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Il s’agit ici des sacrifices tels qu’ils existaient en Israël, de leur valeur et des différentes formes qu’ils ont revêtues. Pour plus de clarté nous distinguons deux grandes périodes : Israël avant l’exil, Israël après l’exil.
Dans l’ancien Israël nous ne trouvons que des données éparses. Il n’y a pas de document exposant d’une manière systématique et complète tout ce qui concerne les sacrifices. Un tel document n’existe qu’après l’exil. C’est la partie du Pentateuque qu’on désigne aujourd’hui sous le nom de Code sacerdotal ou, par abréviation, P (voir Sources). Nous ferons abstraction de ce code dans cette première partie, ou nous n’y ferons que de brèves allusions.
La conception fondamentale du sacrifice dans l’ancien Israël est celle d’un don fait à la divinité pour la remercier de ses bienfaits passés et pour implorer de nouvelles bénédictions. Comme on ne paraît pas devant un roi terrestre sans lui apporter un présent qui le dispose favorablement envers le suppliant, de même on ne paraît pas devant l’Éternel les mains vides (Exode 34.20). C’est le sens évident des premiers sacrifices mentionnés dans la Bible, ceux de Caïn et d’Abel (Genèse 4.3-5, cf. Juges 6.17-21 ; Juges 13.13-21 ; 1 Rois 3.4 et suivants, etc.).
Sous cette signification générale percent d’anciennes notions qui n’étaient peut-être pas toujours conscientes chez les sacrifiants et qui ont fini par disparaître complètement pour faire place à des notions plus spirituelles. Ces anciennes notions expliquent la raison pour laquelle on offrait à Dieu certaines choses plutôt que d’autres, les termes que l’on employait pour exprimer l’effet produit sur la divinité et le sens que l’on donnait aux sacrifices dans des occasions spéciales.
On n’offrait à Dieu que des choses servant également à la nourriture des hommes. Ceci ne se comprend bien que si l’on concevait, à l’origine, la divinité comme ayant elle aussi besoin de nourriture, et que si le sacrifice était envisagé comme un repas qu’on lui présentait. Aussi dans les temps les plus anciens lui apportait-on son offrande apprêtée de la même façon que des mets destinés aux hommes (voir les passages précités de Juges 6 ; Juges 3). Mais on n’avait pas tardé à se rendre compte que la divinité ne se nourrissait point de la même manière que les hommes ; aussi prit-on de bonne heure l’habitude de brûler sur l’autel les biens qu’on lui offrait. Ils étaient présentés sous la forme la plus immatérielle, sous celle d’un parfum que la divinité aspirait et qui lui apportait pleine satisfaction. C’est de là que vient l’expression « sacrifice de bonne odeur » (littéralement, odeur d’apaisement) pour désigner un sacrifice agréable à l’Éternel. L’expression se trouve pour la première fois à propos du sacrifice de Noé (Genèse 8.21) ; l’ensemble de la phrase a encore une tournure très primitive : « Et l’Éternel flaira un parfum de bonne odeur, et il dit en son cœur… » Dans les temps postérieurs il va sans dire qu’on ne prit plus l’expression au pied de la lettre, mais on continua à l’employer : elle est très fréquente dans Ézéchiel et dans le Code sacerdotal (post-exilique), où elle n’a plus qu’une valeur figurée. C’est la même signification figurée que revêtent l’expression « aliment de Dieu » appliquée au sacrifice (Lévitique 21.8-17, Segond ; cf. Lévitique 3.11 ; Lévitique 3.16) et celle de « table de Dieu » appliquée à l’autel (Malachie 1.7) ; mais l’existence même de ces termes suppose à l’origine une conception très naturaliste des offrandes que l’on faisait à la divinité. Les prophètes et les représentants supérieurs de la religion sont arrivés plus tard à une notion purement spirituelle des sacrifices (cf. Psaume 50), mais on peut se demander si la notion première d’une chose dont la divinité avait besoin pour elle-même n’existait pas encore à l’état latent dans les conceptions populaires. C’est ce qui expliquerait le zèle que l’on mettait à multiplier les sacrifices, quand on voulait honorer Dieu d’une façon particulière. Peut-être aussi ne continuait-on à les présenter que parce qu’ils étaient la coutume antique et sacrée d’adorer l’Éternel, et ne se mettait-on pas en peine de savoir pourquoi Dieu voulait être adoré de cette façon-là plutôt qu’autrement. En tout cas, le sacrifice était l’acte religieux par excellence, celui dans lequel et par lequel l’homme s’approchait de son Dieu et se mettait en relations personnelles avec Lui.
