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Le sabbat est l’objet du quatrième commandement du Décalogue (Exode 20.8 ; Exode 20.11 ; Deutéronome 5.12 ; Deutéronome 5.15). Quand on compare les deux passages, on constate qu’ils ne sont pas absolument identiques. La pensée centrale en est la même : le septième jour de la semaine doit être un jour de repos, consacré à l’Éternel, pendant lequel il n’est permis aucune œuvre des jours ordinaires, et la défense s’étend non seulement à l’Israélite et à sa famille, mais à ses serviteurs et à ses servantes, à son bétail et à l’étranger qui est domicilié dans le pays. En revanche, la raison pour laquelle il faut se reposer n’est pas la même. Le Deutéronome relève le côté social et humanitaire de la cessation des travaux : « afin que ton serviteur et ta servante se reposent comme toi », et il ajoute : « Tu te souviendras que tu as été esclave au pays d’Égypte et que l’Éternel t’en a fait sortir à main forte et à bras étendu ; c’est pourquoi l’Éternel, ton Dieu, t’a ordonné d’observer le jour du repos ». L’Exode, par contre, rappelle que Dieu a créé le monde en six jours et s’est reposé le septième jour : « C’est pourquoi l’Éternel a béni le jour du repos et l’a sanctifié ». Il y a, à côté de cela, quelques différences de détail entre les deux textes. Il en résulte que nous n’avons pas, sur le quatrième commandement, le Décalogue sous sa forme première. Il est probable qu’à l’origine n’existait que la phrase qui l’introduit : « Souviens-toi du jour du repos (sabbat) pour le sanctifier ». La suite a été ajoutée dans le cours des siècles pour préciser comment le sabbat devait être sanctifié et pourquoi il devait l’être. La rédaction du Deutéronome est en rapport avec les tendances humanitaires que l’on constate ailleurs dans ce livre ; et la rédaction, probablement plus tardive, de l’Exode suppose le temps où l’on racontait l’histoire divine de la création en employant le schéma de la semaine humaine. Le repos de Dieu garantissait le caractère sacré du septième jour.
Mais même réduit à une courte phrase, le quatrième commandement a été envisagé par de nombreux critiques comme une preuve que le Décalogue est postérieur à Moïse et n’a été rédigé que dans le pays de Canaan, à l’époque prophétique. La raison invoquée est qu’avant l’entrée en Palestine les Israélites étaient des nomades, et que les nomades ne peuvent pas, comme les agriculteurs, interrompre leurs travaux toujours les mêmes, et n’en sentent du reste pas le besoin, leurs occupations n’étant pas pénibles. Cette raison n’est pas décisive, car le sabbat a commencé sans doute par être un jour de culte, et le repos n’était, à l’origine, que la condition nécessaire de sa destination religieuse.
En tout cas le sabbat, sous une forme ou sous une autre, a existé longtemps avant Moïse. Le nom chabattou a été retrouvé dans d’anciens documents bab5’loniens ; il désignait alors le quinzième jour d’un mois lunaire (le jour de la pleine lune) et était défini comme « jour d’apaisement du cœur » (des dieux) ; on ne devait faire aucune œuvre en ce jour-là. En outre, les 7, 14, 21, 28 des deux mois d’élul et de marchesvan figurent dans un calendrier comme jours néfastes (voir Temps, I, 4, où le roi ne devait entreprendre aucune œuvre importante. En était-il de même les autres mois ? Le texte incomplet ne le dit pas. Il ne s’agit pas dans ces quatre hebdo-mades mensuelles d’une semaine analogue à la semaine israélite qui ne tient pas compte du renouvellement de la lune, mais elles montrent l’importance du chiffre 7 et de ses multiples dans le calendrier, et peut-être sont-elles le premier point de départ de la semaine de sept jours. Nous notons expressément que le nom de chabattou n’est jamais (dans les documents que nous possédons) appliqué aux jours néfastes qui terminent les hebdomades ; il désigne uniquement le jour de la pleine lune. Et nous ajoutons que les Babyloniens eux-mêmes n’avaient pas, dans la vie ordinaire, des semaines de 7 jours, mais des semaines de 5 jours. On voit que les documents babyloniens ne nous donnent que le nom du sabbat et nous laissent dans l’incertitude sur l’origine de la semaine israélite. Les documents égyptiens et ceux des autres peuples du monde oriental ne nous apportent non plus aucune lumière. Nulle part, on ne semble avoir connu la semaine de sept jours indépendante des phases lunaires. En Égypte, on divisait le mois en trois périodes de dix jours.
