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(du grec nomas = qui paît, qui erre en quête de pâturages). Individu ou peuplade qui n’a pas d’habitation fixe. Le nomade vit d’élevage ou de commerce par caravanes. Le type du nomade, c’est le bédouin arabe. Son incarnation du temps des Hébreux, c’était le Madianite. Celui-ci apparaît dans l’histoire biblique avec l’épisode de Joseph vendu par ses frères (Genèse 37.25 et suivant). Aux Madianites appartenait la tribu des Kéniens à laquelle Moïse s’allia par mariage et qui servit de guide aux Israélites dans le désert (Nombres 10.29).
C’est faire peu d’honneur aux Israélites que de les donner à leur origine pour un peuple nomade et de placer leur idéal dans le nomadisme. Sans doute, la vie sédentaire, avec ses cultures et son industrie, dispose à l’inégalité sociale ; elle peut créer le luxe du riche et des institutions où le pauvre est exploité, dépouillé. Mais le nomade, de quelque majesté poétique qu’un certain romantisme veuille parer ses mœurs, est en principe un rôdeur et un détrousseur. C’est l’homme des razzias qui, tout en poussant devant lui ses troupeaux, jette un regard d’envie sur les cultures d’autrui et, quand il le peut, s’empare de la farine sans avoir semé le blé. Vivant de trafic et surtout de rapines, il rançonne au besoin le cultivateur sous prétexte d’assurer sa nourriture. Son développement intellectuel a été au demeurant fort exagéré. Il n’a pas de littérature ; l’écriture elle-même n’était pour ainsi dire pas utilisée dans son milieu.
Au temps d’Israël, les confins du désert arabique étaient infestés de nomades. Sur plus d’un point du territoire, ils faisaient la loi. Le livre des Juges nous édifie à leur sujet (Juges 6.3 ; Juges 6.11). Il nous montre en même temps que le nomade, c’était, non pas Israël, mais ses adversaires. Les critiques qui, tout en posant en principe que les Hébreux étaient des nomades, donnent une importance qui nous paraît excessive au caractère ethnique des récits touchant les patriarches, devraient, semble-t-il, tirer enseignement du fait que l’opposition d’Ismaël et d’Isaac et, un peu plus tard, celle d’Ésaü et de Jacob marquent très clairement que le caractère des Hébreux était d’avoir des goûts et des mœurs sédentaires, contrairement aux habitudes nomades de certains de leurs parents.
L’obligation d’errer à l’aventure — de marcher par la foi — a été dans l’histoire d’Israël un accident, non une règle ; une discipline, non un trait d’atavisme. Abraham était sorti d’Ur en Caldée. Le passé de sa famille n’avait donc rien à faire avec le nomadisme, fort éloigné des mœurs de Soumir et d’Akkad aux cités prospères, aux terres fécondes où l’on poussa à un rare degré la science des irrigations. Caran, où se fixa Nacor, frère d’Abraham, et d’où Isaac tira sa femme (Genèse 24.10), était une ville importante. C’est dans la banlieue de Caran (Genèse 20.4) que Jacob rencontra Rachel, fille de Laban ; grand propriétaire de troupeaux, mais aussi grand moissonneur (Genèse 30.14), Laban n’était nullement nomade.
