fait le plus noble usage de l’énergie qu’il cachait d’ordinaire derrière une apparence méditative et affirme sa qualité de disciple en prenant place au pied de la croix avec les femmes. On sait que Jésus, mourant, confia sa mère à ses soins (Jean 19.25 ; Jean 19.27). Au matin de Pâques, quand Marie-Madeleine apporte la nouvelle que le corps de Jésus a disparu, Jean s’élance avec Pierre et, plus jeune de quelques années, le devance à la course. Arrivé au tombeau, il hésite à y pénétrer et se contente d’y plonger le regard ; mais, un instant plus tard, enhardi par l’exemple de Pierre, il y entre à son tour et une intuition subite lui révèle que son maître est ressuscité (Jean 20.1-10).
Pierre est incontestablement la figure dominante dans la première partie du livre des Actes ; il est, sous la conduite de l’Esprit, le chef de l’Église palestinienne ; non pas seul toutefois, car Jean lui est étroitement associé et fait auprès de lui l’office de second. Jean est aux côtés de Pierre lorsque celui-ci, guérit l’impotent de la Belle Porte (Actes 3) ; avec lui il est arrêté et conduit devant le sanhédrin (Actes 4) ; avec lui encore, quelque temps plus tard, il se rend en Samarie pour constater et apprécier les résultats de l’œuvre d’évangélisation accomplie par Philippe (Actes 8.14). Il en est encore ainsi quand, treize à quatorze ans après la mort de Jésus, l’Église de Jérusalem délibère avec Paul et Barnabas sur les conditions à imposer aux païens qui acceptent l’Évangile (Actes 15 ; Galates 2.10). Pierre et Jean, auxquels il faut désormais ajouter Jacques, le frère du Seigneur, sont restés en Palestine les chefs ou, comme s’exprime Paul, les colonnes de l’Église (Galates 2.9), et leur attitude fraternelle à l’égard de Paul détermine celle de l’assemblée. Dès ce moment, toutefois, la scène change. L’historien sacré transporte ses lecteurs, à la suite de Paul, en pays païen ; et quand il les ramène à Jérusalem, ils n’y trouvent plus ni Pierre ni Jean, que la persécution a contraints de s’éloigner (Actes 12) et qui ont remis à Jacques la direction de l’Église. Que sont-ils devenus et où faut-il chercher leurs traces, et spécialement celles de Jean ?
Pour répondre à la question que nous venons de poser, il faut — chose assez étrange — franchir un espace de plus de cent ans et descendre jusque bien avant dans la seconde moitié du IIe siècle. On trouve à cette époque une tradition assez généralement attestée, d’après laquelle Jean, après avoir travaillé à Éphèse pendant de longues années, y aurait achevé sa carrière à un âge très avancé. Obligé de s’éloigner de Jérusalem en 44, après le meurtre de son frère Jacques, il aurait quitté le territoire de la Palestine aux approches de la guerre qui se termina en 70 par la ruine de Jérusalem, et, sachant que, par la mort de Pierre et de Paul, les florissantes églises d’Asie Mineure se trouvaient dépourvues de conducteurs, il se serait rendu dans ces régions, se serait fixé à Éphèse et y aurait vécu jusqu’aux environs de l’an 100, s’employant, aussi longtemps qu’il en eut la force, « à visiter les contrées avoisinantes, pour établir des évêques et organiser les églises » (Clément d’Alexandrie). Ce serait dans cette période de sa vie que, cédant aux instances de son entourage (Fragment de Muratori), il aurait recueilli ses souvenirs et composé le quatrième Évangile, rédigé, en partie du moins, pour compléter et parfois rectifier le témoignage des Synoptiques ; alors aussi qu’il aurait écrit les épîtres qui portent son nom ; alors enfin qu’exilé dans l’île de Patmos vers la fin du règne de Domitien (96), il aurait écrit l’Apocalypse, destinée — les trois premiers chapitres le prouvent — aux églises d’Asie Mineure, menacées par la persécution. Bien plus, certains traits tout à fait précis de son ministère se seraient gravés dans la mémoire de ceux qui l’entouraient. On avait gardé le