Dans l’Ancien Testament le sabbat est à plusieurs reprises mentionné à côté de la « nouvelle lune » : 2 Rois 4.23 ; Amos 8.5 ; Osée 2.11 (texte hébreu et Segond, 2.13) ; Ésaïe 1.13, cf. également Ézéchiel 45.17 ; Néhémie 10.33 ; Ésaïe 66.23. On a conclu des premiers passages cités qu’avant l’exil les Israélites ne connaissaient que deux jours fériés par mois : celui de la nouvelle lune et celui de la pleine lune, qui portaient à Babylone le nom de sabbats. La semaine de sept jours n’aurait pas encore existé à ce moment-là ; elle serait une nouveauté introduite à l’époque d’Ézéchiel ; si l’on fait abstraction des textes législatifs, le premier passage qui la mentionne est Ézéchiel 46.1. À cela s’opposent, :
C’étaient les jours fériés distincts des grandes fêtes annuelles. Rien n’empêche donc d’admettre que le sabbat hebdomadaire remonte en Israël jusqu’à l’époque de Moïse et même à une époque antérieure, car le récit de Exode 16 (dans la plus ancienne source) le mentionne avant le don du Décalogue. Il existait, nous ne savons sous quelle forme et depuis quand, chez les tribus sorties d’Égypte, et le Décalogue l’a mis, comme jour consacré à l’Éternel, au nombre des obligations fondamentales de l’Israélite.
Le sabbat apparaît dans les passages subséquents de la littérature antéexilique à la fois comme un jour de repos et un jour de sacrifices. Il n’est du reste pas mentionné souvent. Les passages législatifs insistent sur la nécessité du repos (Exode 23.12 ; Exode 34.21) ; cf. Amos 8.5 : les marchands attendent avec impatience la fin du sabbat pour ouvrir leurs greniers. En revanche Ésaïe 1.13 et Osée 2.11 le mettent sur le même rang que les jours de fête et de grandes assemblées dans lesquels on offrait de nombreux sacrifices. D’après 2 Rois 4.23 il y avait ce jour-là, chez les « fils de prophètes », de pieux exercices qui attiraient les fidèles de la contrée avoisinante. Il résulte de ces divers passages que le sabbat était bien un jour consacré à l’Éternel, mais qu’on ne le célébrait pas toujours de la même façon. La cessation des travaux ordinaires occupait la première place, mais vu l’importance donnée au côté rituel (sacrifices), le repos n’était pas aussi strict que dans les temps postérieurs. C’était essentiellement un jour de joie (Osée 2.11 ; Lamentations 2.6), ce qu’il est toujours demeuré dans la suite.
