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Voir Atlas 34 Voir Atlas 35 Les voyages de Paul, comme tous ses actes, comme ses émotions, ses idées et jusqu’à sa réflexion théologique, sont dominés par son apostolat (voir article précédent). Quant à l’apostolat, il est réglé par la vie intérieure, dont le principe actif est la foi. Tendue « vers Christ », établie « en Christ », propriété commune et de l’homme et du Christ, dans une mutuelle appartenance et dans une mutuelle possession (génitif mystique : la foi « en Jésus-Christ », « de Jésus-Christ »), la foi est comme l’hypothèse créatrice de la vie chrétienne, que son dynamisme commande ; elle est une préfiguration de l’entière découverte, une communion anticipée : tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais pas déjà trouvé ! Ainsi, la conversion de Paul, démarche initiale de sa foi, sinon du Christ vivant qui depuis longtemps le cherchait, est une première forme de cette communion dans laquelle Paul veut être tout entier, de cœur et de pensée, de volonté, de vie prenante et prise, entièrement possédante, entièrement possédée : « en Christ » !
C’est donc dans cette communion mystique avec le Christ vivant qu’il faut chercher les causes profondes et les ressorts cachés de l’apostolat paulinien sous ses aspects les plus variés. Quand Paul médite, argumente, spécule, ce qu’il demande, ce qu’il cherche, c’est « la pensée de Christ » (1 Corinthiens 2.16), c’est-à-dire une pensée commune, une pensée de communion ; quand il aime, il sent que c’est du cœur, des entrailles du Christ, comme de lui-même, en communion (Philippiens 1.8). ; et quand il va, missionnaire intrépide et voyageur infatigable, à travers le monde, il en est un qui marche devant lui, et, dont il suit l’appel impérieux : c’est le vainqueur, qui, sur le chemin de Damas, l’a enchaîné à son char triomphal et qui l’entraîne au Capitole de sa gloire (2 Corinthiens 2.14).
Pour bien comprendre les voyages de Paul, pour en suivre les phases multiformes avec leurs développements continus, leurs temps d’arrêt, leurs sautes brusques, il est indispensable de tenir compte de cet élément mystique prévalant.
Lorsqu’on jette un coup d’œil d’ensemble sur la mission de Paul, on peut être frappé par son extension méthodique, par sa progression de centre stratégique en centre stratégique, de l’Orient à l’Occident. Aussi quelques auteurs, et notamment Weizsäcker, Zahn, Deissmann, ont-ils admis un plan général et assez rigoureux, que Paul aurait suivi méthodiquement. Si l’on entre dans le détail historique, on est contraint de reconnaître que ce plan n’a rien de rigide, mais qu’il est né, qu’il s’est précisé, modifié, nuancé, au cours des événements et des inspirations, par étapes et progressivement. Parmi les divers facteurs qui sont entrés en ligne de compte, les deux extrêmes sont les nécessités pratiques et les appels mystiques.
Ramsay, non sans raison, a accordé aux conditions externes des voyages pauliniens une très grande importance, et la série de riches études qu’il a publiées sur ce thème est assurément d’un grand prix. Il est intéressant, il est essentiel de savoir comment on voyageait au temps de Paul, dans les régions que Paul a évangélisées. Ramsay apporte la somme de toutes les recherches à ce sujet en y ajoutant considérablement du sien, et nulle étude sur la mission de Paul ne peut se passer de ses remarquables travaux. Par lui nous comprenons que les temps pauliniens étaient privilégiés et comme prédestinés à la mission itinérante. La paix romaine et le génie romain avaient singulièrement rétréci le pourtour du lac méditerranéen. La voie romaine était le bras multiple et sûr par lequel Rome atteignait et attirait à elle les peuples les plus éloignés, sous la sauvegarde et sous la domination de ses aigles. La mer même était asservie à son imperium, comme jamais elle ne l’avait été, comme elle ne devait plus l’être jusqu’aux temps modernes. On voyageait alors avec une surprenante facilité, une étonnante sécurité. Si l’on ajoute à ce privilège, dont Paul pouvait bénéficier d’autant mieux qu’il était citoyen romain, celui d’une langue universelle, le grec populaire ou langue commune, la langue même du Nouveau Testament, on se rend compte, une fois de plus, que les temps étaient accomplis pour les desseins providentiels, et qu’au cadran de l’éternité l’heure, précise avait sonné de l’évangélisation du monde.
Les exigences pratiques, autrefois oppressives et souvent dirimantes, n’avaient pourtant pas entièrement disparu. Dans son étude spéciale des routes et des voyages (Roads and Travels in Nouveau Testament, HDB, V), Ramsay les énumère et souligne leur importance pour la fixation de la chronologie ou des itinéraires pauliniens. Il y avait une saison pour voyager sur terre ou sur mer. La navigation sûre (secura navigatio) allait seulement du 26 mai au 14 septembre ; du 10 novembre au 15 mars, sauf cas exceptionnels, la mer était fermée. Il en était à peu près de même pour tout voyage en montagne. Il fallait tenir compte également des circonstances climatériques régionales et, sur mer, de la direction des vents. La navigation à voile n’est pas la même à l’aller et au retour. L’état des routes était aussi à envisager. Ainsi, il pouvait être beaucoup plus facile et plus rapide de faire un détour par les voies romaines que de voyager directement par de mauvais sentiers. Il était parfois préférable de passer par Rome pour aller d’une province à une autre voisine, soit par terre, soit par mer, plutôt que de s’engager sur un parcours direct, mais sans les mêmes facilités de communication. Toutes les grandes voies conduisaient à Rome et en rayonnaient, comme aujourd’hui dans la France, aussi centralisée, les grandes lignes ferroviaires sont orientées vers Paris.
Paul a certainement tenu compte de ces facteurs pratiques, et il est nécessaire d’en avoir une connaissance exacte jusque dans le détail des itinéraires locaux ou régionaux. La chose n’est pas toujours facile ; le tracé de toutes les routes dont Paul a pu faire usage n’est pas reconstitué ; l’emplacement de certaines localités, même importantes, qui se sont trouvées sur son parcours est encore imprécis. Néanmoins, les progrès de l’archéologie et les travaux spécialisés comme ceux de Ramsay permettent d’arriver à quelques certitudes et à beaucoup de probabilités.
Paul a tenu compte également d’autres nécessités. Ses plans sont parfois modifiés par l’attitude des populations auxquelles il a affaire. Si la stratégie lui commande d’évangéliser les grands centres, les événements peuvent l’obliger à séjourner dans de petites localités. Sa tactique habituelle paraît avoir été d’aller d’abord aux Juifs et de commencer sa mission dans les synagogues ; mais les circonstances ont pu l’amener à modifier la tactique aussi bien que la stratégie. Quant à la direction d’est en ouest qui a frappé certains auteurs, c’est une vue de l’esprit qui ne répond nullement à une réalité constante.
Ce qui s’oppose le plus à l’admission d’un système rigoureux dans l’activité de Paul, encore plus que dans sa pensée, ce qui oblige même à limiter plus que ne le fait Ramsay la part des facteurs pratiques, c’est le primat de la mystique. Si les conquérants antiques ont fait parfois mentir la loi commune, poursuivant la victoire en pleine saison close, sur les voies maritimes ou terrestres, combien plus, quand l’Esprit commandait, le conquérant d’une gloire invisible ! Paul n’est pas le pur logicien que d’aucuns imaginent, mais un grand inspiré, sans cesse aux écoutes du Christ intérieur, toujours prêt à obéir à ses exigences. Des visions ou des rêves sont interprétés par lui comme des intentions divines, comme des ordres à exécuter. À plusieurs tournants de sa carrière, Paul a suivi l’impulsion mystique (cf. Actes 16.6-8 ; Actes 16.9 ; Actes 18.9 ; Actes 19.1 manuscrit D, 27.23-25). Il marche ou il s’arrête suivant la volonté de Celui qui le mène (Actes 16.6 ; Actes 16.8 ; Actes 19.1 manuscrit D et versions syriaques et sahidique). Voyageur missionnaire aussi bien que pasteur ou théologien, Paul ne se comprend bien que si l’on fait leur place aux éléments profonds de son âme religieuse, aux appels intérieurs, par où le Père et le Fils précisent, nuancent et dirigent leurs vocations, dans une action commune de leur Esprit. Paul ne craint pas de réfléchir, de raisonner, de former des projets et de bâtir des plans, quelquefois à longue échéance, comme son voyage en Espagne (Romains 15.24 ; Romains 15.28) ; il sait être pratique ; il est voyageur et navigateur d’expérience, et d’un avis plus judicieux à l’occasion que celui d’un pilote et d’un capitaine au long cours (Actes 27.9 ; Actes 27.11-21) ; au milieu des circonstances les plus dramatiques, il reste parfaitement lucide et, dans l’affolement général, aucun détail pratique ne lui échappe (Actes 27.30 ; Actes 27.34). Mais il laisse aux tactiques humaines une souplesse assez grande pour être révisées à toute inspiration et mises en accord avec cette stratégie divine dont la lointaine intelligence n’est donnée que par touches, par aperçus et par instants, non à la raison seule, bien que nullement exclue, mais à toute la personne un moment dépouillée de ses entraves formelles, de ses catégories statiques, à l’âme ressaisie, déliée, unifiée en synthèse dynamique et vitale, au choc momentané de ce qui la transcende, à l’embrasement soudain de l’étincelle divine.
L’apostolat itinérant de Paul a-t-il coïncidé avec sa conversion ? Son départ de Damas pour l’Arabie syriaque doit-il être considéré comme un premier voyage missionnaire ? On peut se demander, tout d’abord, si Paul n’avait pas un tempérament voyageur, comme beaucoup de ses compatriotes, et si l’apostolat n’a pas été l’application et la mise en valeur dans une direction et vers un but particulier d’une tendance, d’une disposition naturelle. Aucune donnée ici ne permet de répondre. Si l’on veut juger par analogie, il est incontestable que deux cas se rencontrent : il y a des hommes que l’appel dirige dans le sens qui paraît leur être naturel ; il y en a que leur vocation oblige à un retournement, à une conversion de leurs tendances pratiques et de leur caractère, comme de leur vie profonde et de leurs aspirations les plus intimes. Entre ces cas extrêmes, il y en a beaucoup qui s’échelonnent d’un pôle à l’autre. Celui de Paul ne peut être situé, faute d’information.
L’apostolat n’a pas toujours la forme itinérante. Il l’a prise chez Paul. Il n’est pas certain qu’il l’ait prise dès le début ; il n’est pas certain qu’il ait coïncidé avec la conversion. Si l’on procède, ici encore, par analogie, et que l’on interroge l’histoire des conversions missionnaires, on trouvera plusieurs genres : il y a les hommes qui, dès une première crise, se sont sentis, en même temps, transformés et appelés dans une direction déterminée ; il y a ceux qui, saisis brusquement, à un moment donné, ont eu besoin d’une illumination progressive et, quelquefois, d’une seconde crise, pour entendre clairement l’appel apostolique ; il y a les « convertis lents », qui échappent aux crises bien caractérisées et chez qui tout changement intérieur prend une forme évolutive, avec quelques tournants aux angles arrondis et quelques variations légèrement brusquées.
Ce qui paraît au dehors n’est parfois que la traduction imparfaite de ce qui se passe au dedans, et l’analyse seule peut saisir les indices du travail profond qui s’accomplit dans les zones sous-jacentes de l’âme. Ainsi, l’observation comme le bon sens indiquent dans le premier type, où l’apostolat précis accompagne la conversion bien caractérisée, une préparation souterraine, dont les affleurements sont les indices fugitifs du cours intérieur ; les caractères du renouveau et de l’appel se trouvent comme préformés dans une mystérieuse gestation. Dans le second type, au contraire, la préparation, moins poussée, n’aboutit point, du premier coup, à une telle précision ; le travail souterrain se poursuit en vue d’une seconde étape, qui peut être suivie d’autres. Il ne faut pas oublier, en effet, que les frontières intérieures n’ont aucunement la rigidité de nos catégories et de nos classements nécessaires. Quelle vie religieuse, quelle carrière apostolique, si continues soient-elles, n’ont eu leurs étapes marquantes, décisives, critiques, en plus ou moins grand nombre ? Et si, par contre, des crises s’y succèdent, ou si une seule, violente et décisive, en marque le début apparent, qui niera le travail intérieur par lequel Dieu se fait chercher avant de se laisser trouver, par lequel Il fait germer, pousser, fleurir, mûrir ce qu’il a diversement semé, par lequel Il éduque, prépare, développe et accomplit ? En l’absence de tous détails circonstanciés, il est difficile, à priori, de dire à quelle catégorie appartient la carrière apostolique de Paul, dans le cadre général des conversions et des appels à crise où elle rentre incontestablement. Il semble cependant, à lire les récits des Actes, que l’on puisse se décider de préférence pour la seconde catégorie, c’est-à-dire pour un apostolat qui ne s’est déclaré qu’après la conversion ; c’est une conversion à caractère trop vif et foudroyant pour comporter autre chose pendant longtemps qu’un grand embrasement de l’âme, après l’explosion provoquée soudainement par l’étincelle divine, dont le feu se propage presque instantanément par la traînée de l’émotion.
Certains auteurs (Loisy, Goguel) ont admis ; cependant, que Paul s’était lancé aussitôt dans l’action, et que son premier déplacement fut un véritable voyage missionnaire. Ils invoquent en faveur de leur thèse le « tout de suite » de Actes 9.20. « Il [Paul] resta donc quelques jours avec les disciples et puis, « tout de suite », il se mit à prêcher Jésus dans les synagogues, en disant : C’est lui qui est le Fils de Dieu ! » C’est peut-être, pour une fois, tirer beaucoup du livre des Actes, auquel on n’accorde pas habituellement tant de crédit. Si l’on se réfère à Galates 1.17 et suivant, on se rend compte que les Actes omettent un détail important : la retraite de Paul en Arabie syrienne, immédiatement après sa conversion. L’opinion traditionnelle, qui est demeurée celle de la plupart des auteurs, est que Paul a fait là une véritable retraite en vue de la méditation plutôt que de l’action. Certains font état de son tempérament pour rejeter cette interprétation courante et pour transformer la contemplation en action. Mais on ne voit pas pourquoi Paul aurait choisi comme premier champ de mission une région désertique où ne vivent que quelques nomades. D’autre part, l’argument tiré du caractère n’a aucune valeur. Comme tous les mystiques de puissante envergure, Paul est un grand actif ; mais il reste un mystique, c’est-à-dire que les alternances de méditation parfois très prolongées et d’action vive, énergique, suivie, n’ont certainement pas manqué dans sa vie. Après sa conversion brusquée, il est tout naturel que Pau ! ait eu besoin d’une retraite méditative pour fortifier et préciser en lui sa vocation. C’est, vraisemblablement, au retour d’Arabie que se place la prédication à Damas dont il est question dans Actes 9.20. Paul est désormais apôtre. Si, plus tard, il fait remonter au premier appel le caractère même de cet apostolat et sa mission parmi les Gentils, cette vision précise et ramassée des événements n’oblige pas à en méconnaître le développement normal. Il ne faut pas confondre les temps et les étapes d’une vocation apostolique dont la prise de conscience date vraisemblablement de la retraite salutaire en Arabie, après l’explosion émotive et l’embrasement de la conversion.
Plusieurs années s’écoulent depuis la crise décisive jusqu’au départ solennel pour la première mission itinérante, 12 ans peut-être : de 33 à 45. Qu’est-ce à dire, sinon que l’appel déjà entendu ne s’est précisé que peu à peu dans le sens de la mission lointaine, mais aussi que l’apostolat paulinien a pris jusque-là d’autres formes, comme il ressort d’ailleurs de la lecture des Actes ? La cérémonie, certainement fort simple, de l’imposition des mains, à Antioche (Actes 13.1 ; Actes 13.3), n’est pas comme le supposent Gore et Lightfoot l’ordination sacerdotale et le sceau de l’Église sur un apostolat naissant. S’il en était ainsi, l’opposition avec les épîtres serait formelle, et les épîtres, qui affirment souvent le caractère direct et tout divin de la vocation paulinienne, seraient naturellement à préférer. Mais il n’y a même pas à choisir. L’ordre divin aux « prophètes et instructeurs » de la communauté d’Antioche est celui-ci : « Mettez-moi donc à part » Barnabas et Saul pour l’œuvre à laquelle « je les ai appelés déjà ». L’exécution de l’ordre est ainsi relatée : « Alors, après jeûne et prière, ils leur imposèrent les mains et les laissèrent partir ». Les termes impliquent nettement un appel antérieur au choix fait à Antioche. La « mise à part » attribuée aux hommes, alors qu’elle l’est généralement à Dieu, ne saurait donc faire illusion. L’expression : « ils laissèrent aller, partir (en déliant) » est significative ; elle implique l’initiative de Paul et Barnabas relativement à ceux qui les consacrent et, plus haut, l’initiative de Dieu.
Entre temps, divers événements s’étaient passés, et Paul avait déjà eu l’occasion de se déplacer plusieurs fois, pour obéir à sa vocation. Après avoir fait un séjour à Damas, à son retour d’Arabie, et y avoir annoncé l’Évangile, il doit s’en échapper, et c’est à grand’peine qu’il déjoue les complots des Juifs et des Arabes coalisés contre lui (Actes 9.23 et suivants). Ici se place un événement assez mystérieux de l’histoire romaine, et dont la fixation permettrait de dater exactement cet épisode de la vie de l’apôtre : l’occupation de Damas, ou plutôt, sans doute, des faubourgs de Damas, par les bandes arabes d’Arétas IV Cette affaire, qui ressembla peut-être à l’incursion des Druses sous le mandat français, à la faveur d’embarras analogues de la puissance tutrice obligée de réduire ses troupes d’occupation, n’a pu se produire que pendant l’absence du légat impérial Vitellius, occupé à guerroyer contre les Parthes, soit en 36.
C’est peu après sa fuite de Damas que Paul se tendit à Jérusalem, afin d’y faire la connaissance de Pierre et de s’entendre avec lui (Galates 1.18). Il lui fut présenté, ainsi qu’à Jacques, par Barnabas (cf. Galates 1.18 et Actes 9 27). Les Actes pourraient faire supposer que Paul fut conduit aux apôtres par Barnabas. Paul affirme solennellement (Galates 1.19) qu’il se rendit de lui-même auprès de Pierre et qu’il vit seulement Pierre et Jacques, le frère du Seigneur, Ainsi, Barnabas a été un introducteur plutôt qu’un guide, et ce n’est pas aux apôtres, mais à Pierre et peut-être à Jacques le frère du Seigneur, qu’il eut l’occasion de présenter Paul.
