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Mal

Hébreu ra, du verbe râa = briser, corrompre, détruire ; grec kakia = le mal en soi (Plot.), kakon, et surtout (Nouveau Testament) ponêros = mauvais, méchant, subst. : le méchant, appliqué à Satan : le Malin (Matthieu 6.13 ; Matthieu 13.19 ; Éphésiens 6.16 ; 1 Jean 2.13 ; 1 Jean 5.18) = l’auteur du mal, originel séducteur (2 Corinthiens 11.3, cf. Apocalypse 12.9), menteur et meurtrier (Jean 8.44 et suivant), l’Ennemi qui sème l’ivraie dans le champ de Dieu ; voir (Matthieu 13.25) Satan.

Le problème du mal a été abordé par toutes les philosophies humaines, toutes s’y sont perdues en des solutions qui se détruisent mutuellement. Pour l’une, le mal est le contraire du bien ; pour l’autre il fait partie intégrante du bien et lui est nécessaire. Ici, c’est une désharmonie tragique ; là c’est une note essentielle à l’harmonie universelle. Pour ceux-ci il est fatal, un vice inné de la matière ; pour ceux-là il est le fruit de la liberté, une faute de la volonté ou bien, comme dit Socrate, la conséquence d’une erreur : quand les hommes font le mal, ils se trompent ; Plotin dira plus tard : « sans l’existence du mal, le monde serait moins parfait » ; l’essence du mal, écrit Schopenhauer, c’est le « vouloir vivre », etc. On ne saurait s’étonner de ces contradictions. Pour résoudre un problème, il faut en connaître les données ; or la Bible seule fournit les données du problème du Bien et du Mal, parce que seule elle nous dit ce qu’est le Créateur, ce qu’il a voulu en faisant sa création et ce qu’il attend de la créature faite à son image. L’homme est libre d’ouvrir la Bible ou de la fermer, mais il n’est pas en son pouvoir de trouver en dehors d’elle la réponse aux questions vitales qui font le tourment de sa destinée.

La Bible n’enseigne pas l’origine du mal, mais elle indique cette origine en rattachant l’entrée du mal dans l’humanité à l’initiative d’une personnalité mauvaise, antérieure à notre économie terrestre et qui sous le symbole du serpent, en Éden, se pose contre Dieu et entraîne la créature à la désobéissance (Genèse 3). Dès ses premières pages, elle nous avertit que « ’l’expérience du mal » ne peut avoir que des conséquences fatales en ce sens qu’elle sépare la créature de son Créateur, source de toute vie (Genèse 2.17). Le mal apparaît donc ici, par définition, comme la puissance de désordre, de destruction, de dissolution, de mort ; et cela au travers de toute l’œuvre créatrice. Le mal, pour le végétal, c’est d’être transporté dans un climat auquel sa physiologie ne peut s’accommoder et qui le mène, de jour en jour, à l’étiolement, à la stérilité, à la pourriture. Le mal, pour l’animal, c’est d’être astreint à un genre de vie qui contredit les besoins de sa constitution, le rend malingre, malade et le fait mourir. Le mal, pour la créature faite à l’image de Dieu, c’est tout ce qui l’oppose à la loi de son être, tout ce qui, moralement, la fait redescendre vers l’animalité, la prive de la communion spirituelle avec le Créateur, son modèle (Genèse 1.26), et la réduit à vivre comme un être orphelin, isolé, « incomplet, manqué, qui n’achève rien et qui disparaît dans l’inconnu » (Ch. Babut).

Le mal, quand il a passé par la volonté humaine, devient le péché (voir ce mot). Le péché c’est le mal consenti, recherché, glorifié. Il y a dans le monde des fautes inconscientes : tels les soldats romains, crucifiant le Fils de Dieu, ne se doutaient ni du mal qu’ils faisaient (supplicier le Saint et le Juste, Actes 3.14) ni du bien auquel ils participaient en dressant sur le Calvaire l’étendard de salut pour tous les peuples (Jean 12.32). Quand le mal est fait consciemment, il ne va pas sans trouble dans la conscience de celui qui le commet, et ce trouble est un hommage rendu au bien, un avertissement que la loi de l’être est violée, une prophétie de la dégradation et de la condamnation : « Quiconque fait le mal hait la lumière et ne vient pas à la lumière de peur que ses œuvres ne soient dévoilées » (Jean 3.20). Il est pourtant un état plus tragique et qui fait mieux ressortir encore la radicale misère de l’humanité déchue, c’est la condition de l’homme qui, voulant le bien et croyant l’accomplir avec ses seules forces, s’aperçoit que ce qu’il appelait lumière n’était que ténèbres, et que le mal le tenait esclave alors qu’il se croyait libre et approuvé de Dieu. Voe soli ! (voir ci-après l’aveu de Romains 7).