L’exil a donné au sabbat une nouvelle importance. Tandis que les sacrifices étaient suspendus ou, après la reconstruction du Temple, n’étaient présentés qu’à Jérusalem, il pouvait être célébré, comme jour de repos, dans tous les lieux où habitaient les Juifs. Il devint en conséquence la première des obligations des fidèles qui voulaient témoigner publiquement leur consécration à l’Éternel. C’était, du reste, conforme à la place qui lui est assignée déjà par le Décalogue, où il est la seule pratique religieuse positivement commandée. Mais la loi sacerdotale postexilique est plus précise et pousse plus loin les exigences que les anciennes législations. Elle mentionne le sabbat (Exode 31.12 ; Exode 31.17) parmi les ordonnances fondamentales données à Moïse sur la montagne, à côté de tout ce qui concerne le sanctuaire et le sacerdoce ; elle résume (Lévitique 26.2) les obligations de la communauté dans ces deux paroles : « Vous observerez mes sabbats et vous révérerez mon sanctuaire » ; elle relève (Exode 31.12) que c’est le grand signe de l’alliance entre Dieu et Israël ; elle prescrit la peine de mort contre tous ceux qui feront quelque œuvre ce jour-là (Exode 31.14 ; Exode 35.2 cf. l’histoire de Nombres 15.32 ; Nombres 15.36) ; elle ne se contente pas de généralités, elle entre dans des détails pratiques : ne pas allumer du feu le jour du sabbat (Exode 35.3), cuire le jour précédent pour deux jours (Exode 16.23 ; Exode 16.26), ne pas ramasser du bois (Nombres 15.32 et suivants). Le côté humanitaire du repos sabbatique est laissé à l’arrière-plan. La cessation du travail est en elle-même une « œuvre » bonne, agréable à l’Éternel. Dieu s’est reposé le septième jour ; ses serviteurs doivent sanctifier ce même jour, eux aussi, en laissant de côté toutes les occupations des autres jours de la semaine. En d’autres termes, le sabbat n’a pas été institué pour que l’homme puisse se reposer ; l’homme doit se reposer parce que le sabbat a été institué de Dieu. Une conception analogue se retrouve déjà dans Ézéchiel 20.13 ; Ézéchiel 20.20 (voir 13,16,20) et dans Jérémie 17.21-27 (ne pas porter des fardeaux le jour du sabbat, et ne pas les introduire d’un lieu dans un autre), mais ce dernier passage appartient plutôt à l’époque de Néhémie 13 (voir ci-dessous).
Le côté cultuel subsistait à côté de cela. Lévitique 23.3 ordonne une sainte convocation, et Nombres 28.9s prévoit, pour le jour du sabbat, outre le sacrifice journalier (tamid), l’offrande de deux agneaux d’un an sans défaut, avec deux dixièmes de fleur de farine et une libation.
L’observation plus stricte du sabbat dans la communauté postexilique n’alla pas sans quelque opposition. Elle est recommandée Ésaïe 58.13 et suivant : « Si tu appelles le sabbat tes délices et si tu l’honores en ne suivant pas tes voies, alors tu mettras ton plaisir en l’Éternel, et je te ferai jouir de l’héritage de Jacob, ton père », et Néhémie la fit respecter par la force (Néhémie 13.15-22). il interdit aux hommes de Juda de fouler au pressoir et de rentrer des gerbes, à eux et aux marchands tyriens d’apporter des marchandises dans la ville, dont les portés furent fermées avant le commencement du sabbat (6 heures du soir, le vendredi), et comme les marchands stationnèrent devant les portes pendant la nuit, il les menaça de mettre la main sur eux s’ils continuaient ; dès lors les choses rentrèrent dans l’ordre. Deux siècles et demi plus tard, le roi de Syrie, Antiochus Épiphane (175-164), qui voulait introduire de force en Juda la culture et la religion grecques, interdit la célébration du sabbat (1 Macchabées 1.45 ; 2 Macchabées 6.6), et bien des Juifs se montrèrent infidèles à la loi (1 Macchabées 1.52). Mais les fidèles qui se révoltèrent contre l’autorité syrienne, sous la direction de Mattathias et de ses fils (les Macchabées), n’en furent que de plus stricts observateurs. Au début des hostilités, ils se laissèrent massacrer plutôt que de se servir de leurs armes le jour du sabbat ; mais ils ne tardèrent cependant pas à reconnaître que cela les conduirait à la ruine, et ils résolurent de se défendre ce jour-là comme les autres (1 Macchabées 2.29 ; 1 Macchabées 2.41). Il va sans dire que pour le reste le repos demeura la règle absolue.