D’après Actes 9.28-30, Paul continue à évangéliser à Jérusalem. Il a particulièrement affaire aux Hellénistes, dont il était lui-même, et qui complotent contre lui. C’est alors qu’accompagné ou conduit par les frères il se rend à Césarée et, de là, à Tarse (Actes 9.30). L’opposition rencontrée par Paul garantit la puissance de son message apostolique. Seul Jésus et Étienne avaient pu soulever de semblables tempêtes.
Le renseignement de Galates 1.21 corrobore plutôt qu’il ne contredit celui de Actes 9.30. Il porte en effet que Paul se rendit en Syrie-Cilicie, où se trouve effectivement la ville de Tarse. La mention des deux parties de la province peut être l’indication qu’il y exerça en plusieurs lieux son activité missionnaire. L’opinion de Maclean, d’après qui Paul aurait fait à Tarse une retraite prolongée, ne repose sur rien de sûr. Il paraît plus probable que Paul, à peine lancé dans la carrière apostolique, ne s’est pas arrêté aussi tôt, et en aussi bonne voie. Il n’y a pas de parallèle à établir entre cette période de sa vie et celle qui suivit immédiatement la conversion.
Dans Galates, Paul ne donne aucun renseignement sur les événements qui se sont produits entre ce départ de Jérusalem et une autre visite qu’il y fit beaucoup plus tard. Mais les Actes permettent de reconstituer partiellement sa carrière apostolique entre temps. Ils rapportent succinctement les circonstances dans lesquelles Barnabas et Paul, nantis d’une sorte de mandat, partirent pour la première mission itinérante concertée et suivie. On a coutume de la nommer le premier voyage missionnaire de Paul, ce qui, pris absolument, est sans doute inexact, mais répond d’autre part à quelque chose de vraiment neuf.
Après la dispersion de la communauté naissante au moment du martyre d’Étienne, un certain nombre de chrétiens s’établirent à Chypre et à Cyrène. Quelques-uns de ceux-là, venus à Antioche, se mirent à évangéliser indifféremment les Juifs et les païens (Actes 11.19 et suivants). Barnabas, envoyé de Jérusalem, donne sa pleine approbation. L’Église d’Antioche est fondée. C’est ainsi que les choses se sont vraisemblablement passées, d’après les brèves indications des Actes, et nous avons là un phénomène de première importance dont on n’a pas toujours fait ressortir toute la valeur. Ce sont des chrétiens de Jérusalem exilés, des Juifs de tradition palestinienne, qui ont entrepris la mission parmi les païens, et il est fort probable qu’ils ont commencé par faire d’eux des chrétiens judaïsés, un peu comme les prosélytes de la porte dans le judaïsme mosaïque, des pagano-judéo-chrétiens. C’est d’ailleurs, vraisemblablement, parmi les prosélytes de la porte qu’ils ont commencé à évangéliser. Quoi qu’il en soit, c’est à eux que s’est posé en premier lieu le grand problème de l’entrée inconditionnée des convertis d’origine païenne dans la communauté chrétienne. Il était réservé à Paul de résoudre ce problème.
Barnabas se rend à Tarse afin d’y quérir Paul (verset 25). On a vu dans ce rapprochement une preuve que Paul avait déjà lui-même évangélisé les païens, ce qui paraît plausible. Il était l’homme de la situation, particulièrement qualifié pour une tâche délicate. Barnabas le décide à venir, et ils collaborent pendant un an à Antioche (Actes 11.26). C’est là que, pour la première fois, le nom de chrétiens fut donné aux disciples. C’est d’Antioche que, d’après le livre des Actes, Paul fit à Jérusalem un second voyage, en compagnie de Barnabas. Leur but était de secourir les chrétiens de Jérusalem souffrant de la famine (Actes 11.29 et suivant). Barnabas et Paul, chargés de dons, voyagèrent sans doute par mer, de Séleucie à Césarée ; ils remirent aux anciens de l’Église le dépôt qui leur avait été confié ; on peut donc supposer que les apôtres étaient absents et que l’on se trouvait au temps de la persécution d’Hérode. Après s’être acquittés de leur tâche, Barnabas et Paul retournèrent à Antioche, emmenant avec eux Jean surnommé Marc (Actes 12.25). C’est peu après, sans doute, qu’ils partirent pour ce que l’on est convenu d’appeler le premier voyage missionnaire (Actes 13.4 et suivants).
Nous donnons ici le premier des croquis des voyages de Paul, qui montreront l’extension progressive de la mission paulinienne.
Carte : Période préparatoire.
Paul (Saul) naît à Tarse où il passe son enfance. Jeune homme, il va à Jérusalem, sans doute par mer jusqu’à Césarée. Il est disciple de Gamaliel. Saul (Actes 22.3) est peut-être à Tarse pendant le ministère de Jésus (années 26-29 ?). Saul est à Jérusalem lors du martyre d’Étienne, vers 32. Saul (Actes 7.58) va à Damas pour y persécuter les chrétiens. Pharisien (Actes 9.3), il suit sans doute l’itinéraire de la rive gauche du Jourdain, pour éviter la Samarie. Conversion, sur le chemin de Damas, en 33. Paul (Actes 9.1 ; Actes 9.8 ; Actes 22.5 ; Actes 22.11 ; Actes 26.12-16) à Damas. Retraite (Actes 9.9-22 ; Actes 22.12-16) en Arabie. Retour (Galates 1.17) à Damas, complot et fuite, en 36. Premier (Actes 9.23 ; Actes 9.25) voyage à Jérusalem après la conversion. Départ (Actes 9.26-29 ; Actes 22.17-21 ; Galates 1.18-20) pour Tarse, par Césarée. Activité (Actes 9.30-32) d’évangéliste ou de missionnaire en Syrie-Cilicie. Antioche. Voyage (Galates 1.21 ; Galates 1.24 ; Actes 11.25s) à Jérusalem, sans doute par mer, pour secourir la communauté en pleine persécution, et retour (Actes 11.27-30 ; Actes 12.25).
Barnabas et Paul se mirent en route, accompagnés de Jean-Marc. Ils suivirent la fertile vallée de l’Oronte jusqu’à Séleucie, le port d’Antioche. Les deux villes avaient été fondées par Séleucus Nicator. Séleucie était l’un des grands ports de la Méditerranée antique. Il en reste encore aujourd’hui des ruines imposantes. La rade, actuellement ensablée et presque inutilisable, offrait alors aux navires un abri sûr et d’accès particulièrement facile. Juvénal (Sut., III, 62) mentionne ce port d’où la Syrie déversait sur Rome non seulement sa musique ou sa religion, mais, avec elles, ses infamies. C’est de là que partirent les trois hommes pour rénover le monde, et Rome ne devait point y échapper.
De Séleucie, le navire gagna Chypre. L’île se voit par temps clair de la côte syrienne ; la traversée ne dure que quelques heures, jusqu’à Salamis, l’ancienne capitale (voir Salamine). C’est là que débarquèrent les missionnaires. Salamis, au nom sémite, avait été fondée par les Phéniciens ; puis elle était passée, de même que toute l’île, sous les dominations successives de l’Égypte, de l’Assyrie, de Babylone, de l’Égypte encore, de la Perse, et, seulement à la fin du Ve siècle, de la Grèce. Au temps de Paul, Salamis avait décru ; mais c’était encore une grande ville. La colonie juive y était importante, et les missionnaires se contentèrent de prêcher dans les nombreuses synagogues de la ville, sans pouvoir s’occuper des païens. Puis ils traversèrent l’île, voyage qui n’allait pas sans difficultés, car il comporte la traversée d’un massif montagneux qui se déploie en éventail jusqu’à la mer et dont les plus hauts sommets s’élèvent à 2 000 m. Ils arrivèrent ainsi à Paphos (voir ce mot). Il s’agit de la ville nouvelle, qui avait remplacé depuis longtemps la vieille cité phénicienne, détruite avec son temple célèbre d’Astarté par de multiples tremblements de terre. La ville avait changé d’emplacement ; mais, chaque année, une grande procession se dirigeait vers l’antique sanctuaire, que l’on avait relevé de ses ruines. Non seulement les habitants de l’île, mais de nombreux pèlerins, participaient au culte infâme.
Au temps de Paul, Paphos était la résidence du proconsul romain. Ce proconsul était alors Sergius Paulus (Actes 13.6 et suivants). Il avait auprès de lui un magicien hébreu du nom de Bar-Jésus ou Élymas. On a supposé, d’après un renseignement vague et douteux de Pline, que Sergius Paulus gardait cet homme dans son entourage parce qu’il s’intéressait particulièrement aux questions d’histoire naturelle. Peut-être plus simplement le proconsul, comme beaucoup de ses compatriotes cultivés, croyait-il à la magie des Orientaux. Sans doute admit-il pour la même raison Paul et Barnabas, qui devaient lui apparaître comme des espèces de sorciers. Toujours est-il que, d’après les Actes, Paul et le magicien entrèrent en conflit devant le proconsul et que le magicien fut vaincu. L’épisode a été suspecté, à cause de ses ressemblances avec celui de Pierre et de Simon le magicien (Actes 8.18-24). Il est possible que le narrateur ait inconsciemment rapproché les deux scènes et qu’il ait accentué les traits communs. La majorité des auteurs estiment, cependant, qu’il n’y a pas lieu de mettre ce récit en doute. C’est à partir de ce moment que les Actes donnent à l’apôtre le nom de Paul, alors que, jusque-là, il était appelé invariablement Saul. Le rédacteur note ce changement (Actes 13.9), sans d’ailleurs indiquer ni que ce nom fût entièrement nouveau pour l’apôtre, ni surtout qu’il l’eût emprunté au proconsul, ainsi qu’on l’a supposé. Peut-être son premier contact avec l’aristocratie romaine lui donna-t-il cette impression qu’elle était particulièrement accessible à l’influence de l’Évangile, et l’inclina-t-il à faire usage désormais de son cognomen latin. C’était une manière de mettre en relief sa qualité de citoyen romain, et d’obtenir ainsi un accès plus facile. C’est également à partir de ce moment que Paul est nommé le premier, avant son compagnon Barnabas, qui jusqu’ici paraissait être le chef de la mission, et qui semble avoir accepté sans difficulté l’autorité nouvelle de son associé. Il est possible que Jean-Marc, le cousin de Barnabas, n’ait pas pris aussi facilement son parti de cette substitution et que là soit la raison principale de sa brusque retraite, à Perge, où il quitta ses compagnons pour retourner à Jérusalem (Actes 13.13). On a fait bien d’autres suppositions : qu’il était en désaccord de principes et de méthodes avec Paul, trop hardi à son gré ; qu’il répugnait à s’éloigner davantage de sa mère qui habitait Jérusalem ; qu’il était opposé à une extension imprévue de la mission ; qu’il avait eu peur de s’engager dans des régions lointaines et mystérieuses, etc. (voir Marc, paragraphe 4).
Les missionnaires s’embarquèrent donc pour l’Asie Mineure. Ils arrivèrent à Perge, sans doute par la voie fluviale, en remontant le Cestrus pendant une quinzaine de km. Perge était la capitale de la nouvelle province de Lycie-Pamphylie, fondée par Claude. Elle était depuis longtemps célèbre par son temple d’Artémis, qui dominait du haut de l’Acropole ; sa dignité nouvelle contribuait à sa prospérité, qui était grande. Les Actes ne mentionnent pas une évangélisation de Perge au voyage d’aller. Ce silence, qui n’est pas le seul, ne l’exclut point. Il paraît cependant peu probable que l’arrêt des missionnaires ait été long. C’est ici que les Actes placent la défection de Jean-Marc, qui retourne à Jérusalem. Quant à Paul et Barnabas, ils se mirent en route pour se rendre à Antioche de Pisidie.
Le voyage était difficile et dangereux. Il fallait traverser les torrents, souvent débordés et toujours impétueux, du Taurus ; il fallait s’engager dans d’étroits défilés propices au brigandage. Ramsay, Clemen ont pensé que Paul faisait allusion à ces risques sérieux dans 2 Corinthiens 11.26. Mais il a eu à les courir en bien d’autres occasions, et le passage a sans doute une portée plus générale. Après les défilés du Taurus, c’est la steppe, sur les hauts plateaux et enfin, dans un cirque montagneux, Antioche de Pisidie.
Le titre officiel de la ville était « Antioche près de [ou : devant] la Pisidie » (voir Antioche de Pisidie). En effet, la Pisidie était la région que venaient de traverser les missionnaires. Antioche n’y est déjà plus. Elle se trouve en Phrygie, et elle était alors dans la nouvelle province romaine de Galatie. Fondée par des Magnésiens, la cité avait reçu son nom de Séleucus Nicator en souvenir de son père Antiochus. Auguste, en en faisant une colonie romaine, lui avait adjoint le titre de Coesarea. On y a découvert un grand nombre d’inscriptions latines, et l’on sait qu’Antiochia Cassarea était le centre d’un système de colonies reliées entre elles par une route impériale. Antioche avait été pendant longtemps le sanctuaire célèbre du dieu lunaire des Phrygiens : Men ; bien que le temple eût été désaffecté par l’autorité romaine, le culte du dieu n’avait point disparu. Il y avait là une synagogue (Actes 13.14), où Paul et Barnabas commencèrent à évangéliser. Le rédacteur des Actes donne ici un discours de Paul qui présente certaines ressemblances avec celui d’Étienne ; le fond n’a rien de suspect, sous une forme nécessairement arrangée, nivelée, sans l’accent personnel et la flamme apostolique. La parole vivante de l’apôtre fit grande impression. Plusieurs Juifs et prosélytes pieux restèrent pour un entretien (Actes 13.43). Le sabbat suivant, une foule de Juifs et aussi de païens envahit la synagogue. Mais entre temps s’était formée une cabale de dévots qui se mirent à interrompre et à injurier Paul, dans leur exaspération non seulement de l’entendre, mais aussi, vraisemblablement, de voir cette affluence de païens. Paul et Barnabas leur tinrent tête, et, joignant sans doute le geste à la parole, ils firent cette déclaration de principe : « C’était à vous, les premiers, qu’il fallait annoncer la parole de Dieu ; mais puisque vous la rejetez et que vous vous jugez vous-mêmes indignes de la vie éternelle, voici, nous nous tournons vers les Gentils » (verset 46). Les païens se réjouirent et beaucoup se convertirent (verset 48). Cet événement eut un retentissement considérable, qui contribua fortement au renom des missionnaires et à la propagation de leur message (verset 49). La cabale ne se tint point pour battue. Elle mit tout en œuvre pour nuire aux missionnaires et usa de son influence auprès des prosélytes de la synagogue, notamment des femmes (verset 50). Finalement, les évangélistes furent chassés. Ils s’éloignèrent, non sans avoir accompli le geste symbolique : « Secouez la poussière de vos pieds ! » (Matthieu 10.14 ; Actes 13.51).
Paul et Barnabas suivirent la voie impériale à travers la steppe désertique, jusqu’à l’oasis d’Iconium, la capitale de la Lycaonie. La situation et l’aspect de la ville ressemblent à ceux de Damas. Ce sont les mêmes jardins, les mêmes vergers autour de la cité qui s’étage au flanc d’une colline. Les missionnaires n’avaient point pris à Antioche de Pisidie une décision absolue et irrévocable. La preuve en est qu’ils allèrent tout droit à la synagogue. Mais le même conflit se reproduisit. Il fallut partir. C’est à Iconium que se place le touchant épisode de Thécla ; il est relaté par les Actes apocryphes, qui sont bien sujets à caution ; mais il pourrait avoir conservé l’impression naïve et authentique de la première prédication de Paul : « Tandis que Paul prêchait, portes ouvertes, dans la maison d’Onésiphore, Thécla, fille de Théoclie, fiancée à Thamyris, écoutait nuit et jour l’étranger. Assise à la plus proche fenêtre du logis de sa mère, elle n’en bougeait point ; elle était figée dans la foi… , liée par les paroles de l’apôtre, ainsi qu’une araignée à la fenêtre… » Le naïf témoignage de ce premier roman chrétien est sans doute plus près de la réalité que la thèse fondée sur un passage mal compris de 1 Corinthiens 2.1-5, et d’après laquelle Paul n’avait pas le don de la parole.
Une allusion de Galates 3.1, très brève, mais suggestive dans ses termes grecs, permet de se représenter ce que devait être cette prédication vive, imagée, saisissante et puissante, qui rendait si présents les faits rédempteurs « là, devant », et surtout la croix.
Chassés d’Iconium comme d’Antioche, les missionnaires se réfugièrent dans un asile qui pouvait leur paraître sûr : Lystres, petite localité perdue dans un pays presque barbare, où les Juifs devaient être peu nombreux. Ils évangélisèrent la ville et les environs, et purent y demeurer sans doute assez longtemps sans être inquiétés. Un miracle de Paul les mit en vedette. Devant la guérison d’un paralytique, les spectateurs furent transportés d’enthousiasme. Ils connaissaient la légende de Philémon et Baucis visités par Zeus et Hermès. Ils crurent avoir devant eux le grand dieu de l’Olympe et son compagnon. Barnabas fut Jupiter ; Paul, sans doute moins grand, vif, à la parole persuasive, fut Hermès. On prévint aussitôt le prêtre du sanctuaire voisin, et une procession s’organisa en vue de présenter un sacrifice solennel aux dieux favorables. Quand les missionnaires se rendirent compte de ce qui allait se passer, indignés, ils protestèrent et arrêtèrent la cérémonie, non sans peine (Actes 14.18). De la désillusion du prêtre et de la foule naquit peut-être une sourde rancune contre ces étrangers qui refusaient d’être des dieux. Toujours est-il que peu après, lorsque des Juifs vinrent d’Antioche et d’Iconie pour dénoncer les évangélistes, ils réussirent à déchaîner une persécution où ceux que l’on adorait hier faillirent perdre la vie. Paul fut lapidé et laissé pour mort. Recueilli par les disciples, il partit dès le lendemain avec son compagnon. Ils se rendirent à Derbe, gros bourg fortifié, sur les confins de la province de Galatie, au pied des monts d’Isaurie, dans une région infestée de brigands. Ils n’y furent pas inquiétés.
De Derbe, il eût été relativement facile aux deux missionnaires de regagner Tarse et Antioche de Syrie, en traversant le Taurus. Mais, en dépit du risque grave, ils préférèrent revenir sur leurs pas, afin de retrouver et d’affermir les communautés fondées au voyage d’aller. En chaque endroit, ils constituèrent fortement une Église. Peut-être s’abstinrent-ils, cette fois, de toute propagande, car le retour paraît s’être effectué sans incident. Ils évangélisèrent Perge, où ils n’avaient sans doute fait que passer à l’aller. Ils s’embarquèrent à Attalie pour Antioche, où ils racontèrent tout ce que Dieu avait accompli par eux, et comment il avait ouvert aux Gentils la porte de la foi (Actes 14.27). La première grande mission était terminée. Elle avait duré peut-être deux ans : de 45 à 47 ?