Ce qui a contribué à donner au sacrifice cette signification, c’est qu’à l’origine il n’était pas seulement une offrande d’aliments à la divinité, mais, dans certains cas tout au moins, un repas que l’homme partageait avec Dieu ; et cette conception avait subsisté à travers les siècles. L’homme qui offrait un sacrifice invitait en quelque sorte Dieu à paraître dans le sanctuaire ; il lui donnait, comme lui appartenant (car ils venaient de lui), les biens qu’il avait apportés, et quand la part de Dieu était faite, il reprenait ce dont il avait besoin pour se nourrir lui-même. On a appelé cela un repas de communion (cf. Exode 24.11). D’autres historiens veulent en rester à la première idée d’un don fait à la divinité ; mais, même si l’on insiste sur ce caractère de don, il n’en reste pas moins que la présence du fidèle dans le sanctuaire et sa participation à un repas dont la divinité avait eu les prémices entraînaient nécessairement l’idée de communion. Chez les anciens Arabes, après l’immolation de la victime, la communauté se tenait un instant tranquille et muette autour de l’autel : c’était le moment pendant lequel la divinité s’approchait et prenait sa part du sacrifice. Aussi les sacrifices avaient-ils leur place toute marquée dans les occasions solennelles où l’homme fait alliance avec Dieu (voir, pour Abraham, Genèse 15, et, pour l’alliance du Sinaï, Exode 24.4 ; Exode 24.8).
Les sacrifices ne créaient pas seulement un lien entre les hommes et Dieu ; ils unissaient plus étroitement les hommes entre eux. Les mêmes sentiments animaient ceux qui se présentaient ensemble devant l’autel, et dans le repas qui suivait les participants mangeaient des mêmes victimes dont une partie avait été offerte à la divinité. Ils se sentaient un devant Dieu. Les sacrifices réguliers étaient donc des fêtes de famille ou des fêtes d’une communauté plus étendue dans lesquelles s’affirmait tout à nouveau la solidarité des membres les uns avec les autres (cf. 1 Samuel 1.1 ; 1 Samuel 9.13, 1 Samuel 20.6). Les sacrifices individuels devaient être rares dans l’ancien Israël, sauf occasions spéciales (Juges 6.19 et suivants, Gédéon ; 1 Rois 3.4, Salomon, etc.). Dans les repas qui accompagnaient les sacrifices de communauté, la joie pouvait dépasser quelquefois les bornes du permis ; voir les reproches d’Héli à Anne (1 Samuel 1.13 et suivant). Pourtant des règles assez sévères étaient imposées à ceux qui voulaient s’approcher de l’autel : il fallait laver ses vêtements, s’abstenir de tout ce qui était impur (Exode 19.10 et suivants), et même avoir auparavant renoncé aux relations conjugales pendant quelques jours (1 Samuel 21.5, cf. Exode 19.15).
Sur les distinctions des lois de pureté, voir Pur et impur.