Déjà chez les Hasidéens, puis chez les Pharisiens qui continuèrent, dès le milieu du IIe siècle avant Jésus-Christ, leur interprétation méticuleuse de la loi, le sabbat fut l’objet de nombreuses prescriptions qui fixèrent dans le détail ce qu’il n’était pas permis de faire en ce jour-là. Elles furent consignées par écrit dans plusieurs traités de la Mischna, en particulier dans le traité intitulé Schabbat. Ce traité énumère (7.2) les 39 « œuvres principales » qui sont interdites. Parmi celles-ci figurent des choses qui nous paraissent bien minimes, comme faire un nœud ou le défaire, tisser deux fils ou les séparer, allumer du feu ou l’éteindre, etc. ; mais en outre elles sont accompagnées, dans le reste du traité, de minutieuses règles sur l’application pratique, et de discussions sur un point spécial où les docteurs de la loi n’étaient pas toujours d’accord. Les subtilités abondent et la casuistique se donne libre carrière. En voici quelques exemples :
Se fondant sur Exode 16.29 : défense de quitter sa maison le jour du sabbat, les docteurs, étendant un peu la notion de demeure, avaient fixé à 2 000 coudées (environ un km) le chemin que l’on pouvait faire en dehors du lieu que l’on habitait (un chemin de sabbat, Actes 1.12). On augmentait la distance au moyen d’un stratagème appelé éroub : la veille du sabbat, on transportait des aliments dans un endroit situé à 2 000 coudées de sa demeure, et cet endroit était considéré comme un domicile réel, d’où l’on pouvait rayonner de nouveau à 2 000 coudées à la ronde. Ce stratagème se compliquait d’un autre, quand plusieurs familles voulaient faire un repas en commun, sans cependant enfreindre la loi qui défendait de rien transporter d’un lieu dans un autre, chaque famille transportait la veille du sabbat un aliment dans un endroit différent situé à 2 000 coudées ; on réunissait ces divers endroits, évidemment assez rapprochés les uns des autres, par des poutres et des linteaux, de manière à en faire comme une seule grande maison, et chaque famille, sans sortir de l’enceinte, pouvait apporter ses vivres dans la salle choisie pour le repas en commun. Voir le traité Eroubin de la Mischna, tout entier consacré à cette manière ingénieuse de contourner la loi sans en violer la lettre. Nous ajoutons que les Sadducéens, qui n’admettaient pas la tradition orale à côté de la loi, condamnaient l’éroub, et ennuyaient à l’occasion les Pharisiens en transportant, eux aussi, des aliments à 2 000 coudées dans le même coin du pays : ils les empêchaient par là de créer une maison artificielle commune.
Les exigences de la vie étaient quelquefois plus fortes que le commandement du repos intégral, le jour du sabbat. Les prêtres, dans le temple, ne pouvaient pas interrompre leur service journalier avec toutes les obligations qu’il comportait, et ce service était augmenté le jour du sabbat, même en temps ordinaire, à plus forte raison quand le sabbat coïncidait avec les grands jours des fêtes annuelles. Il était, d’autre part, permis de secourir un Israélite en danger de mort : si un mur était tombé sur lui, on procédait au déblaiement jusqu’à ce qu’il fût délivré (Yôma, 7 7). Si une femme était en couches, on pouvait lui prêter secours, appeler même une sage-femme d’un lieu dans un autre lieu (Schabbat, 18.3). Quand les jours d’un malade étaient en danger, le médecin pouvait intervenir (Yôma, 8.6). Quand un animal était tombé dans une fosse, on le retirait, s’il risquait de succomber ; on se contentait de le nourrir, si le sauvetage n’était pas immédiatement nécessaire (Beza, 3.4). Ces exceptions et d’autres analogues montrent que, malgré tout, la loi du repos n’était pas intangible et que Jésus était en droit de les faire valoir dans ses nombreux conflits avec les Pharisiens sur la question du sabbat. Cf. Matthieu 12.5- et suivant, Luc 13.15 ; Luc 14.5 et suivant.