Paul et Barnabas restèrent longtemps à Antioche (Actes 14.28). Ils avaient eu à lutter jusqu’ici contre un judaïsme authentique et caractérisé, celui de la synagogue ; ils allaient rencontrer maintenant un nouvel ennemi plus insidieux, plus redoutable, un ennemi dans la place, le judaïsme chrétien. C’est lui qui prend l’offensive. À Antioche, les chrétiens d’origine juive et d’origine païenne avaient vécu jusqu’ici en bonne intelligence. Mais voici qu’arrivent de Judée, sans doute de Jérusalem, des fauteurs de désordre. Leur mot d’ordre est la circoncision : « Si vous n’êtes pas circoncis suivant le rite mosaïque, vous ne pouvez être sauvés » (Actes 15.1). C’était donc la circoncision qui faisait le Juif, « Chez ce peuple (écrit avec mépris Pétrone, l’arbitre des élégances), la seule noblesse, la seule preuve d’une condition libre, c’est d’avoir eu le courage de se circoncire » (fragm. 17). Ce rite humiliant et douloureux constituait le principal obstacle à l’extension du judaïsme. Parmi les hommes que la morale ou le spiritualisme juifs attiraient, bien peu se faisaient circoncire ; ils préféraient rester prosélytes de la porte. La circoncision était le symbole et la clef de voûte de tout l’édifice légaliste. Avec elle, le christianisme eût été un bourgeon adventif, et sans doute bientôt mort, de la religion juive.
Paul et Barnabas comprirent immédiatement le danger et rirent front énergiquement (Galates 2.4 et suivant). Ils résolurent d’aller à la racine du mal et de porter le débat à Jérusalem, devant les apôtres et les anciens (Actes 15.2). La mention des Actes pourrait laisser croire que cette décision fut prise par l’Église. En fait, c’est Paul qui en eut l’initiative, à la suite d’une révélation (Galates 2.2). C’est un exemple de cette obéissance mystique devant laquelle tout devait plier et qui marque si nettement la carrière de l’apôtre. Le génie de cette inspiration apparaît ici avec une entière clarté. C’était un coup de maître !
Paul et Barnabas, accompagnés de Tite, se rendirent donc à Jérusalem par la Phénicie et la Samarie. Ils s’arrêtaient dans les communautés qu’ils rencontraient sur leur passage et les mettaient au courant de leur œuvre parmi les Gentils. C’est ce qu’ils firent également à Jérusalem, où ils furent reçus par l’Église, les apôtres et les anciens (Actes 15.4). Ils ne purent convaincre quelques judaïsants qui se rattachaient encore à la secte des Pharisiens (verset 5). C’est alors que l’on décida de réunir un synode pour régler les questions pendantes. Paul avait vu en particulier chacun des principaux apôtres. Si libre et indépendant qu’il fût, il se rendait compte que l’avis des chefs de la communauté primitive, de l’Église mère, pouvait avoir une action décisive. Il ne voulait pas avoir couru en vain (Galates 2.2).
Le synode se réunit. La discussion fut engagée. Pierre se leva et, se souvenant de l’appel que lui-même avait reçu à Joppé, il apporta généreusement à la thèse de l’apôtre nouveau une adhésion pleine et entière. Son discours fit impression. La cause était gagnée. Paul et Barnabas, joyeux, rendirent encore témoignage (Actes 15.12).
Alors se produisit l’intervention de Jacques. La légende, qui sans doute ne va pas sans histoire, lui a fait une réputation d’ascète entêté et obtus ; ses genoux, à force de heurter et de frotter les dalles du temple, dans les gestes de la prière rituelle, s’étaient couverts de corne, comme ceux d’un chameau. Il faisait figure de saint populaire ; on l’appelait le Juste, et, frère du Seigneur, il était encore plus écouté que Pierre. On le considérait comme le rempart de l’orthodoxie. Son discours entraîna la décision du synode. Ses partisans durent être étonnés, voire scandalisés de l’effort de largeur qu’il y manifesta, et cependant son point de vue marque un recul très net sur celui de Pierre. Ce qu’il propose et fait adopter n’est en somme qu’un compromis. Le légalisme y perce encore (Actes 15.20 ; Actes 15.21 ; Actes 15.29) ; mais, sur le point essentiel et symbolique de la circoncision, nul retour en arrière ; on ne touche pas à la victoire des missionnaires. Paul pouvait sincèrement déclarer : « Les notables ne m’imposèrent rien ! » (Galates 2.6).
Les judaïsants ne désarmèrent point ; leur opposition continua plus insidieuse et plus perfide. Lorsque Pierre vint à Antioche, ils réussirent à le compromettre en leur faveur, et Barnabas lui-même fut entraîné dans cette hypocrisie. L’adversaire était isolé. Paul riposta durement, mais avec une admirable maîtrise de la situation, là où il fallait et à qui il fallait. Il prit directement à partie Pierre lui-même. Sa hardiesse et sa franchise brutale rétablirent une position compromise (Galates 2 : et suivants). Pierre, qui dans sa bonté trop faible n’avait pas su résister à un entraînement, se laisse gagner de nouveau par le génie du tard venu, porteur d’une inspiration plus haute et plus puissante que la sienne. Carte : 1° Grand Voyage
Paul et Barnabas choisis et consacrés à la mission. — Départ (Actes 13.1 ; Actes 13.3) d’Antioche ; embarquement à Séleucie. Salamis (Actes 13.4 ; Actes 13.5). Paphos ; le proconsul Sergius Paulus et le magicien Élymas (13.6,1a). Perge ; défection de Jean-Marc. Antioche (Actes 13.13) de Pisidie. Iconium. Lystre. Derbe. Lystre (Actes 13.14 ; Actes 13.50 ; Actes 13-14.7 ; Actes 14.8 ; Actes 14.19 ; Actes 14.20) Iconium, Antioche. Perge (Actes 14.21 ; Actes 14.24), Attalie. Antioche (Actes 14.23) de Syrie. Jérusalem (Actes 14.26 ; Actes 14.2 et suivant) ; synode. Antioche (Actes 15.1-29 ; Actes 15.30-35)
Barnabas fut aussi généreux que Pierre et ne tint point rigueur à Paul d’une leçon qui, pour si dure qu’elle fût, était incontestablement méritée. La preuve en est qu’il accepta d’entreprendre avec Paul un second voyage missionnaire dans les régions qu’ils avaient déjà visitées. Ce projet ne devait pas se réaliser.
L’obstacle ne fut pas une rancune quelconque, une divergence de caractère ou de principe, mais la personne de Jean-Marc, le cousin de Barnabas, qui avait abandonné la mission au cours du premier voyage. Sans doute avait-il regretté son attitude, puisqu’il était prêt à se joindre aux missionnaires, et qu’il avait persuadé Barnabas de le prendre. Mais Paul, instruit par une première expérience, opposa un veto formel. Il dut partir seul. Nous ne sommes pas en mesure de juger sa rigueur. Sans doute ne croyait-il pas la vocation missionnaire de Jean-Marc assez assise. Toujours est-il que ces hommes étaient au-dessus des petitesses qu’on leur prête quelquefois, par des analogies fictives avec de moins grands qu’eux. Ils restèrent en bons termes et sur le pied d’une affection cordiale (cf. 1 Corinthiens 9.6 ; Colossiens 4.10 ; Philémon 1.24 ; 2 Timothée 4.11). Leur divergence de points de vue ne créa pas un dissentiment.
Tandis que Barnabas s’embarquait pour Chypre avec Jean-Marc, Paul, accompagné de Silas, se rendait en Asie Mineure par la voie de terre, en traversant la Syrie et la Cilicie. Les deux missionnaires franchirent les monts Amanus qui dominent Antioche. Ils passèrent ainsi par le défilé des Portes Syriennes, sur la voie qu’Alexandre le Grand avait suivie dans l’autre sens, après sa victoire d’Issus. Ils durent ensuite gagner la côte méditerranéenne et la longer du sud au nord, d’Alexandria (aujourd’hui Alexandrette [figure 218, 219]) à Issus où, en 333, Alexandre le Grand défit complètement Darius Codoman, ouvrant l’Orient du même coup aux armes et à la civilisation grecques. À partir d’Issus, la côte, qui se creuse en un golfe profond, change complètement de direction, et c’est vers le sud-ouest, que les voyageurs la suivirent, traversant diverses villes, dont Adana, qui porte encore aujourd’hui le même nom. Ils arrivèrent ainsi à Tarse (figure 209-213). De là, ils franchirent le Taurus, par la célèbre voie que les Tarsiotes avaient creusée par endroits au flanc de la montagne à pic, dans le roc. Les Romains y avaient travaillé pour l’élargir et pour l’entretenir ; mais c’était néanmoins un itinéraire pénible et dangereux. Après la traversée d’un étroit défilé, les fameuses Portes Ciliciennes (figure 214, 215), les voyageurs montaient encore pour redescendre enfin vers les steppes de la Lycaonie, à travers la large bande de territoire qui reliait la Comagène à la Cilicie occidentale (Cilicie raboteuse, Cilicia tracheia ou aspera). Caligula les avait réunies sous le sceptre d’un roitelet de la Comagène, fidèle vassal de Rome, qui prit le nom d’Antiochus IV, avec Samosate sur l’Euphrate comme capitale. Déjà Auguste avait détaché la Cilicie occidentale de la Province romaine pour l’offrir à Archélaüs de Cappadoce. La Cilicie ne fut rétablie dans son intégrité que par Vespasien.
Paul retrouva les communautés fondées en dernier lieu, à la limite extrême de son premier voyage : Derbe et Lystres. Il acquit à Lystres un fidèle collaborateur en la personne de Timothée, fils d’une Juive fidèle et d’un père grec (Actes 16.1). Le jeune homme, à demi-juif, désirait sans doute être circoncis. Paul, pour bien marquer son esprit de conciliation, ne le lui déconseilla point, et, s’il faut en croire l’indication probable des Actes, il le circoncit lui-même (verset 3). De Lystres, Paul et Silas, accompagnés de Timothée, poussèrent à Iconium (figure 216, 217) et à Antioche de Pisidie. Ils publiaient et annonçaient partout la décision prise au concile de Jérusalem (verset 4).
Ensuite, lisons-nous dans les Actes, ils traversèrent la Phrygie et la région galatique (Actes 16.6). Ici se pose un problème extrêmement intéressant, mais fort embrouillé : qu’est cette région galatique ? Deux solutions opposées se présentent avec un degré presque égal de probabilité. Il convient de choisir entre elles avec prudence et retenue. On ne peut le faire sans égard à l’épître aux Galates et à son contenu.
Pendant longtemps, il était généralement admis que la contrée visitée par Paul était la véritable Galatie, habitée par de vrais Galates, c’est-à-dire par des Celtes. C’est encore l’opinion la plus répandue. Cependant, il faut signaler que, dès la fin du XVIIIe siècle, Schmidt avait fait observer que la Galatie pouvait être aussi bien la province romaine de ce nom, englobant les territoires visités par Paul et Barnabas pendant le premier voyage. Ce serait exclusivement ce pays, déjà évangélisé, que l’apôtre aurait revu au cours de son second voyage ; c’est aux églises de cette région qu’il écrirait dans son épître. Le grand succès de cette hypothèse date de Renan ; elle a été adoptée par des auteurs de tendances fort diverses, tels que Ramsay, J. Weiss, Zahn, Clemen, Pfleiderer, von Soden. Elle est dite de la Galatie du sud. L’autre thèse, plus ancienne, est celle de la Galatie du nord ; on peut citer, parmi ses partisans modernes, des auteurs aussi différents que Reuss, Godet, Mommsen, Hilgenfeld, Holsten, Lipsius, Julicher, Bousset, Blass, Moffatt, Lagrange, Loisy, Goguel (voir Galates, épître aux).
Le nom même de la Galatie (voir ce mot) est grec et dérive de celui des Gaulois qui envahirent l’Asie Mineure vers 278 avant Jésus-Christ. Les Romains les appelaient Gallogroeci, pour les distinguer de ceux qui habitaient la Gaule et l’Italie du nord. Ces Gaulois, après avoir guerroyé en Macédoine et en Thrace, passèrent en Asie Mineure, sur l’invitation de Nicomède, roi de Bithynie. Au bout d’une cinquantaine d’années de luttes et d’aventures diverses, ils finirent par se fixer dans le nord-est de la Phrygie, au milieu d’une population pacifique, et ils restèrent les maîtres du pays. Ils comprenaient trois peuplades : les Trocmées, les Tectosages et les Tolistoboges. Ces derniers étaient une branche des tribus celtes qui occupaient la région de Toulouse. Strabon donne ces détails sur leur répartition : les Trocmées occupèrent les régions du Pont et de la Cappadoce, avec Tavium pour capitale ; les Tectosages s’établirent sur le territoire voisin de la Grande Phrygie, avec Ancyre, l’Angora d’aujourd’hui, pour capitale ; les Tolistoboges occupèrent la région comprise entre la Bithynie et la Phrygie Mineure, avec Pessinus ou Pessinonte pour capitale. L’une de leurs villes, plus au sud, reçut le nom de Tolisochôrion (la petite Toulouse), et, si l’apôtre Paul est bien venu dans cette région galatique, c’est peut-être l’une des premières localités qu’il rencontra.
Le premier usage du terme Galatie est incontestablement la désignation du pays occupé par ces tribus gauloises, mêlées naturellement à une forte proportion de Phrygiens autochtones. Par la guerre ou la diplomatie, les Galates réussirent à étendre leur territoire. Vers 160 avant Jésus-Christ, ils acquirent une partie de la Lycaonie, avec Iconium et Lystres. Ils firent alliance avec les Romains sous Pompée, en 64, et leur chef Deiotarius reçut en présent la Basse Arménie. La Galatie fut divisée pendant quelque temps en deux royaumes ou deux principautés, qui furent réunies, en 36 avant Jésus-Christ, sous la domination d’Amyntas. La Galatie comprit alors, en plus du premier territoire occupé par les tribus gauloises : au nord-est, une partie de la Paphlagonie ; au sud, la Pisidie, la Pamphylie et la Lycaonie. Après la bataille d’Actium, en 31 avant Jésus-Christ, Octave donna au roi Amyntas une partie de la Cilicie, et le fit le gardien du Taurus. Amyntas gouverna selon les méthodes romaines, mais lorsqu’il mourut, en 25 avant Jésus-Christ, son vaste royaume était dans un tel état d’anarchie qu’Auguste résolut d’en transformer la plus grande partie en province romaine, et de confier le Taurus à Archélaüs, de Cappadoce. La province, gouvernée par un seul magistrat romain, fut la nouvelle Galatie. Elle comprenait la Galatie primitive, la Paphlagonie et le Pont-galatique, la Phrygie-galatique et la Lycaonie-galatique. Dès lors, la Galatie peut être entendue comme la province romaine. Faut-il l’envisager ainsi dans le passage des Actes où il est question du voyage de Paul (Actes 16.6 ; Actes 16.8) ? Nous lisons tout d’abord : « Ils traversèrent la Phrygie et la région galatique. » Ramsay, Souter pensent qu’il faut traduire : ils traversèrent « la région phrygo-galatique », c’est-à-dire la région phrygienne faisant partie de la province de Galatie, soit : la contrée qui s’étendait vers le sud-est, jusqu’à Antioche de Pisidie et Iconium. Il s’agirait uniquement des pays évangélisés par Paul et Barnabas lors du premier voyage. La conclusion paraît bien hâtive, car presque toute la Galatie romaine, y compris le premier territoire des envahisseurs celtiques, aurait pu s’appeler région phrygo-galatique. D’autre part, comme l’a fait observer J. Weiss, cette traduction est inadmissible. Il faudrait pouvoir lire : « la région galatique de la Phrygie », tandis que le texte établit une distinction nette entre la Phrygie et « la région galatique ». Cette distinction est favorable à la thèse de la Galatie du nord, cette contrée qui, depuis longtemps, se distinguait de la Phrygie et qui serait désignée sous ce nom : « la région galatique ». La suite de la phrase paraît être en accord avec ce point de vue. En effet, avec J. Weiss et la majorité des commentateurs, il convient de faire rapporter « ayant été empêchés » à ce qui précède. Ils suivirent donc cet itinéraire (Phrygie et région galatique) parce que l’Esprit les empêcha d’aller en Asie. Or, la province d’Asie, dont Éphèse était la capitale, se trouvait de toute façon sur le trajet de Paul. Elle comprenait, en plus des régions maritimes, la plus grande partie de la Phrygie, la Grande Phrygie, à laquelle fut laissée une certaine autonomie, tandis que la Petite Phrygie, dont Gordium fut autrefois la capitale, fut partagée entre la Galatie et la Bithynie. L’usage du terme « Asie » était assez lâche. Il pouvait désigner tout le continent asiatique (Philon, Strabon), la péninsule d’Asie Mineure, la province romaine, ou, simplement, la région côtière, voire même Éphèse et ses environs (cf. Actes 2.9 ; Actes 20.16-18 ; Actes 27.2 ; Tertullien, Adversus Praxean, I ; Eusèbe, Histoire ecclésiastique, V, 1.3) ; cf. J. Weiss, Kleinasien, dans RE
L’explication suivante paraît donc la plus acceptable : de Lystres et d’Iconium, les villes mentionnées dans Actes 16.1 et suivant, Paul aurait pu se rendre à Éphèse, la métropole de la province ou de la région d’Asie ; mais, toujours docile à la voix mystique, à l’Esprit qui le lui interdit, il prend la direction du nord. Il passe de la Phrygie, comprise dans la province de Galatie, à la Phrygie, incluse dans la province d’Asie ; pour l’auteur des Actes, qui ne s’attache pas à la terminologie romaine, c’est toujours la Phrygie. Suivant la route qui contourne un puissant massif de montagnes, Paul arrive à Amorion, sur la frontière de la vraie Galatie, du pays galate proprement dit. Il y pénètre. Jusqu’où ? Nous ne savons. L’expression : « ils traversèrent », qui se rapporte aussi bien à la région galatique qu’à la Phrygie, ne permet pas de préciser. Il faudrait pouvoir établir dans quel sens la région fut traversée. Paul a pu simplement parcourir le territoire le plus voisin de la Grande Phrygie, c’est-à-dire celui des Tolistoboges, par Pessinus et Germa, peut-être jusqu’à Gordium, sur le fleuve Sangarios, aux confins des deux provinces de Bithynie et de Galatie, dans l’ancienne Phrygie. L’examen de l’épître aux Galates est également nécessaire pour tirer au clair ce problème embrouillé. On y trouve des raisons pour et contre chacune des deux hypothèses, mais il semble pourtant que la thèse de la Galatie du nord soit celle qui gagne le plus à cet examen.