Il y en avait différentes espèces. Mais, en fait, nous sommes peu informés sur ce point dans l’ancien Israël. Nous n’avons rien d’analogue à ce que nous trouvons dans le Code sacerdotal. Les anciennes législations sont absolument muettes, et nous devons nous contenter de quelques passages isolés. Les plus explicites sont 2 Samuel 6.17 et suivant et 1 Rois 8.62-64, qui mentionnent deux espèces de sacrifices de victimes animales : le zèbakh (sacrifice) et la ôlâh (holocauste, appelé kâlil dans 1 Samuel 7.9 et Deutéronome 33.10). Le zèbakh avait sans doute plusieurs variétés ; la plus fréquente, en tout cas la seule mentionnée, était le sacrifice d’actions de grâces (chelem, pluriel chelâmim employé souv, comme singulier) ou sacrifice de prospérité. Les deux sens sont possibles ; le plus probable est celui de sacrifice d’actions de grâces (1 Samuel 10.8 ; 1 Samuel 11.15 ; 1 Samuel 13.9 ; 2 Samuel 6.17 ; 1 Rois 3.15 ; Exode 24.5 etc.). Même quand le mot zèbakh est employé seul, il désigne généralement un chelem. Dans les sacrifices d’actions de grâces, le sang et quelques parties de la victime, spécialement la graisse, étaient seuls offerts sur l’autel ; une part était réservée aux prêtres (1 Samuel 2.12 ; 1 Samuel 2.17 ; Deutéronome 18.3), le reste revenait aux sacrifiants qui le mangeaient près du sanctuaire.
Dans l’holocauste, en revanche, la victime entière était consumée par le feu (Juges 6.19 et suivant, etc.). Mais l’holocauste était sans doute rarement offert seul (comme 1 Samuel 7.9 ; 1 Rois 3.4 ; 1 Rois 18.30-39). Ailleurs les sacrifices d’actions de grâces figurent à côté des holocaustes ou de l’holocauste (2 Samuel 6.17 et suivant, 1 Rois 8.62 ; 1 Rois 8.64). L’holocauste était envisagé comme la forme la plus haute d’offrande de victime animale. Le mot par lequel il est généralement désigné : ôlâh (de la racine âlâh = monter), ne signifie pas par lui-même « consumé entièrement par le feu », mais devait s’appliquer primitivement à la victime (ou à la partie de la victime) qui était offerte sur l’autel. Un terme étymologiquement plus exact est celui de kâlil, signifiant : consumé entièrement, mais dans le langage actuel de l’Ancien Testament une ôlâh est toujours un kâlil
Le sacrifice d’expiation (khattâth) et le sacrifice de culpabilité (âchâm) ne figurent avant l’exil ni dans la législation, ni dans l’histoire, sauf peut-être 2 Rois 12.16. Dans ce passage il s’agit exactement d’amendes, qui n’étaient pas versées dans le trésor du temple, mais étaient remises aux prêtres. Peut-être y a-t-il une certaine relation entre ces amendes et les sacrifices du même nom dans le Code sacerdotal ; mais on ne peut rien affirmer de précis à ce sujet, quoique la place importante que le âchâm et le khattâth occupent déjà dans la législation d’Ézéchiel permette de supposer qu’ils existaient avant l’exil ; en tout cas, ils ne jouaient alors qu’un rôle secondaire.
À côté des victimes animales, on pouvait offrir à l’Éternel des fruits de la terre : vin, blé, huile, etc. (voir Exode 22.29, prémices [premiers produits) de la moisson et de la vendange ; Exode 23.15 ; Juges 6.19, pains sans levain ; 1 Samuel 21.1 ; 1 Samuel 21.9, pains de proposition). Plus tard on a réservé pour ces offrandes non sanglantes le terme de minkhâ, signifiant : offrande, oblation, mais avant l’exil il désignait une offrande quelconque, sanglante ou non sanglante (Genèse 4.3 ; Genèse 4.5 ; 1 Samuel 2.17).
Sur le rituel du sacrifice, les lois anciennes ne donnent que de rares indications. Elles précisent que le premier-né de la vache ou de la brebis, qui appartient de droit à l’Éternel, comme les prémices de la moisson et de la vendange, ne peut être présenté à l’autel que huit jours après sa naissance (Exode 22.30) ; elles interdisent de cuire un chevreau dans le lait de sa mère (Exode 23.19 ; Exode 34.26 ; Deutéronome 14.21), d’offrir avec du pain levé le sang de la victime sacrifiée et de garder sa graisse jusqu’au matin (Exode 23.18). D’après Exode 34.25, cette dernière prescription vise spécialement le sacrifice de la Pâque. La défense de cuire un chevreau dans le lait de sa mère avait sans doute pour origine une croyance superstitieuse ; ce n’était pas affaire de sentiment. L’emploi du pain levé était autorisé dans certains sacrifices (Amos 4.5).