Appelé à quitter sa patrie pour se rendre sur l’ordre de Dieu vers une terre mystérieuse, Abraham forme une caravane et couche sous la tente ; mais il n’a rien des habitudes d’un nomade. Il se fixe près d’Hébron, où il fut plus tard enseveli. La fleur de farine dont Sara avait fait provision prouve qu’Abraham, auprès des soins du troupeau, ne négligeait pas l’agriculture (Genèse 18.6). Isaac, établi à Guérar, puis à Béer-Séba, sème et récolte, et sa fortune de grand fermier lui attire la jalousie de ses voisins (Genèse 26.12 et suivants). Tandis qu’Ésaü, grand chasseur, se comporte en nomade, ce qui afflige ses parents, Jacob est un sédentaire, et l’histoire du plat de lentilles en dit long sur ses habitudes (Genèse 25.34). C’est aussi à la vie sédentaire et aux mœurs agricoles que nous ramène le songe de Joseph qui se voit dans les champs, liant des gerbes avec ses frères. Les circonstances de la vente de Joseph à une caravane madianite nous apprennent que Jacob était retourné dans le séjour d’Hébron qu’habitait Abraham (Genèse 37.14) Rien des mœurs nomades en tout cela. Quand Jacob et ses fils, réduits par la famine, passent dans la terre de Gossen en Égypte, Joseph les établit dans « la meilleure partie du pays » où les Israélites prospèrent et sont employés à bâtir les villes de Pithom et de Ramsès (Genèse 47.11 ; Exode 1.11). Rien n’autorise, si l’on s’en tient aux textes, à considérer que les Hébreux ont mené une vie nomade pendant les siècles qu’ils passèrent en Égypte. Ce ne sont pas des tentes, mais bien des maisons qu’ils habitaient au moment où ils furent appelés à sortir d’Égypte (Exode 12.7 ; Exode 12.13).
Pendant les 40 ans du désert, en route vers leur nouvelle patrie, ils furent bien contraints de se soumettre aux habitudes du nomadisme. Mais ils s’y soumirent avec peine. Ce ne fut là qu’un accident dont ils se plaignirent assez, obligés qu’ils étaient de mener une vie d’aventures au gré des puits et des maigres pâturages. Quand les tribus fédérées entreprirent sous Josué la conquête de Canaan, ce n’était point pour s’emparer de territoires propices à la vie nomade, mais bien pour se substituer à des États organisés, sur une terre couverte de villes et de cultures (voir Ivresse). Il faut donc conclure que les Israélites furent appelés par les circonstances exceptionnelles de leur destinée à mener durant quelques périodes de leur histoire une existence de demi-nomades, qu’ils furent en tout temps de grands éleveurs de bétail (voir Vie pastorale), qu’à ce titre ils pratiquèrent la transhumance comme la pratiquent encore aujourd’hui les bergers du Midi de la France, sans avoir pour cela rien de commun avec le nomadisme ; qu’ils partagèrent ainsi leur vie entre la ville et la tente et qu’ils eurent affaire, au cours de leurs pérégrinations, avec des tribus nomades qui, à l’occasion, exercèrent sur eux une réelle influence ; mais que ni leur origine, ni les milieux où, successivement, ils s’établirent n’autorisent à les traiter eux-mêmes de nomades.
La traduction de Deutéronome 26.5 : « Notre père était un Araméen nomade » (Reuss, Segond) égare l’opinion. De par sa racine, le terme hébreu employé ici ne vise point le nomadisme, mais parle de misère, de destruction et de dispersion (Jérémie 23.1). Le contraste que veut établir ici l’auteur met en scène, d’une part Jacob émigré de Caran en Aram, puis obligé par la famine de chercher fortune en Égypte, « Araméen perdu », prêt à périr avec sa famille encore peu nombreuse, et d’autre part le territoire fertile qu’il reçut en possession et qui lui permit, par sa fécondité, de devenir, grâce à la fidélité de Jéhovah, « un peuple grand, puissant et nombreux ». Il n’y a rien ici qui autorise le mot nomade ; celui-ci doit être bien plutôt réservé aux adversaires d’Israël, les Amalécites (Deutéronome 25.17 et suivant), qui se mirent en travers de sa route lorsqu’il traversait le désert pour aller s’installer dans la riche terre de Canaan.
Il est certain qu’en supprimant Ur en Caldée et en assimilant les Térachites aux nomades arabes du désert, on peut, avec beaucoup d’érudition et quelque vraisemblance, arriver à expliquer les pérégrinations des Hébreux sans avoir recours à la vocation d’Abraham et à la révélation de Jéhovah à Moïse, c’est-à-dire sans faire intervenir Dieu dans l’histoire ; mais comme cette présentation des origines ne rend pas compte de la destinée unique qu’Israël a eue au point de vue religieux, il est douteux qu’on soit arrivé, par l’hypothèse nomadique, au verdict définitif de la science.
Alexandre Westphal
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