On trouve dans Galates 1.21 un usage régional de l’expression « Syrie », appliquée non pas à toute la Province dont faisaient également partie la Cilicie orientale et la Phénicie, mais à la région dont Antioche était la capitale. Il n’est donc pas exact, comme on l’a prétendu en en tirant argument contre la thèse de la Galatie du nord, que Paul s’en tienne aux désignations officielles. On peut estimer, par analogie, que la Galatie, c’est pour lui la vraie, celle des Celtes, comme la Syrie, c’est la vraie, celle de Damas et d’Antioche. Barnabas est mentionné dans Galates 2, et l’on a dit : il ne peut l’être que s’il s’agit de la Galatie du sud, puisque c’est la seule qu’il ait parcourue. Mais il est cité à côté de Pierre, et englobé dans le même blâme, et c’est la seule fois dans la lettre. Paul, s’adressant à des églises qui certainement gardaient à Barnabas, l’un de leurs fondateurs, une vive gratitude, aurait eu plus de tact. De même, il n’aurait pas prétendu être le seul fondateur des églises galates. La mention de Barnabas implique simplement qu’on a entendu parler de lui comme de Pierre d’ailleurs, et l’argument se retourne contre la thèse de la Galatie du sud. On a invoqué encore Galates 2.5, où Paul écrit à ses lecteurs qu’il a tenu bon pour eux à la conférence de Jérusalem, et l’on a dit : c’est que ces gens ont été convertis au cours du premier voyage, avant cette conférence. Mais il est permis de penser que l’on a affaire ici à un jugement plus général. À Jérusalem, Paul a tenu bon pour tous les pagano-chrétiens : passés, présents et à venir. Dans Galates 4.14, Paul rappelle à ses lecteurs qu’ils l’ont reçu comme un ange de Dieu, et l’on a dit : c’est une allusion à l’épisode de Lystres ; Paul a été pris pour Hermès, le messager des dieux. Mais, dans le texte, Paul ne blâme pas ses lecteurs de l’avoir ainsi reçu ; il les en félicite. Telle ne fut pas son attitude à Lystres, où l’accueil des habitants lui apparut comme un sacrilège.
Dans Galates 4.13, Paul déclare que c’est à cause d’une maladie qu’il a, pour la première fois, évangélisé les Galates. Ce détail ne cadre nullement avec le récit du premier voyage missionnaire. Dans Galates 4.14, Paul rappelle à ses lecteurs, pour faire honte à leur tiédeur présente, qu’ils l’ont reçu avec enthousiasme. Tel ne paraît pas avoir été le cas au cours du premier voyage missionnaire, où Paul a rencontré partout, au milieu de succès certains, une très violente opposition. Le thème principal de la lettre implique que les destinataires étaient en grande majorité païens, ce qui paraît plus facile à imaginer en Galatie celtique, où les juifs étaient rares, qu’en Galatie du sud, où les colonies juives étaient nombreuses et constituèrent le premier terrain de l’évangélisation paulinienne. Enfin, l’usage de la tutelle sous la forme indiquée dans Galates 4.2 était à la fois galate et romain, mais pas grec. Il pouvait donc être invoqué plus utilement dans la Galatie celtique que dans les régions du sud, de culture hellénistique.
Entre les deux thèses, celle de la Galatie du nord ous paraît donc la plus sûre. Mais il faut reconnaître que la relation des Actes comporte de sérieuses lacunes et que, de toute manière, on ne peut les combler sans faire une large part à la conjecture. La suite du récit nous conduit, sans transition, très à l’ouest du territoire des Galates, sur les confins de la Mysie, d’où Paul esquisse une pointe vers la Bithynie. Pourquoi n’aurait-il pas essayé d’y aller de la Galatie qui y confine ? Mystère, qui n’est d’ailleurs pas le seul. L’étrangeté d’un itinéraire n’est pas une raison suffisante pour le déclarer impossible, surtout quand le voyageur est un homme qui ne s’est pas fixé un plan ne varietur, mais qui se laisse guider pas ses inspirations. C’est bien ce qui est arrivé. Nous lisons, en effet, dans les Actes que Paul, Silas et Timothée, arrivés en Mysie, essayèrent de se rendre en Bithynie ; mais « l’esprit de Jésus ne le leur permit pas ». Il convient d’ailleurs de faire observer, une fois de plus, que le récit des Actes utilise couramment les désignations régionales (Phrygie, Galatie, Mysie, Asie) et que la région de Bithynie, sujette comme d’autres à bien des variations au cours d’une histoire troublée, ne recouvrait pas la province de ce nom. Cette simple considération fait aussi mieux comprendre les brèves indications des Actes sur l’itinéraire paulinien. Paul et ses compagnons se dirigent alors vers la mer Égée, à travers la Mysie. Ils suivent la vallée du Scamandre, longent les pentes boisées de l’Ida, pour aboutir enfin à Troas.
Alexandreia Troas était l’une des plus importantes cités de la province d’Asie. Fondée par Antigone, à une distance assez considérable des ruines de l’antique Troie, elle prit un rapide essor avec Lysimaque en 300 avant Jésus-Christ. Elle devint cité libre sous les monarques Séleucides et le resta sous la domination romaine. Croyant à leur origine troyenne, suivant la légende d’Énée chantée par Virgile, les Romains la favorisaient. Au dire de Suétone, Jules César aurait même songé à y transférer la capitale de l’Empire. Auguste en fit une colonie romaine.
Il est probable que Paul prêcha l’Évangile à Troas et qu’il y constitua une Église ; mais il est probable aussi que des chrétiens s’y trouvaient déjà lorsqu’il arriva. C’est là que Paul rencontra Luc, le médecin, dont le récit, à la première personne du pluriel, commence aussitôt après dans le livre des Actes. On a supposé, mais sur un bien faible indice, que Paul fut l’hôte de Carpus, mentionné en ces termes dans 2 Timothée 4.13 : « Le manteau que j’ai laissé à Troas chez Carpus, apporte-le ! »
C’est à Troas que Paul eut la vision du Macédonien. Dans un rêve ou, simplement, dans une vision nocturne, Paul vit, sans doute, un homme vêtu d’une chlamyde et portant un chapeau à coiffe haute, à larges bords, suivant l’usage macédonien. Cet étranger lui dit : « Passe en Macédoine ; viens nous secourir ! » Ramsay a supposé que ce Macédonien était le médecin Luc (voir Luc, paragraphe 1) ; c’est ensuite, en effet, que le récit des Actes, dont la composition est attribuée à Luc, commence à utiliser la première personne du pluriel (premier « fragment nous », du départ de Troas à Philippes inclus). Mais ce n’est pas une raison suffisante. D’ailleurs, d’une part il n’est pas du tout certain que Luc fût macédonien ; la tradition, contestable il est vrai, veut qu’il fût d’Antioche ; d’autre part il est peu probable que, dans cette éventualité, il portât le costume provincial. Si Paul est venu à Troas au terme de l’Asie, face à l’Europe, c’est que, depuis quelque temps déjà, il se sentait poussé à évangéliser l’Occident. Ce n’est pas tout d’un coup que cette idée a surgi dans son esprit, mais graduellement. Elle a gagné le subconscient, d’où le rêve ou la vision a surgi, pour traduire et pour éclairer une décision profonde, prise en collaboration avec l’Esprit, engageant la personne et la vie irrévocablement. La valeur de ces visions ou rêves-vocations est de révéler et, en même temps, d’affirmer, de fortifier, des états intérieurs. La vision du Macédonien ne crée pas la vocation nouvelle de l’apôtre, mais elle la scelle en la manifestant et en la confirmant. Aussi, immédiatement après (aussitôt), Paul cherche à passer en Macédoine (Actes 16.10).
Le voyage de Troas à Néapolis, le port le plus voisin de la côte macédonienne, s’effectua en deux jours, la durée minima. Lorsque plus tard, se dirigeant vers Jérusalem, Paul fit le voyage inverse, il lui fallut cinq jours (Actes 20.6). La rapidité de ce premier voyage s’explique par l’action combinée des vents du sud et de la brise des Dardanelles. Ainsi, pendant toute la traversée, le navire a le vent en poupe. En une journée, les voyageurs naviguent droit sur Samothrace, qui était, à l’époque, l’un des foyers des cultes à mystères. Mais Paul ne s’en soucie point. Son but est la Macédoine, et dès le lendemain le voyage reprend, se poursuit et s’achève dans les mêmes conditions favorables.
Néapolis, aujourd’hui Cavalla, était bâtie sur un promontoire avec un double port, de part et d’autre. La via Egnatia, l’une des grandes voies impériales, y aboutissait. Elle partait de Dyrrachium, la Durazzo d’aujourd’hui, sur l’Adriatique et passait par Lychnidas (aujourd’hui Ochrida, sur le lac du même nom), Thessalonique, Amphipolis et Philippes. Il en reste encore des traces : l’une des routes principales de l’Albanie et de la Macédoine grecque emprunte son parcours ; elle s’appelle encore, en traversant la Salonique actuelle, rue Egnatia.
Paul et ses compagnons ne s’arrêtèrent pas à Néapolis, mais, empruntant la voie Egnatia, ils firent route vers Philippes, la grande ville de la région, à une douzaine de km. La route s’élève d’abord rapidement sur une pente abrupte, pour aboutir à un plateau d’où, bientôt, l’on découvre la vallée du Gangas, affluent du Strymon et, dans le lointain, au fond de la vallée, Philippes.
Philippes, comme son port Néapolis, était de fondation athénienne et s’appelait Cranides. Ses habitants exploitaient les mines d’or du mont Pangée, qui domine la cité. En 358, Philippe de Macédoine mit la main sur cette ville, dont l’or l’intéressait autant que la situation d’ailleurs très favorable et vraiment stratégique. La cité de Philippes devint romaine en 168. Jusqu’en 146, la Macédoine comprit quatre districts si bien séparés qu’un habitant de l’un ne pouvait ni posséder ni se marier dans l’autre. Mais, en 146, la Macédoine devint province romaine et son régime intérieur se trouva unifié.
Philippes n’était la capitale ni de la Macédoine ni même du district auquel elle fut rattachée en 168. On lit pourtant dans le texte non ponctué des Actes : (Actes 16.12) « qui est la première du district de Macédoine ville colonie ». Faut-il corriger avec Blass, appuyé par Goguel : « ville du premier district de Macédoine » ? Il est toujours téméraire de corriger un texte, et on ne doit le faire qu’à la dernière extrémité. Faut-il traduire, ce qui n’a guère de sens : « la première ville de Macédoine, que l’on rencontre en venant de Néapolis » (Lechler, Reuss) ? Hillard imagine que Philippes était alors le centre administratif de ce district, ce qui est une erreur, car d’une part ce centre était Amphipolis, d’autre part Philippes était sous un régime particulier. C’est là qu’Antoine et Octave avaient remporté la victoire sur Brutus et Cassius, en 42 avant Jésus-Christ. Cette année même, Philippes avait été érigée en « colonie de droit italique » (colonia juris italici). Les généraux vainqueurs y établirent un grand nombre de leurs vétérans. Après Actium, en 31 avant Jésus-Christ, Auguste y envoya un nouveau contingent. Avec sa population latine prédominante, avec son administration autonome, Philippes représentait, en terre grecque, la cité romaine, « la première ville coloniale de la province de Macédoine ». C’est bien ainsi qu’il convient de traduire, avec Meyer, Holtzmann, Barde, etc.
Les missionnaires étaient arrivés à Philippes un jour de semaine. Ils attendirent le premier sabbat pour annoncer l’Évangile. Faute de synagogue, les quelques Juifs et les prosélytes se réunissaient au bord de la rivière Gangas, à environ 2 km de la ville. Paul et ses compagnons s’y rendirent par la voie Egnatienne, encore visible de nos jours ; ils franchirent ainsi le champ de bataille de Philippes et passèrent sous l’arc de triomphe élevé par les vétérans en mémoire de cet événement ; on en voit encore les piliers. Peu après, ils arrivèrent sur les bords du Gangas et ne trouvèrent que quelques femmes réunies. Parmi ces femmes, il y avait une prosélyte originaire de Thyatire : Lydie, marchande de pourpre. Elle fut gagnée par la prédication de l’Évangile et ouvrit sa maison aux missionnaires. Elle se fit baptiser avec tous les siens.
On ne sait pas combien de temps Paul et ses compagnons restèrent à Philippes. Les Actes nous donnent seulement quelques détails sur l’issue de ce séjour. La prédication de l’apôtre ne fut pas sans succès, et les liens d’affection qui l’unirent toujours à l’Église de Philippes montrent que son action fut profonde sur la première communauté chrétienne d’Europe. Quelque temps après, comme les missionnaires allaient au lieu de réunion et de prière, ils rencontrèrent une jeune fille, une jeune esclave qui leur donna des marques bruyantes d’approbation. Elle avait un don de seconde vue et prédisait l’avenir. Elle pouvait, sans doute, changer sa voix, et parler comme si les sons venaient d’une autre personne ou d’un autre monde. On disait qu’elle avait un esprit Python, comme la prophétesse d’Apollon, la Pythie de Delphes. Ses maîtres exploitaient habilement cette veine ; la jeune servante, attirée sans doute par la prédication de l’apôtre, renouvela souvent ses témoignages d’admiration, si bien que Paul, obsédé et peut-être indigné par les louanges de cette pauvre malade, que l’on considérait comme une possédée, intima l’ordre à l’esprit malin de la quitter. À la parole soudaine, impérieuse de l’apôtre parlant au nom de Jésus-Christ, la jeune fille fut effectivement libérée ; du même coup, ses talents anormaux disparurent. Les maîtres de la servante, voyant avec cette guérison s’évanouir une source de gain, voulurent se venger de Paul et de ses compagnons. Prétextant l’intérêt général, ils ameutèrent la foule contre ces étrangers qui cherchaient à ruiner les coutumes locales et la religion officielle en introduisant un nouveau culte ; ils les rendirent odieux à la foule romaine, en révélant leur qualité de Juifs, car c’était peu après la promulgation de l’édit de Claude. Paul et Silas furent saisis et traînés devant les magistrats, les duumvirs, qui les condamnèrent à la fustigation. La sentence exécutée, Paul et Silas furent jetés en prison. Les Actes racontent leur délivrance merveilleuse pendant la nuit, et la conversion du geôlier. Certains auteurs, dont Goguel, considèrent que presque tous les détails de l’arrestation, de l’emprisonnement et de la délivrance de Paul sont inventés. Leur argumentation repose sur l’impression que la logique du récit laisserait à désirer. La condamnation de Paul et de Silas ne serait pas motivée par le dommage causé aux maîtres de l’esclave guérie, mais par l’accusation d’avoir prêché, étant Juifs, des opinions contraires aux usages romains. C’est le crime contre la religion d’État qui leur est reproché. Donc, l’histoire de la pythonisse est inventée. De même pour l’épisode de la délivrance merveilleuse, qui ne jouerait aucun rôle dans la marche des événements. Les excuses des magistrats, le lendemain, lorsqu’ils apprennent que Paul et Silas sont citoyens romains, résulteraient d’une transposition des faits. En réalité, on se trouverait devant un simple arrêté d’expulsion. Ces conjectures ne sont pas plus probables que le récit lui-même, car les événements se déroulent rarement suivant un plan d’une logique parfaite, et les règles de l’unité de temps et d’action sont si souvent violées que leur observation serait plutôt un signe de composition artificielle et devrait être tenue pour suspecte. La déviation du chef d’accusation se conçoit d’ailleurs très bien comme une habileté des maîtres de l’esclave.
Après avoir reçu les excuses des duumvirs, Paul et Silas allèrent à la maison de Lydie et y exhortèrent les frères convoqués. Puis ils se mirent en route sur la voie Egnatia, vers l’ouest, passant ainsi à l’endroit où ils se réunissaient pour la prière, sur les rives du Gangas. Luc et Timothée restaient à Philippes pour y poursuivre l’œuvre missionnaire. La voie Egnatia, pavée sur ce parcours avec des dalles de marbre, traverse une plaine fertile et atteint la vallée du Strymon. C’est là, sur un rocher presque environné par le fleuve, que s’élevait la ville d’Amphipolis, la capitale du district oriental de la province de Macédoine. Située à un carrefour important de routes, son nom primitif était Ennea Odoï = les 9 chemins. Lorsqu’il traversa la ville, Xerxès fit enterrer vivants 9 jeunes gens et 9 jeunes filles, un couple par chemin. C’est à Amphipolis qu’après sa victoire sur Persée Paul-Émile accorda la liberté aux Macédoniens, en l’an 168 avant Jésus-Christ. Les Actes paraissent indiquer que les missionnaires ne firent que passer et ne s’arrêtèrent pas jusqu’à Thessalonique (Actes 17.1). Le fait que 1 Thessaloniciens 1.7 ; 1 Thessaloniciens 4.10 mentionnent des croyants dans toute la Macédoine ne s’oppose pas nécessairement à ce détail, auquel il est permis d’ajouter foi.
De la via Egnatia, après Amphipolis, on apercevait, sur l’autre bord du golfe du Strymon, la Stagyre chalcidienne, où naquit Aristote, et peut-être le tombeau d’Euripide, au croisement du chemin qui conduit vers le lac de Volvi. La voie passait à une certaine distance des lacs de Volvi et de Basilia (Aig Vasil), grandes lagunes, aux abords marécageux, où viennent se baigner des buffles à demi-sauvages.
Les missionnaires passèrent à Apollonie, peut-être la Pollina d’aujourd’hui ; puis, traversant le plateau aride de la Chalcidique, ils poursuivirent leur route vers Thessalonique. Ils découvrirent, d’une hauteur, la rade immense, prolongement du golfe Thermaïque, avec ses eaux généralement calmes et d’un bleu intense. La ville s’étage en arc de cercle au flanc de la colline abrupte, dans la blancheur de ses maisons à terrasses, que le soleil fait resplendir. De l’autre côté du golfe, vers l’ouest et souvent dans la brume, s’étendent les marais de l’Axios. Vers le sud-ouest, enfin, couronnant tout ce paysage, la masse prodigieuse de l’Olympe : elle s’élève à 3 000 m au-dessus de la mer, d’où elle paraît jaillir. Sa base et sa région moyenne sont généralement enveloppées de nuées, si bien que la cime neigeuse semble flotter dans l’azur du ciel, très haut pardessus l’azur de la mer. On comprend que les Grecs aient fait de cette cime éthérée, qui paraît suspendue aux cieux, la demeure des dieux immortels.