Le Deutéronome n’est guère plus explicite que les premières législations. Il donne (Deutéronome 14.4-20) la liste des animaux purs et impurs ; il fixe (Deutéronome 18.3 et suivant) la part qui revient aux prêtres dans les sacrifices d’actions de grâces et leur attribue la jouissance des prémices ; il ajoute (Deutéronome 26.1-11), pour la présentation de ces dernières qui doivent être tout d’abord déposées devant l’autel, une très belle liturgie indiquant la manière de procéder, avec la prière à prononcer par l’Israélite. C’est un morceau unique en son genre avant l’exil.
Pour avoir quelques renseignements précis sur le rituel des autres sacrifices, il faut recourir aux livres historiques. Les principaux passages sont Juges 6.19 ; Juges 6.21 ; Juges 13.15 ; Juges 13.20, qui parlent des holocaustes de Gédéon et de Manoah, le père de Samson, et 1 Samuel 2.12 ; 1 Samuel 2.17, qui raconte la façon fâcheuse dont les fils d’Héli réclamaient leur part dans les sacrifices d’actions de grâces. Il résulte de ces passages que la chair des victimes était ordinairement bouillie avant d’être brûlée sur l’autel, soit tout entière (holocauste), soit en partie (la graisse dans les sacrifices d’actions de grâces), que les prêtres recevaient ensuite leur part et que le reste servait au repas des sacrifiants. Les fils d’Héli en revanche voulaient avoir de la viande crue pour pouvoir la rôtir, et ils se servaient eux-mêmes dans la marmite, avant qu’elle fût entièrement bouillie et avant qu’on eût brûlé la graisse sur l’autel. C’est le sens le plus naturel du passage 1 Samuel 2.12-17. D’autres interprètes le comprennent autrement : ils pensent que la graisse était brûlée crue sur l’autel, et que les fils d’Héli réclamaient leur portion en viande crue avant même que l’Éternel fût servi (voir verset 158) ; mais l’ensemble du passage n’est pas favorable à cette interprétation, qui est suggérée par le désir de faire disparaître toute différence entre la coutume ancienne (viande bouillie) et la coutume postérieure qui était de brûler crue la chair présentée à l’autel (voir Lévitique). Mais si la chair était ordinairement bouillie, elle ne l’était pas en toute circonstance. Le rituel de la Pâque (Exode 12.1-11), probablement très ancien, quoique nous ne le connaissions que par le Code sacerdotal, prouve que dans certains cas la viande était consacrée crue à l’Éternel et mangée rôtie par les sacrifiants. Il est du reste possible que le rituel ne fût pas le même dans tous les sanctuaires et qu’il y eût différentes manières de présenter la chair à l’autel.
Les passages Nombres 23.1 ; Nombres 23.3 ; 1 Samuel 7.9 ; 1 Rois 18.30 ; 1 Rois 18.39 concernent des faits spéciaux et ne peuvent servir à préciser le rituel des sacrifices ordinaires ; de même tous les autres passages où les sacrifices sont mentionnés sans aucun détail sur la manière de procéder.
Un rituel particulier était celui des sacrifices d’alliance (voir ce mot). Les victimes étaient coupées par le milieu, les morceaux séparés étaient placés en face l’un de l’autre, et les contractants passaient entre ces morceaux (Genèse 15.9 ; Genèse 15.17 ; Jérémie 34.18). La forme n’est pas la même dans Exode 24 : une partie du sang des victimes est offerte à Dieu sur l’autel et l’autre partie est répandue sur le peuple (verset 6,8) ; mais le sens est identique : les contractants sont unis par le fait qu’ils ont passé entre les mêmes victimes ou qu’ils ont été aspergés de leur sang.