Une fois séparée du Dieu saint par l’état de péché, l’humanité entra dans la voie de ses infortunes en même temps que de sa honte. Elle souffre parce qu’elle est impuissante et elle souffre parce qu’elle est mauvaise. Par le mal, elle va au malheur. Pourquoi le déluge ? Parce que Dieu a vu que « la pensée de l’humanité était chaque jour uniquement dirigée vers le mal » (Genèse 6.5). Mais le Créateur qui châtie aime sa créature et ouvre devant elle le chemin du retour. Qu’enseigne la loi du Sinaï ? Que le mal c’est : faire ce que Dieu ne veut pas, car Dieu est la personne parfaite (Exode 20 ; Lévitique 11.44). En tous domaines, le refrain est : Israël, « ôte le mal du milieu de toi » (Lévitique 22) ; « tu es un peuple saint à Jéhovah ton Dieu » (Deutéronome 14.2). Ce n’est pas que Dieu espère par la loi faire rentrer l’homme dans sa communion. S’il la lui donne — et ce don est une grâce (Jean 11.6) — c’est pour qu’il connaisse les conditions de la faveur de Jéhovah et qu’il entre dans le combat inégal où il découvrira sa propre impuissance ; ainsi naîtra en l’homme le sentiment de sa déchéance qui mettra sur ses lèvres le cri de repentir, l’appel au secours, et permettra un jour le pardon de Dieu, le retour de l’Esprit que l’expérience du mal a fait perdre à l’homme (cf. Osée 2.16-3.5). Par la connaissance du mal au désir du remède : voilà le rôle de la Loi. Pour la seconde fois l’homme est remis en présence du Bien et du Mal offerts à son libre choix comme des contraires, dont l’un fait vivre et dont l’autre fait mourir : « Voici, je mets aujourd’hui devant toi la vie et le bien, la mort et le mal… la bénédiction et la malédiction » (Deutéronome 30.15 ; Deutéronome 30.19). La lutte morale en Israël commence, la croisade contre le mal. Les prophètes s’emploient à éclairer le peuple, mais la façon dont on les traite leur révèle bien vite qu’en réalité le mal tient l’homme. Sa perversion est telle que même au sein du peuple élu « il appelle le mal, bien, et le bien, mal » (Ésaïe 5.20). « Ils haïssent le bien et aiment le mal » (Michée 3.2). Faire le bien est chez les Hébreux comme chez le reste des hommes une incapacité de nature. Jérémie, celui des « voyants » qui a vu le plus loin dans l’âme israélite, le leur dit explicitement : « Un Éthiopien peut-il changer sa peau, un léopard ses taches ? de même comment pourriez-vous faire le bien, vous qui êtes dressés à mal faire ? » (Jérémie 13.23).

De cette constatation et des catastrophes qui la sanctionnent naît, chez les plus pieux en Israël, l’appel à la délivrance : « Oh ! si tu déchirais les cieux et si tu descendais ! » (Ésaïe 63.19). Les humbles pleurent et implorent dans les Psaumes de repentance (Psaume 6 Psaume 51 Psaume 130 Psaume 38 Psaume 35 Psaume 25). « Aie pitié de moi, mon Dieu, j’ai été enfanté dans l’iniquité, ma mère m’a conçu dans le péché… Crée en moi un cœur pur… soutiens-moi par un esprit de bonne volonté » (Psaumes 51.7 ; Psaumes 51.12). Ceux-ci attendent le « salut d’Israël » et seront en état d’accueillir le Messie souffrant de Ésaïe 53. D’autres, patriotes orgueilleux, fiers de représenter sur la terre l’élection divine, s’exaltent dans l’illusion que le Juif peut, par sa race et par ses œuvres, grâce à la Loi divine, mériter la gloire céleste. Ils pensent — ce sont les purs, les séparés, les pharisiens — que par l’observation de la Loi ils resteront à l’abri du mal, se libéreront des esprits démoniaques et s’assureront la vie éternelle. Ceux-là s’acharnent aux pratiques légales : circoncision, sabbat, jeûnes, aumônes, observation des fêtes, etc., convaincus qu’ils s’entretiennent par là dans un état de justice qui leur vaudra au dernier jour l’entrée du royaume messianique. Saul de Tarse résume cette confiance pharisaïque dans les mots : « Quant à la justice de la loi, j’étais irréprochable » (Philippiens 3.6).