La ville fut fondée par Cassandre, beau-frère d’Alexandre le Grand, qui lui donna le nom de sa femme : Thessalonique (ainsi nommée par son père, Philippe, en souvenir d’une victoire en Thessalie : Thessalo-nikê). Lorsqu’en 146 la Macédoine devint romaine, Thessalonique fut la capitale du second district et, plus tard, la capitale de la province entière. Cicéron y fut quelque temps en exil. La victoire d’Antoine et d’Octave à Philippes sauva Thessalonique du pillage promis aux soldats de Brutus et de Cassius par leurs chefs. Délivrée et promue au rang de ville libre, la cité reconnaissante éleva aux vainqueurs un arc de triomphe. Ce n’est pas celui que l’on peut voir, en assez bon état, à l’extrémité orientale de la rue Egnatia et qui date seulement de Galère, mais celui dont les ruines se dressaient encore, il y a une cinquantaine d’années, à l’extrémité occidentale de la même rue, la porte du Vardar. Des bas-reliefs représentaient des personnages consulaires drapés dans leurs toges. Une inscription grecque, actuellement au British Muséum, donnait les noms des sept magistrats ou politarques, désignation qui se trouve justement dans le livre des Actes (politarkhaï, traduction magistrats, 17.6). Détail curieux, 4 des 7 politarques énumérés portaient des noms que l’on retrouve dans les Actes ou les épîtres comme désignant des amis ou compagnons macédoniens de Paul.
Au temps de Paul, Thessalonique (voir ce mot) était une grande cité commerciale et cosmopolite. La colonie juive, qui devait au XVe siècle devenir prépondérante avec l’afflux des émigrants chassés d’Espagne par la persécution d’Isabelle de Castille et de Ferdinand d’Aragon, était déjà nombreuse et prospère.
La durée du séjour de Paul à Thessalonique n’est pas indiquée nettement. On lit simplement (Actes 17.2) que l’apôtre discuta avec les Juifs trois sabbats. On peut se demander, avec Lake et Moffatt, si ces trois sabbats ne se rapportent pas uniquement à l’enseignement de Paul dans la synagogue, sans que la durée totale du séjour soit par là spécifiée. Paul était avec Silas ; Timothée n’est pas mentionné, soit qu’il fût resté à Philippes, soit qu’il ait eu à Thessalonique un rôle effacé. L’apôtre fut reçu par un Juif du nom de Jésus, qui se faisait appeler Jason. Paul recruta des adeptes non seulement parmi les Juifs, mais encore et surtout parmi les païens (cf. 1 et 2 Thessaloniciens). Son séjour fut assez long pour qu’il pût avoir cette action et aussi pour qu’il reçût à deux reprises un présent des Philippiens (Philippiens 4.16) ; ce séjour dura donc probablement plus de deux ou trois semaines. Les circonstances du départ de Paul sont rapportées brièvement par les Actes. Les Juifs ameutèrent la basse plèbe, qui manifesta devant la maison de Jason. Paul et Silas n’étaient pas là. Jason et quelques frères furent appréhendés et conduits devant les politarques, sous l’accusation insidieuse d’annoncer un autre roi que César : Jésus (Actes 17.7). La résidence du propréteur était voisine ; l’autorité romaine pouvait être informée ; c’est d’elle que dépendaient les libertés de la cité. Les politarques furent émus comme la foule. Mais ils virent à qui ils avaient affaire, des deux parts. Ils ne voulurent pas sacrifier à des vauriens des citoyens honorablement connus ; ils relâchèrent les accusés, après avoir exigé d’eux une caution, par mesure de prudence. Craignant sans doute un nouveau complot, les frères, émus pour leurs missionnaires, eux-mêmes inquiets pour la communauté naissante, les firent partir de nuit pour Bérée (Actes 17.10).
C’était sans doute l’automne de l’année 50. Paul et Silas quittèrent la ville par la porte occidentale et se trouvèrent bientôt dans la grande - steppe marécageuse de l’Axios, le Vardar actuel. C’est l’une des régions les plus malsaines du monde. Le paludisme y sévit sous des formes graves et souvent pernicieuses. C’est là que l’armée de Xerxès fut battue à l’avance, en y campant ; les guerriers d’Athènes et de Sparte n’eurent qu’à achever la défaite. Pareille aventure faillit arriver en 1916 à l’armée française d’Orient ; mais la science moderne maniée avec énergie et méthode permet une défense efficace, là où les anciens étaient désarmés. Les missionnaires quittèrent bientôt la via Egnatia ; ils obliquèrent à gauche, vers le sud-ouest, gagnant les contreforts de l’Olympe, qui, après le désert empesté de l’Axios, sont un paradis. En deux journées de marche, ils arrivèrent ainsi, par une région de plus en plus accidentée, sur le plateau verdoyant de Bérée (aujourd’hui Verria). Cette ville reculée, comme l’appelle Cicéron, n’était pour Paul qu’une retraite provisoire, et son éloignement de Thessalonique une épreuve (1 Thessaloniciens 2.18), dont il sut tirer le meilleur parti, en évangélisant. Il le fit d’abord à la synagogue et reçut un accueil favorable. Des Juifs et des païens, dont quelques femmes grecques de haut rang, se convertirent. Tout allait bien, quand les Juifs de Thessalonique avertis se hâtèrent d’intervenir. Paul, spécialement visé et plus compromettant pour la communauté, partit, laissant Silas et Timothée pour continuer l’œuvre entreprise. Il fallait, cette fois, quitter la Macédoine. Paul se rendit à Athènes, sans doute par la voie de mer (Actes 17.14 ; et cod. D, verset 15) : le texte habituel paraît déjà l’impliquer ; le texte occidental est explicite ; il y a donc peu de raison d’en douter. Il n’était pas indispensable de s’embarquer à Thessalonique, que Paul devait naturellement éviter. L’apôtre a pu partir de l’un des petits ports de la rive occidentale du golfe Thermaïque (peut-être Méthone), ou gagner tout de suite un port plus important, d’où il s’est embarqué pour Athènes. Le trajet habituel consistait à longer les côtes de la Thessalie et de l’Eubée à l’Est, à doubler le promontoire de l’Eubée et le cap Sunion, pour débarquer au Pirée, le principal port d’Athènes (voir ce mot).
La ville de Thémistocle et de Périclès avait sans doute beaucoup perdu de sa gloire passée. Les légions de Sylla l’avaient mise au pillage, mais sans la détruire. Ses admirables monuments avaient été respectés. Pendant longtemps encore elle resta, des cités de l’intelligence, la plus renommée. Cicéron, Brutus, Antoine, Horace, Virgile y étudièrent. Elle demeura ville libre.
De la culture grecque, dont il avait bénéficié à Tarse, Paul pouvait apprécier les beautés. Le sceptique Renan et le catholique Baumann s’accordent à penser que Paul n’avait pour elles aucun sens et qu’il les considérait en barbare. Ce n’est pas du tout certain. Son indignation, son exaspération, que mentionne Actes 17.16, parce qu’il voit toute la ville sous les idoles, n’est pas nécessairement d’un iconoclaste, mais d’une âme religieuse, qui voit le moins de religion là où devrait en régner le plus. Cet état d’esprit est d’ailleurs fort bien rendu par l’admirable discours de l’Aréopage. Paul a su découvrir, dans toutes les manifestations du paganisme, l’élan secret, l’aspiration profonde, ce qui vient de Dieu et ce qui va vers Dieu. Peut-être a-t-il médité sur l’autel de la Pitié, que seuls d’entre les peuples les Athéniens avaient dressé. Il s’est arrêté un jour devant l’inscription : Au dieu inconnu ! Elle a été pour lui un trait de lumière et lui a fourni l’exorde de sa prédication. Loisy pense que l’inscription devait être au pluriel, « aux dieux inconnus », et il invoque Pausanias ; mais Diogène de Laërte, dans sa Vie d’Êpiménide, mentionne des autels « au dieu inconnu » ; le singulier, comme le pluriel, pouvaient se rencontrer à Athènes (voir Dieu inconnu).
Bien que les Juifs fussent peu nombreux, c’est parmi eux que, suivant sa coutume, Paul a commencé à évangéliser. Il ne semble pas qu’il ait eu grand écho, ni grande opposition. L’indifférence du milieu avait peut-être gagné sur eux. Paul s’adresse directement aux païens. Il se mêle à la foule des flâneurs sur la place publique ; il engage la conversation avec eux ; il réussit à éveiller leur intérêt peut-être amusé. « Que nous veut ce moineau (cet oiseau qui ramasse des graines, ce bavard, ce diseur de riens) ? » disent-ils (voir Discoureur). Pour en avoir le cœur net, on le conduit sur l’Aréopage et on le met en demeure de s’expliquer… C’est alors que Paul prononce le discours qui, suivant Harnack, porte bien la marque de son génie et a été reconstitué d’après des données sûres. C’est un exemple typique de la méthode missionnaire positive, constructive, chère à l’apôtre : il se fait tout à tous, pour en gagner quelques-uns à Christ. Pourtant, l’esprit léger des Athéniens ne ménagea que peu de succès à cette parole profonde. La plupart se moquèrent dès qu’il fut question de résurrection, et Paul dut achever sans doute assez brusquement. Le milieu n’était pas favorable à la foi. Pendant longtemps, les Athéniens restèrent réfractaires ; plus d’un siècle après, devenus chrétiens, ils se rétractaient en masse, trop peu convaincus pour lutter jusqu’au sang.
Paul quitta bientôt ce terrain peu propice pour un milieu plus favorable : Corinthe. Il s’y rendit probablement par terre. C’était un voyage de deux jours. La route longe la mer par Eleusis et Mégare ; puis elle suit la haute falaise de l’isthme resserré, que perce maintenant un canal. À l’extrémité de l’isthme, entre les deux mers, s’élève une colline abrupte, au flanc de laquelle s’étage Corinthe, du côté du golfe (voir Corinthe). Paul y arriva sans doute vers la fin de l’année 50. Il se sentait fatigué, déçu par son insuccès d’Athènes, et peut-être malade (1 Corinthiens 2.3). Baumgarten, Barde ont supposé qu’il fit alors le vœu de ne pas se couper les cheveux, en signe d’humiliation, jusqu’à son départ de Corinthe. Clemen explique différemment le passage invoqué : (Actes 18.18) Paul aurait fait le vœu de se raser la tête s’il réussissait à Corinthe. D’après Neander et Reuss, il s’agirait, au départ de Corinthe, non de l’accomplissement, mais de l’inauguration d’un vœu : celui de ne pas se raser de nouveau avant l’arrivée en Palestine. Cette substitution de l’avenir au passé paraît peu conforme à l’usage grammatical. Par contre, ce même usage permet fort bien, comme l’ont vu Stokes et Goguel, d’attribuer le vœu ainsi réalisé, non à Paul, mais à Aquilas. Dans les deux cas, d’ailleurs, la construction est lourde, et l’incidente curieusement amenée. S’il s’agit d’Aquilas, dans une histoire dont Paul est le héros, ce détail est étrange ; s’il s’agit de Paul, tel qu’on le connaît, il l’est peut-être davantage. Sans méconnaître l’intérêt des circonstances atténuantes invoquées en faveur de Paul, il paraît préférable de plaider pour lui non coupable et, puisque la chose est possible, de ne pas attribuer cette faiblesse à un homme de sa valeur et de son esprit.
Les débuts de l’activité de Paul à Corinthe furent facilités par la connaissance qu’il fit d’Aquilas et de Priscille. Chassés de Rome par l’édit de Claude, en 49, ils étaient à Corinthe depuis un an (voir Aquilas). Un intérêt commun pour l’industrie des tentes les rapprocha de Paul, qui vint habiter chez eux (Actes 18.3) ; ils purent collaborer dans le travail matériel comme dans l’activité spirituelle. Il est probable qu’Aquilas, qui possédait une maison à Éphèse, n’était pas, comme Paul, un modeste artisan, mais un riche commerçant de tentes. Paul exerçant son état, mais fidèle à son apostolat, se mit à annoncer l’Évangile. Il commença par la synagogue (Actes 18.4), suivant sa méthode habituelle ; puis, l’opposition s’étant manifestée, il se tourna vers les Gentils (verset 6 ; cf. 1 Thessaloniciens 2.16).
Carte : 2° Grand voyage
Antioche de Syrie ; séparation de Paul et Barnabas. Voyage (Actes 15.36-40) en Syrie-Cilicie. Derbe (Actes 15.41), Lystre, Iconium, Antioche de Pisidie. Traversée (Actes 16.1-5) de la Phrygie et du pays galatique (Actes 16.6), probablement par Amorium, Pessinus, Germa, Gordium. Traversée de la Mysie ; arrivée à Troas (Actes 16.7), — Troas ; appel du Macédonien. Départ (Actes 16.8 ; Actes 16.10) de Troas ; Samothrace ; débarquement à Néapolis. Séjour (Actes 16.11) à Philippes. De (Actes 16.12 ; Actes 16.40) Philippes à Thessalonique par Amphipolis et Apollonie. Thessalonique. Bérée. De (Actes 17.1 ; Actes 17.1 ; Actes 17.9 ; Actes 17.10 ; Actes 17.14) Bérée à Athènes par mer (Actes 17.14), peut-être de Méthone. Athènes. Corinthe. Corinthe (Actes 17.15-34, Actes 18.1-17) Cenchrées, Éphèse, Césarée. De (Actes 18.18-22) Césarée, sans doute, à Antioche, par mer, après crochet possible à Jérusalem (Actes 18.22).
Le succès de sa prédication et l’amitié d’Aquilas et Priscille fixèrent Paul à Corinthe. Lorsque Silas et Timothée le rejoignent (Actes 18.5), il ne songe plus à partir. Il écrit en 51 la première des lettres que nous ayons de lui : 1 Thessaloniciens (voir article). Peu après l’arrivée de Silas et de Timothée, Paul rompt avec la synagogue (Actes 18.6) ; mais il ne cesse pas de faire du prosélytisme parmi les Juifs. Preuve en est l’incident qui précéda de peu son départ de Corinthe. Il est même possible qu’un complot ait été déjà fomenté contre Paul peu après la rupture (Actes 18.9 et suivant). L’ordre du récit des Actes paraît indiquer que Paul vint alors habiter chez Titius Justus. On a supposé que Priscille et Aquilas n’avaient pas la place de le loger. La maison de Titius était proche de la synagogue. Sans doute faut-il y voir plus qu’une coïncidence. Paul s’est établi là dans l’intention tactique d’atteindre plus aisément les familiers de la synagogue déjà touchés ou ébranlés par la prédication chrétienne. La maison de Titius Justus devint comme une synagogue chrétienne dressée en face de la synagogue juive. Le succès fut considérable. L’archisynagôgos lui-même, celui qui présidait les cérémonies et qui recueillait les aumônes, qui veillait à l’observation de la loi, Crispus et toute sa maison se rallièrent à la synagogue chrétienne. C’est peut-être après cet événement que les irréductibles complotèrent contre Paul et qu’il eut besoin d’être rassuré par le Seigneur (Actes 18.9 et suivant). Sa prédication atteignit d’autres milieux très différents, et il semble que l’élément prédominant fut la plèbe païenne (1 Corinthiens 1.26), où se trouvaient beaucoup d’esclaves et d’affranchis. D’après Athénée (IIIe siècle après Jésus-Christ), il y aurait eu 400 000 esclaves à Corinthe. Rien d’étonnant qu’une communauté aussi mêlée, dans une ville dont la corruption était proverbiale, ait donné plus tard les plus graves sujets d’inquiétude à l’apôtre (voir Corinthiens). Les méthodes missionnaires de Paul ont peut-être subi à Corinthe une modification. L’échec partiel d’Athènes, où pourtant sa dialectique s’était surpassée, lui avait montré la faiblesse des arguments et des raisonnements en certaines occasions. Il ne croit plus à la sagesse humaine, à sa propre sagesse, ou en tout cas moins que jamais ; il s’oublie entièrement lui-même ; il ne veut plus savoir que Jésus-Christ, Jésus-Christ crucifié (1 Corinthiens 2.1 et suivant). Commencée dans la faiblesse, sa prédication a été une prédication d’esprit et de puissance. Il a fait l’expérience paradoxale et décisive dont il parle dans 2 Corinthiens 12.10 : « Quand je suis faible, c’est alors que je suis fort ! » Il semble aller de soi que sa prédication ne s’est pas limitée à la description et aux leçons de la croix. Il affirme simplement que la croix est mise plus que jamais au centre de ses préoccupations et de son enseignement. Ses deux lettres aux Corinthiens supposent des connaissances religieuses étendues et approfondies et, en particulier, un usage courant de l’Ancien Testament. Si l’on songe que Paul s’adresse à une communauté formée en majorité d’anciens païens, on se rend compte de l’effort assidu, intense et persévérant d’instruction et d’éducation qu’il a dû fournir pour mener ses lecteurs à de telles connaissances ; on se persuade aisément que sa prédication a été riche et variée, autant que profonde et forte.
Paul resta un an et demi à Corinthe. Même si les 18 mois dont il est fait mention ne se rapportent qu’à la durée de l’enseignement dans la maison de Titius Justus, il faudrait sans doute en ajouter seulement quelques-uns pour avoir la durée totale du séjour de Paul à Corinthe. Vers la fin, Paul écrit une seconde lettre aux Thessaloniciens. Les circonstances de son départ sont relatées dans les Actes (Actes 18.12 ; Actes 18.18). La haine des Juifs n’avait pu que s’accroître dans la mesure où les succès de Paul étaient plus grands, non seulement à Corinthe, mais dans la région : (cf. 2 Corinthiens 1.1) à Cenchrées, le port de la mer Égée, et peut-être jusqu’à Patraï, la Patras d’aujourd’hui qui était alors la seule ville importante du Péloponèse en dehors de Corinthe.
