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Les Hébreux désignaient par l’expression « les cieux et la terre » (Genèse 1.1 ; Exode 20.11 ; Deutéronome 4.26 ; 2 Rois 19.15 etc.) ce que nous appelons « univers » : « les cieux et la terre » étaient pour eux l’ensemble des choses créées. Ce que nous appelons « monde » correspond plus spécialement au terme thébel, terre habitable, productive, irriguée (de la racine yâbal, couler).
C’est sur ce monde que s’est concentrée la pensée cosmologique de l’Ancien Testament. Fruit de l’intervention de Dieu, créé librement par sa volonté (Genèse 1), le monde avait comme destination d’être l’habitacle de l’homme (cf. Psaumes 24.1 et Genèse 1, considéré au point de vue de l’ordre des créations successives). Celui-ci en a acquis une connaissance suffisante (Job 28.1 ; Job 28.11) pour y assurer sa vie et même son bonheur matériel.
Mais ce bonheur peut devenir un piège pour lui, car l’homme court le risque de s’enliser dans un matérialisme pratique insensé (Psaumes 17.14, Psaume 49). Au contraire la vue de ce monde doit tourner les regards de l’homme vers le Créateur (Psaume 19) dont monde et hommes dépendent absolument (Psaumes 24.1 Psaume 114) ; alors l’homme servira Dieu dans la crainte, et la bénédiction de Dieu reposera sur lui.
En dehors des écrits prophétiques, l’Ancien Testament introduit peu de notions morales plus caractérisées dans cette conception générale. La plus remarquable serait celle de la justice d’après laquelle le monde est jugé (Psaumes 9.8 ; Psaumes 9.11).
Avec les prophètes s’opère une transposition de la pensée, du plan surtout cosmologique sur le plan surtout religieux. Sans doute les prophètes partagent les vues générales qui viennent d’être indiquées, mais ils y ajoutent des vues particulièrement spirituelles. Ils insistent non seulement sur la puissance, mais, en premier lieu, sur la sagesse et l’intelligence de celui qui créa le monde (Jérémie 10.12 ; Daniel 2.20 etc.) ; ce monde a été créé non seulement comme habitacle pour l’homme, mais encore en vue de la gloire de Dieu (Ésaïe 6.3) ; l’iniquité qui aura attenté à cette gloire sera punie (Ésaïe 13.11 ; Jérémie 32.17-23 etc.). Ainsi, lorsqu’ils parlent du monde, les prophètes se placent à un point de vue plus spécifiquement religieux que le reste de l’Ancien Testament où se manifestent plus constamment des préoccupations cosmologiques.
La notion du monde présente une très grande importance dans le Nouveau Testament, particulièrement dans les écrits johanniques. Deux mots sont traduits par monde, aïôn et cosmos. Nous envisagerons successivement les idées qu’ils servent à évoquer.
Le mot aïôn (racine aeï = toujours) désigne la durée ; s’il s’agit de l’homme, les générations ; s’il s’agit du temps en général, les siècles. L’histoire humaine étant conçue sous la forme de générations ou de siècles successifs, l’ensemble de ces générations ou de ces siècles constitue le monde. Les écrivains du Nouveau Testament donnent aussi, dans ce sens, à leur époque le nom de monde. C’est d’ailleurs le monde considéré comme l’époque où ils vivent qui les préoccupe. Ils l’envisagent avant tout au point de vue moral et, à ce point de vue, le condamnent.
Le fait peut-être le plus frappant, dans les textes où se trouve le mot aïôn, est l’opposition établie par les écrivains sacrés entre le monde actuel et le monde à venir (Matthieu 12.32 ; Marc 10.30; Luc 20.34 et suivant, Éphésiens 1.21 ; Éphésiens 2.7 ; Tite 2.12 ; Hébreux 6.5 etc.).
Dans plusieurs passages, nous relevons la condamnation du monde (actuel) ; cependant, cette condamnation est parfois aggravée, par exemple dans Matthieu 13.22 ; 1 Corinthiens 2.8 ; Galates 1.4. Comment en serait-il autrement puisque ce monde est esclave de l’ennemi de Dieu, dont il a fait son dieu (2 Corinthiens 4.4), alors que Dieu en était le créateur (cf. Ancien Testament ; Hébreux 1.2 ; Hébreux 11.3) et devait en être le roi (1 Timothée 1.17).
Cosmos est le mot le plus souvent employé dans le Nouveau Testament pour désigner le monde. Ce terme peut avoir le sens d’univers matériel (Matthieu 25.34 ; Romains 1.20 ; Hébreux 4.3), plus souvent de terre en tant que demeure de l’homme avec ses richesses matérielles et ses pouvoirs constitués (texte caractéristique : Matthieu 16.26). Mais il présente un sens éthique particulièrement développé dans les écrits johanniques et dans les épîtres pauliniennes.