Cependant Jésus est venu. Les humbles l’ont accueilli parce qu’il parlait de pardon des péchés, les pharisiens l’ont condamné à mort parce qu’il les humiliait (cf. Luc 7.30), parce qu’il enseignait à ses apôtres que le monde entier est soumis à la puissance du Malin (cf. 1 Jean 5.19), qu’il appelait Satan le Prince de ce monde et qu’il osait accuser les Juifs d’être sous son empire : « Le père dont vous êtes issus, c’est le diable ! » (Jean 8.44). Jésus réclame de ceux qui veulent entrer dans le Royaume de Dieu non pas des œuvres seulement, mais le renouvellement de la personnalité morale, une nouvelle naissance (Jean 3), la régénération (voir ce mot). Cette exigence témoignait d’une notion du mal qui, bien que reposant d’aplomb sur la doctrine de la chute, était étrangère aux pharisiens. Mais quand Saul de Tarse eut été terrassé sur le chemin de Damas, quand il eut médité la doctrine du Jésus qu’il avait persécuté et contre lequel il ne pouvait regimber, une transformation radicale se fit en lui sur l’opinion qu’il avait de lui-même et dans sa conception du mal. Il comprit que l’homme qui s’imagine par ses œuvres échapper à la domination des esprits malins (Éphésiens 6.12 ; Éphésiens 6.16) et marcher dans la voie de Dieu, se dupe lui-même. Sa confiance vient de ce qu’il ne se connaît pas, de ce qu’il n’a pas mesuré la profondeur de la chute et l’état misérable où elle l’a laissé. En Christ, Paul se découvre lui-même et découvre la véritable nature du mal : une séparation d’avec Dieu, une privation de l’Esprit, une incapacité non seulement de faire, mais même de concevoir la volonté de Dieu : le bien (1 Corinthiens 2.14 ; 1 Corinthiens 2.16). C’est là l’aveu tragique du chapitre 7 de l’épître aux Romains (cf. Alexandre Westphal, De Epistuloe Pauli ad Romanos…, t888, pages 39ss ; voir aussi M. Goguel, Paulinisme et Johannisme, Rev. Strasb., 1930, pages 517s) ; là saint Paul, jugeant avec sa lumière nouvelle, met en scène sa condition passée : En réalité, moi pharisien, ayant du zèle pour Dieu, mais sans intelligence (cf. Romains 10.2), « ce que je fais, je ne le comprends pas… je ne fais pas ce que je veux, je fais ce que je hais… la volonté de faire le bien est à ma portée, mais la capacité de l’accomplir, non… Je trouve en moi cette loi que voulant faire le bien c’est le mal qui est à ma portée » (Romains 7.15 ; Romains 7.22). Déconvenue de l’homme qui, croyant dans l’obscurité avoir saisi l’objet de son désir, s’aperçoit quand la clarté est faite qu’il a dans la main le contraire de ce qu’il avait cru prendre ! Acculé au désespoir, l’irréprochable Pharisien traduit sa désillusion totale par ce cri : « Malheureux que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ! » (Romains 7.19-24), mais le cri de détresse est suivi aussitôt du cri de délivrance : « Grâces soient rendues à Dieu, par Jésus-Christ notre Seigneur ! » (Romains 7.25). Ce qui était impossible à la Loi (Romains 8.3), ce que l’homme coupable et déchu ne pouvait faire : renouer de lui-même la communion perdue, Jésus l’a fait en servant de rançon pour le péché (mort), en devenant les prémices d’une humanité nouvelle (résurrection), en faisant de ses rachetés de nouvelles créatures par le don de son Esprit (Pentecôte). Le mal est vaincu parce que la cause du mal a été détruite (désobéissance, séparation d’avec Dieu). « Je voyais Satan tomber du ciel comme un éclair » (Luc 10.18). « La loi de l’Esprit de vie m’a affranchi en Jésus-Christ de la loi du péché et de la mort » (Romains 8.2 ; Romains 8.39).