Au printemps de 52 vint à Corinthe un nouveau proconsul, Junius Gallion, le frère de Sénèque, renommé pour son amabilité et pour sa distinction. Les Juifs crurent le moment venu d’agir, en mettant à profit l’inexpérience présumée du nouveau magistrat. Ils se saisirent de Paul et le traînèrent au tribunal, en l’accusant de faire de la propagande contre le judaïsme. Gallion, s’il avait pris cette accusation au sérieux, aurait pu édicter contre Paul une peine sévère ; mais il refusa d’y voir autre chose qu’une plainte ridicule et sans objet. Il renvoya les accusateurs et ne fit pas un signe lorsque les assistants infligèrent à Sosthène, le nouveau chef de la synagogue, qui avait présenté la plainte, une correction méritée (Actes 18.17). Paul venait d’échapper à un danger réel. Peut-être fut-il informé que les Juifs exaspérés complotaient de nouveau contre lui. Toujours est-il que, quelque temps après, il se décida à quitter Corinthe. Il partit avec Aquilas et Priscille, peut-être aussi avec Silas et Timothée. Il se rendit à Cenchrées, où se place l’exécution d’un vœu qu’il est permis d’attribuer à Aquilas plutôt qu’à lui (voir plus haut).
Paul et ses compagnons s’embarquèrent à Cenchrées. Ils firent voile vers Egine, le cap Sunion, les Cyclades et arrivèrent à Éphèse. Priscille et Aquilas restèrent à Éphèse. L’apôtre ne fit que toucher terre. Il en profita cependant pour prêcher une fois dans la synagogue ; mais il ne céda point à la démarche des Juifs qui le pressaient de rester plus longtemps. Il partit, en promettant de revenir (Actes 18.21). Le navire fit voile vers Césarée, où il ne semble pas que Paul ait séjourné. Est-il alors monté à Jérusalem ? Le mot Jérusalem, que l’on trouve ici dans diverses traductions, n’est pas dans le texte (Actes 18.22). D’autre part, les verbes monter et descendre ne peuvent guère se rapporter ici qu’à la capitale. Toujours est-il que l’apôtre repartit bientôt pour Antioche, où son séjour se prolongea un certain temps (Actes 18.23).
Paul dut passer à Antioche l’hiver 52-53. Il repartit, sans doute dans le courant de l’année, pour un troisième voyage missionnaire. Si l’on en juge d’après le texte occidental (Actes 19.1, manuscrit D), Paul avait l’intention de parcourir les régions d’Asie Mineure, qu’il avait déjà évangélisées, et d’aller ensuite à Jérusalem, laissant pour plus tard la réalisation de son projet de séjour à Éphèse. Mais ici, une fois de plus, sa volonté propre devait céder à la voix de l’Esprit. Son itinéraire est indiqué succinctement, dans Actes 18.23, en ces termes : « Il partit, traversant successivement la région galatique et la Phrygie ». C’est l’ordre inverse de celui du 2e voyage (Actes 16.6), et le « successivement » oblige à y prêter une attention particulière. Il semble donc que, de Tarse, après avoir franchi les Portes Ciliciennes, Paul se soit dirigé vers le nord, sur la voie de la Cappadoce et de la Galatie. Il peut avoir suivi la route de Tyana, Mokissos (Justinianopolis) et Tavium ou, de préférence, la voie, pour lui plus directe, de Tyana, Nazianzos, Archelaïs-Colonia, Parnassos et Ancyre. D’Ancyre, Paul aurait gagné Gordium, ou Germa, et, poursuivant ensuite vers le sud, Pessinus, Amorium, Antioche de Pisidie et peut-être Iconium, aux confins de la Phrygie et de la Lycaonie. Son intention était de continuer vers Jérusalem (Actes 19.1, manuscrit D) après avoir affermi la foi de tous les disciples (Actes 18.23) ; mais « l’Esprit lui dit de retourner en Asie » (Actes 19.1, manuscrit D), ce qu’il fit en passant « par le haut-pays » : (Actes 19.1) Antioche, Metropolis, Dionysopolis, Éphèse. La route habituelle passait à Colosses et Laodicée, que Paul ne connaissait pas encore lorsqu’il écrivait à Césarée, quelques années plus tard. Clemen pense que les vallées du Lycus, du Méandre et du Caystre étaient inondées, comme cela arrive presque chaque année, par les pluies d’automne.
Paul resta à Éphèse de la fin de 54 au début de 57. Éphèse était la capitale de la province romaine d’Asie, cité antique et florissante située à l’embouchure du Caystre, à environ 5 km de la mer (voir Éphèse). Selon son habitude, Paul, dès son arrivée à Éphèse, se mit à prêcher dans la synagogue. Il réussit à faire, sans doute, un certain nombre de prosélytes, et même à exercer sur la colonie juive une action étendue, jusqu’au moment où quelques irréductibles se liguèrent contre lui et travaillèrent à lui aliéner la foule (Actes 19.8). Pressentant des événements semblables à ceux qui s’étaient passés ailleurs, et qui l’avaient obligé à partir, Paul jugea plus sage de se retirer avec les frères gagnés complètement au Christ. Il obtint d’un certain Tyrannus, directeur d’une école et sans doute professeur de grammaire et de philosophie, une salle de gymnase. Les cours avaient lieu habituellement le matin, jusqu’à 11 heures, et Paul pouvait disposer du local dans l’après-midi. Une recension postérieure spécifie que Paul enseignait chez Tyrannus entre 11 h et 4 heures ; Clemen estime que l’auteur de cette glose peut être tombé juste.
L’activité de Paul à Éphèse paraît avoir été intense et tout aussi étendue qu’à Corinthe. L’apôtre se dépensa sans compter. Le bref récit des Actes donne un aperçu un peu confus, et certainement incomplet, de ses occupations nombreuses et variées. Le discours qu’il adressa aux anciens d’Éphèse, à Milet, et quelques passages des épîtres permettent de compléter heureusement ces détails.
Paul exerça son métier de fabricant de tentes (tailleur de tentes en cuir, bourrelier, d’après Chrysostome, Théodoret, Nestlé, Zahn, Preuschen, etc.) ; il travaillait sans doute chez Aquilas. Il enseignait chaque jour chez Tyrannus. Il allait indifféremment aux Juifs et aux Grecs, se donnant tout entier et offrant le spectacle d’un homme entièrement consacré à sa vocation (Actes 20.19 ; Actes 20.21). Il restait en relations suivies avec les églises qu’il avait fondées. Il écrivit une lettre aux Galates et plusieurs lettres aux Corinthiens, dont celle qui nous est parvenue comme étant la première, mais qui, en réalité, est la seconde. Paul vit donc s’ouvrir devant lui, suivant ses expressions, « une porte grande et puissante » (1 Corinthiens 16.9). Son influence devint telle qu’il se trouva des magiciens pour essayer de la capter à leur profit ; il leur arriva une mésaventure qui accrut la popularité de Paul ; plusieurs de ceux qui s’adonnaient à la magie apportèrent des livres d’incantations, dont on fit un tas que l’on brûla (Actes 19.13-20).
Paul rencontra aussi de très graves difficultés. Les adversaires étaient nombreux (1 Corinthiens 16.9). Paul fut sans doute emprisonné à Éphèse, bien que les Actes n’en fassent pas mention. Il écrit aux Corinthiens, peu après son départ d’Éphèse, qu’il a été en prison beaucoup plus que tous les autres prédicateurs de l’Évangile (2 Corinthiens 11.3). Or, les Actes ne mentionnent jusque-là que quelques heures d’emprisonnement à Philippes. La durée du séjour de Paul à Éphèse et la violence des oppositions qu’il y rencontra sont déjà une présomption favorable en faveur de l’hypothèse d’une captivité éphésienne. Clément de Rome, dans son épître aux Corinthiens (5.6), spécifie que Paul fut captif 7 fois. Une tradition moins sûre précise que l’un de ces emprisonnements eut lieu à Éphèse (prologue marcionite de Colossiens). Une tradition locale, moins sûre encore, désigne comme la prison de Paul un vieux fort situé sur le mont Péon, au sud d’Éphèse. On doit mentionner ici un texte obscur de 1 Corinthiens 15 ; au verset 32 Paul écrit : « Si c’est selon l’homme (dans des vues purement humaines) que j’ai combattu les fauves à Éphèse, à quoi bon ! » La plupart des commentateurs entendent l’expression : « j’ai combattu les fauves » au sens figuré (lutte contre Satan, les autorités romaines, les adversaires de Paul : Juifs implacables, païens enragés, faux frères, etc.). J. Weiss fait remarquer justement que le terme grec doit être pris au sens propre, comme partout ailleurs. Le seul exemple de sens figuré que l’on cite, dans Ignace, n’est que le développement de la pensée d’un supplice réel que l’auteur vient d’envisager. Mais si l’on prend l’expression au sens propre, comment expliquer que Paul ait pu sortir vivant d’une lutte avec les fauves ? Dans les cas très rares où les condamnés n’étaient pas dévorés par les fauves, ils étaient exécutés immédiatement après. D’autre part, la condamnation ad bestias aurait privé Paul de son droit de citoyen romain. Il ne reste plus qu’une solution, indiquée par J. Weiss et reconnue par Lietzmann comme grammaticalement possible : c’est de donner à la déclaration de Paul un sens hypothétique : « Si j’avais été amené à combattre les fauves », dit l’apôtre ; et s’il le dit, il va de soi qu’il ne saurait s’agir d’une supposition vaine, mais d’une menace qui a failli se réaliser : Paul, arrêté et emprisonné à Éphèse, s’est trouvé sous le coup d’une accusation qui a failli entraîner pour lui le martyre sous la dent des fauves. Il fut acquitté par miracle. Sans doute fait-il allusion à ces événements et à d’autres semblables, lorsqu’il écrit aux Corinthiens qu’il a même désespéré de la vie (2 Corinthiens 1.8). J. Weiss suppose que l’emprisonnement et la menace de condamnation doivent être mis en relation avec l’émeute de Démétrius. Mais la date de composition de 1 Corinthiens s’y oppose. C’est bien avant, peut-être vers le milieu du séjour à Éphèse, que ces difficultés, dont l’issue aurait pu être aussi tragique, se sont produites.
Ces grandes épreuves et ces dangers terribles ont une importance réelle au point de vue du développement de la pensée de Paul. Non qu’il ait compris seulement alors qu’il pouvait mourir, et modifié, sous le coup de l’émotion, son eschatologie. La preuve en est que 1 Corinthiens 1 mplique une notion de la parousie qui ressemble encore à celle de 1 et 2 Thessaloniciens (voir article sur ces épîtres). Mais le nouveau problème capital de la nature de la résurrection est posé. Dans l’espace de quelques mois qui sépare 1 et 2 Corinthiens, Paul, méditant sur tant d’expériences graves, sent monter du fond de sa conscience religieuse une conviction qui s’impose à lui ; elle ne porte plus, comme la précédente, la marque des préjugés du temps ; elle parle à toute âme humaine, elle vaudra toujours : « Les choses visibles ne sont que pour un temps ; les invisibles sont éternelles. Si notre demeure terrestre, qui est une tente, est détruite, nous avons dans le ciel une demeure éternelle qui n’est pas faite de main d’homme, mais qui est l’œuvre de Dieu » (2 Corinthiens 4.18 ; 2 Corinthiens 5.1).
Dans 1 Corinthiens, Paul écrit qu’il pense rester à Éphèse jusqu’à la Pentecôte. Sans doute fut-il obligé par les événements d’écourter son séjour et de partir pour la Macédoine plus tôt qu’il ne l’avait pensé. Au mois de mai, chaque année, avait lieu la grande fête d’Artémis. Des milliers de pèlerins venaient alors de la province, et même de l’Égypte. Il se faisait autour du sanctuaire un commerce considérable. Les marchands vendaient aux dévots des reproductions en miniature du temple, en bois, en ivoire, en argent. La fabrication de ces objets de piété employait une foule d’ouvriers. C’était une des principales industries de la ville. Or, cette année, les commerçants s’aperçurent que leur commerce rendait moins que les années précédentes. Un orfèvre, Démétrius, qui avait sans doute eu maille à partir avec Paul, essaya de le représenter comme le grand responsable de cette crise. Sa haine dépassait la réalité présente, mais le rendait perspicace plus qu’il ne pensait peut-être lui-même. Un temps viendrait où l’Évangile de Paul détruirait toute son industrie. Démétrius réussit à fomenter un soulèvement. La foule se rendit au théâtre, criant : « Grande est l’Artémis des Éphésiens ! » (Actes 19.23 et suivants). Deux Macédoniens, Aristarque et Gaïus, compagnons de Paul, furent saisis et traînés au théâtre. Paul, apprenant ce qui se passait, voulut intervenir. Mais les fidèles et même des magistrats romains qu’il avait pour amis, les Asiarques, l’en dissuadèrent. Le tumulte tomba rapidement comme il s’était produit. Après l’intervention, sans doute intéressée, mais fort mal accueillie, d’un Juif du nom d’Alexandre, et alors qu’une partie de la foule commençait probablement à se fatiguer d’être là à crier sans savoir pourquoi, le grammateus, président habituel des assemblées du peuple, fit une apparition opportune. En un petit discours fort habile, il donna raison à tout le monde, fit allusion à une intervention possible des Romains, si le trouble se prolongeait, et congédia l’assemblée.
Si la majorité de la foule, n’ayant rien compris à l’affaire, se retira satisfaite, il n’en fut pas de même pour les ennemis de Paul, qui voyaient ainsi disparaître une occasion de se défaire de lui. Sans doute tramaient-ils contre lui un nouveau complot. La situation devenait intenable, l’apôtre se décida à partir plus tôt qu’il n’avait pensé, avant la Pentecôte de l’année 57.
D’Éphèse, Paul se rendit en Macédoine, où il resta sans doute quelque temps, visitant les églises et adressant aux fidèles de nombreuses exhortations (Actes 20.2). C’est de là qu’il écrivit probablement 2 Corinthiens, pendant l’été de 57. Cette épître (voir article) suppose une visite à Corinthe, non mentionnée par le livre des Actes. 2 Corinthiens 2.1 permet de croire que cette visite avait été pénible. Paul ne voudrait pas en faire une autre du même genre. Cette visite pénible ne peut pas être le premier séjour à Corinthe, au cours duquel Paul enregistra de grands succès. D’autre part, la visite que Paul annonce aux Corinthiens dans la seconde épître doit être la troisième, ainsi que l’indiquent plusieurs passages (cf. 2 Corinthiens 12.14 ; 2 Corinthiens 13.1 ; 2 Corinthiens 2.1). Comment situer ce voyage ? Certains auteurs ont supposé qu’il avait été fait d’Éphèse avant la composition de la première épître (Reuss, B. Weiss, J. Weiss, Zahn). Mais cette lettre ne renferme aucune allusion à ce voyage ; — 16.7 veut dire simplement qu’après avoir eu l’intention de ne leur faire qu’une courte visite, Paul a décidé de voir les Corinthiens plus longuement et de séjourner chez eux. D’autres auteurs estiment plus justement que le voyage en question a été effectué d’Éphèse après la rédaction de la 1ère épître (Weizsäcker, Pfleiderer, Jülicher, Godet, Goguel).
Quand Paul écrit la première épître canonique, en réalité la seconde en date de ses lettres aux Corinthiens, il pense venir prochainement à Corinthe, pour prendre des mesures graves (cf. 1 Corinthiens 5.9 ; 1 Corinthiens 4.21 ; 1 Corinthiens 11.34). Il est naturel de supposer que cette visite fut faite, qu’elle fut pénible, mais qu’elle ne porta pas les fruits escomptés par Paul. Elle peut avoir eu lieu pendant l’été de l’année 56. Elle dut être brève et décevante. De Corinthe, Paul gagna la Macédoine, où il resta peu de temps. Il aurait voulu repasser à Corinthe avant de revenir à Éphèse ; mais, n’ayant point obtenu ce qu’il désirait, il évita l’Achaïe (cf. 2 Corinthiens 1.15 et suivant). De retour à Éphèse, Paul écrivit une troisième lettre aux Corinthiens, une lettre de reproches, qu’il fit porter par Tite (2 Corinthiens 2.12ss ; 2 Corinthiens 7.6 ; 2 Corinthiens 7.8). Lorsque Tite revient, Paul, qui l’avait attendu à Troas, est en Macédoine. C’est de Macédoine que l’apôtre écrit sa quatrième lettre aux Corinthiens (la deuxième canonique), pendant l’été de 57.
Les Actes nous apprennent que, dès son séjour à Éphèse, Paul avait formé le projet d’aller à Jérusalem, en traversant la Macédoine et l’Achaïe. « Quand j’aurai été là, se disait-il, il faut aussi que je voie Rome » (Actes 19.21 et suivant).
Paul fit en Macédoine un séjour assez long. Il parcourut la contrée, adressant des exhortations nombreuses aux fidèles (Actes 20.2). D’autre part, Romains 15.19 mentionne que Paul a prêché depuis Jérusalem et « en cercle » jusqu’en Illyrie, c’est-à-dire, assurément, beaucoup plus au nord-ouest que Thessalonique ou Bérée, qui sont au cœur de la Macédoine. On ne voit pas d’autre moment de la carrière de Paul où situer ce voyage. Peut-être l’apôtre a-t-il alors suivi la voie Egnatia, de Thessalonique jusqu’à Dyrrachium, en passant par Lychnidas. Dyrrachium, terminus à l’ouest de la voie Egnatia, était sur les confins de la Dalmatie, partie méridionale de l’Illyrie ; mais, suivant l’administration impériale au temps de Paul, encore en Macédoine. Au temps des guerres puniques, l’Illyrie s’étendait plus au sud, jusqu’à l’Épire. Les désignations régionales courantes avaient sans doute moins varié que les divisions administratives. Il n’est donc pas indispensable de supposer que Paul soit monté plus au nord, vers Scodra (Scutari), Épidaure ou Salone. Si Paul est venu jusqu’à Dyrrachium, il paraît probable qu’il gagna de là Corinthe par mer, peut-être en faisant escale à Nicopolis, en Épire, où il devait plus tard hiverner (Tite 3.13). Il longea ainsi l’une des côtes les plus pittoresques d’Europe, avec les sites harmonieux de Corcyre (Corfou) et le parcours grandiose du canal corinthiaque.
La quatrième lettre de Paul aux Corinthiens avait produit le résultat cherché. Paul put faire à Corinthe le séjour depuis longtemps projeté ; il y resta trois mois et en repartit un peu avant la Pâque de l’année 58. C’est de là qu’il écrivit l’épître aux Romains, après les grandes luttes, dans le calme de la victoire.