La valeur des sacrifices ordinaires ne variait pas essentiellement de l’un à l’autre. Ils étaient toujours un don que le sacrifiant faisait à Dieu pour lui rendre grâces ou pour obtenir des bénédictions. Mais, comme les circonstances sont infiniment diverses et que les biens souhaités ne sont pas toujours les mêmes, ils prenaient une signification spéciale suivant les occasions. C’était tout particulièrement le cas lorsque les rapports de l’homme avec Dieu étaient troublés et qu’il s’agissait de les rétablir en se conciliant la faveur divine. Les sacrifices avaient alors une valeur propitiatoire, mais elle ne semble pas avoir été, dans l’ancien Israël, attachée essentiellement, comme plus tard (Lévitique 17), à la présentation sur l’autel du sang de la victime immolée ; elle l’était au sacrifice dans son ensemble. La valeur spéciale du sacrifice venait de l’intention spéciale de celui qui l’offrait. Or, il va de soi que quand on avait intérêt à obtenir une grâce particulièrement importante, comme le rétablissement des relations normales avec Dieu, on offrait un sacrifice qui coûtât davantage qu’un autre, et une victime animale valait plus qu’une offrande de vin ou de fruits. Un sacrifice propitiatoire ne se faisait donc pas, dans la règle, sans effusion de sang. Le sacrifice annuel de la Pâque nous permet cependant de penser que la signification spécifique du sang n’était pas inconnue à l’ancien Israël ; ce sacrifice avait une portée propitiatoire, et le rite indique que sa valeur résidait dans l’aspersion du sang, à laquelle on attribuait le pouvoir de mettre les hommes à l’abri du châtiment divin. Nous pouvons voir ici le germe de la théorie plus développée du Code sacerdotal.
Il convient du reste de remarquer que l’on cherchait à éloigner la colère de Dieu non pas seulement pas des sacrifices, mais dans certains cas avant tout par la prière et par le jeûne (voir ces mots). Pour la prière, cf. Josué 7.6 et suivants ; pour le jeûne, 1 Samuel 7.6 ; Juges 20.26 ; 2 Samuel 12.16 ; 1 Rois 21.12-27. Dans d’autres cas le jeûne était simplement un signe de tristesse et de deuil (2 Samuel 1.12 ; 2 Samuel 3.35).
C’était la façon extrême d’offrir à la divinité une victime qui la disposât favorablement à l’égard des hommes. Ils n’ont jamais été légalement admis en Israël. Cependant quelques récits nous montrent qu’ils n’étaient pas absolument contraires aux conceptions de la religion populaire, et qu’ils ont existé à certains moments ; par exemple au temps de Jephté (Juges 11.29-31 34-40) Le sens du récit est très clair, quoique l’auteur omette de préciser tous les détails. Jephté promet, si Dieu lui accorde la victoire sur les Ammonites, d’offrir en holocauste à l’Éternel la première personne qui, des portes de sa maison, viendra à sa rencontre ; c’est malheureusement sa fille qui sort la première au-devant de lui, avec des tambourins et des danses, et le père doit accomplir sur elle le vœu qu’il a fait (verset 39). L’histoire n’est peut-être qu’une légende, mais elle n’a pu naître que dans un milieu où l’on admettait la légitimité des sacrifices humains ; Un autre cas, très probablement historique, est celui de Hiel, de Béthel, qui rebâtit Jérico : il en posa les fondements au prix d’Abiram, son premier-né, et il en posa les portes au prix de Ségub, son plus jeune fils. Il s’agit ici de « sacrifices de fondation » qui étaient usités chez les Cananéens. On immolait des enfants et on plaçait leurs cadavres sous les murs ou sous les portes des maisons pour en éloigner les mauvais esprits, anciens possesseurs du sol. On a retrouvé les traces de semblables sacrifices dans les fouilles faites à Méguiddo, à Thaanac, à Guézer (figure 90, 91). Plus tard, sous l’influence du cananéisme toujours vivace et des coutumes