Ce qui frappe d’abord dans la notion de saint Paul relative au monde, c’est l’opposition, constamment présente à sa pensée, entre le monde et Dieu. Il existe un esprit du monde et un esprit de Dieu (1 Corinthiens 2.12), une sagesse du monde et une sagesse de Dieu (1 Corinthiens 1.21), une hiérarchie des valeurs du monde et une hiérarchie des valeurs de Dieu.
Qu’est-ce donc que le monde ? C’est la société organisée, avec tout ce qui en émane, l’organisme social. Essentiellement, il n’est pas mauvais, mais c’est un fait qu’il l’est devenu parce que le péché est entré en lui (Romains 5.12) et l’a entièrement contaminé (Romains 3.19).
La vie naturelle de l’homme de ce monde est donc, bien qu’il la croie une sagesse, une folie (1 Corinthiens 1.20 ; 1 Corinthiens 3.19), bien qu’il la croie une source de joie, une source de tristesse (2 Corinthiens 7.10), bien qu’il la croie un acte de liberté, un esclavage (Galates 4.3) et un esclavage à des « rudiments » (Galates 4.3, cf. Colossiens 2.8 ; Colossiens 2.20).
Tout cela, ce sont ceux qui ont l’esprit de Dieu qui peuvent le comprendre (1 Corinthiens 2.12), car ce sont les saints qui jugent le monde (1 Corinthiens 6.3). Ils savent que ce monde est condamné (1 Corinthiens 11.32). Cependant ils ne peuvent prendre leur parti de cet état de fait. Jésus-Christ a accompli l’œuvre du salut. Eux-mêmes, sauvés par Jésus-Christ, doivent annoncer aux hommes cette bonne nouvelle qui les amènera à faire partie de cet organisme social nouveau, l’Église, qui est le corps du Christ, qui n’est plus contagionnée par le monde (1 Corinthiens 2.12), qui n’en est plus esclave (1 Corinthiens 6.12 ; 1 Corinthiens 7.30), qui ne l’aime plus (2 Corinthiens 4.18 ; Colossiens 3.2), qui, en un mot, est morte au monde (Galates 6.14). Ainsi, d’une part, il faut en arriver à condamner le monde et à rompre avec lui (Philippiens 2.15 et suivant) et, d’autre part, à le sauver (1 Timothée 4.16).
Le mot cosmos est un des termes caractéristiques de saint Jean. C’est dans les écrits johanniques que l’on trouve plus de la moitié des cas où il est employé par le Nouveau Testament
Il désigne parfois l’univers organisé (Jean 11.9 ; Jean 17.5). Dans des passages de portée capitale, le monde n’est autre chose que l’humanité prise dans son ensemble et envisagée comme l’objet des compassions de Dieu qui lui offre le salut (Jean 3.16 ; Jean 17.21).
Mais dans la grande majorité des textes, ce qui frappe le plus, c’est la conception morale que recouvre le vocable cosmos. Celle-ci se compose d’abord de notions parallèles à celles de saint Paul : le monde est le milieu où le mal règne depuis la chute (1 Jean 5.19), où il manifeste sa puissance funeste (1 Jean 5.4), où il rend la créature esclave par le moyen de la convoitise de la chair et des yeux, de l’orgueil de la vie (1 Jean 2.16), etc., etc.
Elle accentue en second lieu les données éthiques du paulinisme : en effet, cosmos devient synonyme de ténèbres (Jean 3.19) et de mal (Jean 12.46). Ce qui le caractérise, c’est l’état de haine envers l’envoyé de Dieu (Jean 15.18) et envers ses élus (Jean 15.19). Il constitue donc le royaume de Satan, appelé directement : le Prince de ce monde (Jean 12.31 ; Jean 14.30 ; Jean 16.11). Comme tel, le monde n’est pas touché par la prière de Jésus (Jean 17.9) ; incapable de recevoir l’Esprit de vérité (Jean 14.17), il est irrémédiablement condamné (Jean 12.31). Cependant, vaincu par le Christ, le monde sera aussi vaincu par ses disciples (Jean 16.33) ; cela se fera par la vertu de l’Esprit de vérité (Jean 14.16 et suivant).
Nous retrouvons des notions morales du monde analogues dans les autres écrits néo-testamentaires : même opposition entre le monde et Dieu, dont nous trouvons l’écho dans Jacques 4.4.
Le chrétien doit donc condamner le monde (par analogie avec l’attitude de Noé, dans Hébreux 11.7), mais aussi le sauver. En somme rien de saillant n’est ajouté à la pensée de Paul ou de Jean. Jean B.
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