Carte : 3° Grand Voyage
Départ d’Antioche pour parcourir successivement le pays galatique et la Phrygie. Itinéraire (Actes 18.23) suggéré : Antioche, Tarse, Portes Ciliciennes, Tyana, Archelaïs Colonia, ou peut-être Tyana, Mokissos, signifiant : Justinianopolis ; carte : Justiniano, Ancyre, Gordium, Germa, Pessinus, Amorium, Antioche. Paul se rend à Éphèse par le haut pays. Séjour (Actes 19.1) à Éphèse. Ce (Actes 19.1 ; Actes 19.41) séjour dut être coupé par un voyage à Corinthe avec retour par la Macédoine. Départ (2 Corinthiens 2.1 ; 2 Corinthiens 1.15) d’Éphèse pour la Macédoine, par Troas. Ici (Actes 20.1 ; 2 Corinthiens 2.12), probablement, traversée de la Macédoine jusqu’aux confins de l’Illyrie, par la voie Egnatia, de Thessalonique à Dyrrachium. De (Romains 15.19) Dyrrachium à Corinthe, par mer. Séjour de trois mois à Corinthe. De (Actes 20.3) Corinthe en Macédoine, par la voie de terre. Embarquement (Actes 20.3) à Néapolis, port de Philippes, pour Troas. De (Actes 20.4 ; Actes 20.12) Troas à Assos, par terre. Assos (Actes 20.13 et suivant), Mitylène, Chio, Samos, Milet. Milet (Actes 20.14-38), Cos, Rhodes, Patara, Tyr, Ptolémaïs, Césarée. Arrivée (Actes 21.8-11) à Jérusalem (Actes 21.15-17).
Les Juifs n’avaient pas désarmé. Leurs embûches obligent Paul à faire un grand détour pour se rendre à Jérusalem. Au lieu de prendre la voie directe par mer, vers la Syrie, il monte par la. voie de terre, vers la Macédoine, sur des routes et parmi des sites célébrés et consacrés déjà par dix siècles d’histoire et de poésie. Il passe ainsi d’un casier à l’autre de cet échiquier montagneux qu’est la Grèce, et c’est une gloire humaine que soulève chaque pas du pèlerin de l’éternité : Eleusis, Thèbes, les Thermopyles, Pharsale, l’Olympe, la vallée de Tempe. Paul désirait être à Jérusalem pour la Pentecôte, y remettre le produit d’une collecte, puis réaliser son vaste projet de voyage à Rome et dans l’Occident, jusqu’en Espagne (Romains 15.22 et suivants). L’itinéraire que lui imposait une prudence avertie était beaucoup plus long. Il n’avait pas de temps à perdre, et c’est par étapes rapides que se fit le voyage. Il s’arrêta dans sa chère Église de Philippes pour y passer la Pâque (Actes 20.6). Tychique et Trophime l’avaient devancé à Troas, où il les rejoignit bientôt, avec Luc. C’est en effet à partir de Philippes que reprennent les « fragments nous » (Actes 20.5). Paul resta une semaine à Troas ; il y tint une réunion coupée par l’accident d’Eutyche et sa guérison miraculeuse (Actes 20.7-12). De Troas à Assos, Paul fit la route à pied, tandis que ses compagnons prenaient la voie de mer (Actes 20.13). D’Assos, ils firent voile ensemble pour Mitylène, la ville et le port le plus important de Lesbos, où ils relâchèrent (verset 14). De là, le navire mit le cap sur Chio, où il jeta l’ancre pour la nuit. Il arrivait le lendemain à Samos, et le jour suivant à Milet, où eut lieu une rencontre émouvante avec les anciens d’Éphèse, Paul n’ayant pas le temps de monter jusqu’à eux (verset 15,38). De Milet, ils firent voile vers Cos, Rhodes et enfin Patara, sur la côte lycienne (Actes 21.1). Le navire n’allait pas plus loin ; mais un autre était en partance pour la Phénicie. Les missionnaires le prirent, et le navire, laissant Chypre à sa gauche, cingla directement vers Tyr. Le navire y déchargeait sa cargaison avant de continuer vers Césarée. Paul et ses compagnons attendirent donc et furent reçus par la communauté chrétienne de Tyr. Ils repartirent 7 jours après, accompagnés jusqu’au rivage par les fidèles (verset 4,6). Ils relâchèrent un jour à Ptolémaïs, où Paul put visiter les frères, et arrivèrent enfin à Césarée, où ils demeurèrent plusieurs jours (Actes 21.10). Le voyage, à la faveur d’un concours heureux de circonstances, s’était effectué très rapidement. Paul décida d’attendre les approches de la Pentecôte avant de monter à Jérusalem. Il ne se souciait pas d’être entravé dans ses vastes projets par les complots qu’on lui prédisait, et dont, à Césarée même, Agabus, venu de Judée, lui annonça l’imminence. La prophétie devait en effet se réaliser, mais un peu différemment. Toujours est-il que Paul ne se laissa pas arrêter et monta à Jérusalem (Actes 21.15).
Jérusalem n’était pas sûre pour Paul, non seulement parmi les Juifs, mais aussi parmi les judaïsants, qui auraient pu le dénoncer. C’est pourquoi les fidèles de Césarée, qui accompagnaient les missionnaires, les firent loger chez un homme de confiance, un certain Mnason (voir ce mot), Cypriote, disciple helléniste, et converti depuis longtemps. C’est ce qui ressort également du récit de l’entrevue de Paul avec Jacques et les anciens. Malgré leur approbation de tout ce que Paul avait fait parmi les Gentils, ils ne jugèrent pas prudent de le mettre en présence de l’Église avant d’avoir pris certaines précautions. La communauté hiérosolymite n’avait sans doute rien appris depuis le concile de Jérusalem ; elle avait plutôt désappris. Pierre n’était plus là pour balancer l’influence de Jacques et surtout des judaïsants les plus stricts, ceux qui, peut-être, avaient donné naissance, à Corinthe, au parti soi-disant de Christ et qui formaient le milieu d’où devait plus tard sortir l’homélie pseudo-clémentine, cet écrit violemment anti-paulinien, où Paul est tenu pour un émissaire de Satan. Toujours est-il que l’on demande à Paul de donner des preuves manifestes de sa fidélité juive. Il aidera quatre hommes pauvres à s’acquitter d’un vœu, et lui-même se purifiera avec eux. Paul accepte. Beaucoup d’auteurs se sont refusés à admettre l’historicité de cet étrange épisode rapporté par les Actes. D’autres l’admettent, mais jugent sévèrement la conduite de l’apôtre. La plupart acceptent le récit et le commentent dans un sens plus ou moins favorable à Paul. Paul était resté juif ; Paul s’est fait tout à tous ; Paul était un mystique ; autant de points qu’il est bon d’invoquer et de développer, mais qui ne dissipent pas entièrement l’impression d’étonnement qui s’impose à la simple lecture. De toute façon, la loyauté de Paul est au-dessus de tout soupçon (voir Naziréat).
Paul prit donc les quatre nazirs et se présenta devant les prêtres, auxquels il fit la déclaration de cessation de vœu (Actes 21.26). C’était le surlendemain de son arrivée (verset 18). La chronologie des événements qui se déroulèrent alors (l’arrestation, le départ sous bonne escorte pour Césarée, la comparution devant Félix) est difficile à établir, et il faut, sans doute, admettre une certaine incohérence dans la succession et les précisions de temps données par les Actes (comparez Actes 24.11 ; Actes 24.1 ; Actes 22.30 ; Actes 21.27). Mais ce n’est pas une raison pour discréditer l’ensemble du récit, dont les détails sont vraisemblables.
Paul, se trouvant dans le temple, fut aperçu par quelques Juifs d’Asie qui, peut-être, avaient déjà comploté contre lui à Éphèse. Ayant vu précédemment l’Éphésien Trophime avec lui, ils crurent ou feignirent de croire que Paul l’avait introduit dans le temple. L’occasion était belle pour se défaire de leur ennemi. En effet, les Romains avaient accordé aux Juifs le droit de punir de mort tout païen, même citoyen romain, qui pénétrerait dans l’enceinte du temple. On le sait par Josèphe ; en 1871, Clermont-Ganneau a retrouvé l’une des inscriptions qui mettaient en garde les étrangers, aux abords du parvis (figure 260). Paul fut dénoncé, accusé, assailli par la foule, entraîné hors du temple, et il aurait été certainement massacré, si les sentinelles de la tour Antonia qui surplombait le temple pour pouvoir mieux le surveiller, n’avaient donné l’alarme. Le poste fut immédiatement alerté. Le tribun Claudius Lysias, à la tête de ses légionnaires et centurions en armes, se porta au pas de course jusqu’au temple, et le calme fut rétabli. Les Romains avaient la main lourde et les Juifs le savaient. Paul fut donc immédiatement délivré. Mais, supposant que l’individu capable de susciter de telles indignations était quelque redoutable bandit, Lysias le fit enchaîner et ordonna de l’emmener au poste. La foule, voyant l’impie lui échapper et reprenant courage, fit un mouvement offensif ; mais les Romains purent se dégager. Ils atteignirent la citadelle. Au moment d’y entrer, Paul s’adressa en grec au tribun surpris et obtint de lui de parler à la foule. Il réussit à se faire écouter jusqu’au moment où il mentionna sa mission parmi les Gentils. La foule fut de nouveau en furie. Lysias fit entrer immédiatement le prisonnier et ordonna de lui donner la question par le fouet. C’était un supplice atroce, qui entraînait souvent la mort, mais qu’il était interdit d’infliger à un citoyen romain. Paul fit donc connaître sa qualité. L’affaire devait se débattre devant le procurateur. Cependant, Lysias fit convoquer le sanhédrin, non pour un jugement qui échappait à la juridiction juive, mais pour une confrontation. Le tribun n’outrepassait pas ses droits ; il agissait, au contraire, en fonctionnaire intelligent et zélé, en vue de fournir un rapport circonstancié au procurateur. Après cette comparution, les Juifs essayèrent d’en obtenir une autre, et cette fois, sans doute, pour exécuter le complot dont il est question dans Actes 23.12 ; Actes 23.22. Paul devait être assassiné, pendant le parcours de la citadelle au temple, par 40 sicaires qui surprendraient la garde romaine, décidés à tout. Lysias, mis au courant, ne poursuivit pas plus avant son enquête et jugea plus sage d’envoyer Paul secrètement, de nuit, sous bonne escorte, à Césarée, par Antipatris. Paul, à son arrivée, subit un bref interrogatoire. Mommsen a montré que toute la procédure indiquée par les Actes avait été parfaitement conforme à l’usage romain. Le procès commença à l’arrivée des plaignants. Le grand-prêtre en personne, Ananias, accompagné de quelques prêtres et d’un avocat, le rhéteur Tertullus, était venu soutenir l’accusation. Le discours perfide de Tertullus était, en somme, assez maladroit, car il mettait en cause le tribun Lysias, ce qui ne pouvait manquer d’indisposer Félix. La parole est donnée à Paul, dont la défense est simple et digne. Après avoir exposé clairement les faits, d’accusé il devient accusateur. Félix pouvait être fixé. Mais, sans doute par politique ou par vénalité, il préféra temporiser. Tacite a porté sur lui ce jugement terrible : « Il exerça avec une âme d’esclave les pouvoirs d’un roi ». Il voyait dans toute affaire l’occasion d’extorquer de l’argent aux deux parties. C’est ce qu’il chercha, sans doute, à faire dans le cas de Paul (Actes 24.26). Tantôt rampant, tantôt cruel, il ménageait habituellement ceux qui pouvaient lui nuire. Pour des raisons complexes et qu’il est difficile de préciser : vague sentiment d’équité, vénalité, lâcheté, il garda Paul, en ordonnant simplement de le mettre au régime le plus doux. Drusille, qu’il avait enlevée au roi Azizus son mari, eut envie de voir le prisonnier. Pervertie comme sa sœur Bérénice, elle espérait peut-être que cet homme dont on parlait tant l’amuserait par quelque tour de bateleur. Paul s’adressa au procurateur et à sa favorite avec la plus grande fermeté, insistant à dessein sur les vertus et sur la foi qui leur manquaient le plus (verset 25). Félix, plus effrayé qu’irrité par tant de fermeté, coupa court ; mais ensuite, il ne sut aucun gré au prisonnier de cette émotion dont il s’était laissé prendre. Les choses traînèrent en longueur. La captivité dura deux ans. Avec une constance admirable, Paul mit ce temps à profit pour méditer, pour éduquer les amis fidèles qui avaient accès auprès de lui, et pour écrire. Il paraît légitime de situer à Césarée la composition des épîtres aux Colossiens, à Philémon et aux Ephésiens.
En 60, Félix, disgracié, fut appelé à Rome. Il fut remplacé par Porcius Festus, homme d’une autre trempe, magistrat intègre et ferme. Les Juifs essayèrent de mettre à profit sa bienveillance non encore avertie, pour obtenir de lui que Paul fût ramené à Jérusalem et jugé par le sanhédrin (Actes 25.3). Afin de le faire disparaître plus sûrement, ils avaient reformé l’ancien complot et décidé de l’assassiner en route. Festus convoqua les plaignants devant son propre tribunal. L’accusation se fit entendre, abondante, insidieuse, mais vague. Paul nia énergiquement avoir rien commis de répréhensible ni contre la Loi, ni contre le Temple, ni contre l’Empereur. Manquant encore d’information, et embarrassé, Festus proposa au prisonnier un jugement devant le sanhédrin, mais sous sa protection. Paul, qui connaissait la situation mieux que lui, comprit bien ce qui arriverait dans cette éventualité ; d’autre part, ce long emprisonnement, retardant depuis deux ans ses projets de voyage à Rome, lui était devenu insupportable. Il irait à Rome tout de même ! Paul prononça la formule fatidique : « J’en appelle à César ! » (Actes 25.11). Par ces simples mots, il écartait définitivement la juridiction juive. Il était sous le couvert de la loi Julia. Il irait à Rome ! Mais une accusation grave l’y suivrait fatalement : celle d’avoir troublé la paix romaine.
Entre l’appel irrévocable à César et l’embarquement, Paul dut comparaître devant Agrippa et Bérénice, plus pervertis encore que leur sœur Drusille. Leur désir de voir Paul fut satisfait par Festus, qui n’était pas fâché d’avoir ainsi l’impression du roitelet beaucoup plus au courant des choses juives qu’il ne l’était lui-même (Actes 25.13-22). Paul fut introduit au cours d’une réception officielle. Sa dignité et sa fermeté impressionnèrent à tel point le roi qu’il dit ensuite à Festus : « Si cet homme n’en avait appelé à César, on aurait pu le remettre en liberté » (Actes 26.32). Mais la justice romaine devait suivre son cours.
Paul fut embarqué pour Rome au début de l’automne de l’année 60, en même temps que d’autres prisonniers, peut-être à l’occasion du rapatriement d’un centenier, Julius, et d’un contingent de la cohorte Augusta (Actes 27.1). Deux des fidèles compagnons de Paul, Luc et Aristarque de Thessalonique, purent s’embarquer avec lui. La saison était avancée. Il aurait fallu des conditions exceptionnellement favorables pour pouvoir gagner l’Italie avant le mauvais temps qui menaçait. Il n’y avait point de navire en partance pour l’Italie. Il fallut se contenter d’un bateau de cabotage, dont le port d’attache était Adramytte, en Mysie. Peut-être trouverait-on, à l’une des escales, un navire se dirigeant vers l’Italie. Les vents dominants obligeaient d’ailleurs, même les vaisseaux d’Égypte, à gagner la Crète, Rhodes, ou la côte d’Asie Mineure, avant de pouvoir cingler vers l’Italie (cf. Ramsay, article Roads and Travels, dans HDB, V, pages 379, 380). Le navire fit escale à Sidon. Le centurion Julius Paulus, en usant humainement avec Paul (Actes 27.3), lui permit de descendre à terre pour voir ses amis. La navigation fut ensuite entravée par le vent d’ouest et dut être fort lente. À Myra, en Lycie, on rencontra un navire d’Alexandrie qui devait porter du grain en Italie. Le centenier y embarqua sa troupe. Le lourd vaisseau longea péniblement la côte jusqu’au large de Cnide, d’où il put gagner l’île de Crète ; il réussit à se réfugier, par gros temps, dans une baie de la côte sud, nommée Beaux-Ports. Malgré son nom, ce lieu n’offrait qu’un abri précaire. L’hivernage y eût été pénible. Contre l’avis de Paul, le capitaine et le pilote, approuvés par le centurion, décidèrent de gagner un port plus favorable, Phénix, sur la côte sud-ouest. Peu après le départ, le vent du sud fit place à un ouragan venant de l’est-nord-est ; le navire fut emporté en pleine mer ; pendant quatorze jours, la tempête fit ragé. Après des péripéties diverses, le navire, depuis longtemps désemparé, fut jeté sur la côte maltaise, alors que les naufragés se croyaient sur la côte africaine des Syrtes. L’île de Malte (voir ce mot) appartenait à la province de Sicile. Le chef des habitants était nommé le Premier, ainsi qu’il ressort de deux inscriptions qui confirment Actes 28.7.
Les naufragés restèrent trois mois à Malte (Actes 28.11). Ils avaient dû arriver à la fin d’octobre ou au début de novembre de l’année 60. Ils repartirent dont à la fin de janvier ou au début de février 61. Ils firent voile vers Syracuse, sur un navire d’Alexandrie qui portait l’enseigne des Dioscures et qui avait hiverné à Malte. De Syracuse, le navire poursuivit jusqu’à Rhegium, puis, de là, jusqu’à Pouzzoles (Puteoli), où l’on débarqua. Le centurion avait sans doute des instructions à recevoir au sujet des prisonniers et de leurs destinations diverses. On attendit donc quelques jours à Pouzzoles, pendant lesquels Paul dut rester avec les frères de la communauté chrétienne de l’endroit. Puis on partit pour Rome (Actes 28.14).
La petite troupe suivit la large voie Appienne, pavée d’énormes blocs de basalte poli. Elle passait à Minturnes, Formies, Fundi, Terracina. Elle rencontrait ensuite les Marais Pontins. Ici, le voyageur pouvait continuer par terre ou s’embarquer sur le canal qui aboutit au Forum d’Appius, à environ 65 km de Rome. C’est là que se rejoignent la route et le canal. Paul dut y arriver dans les encombrements et le brouhaha des embarquements et des débarquements, des voitures, des marchands et trafiquants de toute sorte, spectacle bariolé et hautement pittoresque, que décrit Horace après avoir fait le même voyage (Sat., I, 5). C’est là que l’apôtre rencontra les premiers chrétiens de Rome venus au-devant de lui. Un autre groupe les attendait au lieu dit les Trois-Tavernes, à environ 49 km de Rome, au croisement de la route conduisant à Antium (Actes 28.15). La communauté romaine s’apprêtait donc à faire un accueil chaleureux au grand apôtre, prisonnier pour Christ.