souvenir de ses luttes avec l’hérétique Cérinthe, et il existait encore au temps d’Irénée (vers 185) des gens qui avaient entendu raconter à Polycarpe que Jean, étant entré dans une maison de bains à Éphèse et y ayant aperçu Cérinthe, s’éloigna brusquement sans s’être baigné, en disant : « Sortons, de peur que cette maison ne s’écroule, puisque là se trouve Cérinthe, l’ennemi de la vérité ! » Clément d’Alexandrie, à peu près à la même époque, raconte la touchante histoire d’un jeune homme, devenu chef de brigands, que l’apôtre, déjà nonagénaire, alla chercher jusque dans son repaire et décida par ses supplications à changer de vie. Saint Jérôme raconte à son tour que, devenu très vieux et infirme, Jean se faisait encore porter dans les assemblées, et qu’incapable de prononcer de longues exhortations, il se bornait à répéter : « Petits enfants, aimez-vous les uns les autres. »
Le principal témoin de cette tradition est Irénée, évêque de Lyon, qui était né en Asie Mineure et y avait connu dans sa première jeunesse des hommes qui avaient été en relation avec des chrétiens de la première génération, en particulier Polycarpe, évêque de Smyrne, qui subit le martyre en 155 à un âge très avancé. Le séjour de Jean à Éphèse ne fait pour lui l’objet d’aucun doute : « Tous les presbytres (anciens) qui se sont rencontrés en Asie avec Jean, le disciple du Seigneur, attestent qu’il leur a transmis ces choses, car il a vécu avec eux jusqu’au temps de Trajan » (cité par Eusèbe, Histoire ecclésiastique, III, 23.3). « Ensuite Jean, le disciple du Seigneur, celui qui a reposé sur son sein, publia l’Évangile pendant qu’il demeurait à Éphèse, en Asie » (ibid., V, 8.4). Peut-être n’y a-t-il à cet égard rien de plus décisif dans ses écrits qu’un passage de sa lettre à Florinus, un de ses anciens condisciples, qui avait passé au gnosticisme : « Ce ne sont pas les enseignements que t’ont transmis les anciens qui nous ont précédés et qui ont vécu après les apôtres ; car je l’ai vu lorsque j’étais encore enfant (grec pals, mot qui peut encore désigner un garçon d’une quinzaine d’années) dans l’Asie inférieure, auprès de Polycarpe… Et je pourrais encore te montrer l’endroit où il était assis lorsqu’il enseignait et racontait ses relations avec Jean et avec les autres qui ont vu le Seigneur, et te rappeler comment il parlait de ce qu’il avait reçu d’eux sur le Seigneur, sur ses miracles, sur sa doctrine, et comment il transmettait, en plein accord avec les Écritures, tout ce qu’il avait reçu des témoins oculaires de la Parole de vie » (ibid., V, 20.4-7).
Un témoignage qui, semble-t-il, a au moins autant de poids que celui d’Irénée est celui de son contemporain Polycrate, évêque d’Éphèse, dont plusieurs parents avaient occupé avant lui la même charge, et qui, dans une lettre officielle adressée vers 190 à Victor de Rome à propos de la controverse pascale (on célébrait à Rome la Pâque un jour plus tôt qu’en Asie), s’exprimait comme suit : « Nous célébrons le vrai jour… Car quelques grandes lumières se sont éteintes en Asie et y ressusciteront au retour du Seigneur… Philippe, l’un des douze apôtres… et Jean, qui a reposé dans le sein du Seigneur, qui a été grand-prêtre et a porté la lame d’or et qui a été témoin (grec martyr) et docteur, et qui est enterré à Éphèse… Tous ceux-là ont célébré la Pâque le 14 (du mois de nisan), selon l’Évangile » (Eusèbe, Histoire ecclésiastique, Y, 24.3). Peut-être ne sera-t-il pas superflu de faire entendre un témoin un peu plus ancien et de rappeler que Justin martyr, dans le compte rendu publié vers 160 d’une controverse qu’il soutint à Éphèse avec le Juif Tryphon, attribue à l’un des apôtres du Christ la composition de l’Apocalypse ; comme ce livre vit incontestablement le jour en Asie, Justin se range par ce mot parmi ceux qui en font l’œuvre de Jean et, indirectement, atteste le séjour de celui-ci à Éphèse.