Désormais, l’antinomie n’est plus entre œuvre mauvaise et œuvre bonne, mais entre homme extérieur (2 Corinthiens 5.16), personnalité créée par la chute, homme psychique ou homme charnel destiné à mourir, et homme intérieur (1 Corinthiens 2.15), être spirituel, croyant racheté, personnalité affranchie de l’esclavage du mal, qui s’est unie à Christ dans sa mort et sa résurrection et qui, par son Esprit, possède ici-bas la vie éternelle (Jean 6.40 et suivants).

Le vieil homme (Éphésiens 4.22) c’est celui qui est conditionné dans le mal, qui vit dans le péché et dont la fin est, ou le crucifiement avec Christ (Romains 6.6) ou la perdition avec le monde (Philippiens 3.19).

Le nouvel homme c’est l’homme que l’hérédité du mal ne domine plus ; l’homme en qui l’image de Dieu est recréée (Éphésiens 4.24), dont la vie normale est l’imitation du Christ et dont les afflictions produiront le « poids éternel de gloire qui nous est réservé dans le ciel » (2 Corinthiens 4.17 ; 1 Pierre 1.4). Ce n’est pas que la rédemption ait encore porté tous ses fruits. Tant que l’homme vit sur la terre, dans la chair, le mal exerce son influence : « votre adversaire, le diable, rôde autour de vous…  » (1 Pierre 5.8).

Les chutes sont possibles (1 Corinthiens 10.12) ; les épreuves, certaines (Jean 16.33, cf. 2 Corinthiens 4.17) ; la mort physique, inéluctable (Romains 6.23).

Aussi Paul dit-il : « C’est en espérance que nous sommes sauvés » (Romains 8.24). Mais il avait déjà affirmé : « L’espérance ne confond point » (Romains 5.7). En effet, la rédemption est accomplie. Jésus a paru pour détruire les œuvres du diable (1 Jean 3.8). Son intervention souveraine dans l’histoire et dans la vie morale du croyant est pour celui-ci le gage de sa victoire. Le jour vient, où les fidèles exaucés dans leur prière : « Délivre-nous du Malin » (Matthieu 6.13), et couverts par l’intercession de Jésus : ce Père… , préserve-les du Malin » (Jean 17.15), seront associés à l’œuvre du Christ triomphant dans ses luttes suprêmes, et assisteront à la disparition totale de l’empire du Mal, quand les puissances de rébellion seront anéanties, que la Mort, la dernière ennemie, sera détruite, et que le Fils Rédempteur, à qui toutes choses ont été soumises, sera soumis lui-même à Celui qui lui a soumis toutes choses, afin que Dieu soit tout en tous (1 Corinthiens 15.24-27).

La double expérience de l’apôtre des Gentils, comme pharisien cherchant son salut dans les œuvres, et comme chrétien sauvé par grâce par la foi, a permis à sa personnalité puissante de formuler sur le mal, ses origines dans l’histoire, ses ravages au sein de l’humanité, sa défaite et son anéantissement final, une doctrine qui a souvent été défigurée, mais qui n’a jamais été dépassée ! Conforme à l’enseignement du Christ, confirmée par les autres écrits du Nouveau Testament, elle se présente à nous, surtout au cours de l’épître aux Romains, dans un exposé systématique si admirablement charpenté et si lumineusement concluant que la théologie comme aussi la vie pratique du monde des croyants n’ont cessé, depuis 19 siècles, d’évoluer dans son cadre. Et voici la preuve de sa vérité : quand l’Église s’assoupit, elle s’en écarte ; quand l’Église se réveille, elle y revient.

Voir Chute, Chair, Péché, Esprit, Bien, Malice.

Alexandre Westphal

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