Ces conflits étaient nombreux (cf., outre les passages déjà cités : Marc 2.23 ; Marc 2.28 ; Marc 3.1 ; Marc 3.5; Luc 6.6 ; Luc 6.10 ; Jean 5.10 ; Jean 5.16 ; Jean 9.14 ; Jean 9.16), car sur aucun autre point ne se montrait mieux l’opposition entre la justice pharisaïque et la justice supérieure que Jésus réclamait de ses disciples. La casuistique effrénée des docteurs de la loi était pour le Seigneur tout le contraire d’une véritable compréhension du commandement divin, et le mérite attaché à l’observation des plus futiles détails n’avait rien de commun avec la piété du cœur, faite d’amour pour Dieu et pour le prochain, qui avait seule pour lui du prix devant Dieu. Il a fixé le principe supérieur qui doit, en tout temps, présider à l’observation d’un jour spécial de culte et de repos, dans cette parole bien connue : « Le sabbat a été fait pour l’homme, et non pas l’homme pour le sabbat » (Marc 2.27).
Chez les Juifs, un jour commençait le soir précédent au moment du coucher du soleil. Le sabbat commençait donc le vendredi soir et se terminait le samedi soir. On préparait le vendredi, avant l’arrivée de la nuit, tout ce qui aurait exigé un travail pendant le sabbat : on cuisait les aliments pour les repas ; on allumait la lampe ou les lampes pour la nuit ; on dépliait les vêtements à mettre ; on éloignait les choses encombrantes, etc. Le commencement et la fin du sabbat étaient annoncés par des sonneries de trompettes. Le vendredi, à la première sonnerie, on cessait les travaux des champs ; à la seconde, ceux de la ville ; à la troisième, les femmes allumaient les lampes, de là l’expression de Luc 23.54 : le sabbat brillait (dans nos traductions : le sabbat allait commencer).
Sur le culte du temple, le jour du sabbat, voir Nombres 28.9 et suivant, cité plus haut. Nous ajoutons, d’après des renseignements postérieurs, que les lévites chantaient le Psaume 92 au moment de l’holocauste régulier du matin (tamid), que le sacrifice spécial était accompagné de la récitation d’une partie du cantique de Moïse (Deutéronome 32), et l’holocauste du soir de la récitation de morceaux d’Exode 15 et de Nombres 21. C’était le jour du sabbat qu’on remplaçait les pains de proposition par d’autres, et que de nouvelles classes de prêtres et de lévites entraient en fonctions. Sur le culte dans les synagogues, voir Synagogue.
Malgré la multitude des préceptes à observer, le sabbat était pour les Juifs un jour de joie, conformément à la parole de Ésaïe 58.13. Il n’était pas permis de jeûner. On revêtait, au contraire, ses plus beaux habits et l’on faisait trois grands repas, l’un le vendredi soir après la tombée de la nuit, le second après les cultes du matin le samedi, et le troisième à la fin de l’après-midi, avant que commençât le premier jour de la semaine. Une dernière coupe, distribuée par le père de famille, marquait le passage du temps sacré au temps profane. C’est pourquoi saint Augustin dut accuser les Juifs de son temps de faire dégénérer le sabbat en un jour de paresse et de débauche (Enarratio in Psaume 91 = 92).
La ténacité des Juifs à observer le sabbat avait conduit l’autorité romaine à user envers eux de mesures de faveur. La plus importante fut l’exemption du service militaire, incompatible avec l’interdiction de porter des armes le jour du sabbat, sinon en cas de légitime défense, et avec la limite à 2 000 coudées du chemin à parcourir (Flavius Josèphe, Antiquités judaïques, XIV, 10.11, 19). En outre l’empereur Auguste les dispensa de paraître en justice le jour du sabbat (Flavius Josèphe, Antiquités judaïques, XVI, 6.2-4) et les autorisa, quand une distribution publique d’argent ou de blé avait lieu ce jour-là, à ne réclamer leur part que le jour suivant (Philon, Leg. ad Caïum, paragraphe 23). Ces privilèges furent maintenus dans les siècles suivants sauf en temps de troubles.
En rapport étroit avec le sabbat était l’année de relâche tous les sept ans. Sous sa forme définitive, elle ne figure que dans la législation sacerdotale après l’exil : Lévitique 25.1 ; Lévitique 25.7 ; Lévitique 25.18 ; Lévitique 25.22. Mais elle existait en germe déjà avant l’exil dans un certain nombre de dispositions législatives : Exode 23.10 et suivant, Deutéronome 15.1-11 ; Exode 21.2 ; Exode 21.6 ; Deutéronome 15.12-18.