Ces témoignages sont-ils décisifs ? On l’a cru longtemps ; mais au siècle dernier, de nombreux critiques, estimant que le quatrième Évangile ne saurait être tenu pour l’œuvre d’un témoin oculaire du ministère du Christ, les ont révoqués en doute. Au dire de ces savants, la tradition relative au séjour de Jean est née du besoin de fournir une base à l’opinion qui attribue à l’apôtre la composition des écrits considérés comme johanniques et elle est dépourvue de tout fondement historique. Ni le nombre, ni la précision des témoignages provenant de la fin du siècle ne sauraient contrebalancer le fait que ni la lettre d’Ignace aux Éphésiens, écrite aux environs de l’an 117, ni l’épître de Polycarpe aux Philippiens, de peu d’années postérieure aux lettres d’Ignace, ne font la plus lointaine allusion à un séjour de quelque durée de Jean à Éphèse. Ce silence, absolument inexplicable si Jean a réellement travaillé à Éphèse pendant trente ans, suffit à condamner la tradition. Mais alors cette tradition, d’où vient-elle ? Comment est-elle née et surtout comment se sont formées les indications si précises dont elle s’entoure chez des hommes comme Irénée et Polycrate ? On répond à cette objection en rappelant que, selon Papias, évêque de Hiérapolis, auteur d’un ouvrage intitulé Exégèses des sentences du Seigneur et dont il subsiste quelques fragments, il s’est bel et bien trouvé en Asie un personnage du nom de Jean, que Papias appelle « le presbytre Jean, disciple du Seigneur », qui peut fort bien avoir été d’origine palestinienne et s’être trouvé en mesure de donner sur les origines de l’Église d’autres renseignements que ceux qu’on lit dans les Évangiles. Ne se peut-il pas que, trompée par la similitude des noms, la génération suivante ait, comme dit M. Goguel, élevé Jean le presbytre à la dignité d’apôtre (Introduction Nouveau Testament, tome II, p. 178), que ce personnage ait été l’informateur de Polycarpe, et qu’Irénée qui, de son propre aveu, était très jeune lorsqu’il recevait les instructions de ce dernier, se soit figuré dès cette époque ou plus tard que son vénéré maître avait connu l’apôtre Jean, celui-là même qui avait reposé sur le sein du Seigneur ? Ainsi serait née la tradition selon laquelle Jean aurait achevé ses jours à Éphèse et y aurait composé les ouvrages auxquels son nom est demeuré associé.
Il ne nous est guère possible d’entrer ici dans les détails de cette controverse. Nous nous contenterons de noter que les défenseurs de l’authenticité du quatrième Évangile, authenticité qui paraît liée à la tradition qui fait vivre Jean jusqu’à un âge très avancé, s’appliquent à ruiner cette argumentation en rappelant :
Il y a tout lieu de penser que l’on se trouve ici en présence de l’un de ces débats qui ne s’éteignent jamais parce que, consciemment ou non, ceux qui y prennent part les abordent avec une opinion préconçue. Dans le cas particulier, c’est l’attitude que l’on prend à l’égard du quatrième Évangile qui décide du jugement que l’on porte sur la tradition.
Si Jean n’est pas mort à Éphèse à la fin du Ier siècle ou au commencement du IIe, à quel moment faut-il placer sa fin et en quelle contrée se serait-elle produite ? Ceux qui ne peuvent admettre les données de la tradition estiment que la seule solution qui rende compte du silence pour ainsi dire total qui règne sur le compte de l’apôtre du milieu du Ier siècle au 3e tiers du siècle suivant est celle qui consiste à admettre que Jean est mort jeune, probablement martyr, comme son frère, et cela dans sa propre patrie. Ils appuient cette conjecture sur la réponse d’allure prophétique que fait Jésus à la demande des fils de Zébédée d’avoir place l’un à sa droite et l’autre à sa gauche : « Il est vrai que vous boirez la coupe que je dois boire et que vous serez baptisés du baptême dont je dois être baptisé ; mais pour ce qui est d’être assis à ma droite ou à ma gauche, cela ne dépend pas de moi et ne sera donné qu’à ceux à qui cela est réservé » (Marc 10.39 et suivant). L’évangéliste, dit-on, n’aurait pas reproduit sous cette forme la déclaration de Jésus s’il n’avait eu la certitude qu’elle était conforme au sort qui avait atteint les deux frères (voir Chronologie du Nouveau Testament, II, 1).
Le jugement que l’on porte sur le caractère de l’apôtre, et surtout sur l’influence qu’il a exercée sur la vie de l’Église, est intimement lié, lui aussi, à l’idée que l’on se fait de sa carrière et de son œuvre. Si Jean, né cinq ou dix ans après Jésus, est mort déjà avant l’an 50, s’il n’a rien écrit et si les brèves mentions que contiennent les Synoptiques constituent la somme de notre science en ce qui le concerne, il perd à peu près toute signification pour nous. Si, au contraire, il a présidé pendant trente ans aux destinées des églises d’Orient, et surtout si les pages débordantes de sève chrétienne de l’Évangile, de l’épître et même de l’Apocalypse nous apportent le témoignage qu’il rendait à Jésus au terme de sa longue carrière, il faut le placer hardiment au rang des plus grands chrétiens et voir dans ses écrits, à côté des Évangiles synoptiques et des épîtres de Paul, l’une des sources principales auxquelles s’abreuvera notre foi jusqu’à la fin des siècles.
Aug. Th.
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