Bientôt, la troupe franchit les monts Albains, traversa Némésie, Aricie. Enfin, de la colline prochaine, l’apôtre aperçut, pour la première fois, Rome, que depuis si longtemps il désirait connaître. Vers la porte Capène, Paul put se croire de retour en Orient : mêmes ruelles étroites et tortueuses, garnies d’échoppes et d’étalages en plein vent, même foule grouillante, hurlante, mêmes types, mêmes costumes : presque tous ces gens étaient juifs. Puis ce fut la traversée de la cité romaine, jusqu’à la caserne des Prétoriens, au nord-est, près de la voie Nomentane. C’était un camp immense avec les quartiers d’une importante garnison, la prison de ceux qui en avaient appelé à César et la ménagerie des fauves que l’on gardait là pour le cirque.
Paul fut remis à l’officier qui commandait les frumentarii Cet officier assurait la liaison entre le quartier général et les détachements cantonnés dans les provinces. Il recevait les passagers, comme princeps peregrinorum, ou princeps castrorum pere-grinorum. Le rapport de Festus devait être favorable à Paul ; celui du centurion Julius ne pouvait être qu’excellent. Paul ne fut point enfermé dans une prison, mais placé sous le régime de la custodia militaris. Il put donc se loger à son gré, dans le voisinage du camp, avec un soldat chargé de le garder en permanence.
Après quelques brèves indications au sujet des rapports que Paul eut avec les Juifs de Rome, peu après son arrivée, le livre des Actes s’achève brusquement sur ce renseignement, qui n’est pas une conclusion : « Paul demeura deux années entières dans un logement qu’il avait loué ; il recevait tous ceux qui venaient le voir, prêchant le Règne de Dieu et enseignant ce qui concerne le Seigneur Jésus-Christ, avec une entière liberté et sans aucun empêchement » (Actes 28.30 et suivant). Cette liberté de Paul fut sans doute d’autant plus grande qu’il était prisonnier et sous la sauvegarde autant que sous la surveillance d’un légionnaire romain. Une tradition, par ailleurs suspecte, mais ici très acceptable, spécifie que l’apôtre convertit son gardien. Elle se rencontre avec la dernière salutation de l’épître aux Philippiens, vraisemblablement composée à Rome : « Tous vous saluent, et principalement ceux qui sont de la maison de César » (Philippiens 4.22). Dans la même lettre, Paul reconnaît lui-même héroïquement le privilège et les avantages de sa captivité au point de vue de son apostolat (Actes 1.12 ; Actes 1.14). Il est probable, d’après ce dernier passage, que Paul avait converti non seulement son gardien, mais beaucoup d’autres légionnaires, d’où ce paradoxe d’un homme d’autant plus libre qu’il est prisonnier. Qu’advint-il ensuite ? L’auteur des Actes le racontait-il dans une conclusion qui s’est perdue ? Ne voulait-il pas plutôt l’indiquer dans un autre livre qu’il n’a point écrit ou qui n’est point parvenu jusqu’à nous ? De toute façon, il apparaît que la vie de Paul a dû se prolonger au delà de ces deux années de captivité à Rome, sinon Luc n’aurait pas laissé pour un autre ouvrage la mention de la mort de l’apôtre. Il est même légitime de supposer qu’il lui restait à écrire un chapitre important d’une carrière apostolique non encore achevée.
Les épîtres dites pastorales (voir ce mot), si elles sont authentiques, viennent ici combler un vide mystérieux. Elles supposent, en effet, des voyages qui ne trouvent point leur place dans la trame historique des Actes et des autres épîtres. La lettre à Tite mentionne un séjour en Crète, et la décision de passer un hiver à Nicopolis, en Epire.
Carte : Voyage à Rome. 1ère captivité.
De (Actes 21.18-23.22) Jérusalem à Césarée, par Antipatris. À (Actes 23.23-32) Césarée ; emprisonnement et procès. De (Actes 23.33-26.32) Césarée à Rome, par : Sidon, Myra, Cnide, Beaux-Ports en Crète. Départ (Actes 27.1-13) de Crète ; tempête ; naufrage à Malte. Séjour (Actes 27.14-44) à Malte. De (Actes 28.1-11) Malte à Syracuse, Rhégium, Pouzzoles. De (Actes 28.12-14) Pouzzoles à Rome par la voie Appienne, le Forum d’Appius, les Trois-Tavernes. Paul (Actes 28.15) à Rome (Actes 28.16-31).
Dans 1 Timothée, il est question d’un voyage de Paul en Macédoine, alors que Timothée a la charge de l’Église d’Éphèse. 2 Timothée fait allusion à des voyages à Corinthe, Milet, Troas. Il est impossible d’insérer ces déplacements, dont certains ont été prolongés, dans le cours du troisième voyage missionnaire, ainsi que le suggèrent quelques rares auteurs. Que resterait-il pour le séjour à Éphèse, sur lequel les Actes nous donnent des renseignements formels ? D’autre part, 2 Timothée suppose une captivité bien différente de celle que décrivent les Actes ou l’épître aux Philippiens. Lorsqu’il écrit à ces derniers, l’apôtre est plein de confiance quant à l’issue de son procès. Sans doute il a envisagé la mort avec tranquillité, et même avec joie ; mais, par amour pour les églises et pour l’œuvre du Christ, il espère survivre et compte bien revoir prochainement ses chers Philippiens (Philippiens 1.19-25 ; Philippiens 2.24). Lorsqu’il écrit 2 Timothée, Paul ne jouit plus de la grande liberté que lui avait assurée le régime de la custodia militaris : tous l’ont abandonné ; il a déjà comparu devant ses juges ; il est lié comme un malfaiteur ; le temps de son départ approche ; il a achevé sa course ; il va être immolé (2 Timothée 2.9 ; 2 Timothée 4.6 ; 2 Timothée 4.16). Il semble donc que l’apôtre ait subi deux captivités de caractère très différent et séparées par les voyages mentionnés dans les épîtres pastorales. D’autre part, des témoignages importants font penser que Paul a bien réalisé le projet de voyage en Espagne auquel il avait fait allusion dans l’épître aux Romains (Romains 15.24 ; Romains 15.28) ; or, il n’a pu le réaliser que dans ce même intervalle. Clément de Rome, dans son épître aux Corinthiens, rend à Paul ce témoignage : « … après avoir enseigné la justice au monde entier, il est arrivé jusqu’au terme de l’Occident ; il a rendu témoignage devant les préfets ; puis, il a été ôte du monde, et il s’en est allé au saint lieu… » (1 Corinthiens 5.7). L’expression : « terme de l’Occident » ne peut pas désigner Rome, centre de son vaste empire méditerranéen, mais l’extrême pointe espagnole, les colonnes d’Hercule. Apollonius de Tyane (Vie de Philostrate) écrivait : « Gadès (Cadix) est située au terme de l’Europe », et Strabon spécifiait que les confins de ce monde, à l’Occident, sont les colonnes d’Hercule à la pointe de l’Ibérie (II, III). Harnack, Zahn, et un grand nombre d’auteurs, sont bien d’accord que le témoignage de Clément veut indiquer un voyage de Paul en Espagne. Le fragment de Muratori, vers 180, confirme ce témoignage (Paul, délivré de sa captivité, est venu jusqu’en Espagne). Les Actes apocryphes supposent également cette tradition. Enfin, la date de la mort de Paul, telle qu’elle ressort de certains témoignages patristiques, est aussi à considérer, car elle oblige à supposer une prolongation telle de la vie de l’apôtre qu’elle implique une libération et un complément considérable d’activité. Eusèbe place la mort de Paul tout à fait à la fin du règne de Néron, c’est-à-dire vers l’année 68. Une oraison du IVe siècle, étudiée par Ramsay, permet d’aboutir à la date 67. Cet ensemble d’indices et de témoignages paraît suffisant pour conclure fermement, avec la majorité des auteurs catholiques et protestants, à une libération de Paul après les deux ans de captivité romaine mentionnés par les Actes (Bleek, Ewald, Neander, Godet, Spitta, Zahn, Harnack, Lietzmann, etc.).
Si Paul a été libéré, il dut l’être avant l’incendie de Rome et le massacre des chrétiens en juillet 64. Un autre indice favorable à l’hypothèse de la libération peut être ici mentionné. La tradition n’a qu’une voix pour affirmer que Paul, en qualité de citoyen romain, fut décapité. On pense bien que, s’il avait été captif au moment où Néron déchaîna la plus sauvage des persécutions, sa qualité de citoyen romain n’aurait pas pesé lourd et ne l’aurait pas empêché de servir aux jeux du cirque ou, torche vivante, à l’illumination des jardins impériaux.
Selon toute vraisemblance, Paul n’était pas à Rome en juillet 64. Il en était parti après son acquittement, quelques mois plus tôt.
Bleek estime que Paul se rendit en Espagne aussitôt ; Farrar juge que l’apôtre dut renoncer tout à fait à son projet, et il en donne comme preuve que les épîtres pastorales n’en font pas mention, mais supposent un certain nombre de voyages dans le bassin oriental de la Méditerranée. Il convient, semble-t-il, de faire justice et à la tradition pastorale et à la tradition clémentine susmentionnée ; elles ne s’excluent nullement.
Paul, libéré après quatre ans de captivité, est partagé entre deux désirs, deux projets anciens : porter l’Évangile en Espagne (Romains 15.24-28), la plus romanisée des provinces romaines, ou revoir ses églises d’Orient (Philippiens 1.26 ; Philémon 1.22). Il les a réalisés l’un et l’autre, si l’on en croit la tradition (Clément de Rome, canon de Muratori, oraison du IVe siècle, apocryphes) et si l’on veut situer normalement dans la vie de Paul certains détails biographiques des épîtres pastorales tenues pour authentiques. Le passage de Clément donnerait à penser que le voyage en Espagne fut le dernier acte de la vie de Paul, avant l’épilogue du martyre. Rien d’étonnant d’autre part, que le premier souci de Paul, après l’imprévu considérable d’une captivité de quatre ans et sans renoncer du tout à ses projets antérieurs, ait été de revoir d’abord les régions jadis évangélisées par lui. N’est-ce pas ce que déjà il comptait faire lorsqu’il écrivait de Césarée à Philémon (Philémon 1.22), puis de Rome aux Philippiens (Philippiens 1.26) ? Si l’on en juge ainsi, l’itinéraire suivant apparaîtra comme plausible, sans exclure d’ailleurs d’autres possibilités :
Après sa libération, Paul se dirige vers l’Orient. Il s’arrête dans l’île de Crète, où il laisse son disciple Tite, afin d’y organiser les églises (Tite 1.5). Avant de repartir pour la Macédoine, il écrit à Timothée, qui voudrait le rejoindre, de rester à Éphèse et de l’y attendre. Il rappellera et renouvellera cette recommandation dans une lettre postérieure (1 Timothée 1.3 ; 1 Timothée 3.14). Paul revoit ses Philippiens, comme il l’espérait, peu avant sa libération (Philippiens 1.26). Il écrit à Tite pour lui donner rendez-vous à Nicopolis, où il va passer l’hiver (Tite 3.12). De Nicopolis, en Épire, Paul se rend à Éphèse, ainsi qu’il l’avait annoncé à Timothée (1 Timothée 1.3 ; 1 Timothée 3.14 et suivant). Il passe par Corinthe, où il laisse Éraste (2 Timothée 4.20). D’Éphèse, Paul va sans doute à Colosses, réalisant ainsi le projet formé à Césarée quatre ou cinq ans auparavant ; il visite peut-être, par la même occasion, Laodicée sur son chemin, Hiérapolis, et d’autres églises touchées par sa lettre circulaire aux Éphésiens (voir article). Il s’arrête à Milet, où il laisse Trophime malade (2 Timothée 4.20).
Paul reprend alors son grand projet de voyage en Espagne. Il part d’Éphèse pour Rome, par Troas, où il laisse un manteau chez Carpus (2 Timothée 4.13). Il poursuit par la Macédoine, suivant la voie Egnatia d’un bout à l’autre, de Néapolis jusqu’à Dyrrachium, sur l’Adriatique. Il fait la courte traversée de Dyrrachium à Brundisium (Brindisi), gagne Tarente, et, suivant la via Appia sur tout son parcours, il arrive à Rome. Il s’y arrête sans doute, pour aider la communauté dispersée, terrorisée, en grande partie détruite, à se reformer.
De Rome en Espagne, jusqu’au terme de l’Occident, plusieurs itinéraires se présentent à lui, tous courants et sûrs : le trajet par terre, en suivant les côtes, ou le même détour par mer. Dans les deux cas, il a pu s’arrêter en Gaule, à Massilia (Marseille), comme le suppose l’historien catholique Zeiller, et à Narbo Martius (Narbonne). M. Camille Jullian a fait observer justement que Marseille, ville grecque et résidence de nombreux Orientaux, était l’un de ces beaux champs de propagande comme Paul les aimait. Paul peut aussi avoir suivi le trajet direct, par mer, d’Ostie à Tarraco (Tarragone), en traversant le détroit de Taphros (Bonifacio), entre la Corse et la Sardaigne. De Tarraco, il peut avoir continué, soit par terre, soit par mer, jusqu’à Carthago-Nova (Carthagène), et, de là, pour éviter le passage difficile des colonnes d’Hercule, par terre jusqu’à Gadès (Cadix). Peut-être fut-il arrêté là même, au terme de l’Occident, et ramené à Rome, pour une seconde captivité, la dernière. Il écrivit alors 2 Timothée, quand l’issue fatale de ce nouvel et dur emprisonnement ne faisait pour lui aucun doute (2 Timothée 2.9 ; 2 Timothée 4.6 ; 2 Timothée 4.8).
La tradition est unanime à affirmer que Paul subit le martyre à Rome, sous le règne de Néron. Suivant Tertullien et toute la tradition postérieure, il fut décapité sur la route d’Ostie. Au témoignage de Clément de Rome, dans le passage cité plus haut (9.7), Paul fut martyr devant les préfets. Rome n’en avait habituellement qu’un. Or, en 67, Néron décida qu’il y en aurait deux, pendant un voyage et un séjour qu’il fit en Achaïe au printemps. Paul pourrait donc avoir été condamné et exécuté sous le gouvernement des préfets, pendant l’absence de l’empereur. La tradition spécifie : le 29 juin ; ce serait, si l’on pouvait retenir ce jour, le 29 juin de l’année 67.
Les Actes apocryphes donnent sur ce tragique dénouement de la vie de l’apôtre de nombreux détails, dont quelques-uns ont une valeur mystique à retenir, mais dont il est impossible de déterminer la substance historique, assurément très mince. La veille du supplice, Paul aurait été enfermé dans un cachot de la prison Mamertine, près du Forum. Il en fut tiré de grand matin, pour marcher au supplice. Il dit au centurion : « Crois au Dieu vivant ; Il me ressuscitera, moi et tous ceux qui croient en Lui ! » Vers la porte d’Ostie, au sud-ouest de la ville, une femme, le front couvert d’un voile, attendait son passage et lui dit tout en larmes : « Paul, homme de Dieu, souviens-toi de moi devant le Seigneur Jésus ! » Reconnaissant Plautilla, une patricienne, protectrice des chrétiens, Paul répondit joyeusement : « Je te salue, Plautilla, fille de l’éternité ! Prête-moi le voile dont tu couvres ta tête. Au moment du supplice, j’en couvrirai mes yeux comme d’un suaire, et je te laisserai ce gage de mon affection en Christ ». Ils traversèrent le Tibre, et suivant la route d’Ostie, ils gravirent un plateau ; ils s’arrêtèrent enfin près d’un pin, dans un vallon, dont les sources limpides portaient le nom d’Aquas Salvia ? L’apôtre demanda un instant pour se recueillir. Il pria debout, les mains étendues vers l’Orient, s’adressant en hébreu à quelqu’un d’invisible. Puis, conformément à l’arrêt, il subit une dernière fois le supplice du fouet. Enfin, on lui banda les yeux avec le voile de Plautilla ; il se mit à genoux et tendit le cou en silence, et tout fut accompli ! Quelques fidèles, prévenus, se tenaient à distance et transportèrent le corps dans une maison chrétienne à proximité, sur la route qu’ils venaient de suivre : la maison de Lucina. C’est là que, d’après la tradition catholique, le corps de Paul reposa jusqu’en 258, date à laquelle, suivant la même tradition, il fut réuni à celui de Pierre, dans la nécropole de la voie Appienne. On le transféra, au IVe siècle, sous l’autel de la basilique dédiée à l’apôtre : Saint-Paul-hors-les-murs.
Tous ces détails n’ont d’intérêt que par la piété qu’ils expriment, car leur historicité se réduit à peu, sinon à rien. Qu’importent, au demeurant, les détails matériels d’une fin glorieuse et les pérégrinations posthumes d’une dépouille terrestre, lorsque son possesseur fut le héros de l’invisible Esprit, celui qui proclamait victorieusement : « Nous ne regardons pas aux choses visibles, mais aux invisibles, car les choses visibles ne sont que pour un temps, mais les invisibles sont éternelles ! » (2 Corinthiens 4.18).
Carte : de la Libération au martyre (Hypothèses suggérées).
De (Actes 28.30 ; Philippiens 1.12-26) Rome en Crète, où Paul fait un séjour, et laisse Tite afin d’y organiser les églises. Avant (Tite 1.3) de partir pour la Macédoine, Paul écrit à Timothée de rester à Éphèse et de l’y attendre. Paul (1 Timothée 1.3 ; 1 Timothée 3.14) en Macédoine, revoit ses Philippiens. Paul (Philippiens 1.26) écrit à Tite et lui donne rendez-vous à Nicopolis, en Épire, où il passe l’hiver. Il (Tite 3.12) écrit de nouveau à Timothée de l’attendre à Éphèse. Paul (1 Timothée 1.3 ; 1 Timothée 3.14) se rend de Nicopolis à Éphèse, en passant par Corinthe, où il laisse Éraste. D’Éphèse (2 Timothée 4.20), Paul va sans doute à Colosses (Philémon 1.22), en passant par Laodicée, peut-être aussi Hiérapolis. Il s’arrête à Milet, où il laisse Trophime malade. Paul (2 Timothée 4.20) veut réaliser son projet de voyage en Espagne (Romains 15.24-28) ; il se rend à Rome par Troas (2 Timothée 4.13), la Macédoine, la voie Egnatia, de Thessalonique à Lychnidas (Ochrida), Dyrrachium (Durazzo), Brundisium (Brindisi), Tarente et la voie Appienne. Voyage en Espagne jusqu’« au au terme de l’Occident » (Clément : 1 Corinthiens 5.7 ; Canon Muratori), soit Gadès (Cadix) ; itinéraires possibles :
Parmi les innombrables études sur Paul, où l’élément biographique, chronologique ou géographique tient une place notable, on peut signaler :
H. Cl.
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