Ces deux derniers passages n’ont, du reste, qu’un rapport lointain avec l’année sabbatique, car ils concernent les esclaves hébreux achetés par un autre Israélite. L’achat n’est valable que pour six ans. La septième année, l’esclave peut sortir libre, avec sa femme et ses enfants, s’il était déjà marié quand il est entré dans la maison de son maître. S’il s’est marié pendant les six ans de servitude, la femme et les enfants demeurent la propriété du maître. Si l’esclave préfère ne pas s’en aller, le maître lui perce l’oreille avec un poinçon contre le poteau ou la porte de la maison, et il est désormais esclave à vie. Cette ordonnance ne suppose pas une année fixe de relâche ; elle ne précise que la durée du temps de servitude. Jérémie 34.8 ; Jérémie 34.11 montre qu’elle est loin d’avoir été toujours observée.
Le passage Exode 23.10 et suivant concerne, en revanche, le repos des champs. Pendant six ans, on peut les cultiver et en recueillir les produits, mais la septième année il faut les laisser en friche et abandonner leurs produits spontanés aux pauvres du pays et aux bêtes sauvages. Il en est de même de la vigne et de l’olivier. Mais le texte ne dit pas qu’il s’agisse d’une année générale de relâche pour tout le pays, quoiqu’on l’ait compris de cette façon. Le repos s’appliquait séparément à chaque coin de terre, après six ans de production : une fois un champ, une autre fois un autre champ. Ainsi comprise, la mesure était facilement exécutable, sans danger de famine ; elle avait même des avantages au point de vue agricole. Quelque chose d’analogue est encore pratiqué de nos jours, mais le chiffre de sept années ne se comprend que si la semaine de sept jours, avec le sabbat pour la terminer, existait auparavant.
Le passage Deutéronome 15.1 ; Deutéronome 15.11 va plus loin. Ici il s’agit bien d’une année fixe de relâche pour tout le pays, mais elle ne concerne que les prêts d’argent. Les débiteurs israélites obtenaient la quittance de toutes leurs dettes. De là la recommandation, dans les versets 7-11, de ne pas refuser de prêter, quand l’année de relâche approchait : « Donne, signifiant : prête, dit le législateur, et ne donne point à regret, car à cause de cela l’Éternel, ton Dieu, te bénira dans tous tes travaux et dans toutes tes entreprises ». Le Deutéronome ne parle nulle part du repos des champs.
Partant des deux descriptions dans Exode 23 et Deutéronome 15, la législation sacerdotale a donné à l’année sabbatique sa forme dernière. C’est une année fixe qui revient tous les sept ans, comme le sabbat le septième jour de la semaine. La terre se reposera, ce sera un sabbat en l’honneur de l’Éternel. Les produits naturels du sol serviront à la nourriture de tous les habitants du pays, non seulement des pauvres et des bêtes des champs, mais aussi du propriétaire et de sa famille (Lévitique 25.1 ; Lévitique 25.7). S’il s’élève des inquiétudes parmi le peuple, parce qu’on n’aura rien semé et rien récolté, le législateur répond d’avance en promettant que Dieu bénira si bien les récoltes de la sixième année qu’elles suffiront pour trois ans, pour la sixième année elle-même, pour la septième (année de repos) et pour la huitième année où le repos de la septième n’aura pas permis de faire à temps tous les labourages nécessaires (Lévitique 25.19-22). Sous cette forme, l’année sabbatique n’est jamais mentionnée avant l’exil, et des passages comme Lévitique 26.34 ; Lévitique 26.43 ; 2 Chroniques 36.21 supposent qu’elle n’a jamais été observée jusqu’alors.
En revanche, elle a positivement existé après l’exil. Dans la grande assemblée de 444, les Juifs s’engagèrent à l’observer (Néhémie 10.31), et elle est mentionnée dans la suite à plusieurs reprises :
Lévitique 25 ne parle que du repos de la terre, mais la quittance des dettes ordonnée par Deutéronome 15.1 ; Deutéronome 15.11 n’était pas supprimée. Comme elle était particulièrement gênante (personne ne tenant à prêter son argent dans ces conditions), on y para à l’aide d’une mesure qu’inventa le fameux docteur de la loi Hillel : le créancier présentait au tribunal, qui l’authentifiait, une déclaration, d’après laquelle il se réservait le droit de réclamer son argent quand il lui plairait (Schebiith, 10.3).
D’après Deutéronome 31.9 ; Deutéronome 31.13, la fête des Tabernacles de l’année sabbatique devait être marquée par la lecture de la loi deutéronomique devant tout le peuple. La coutume subsista. On raconte qu’à la fin de l’année 41 après Jésus-Christ (qui était une année sabbatique), le roi Hérode Agrippa Ier, lisant le Deutéronome devant le peuple, fondit en larmes quand il arriva au passage 17.15 qui déclare qu’aucun souverain d’Israël ne doit être un étranger. Agrippa se sentait frappé. Le peuple le consola en lui criant : « Ne sois pas affligé, Agrippa, tu es notre frère, tu es notre frère ! » (Sota, 7.8).
La stricte observation de l’année sabbatique, même en Palestine, fut toujours difficile. Dans toute sa rigueur elle était limitée aux premiers territoires occupés par les Juifs après le retour de l’exil ; ailleurs elle subissait des adoucissements (Schebiith, 6.1-2, 5-6). En dehors de la Palestine, elle était impossible.
C’est le couronnement des institutions sabbatiques. Comme la fête de Pentecôte, célébrée le 50e jour après la Pâque, clôturait la période de la moisson qui comptait 7 sabbats, de même l’année du Jubilé devait suivre, dans l’intention du législateur, comme 50e année, le cycle de 7 années sabbatiques (49 ans). Elle était annoncée le 10e jour du 7e mois (tisri) — qui a marqué pendant un temps le commencement d’une année nouvelle, avant de devenir le jour de la grande fête des Expiations, — par le son de la trompette, ou plus exactement du cor, en hébreu yobel, d’où lui vient son nom, d’après l’explication la plus probable. Elle était destinée à compléter et à mettre au point les dispositions qui présidaient, théoriquement, à l’organisation sociale et économique des Israélites. Voir Lévitique 25.8 ; Lévitique 25.17 ; Lévitique 25.23-55 et, comme supplément, Lévitique 27.16, 24, les seuls passages de la loi où elle soit ordonnée : ces passages appartiennent à la législation sacerdotale.
Les prescriptions sont les suivantes :
Les principes qui sont à la base de la loi jubilaire sont fort beaux ; ils doivent sauvegarder l’intégrité du territoire assuré dès l’origine à chaque tribu, empêcher l’accaparement des propriétés rurales par un petit nombre de personnes, conserver l’équitable répartition de la fortune publique entre les différentes familles, assurer la dignité de l’individu, en ne permettant qu’un esclavage temporaire, réduit du reste au simple service d’un mercenaire non payé. Mais c’était plus beau que pratiquement réalisable. Aussi l’année du Jubilé semble-t-elle avoir été complètement inconnue avant l’exil. Les passages que l’on cite pour prouver son existence : Ésaïe 37.30 ; Ézéchiel 46.17 (année de l’affranchissement), Ésaïe 61.2 (année favorable du Seigneur), font simplement allusion à l’année sabbatique, et Ézéchiel 7.12s (ni le vendeur, ni l’acheteur ne tireront profit d’un champ qui a été vendu) ne s’applique qu’aux circonstances malheureuses de l’exil. Après l’exil, la loi jubilaire faisait sans doute partie de la législation, mais aucun passage historique ne garantit qu’elle ait été effectivement observée. Le moment n’est jamais venu où l’on ait cru pouvoir passer à la pratique. Il n’en reste pas moins que les grands principes sur lesquels elle repose : Dieu est le seul maître de la terre et le seul maître des hommes, devraient inspirer toute la législation sociale et économique moderne.
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