païennes qui s’infiltraient en Israël grâce aux relations plus étroites avec les autres nations, les sacrifices d’enfants, spécialement les sacrifices des premiers-nés (voir ce mot), se multiplièrent. D’après 2 Rois 16.3, Achaz déjà (735-720) fit passer son fils par le feu, mais c’est à l’époque de Manassé (692-640) que cette coutume abominable eut sa plus grande extension (2 Rois 21.6 ; 2 Rois 23.10 ; Jérémie 7.31 ; Jérémie 19.3 ; Jérémie 32.35 ; Ézéchiel 23.37 ; Ézéchiel 16.20). Le dieu auquel les enfants étaient sacrifiés est appelé tantôt Baal, tantôt Moloc, parce que c’étaient les dieux qui réclamaient de pareils sacrifices ; mais, d’après Jérémie 7.31, les Israélites les offraient en réalité à leur Dieu national, l’Éternel ; sans cela le prophète, parlant en son nom, ne dirait pas : « chose que je n’avais point commandée et qui n’était point venue à ma pensée ». Les sacrifiants eux-mêmes invoquaient sans doute pour justifier leurs sombres offrandes le passage Exode 22.29 : « Tu me donneras le premier-né de tes fils », qu’ils interprétaient littéralement. Ézéchiel admet peut-être la même interprétation (20.26), mais il a soin d’ajouter que Dieu n’a donné un tel commandement que pour augmenter les péchés d’Israël : « afin qu’ils se souillent par leurs dons et que je les mette en désolation ». Autant dire que ces sacrifices sont absolument contraires à la vraie volonté de Dieu. D’après Exode 34.20, les premiers-nés devaient être rachetés, et c’est également le sens de Exode 22.29.
Les sacrifices humains étaient contraires à tout l’esprit de la religion d’Israël. Ils sont condamnés par la loi (Deutéronome 12.31 ; Deutéronome 18.10 ; Lévitique 18.21 ; Lévitique 20.2 et suivants) et combattus énergiquement par les prophètes (cf. les passages de Jérémie et d’Ézéchiel cités plus haut, et en outre Michée 6.7 ; Jérémie 3.24 ; Psaumes 106.38). Jérémie en particulier est très vif contre le haut-lieu de Topheth dans la vallée de Hinnom (voir ce mot), qui semble avoir été réservé aux sacrifices d’enfants (Jérémie 7.31 ; Jérémie 19.5, cf. 2 Rois 23.10). On peut voir dans l’histoire du sacrifice d’Isaac (Genèse 22) une antique mise en garde contre de pareils sacrifices. Dieu a le droit de réclamer le fils qu’il a donné, mais il ne veut pas qu’il soit mis à mort ; il le fait remplacer par un bélier.
Dans les temps anciens, où l’usage de la viande était plutôt rare, il n’y avait sans doute pas de boucherie d’un animal en dehors des sacrifices réguliers ou extraordinaires. Les animaux étaient tués près du sanctuaire local, et une partie de la chair, en tout cas le sang, était apportée à l’autel. Le sang était considéré comme le siège de la vie, et en cette qualité il appartenait à Dieu qui est le dispensateur de la vie. Chose sainte, il était en toute circonstance défendu de l’absorber et il devait faire retour à la divinité. Voir 1 Samuel 14.33 où la pierre amenée sur l’ordre de Saül sert d’autel provisoire (voir verset 35), et 1 Rois 1.9 où la pierre de Zohéleth (voir ce mot) est évidemment un autel destiné à recevoir le sang des nombreuses victimes immolées par Adonija. Quand le Deutéronome ordonna la concentration du culte à Jérusalem, il ne fut plus possible d’amener au sanctuaire tous les animaux qui devaient servir à l’alimentation du peuple. Alors on distingua très nettement des sacrifices la simple boucherie, mais la défense de manger du sang fut strictement maintenue ; on sait qu’elle est encore observée par les Juifs. Quand on tuait un animal, on devait en répandre le sang sur la terre comme de l’eau (cf. Deutéronome 12.15 ; Deutéronome 12.20-25). C’est de cette façon-là que le sang faisait retour à la divinité ; la chair elle-même n’avait plus rien de sacré et pouvait être mangée par tous les membres de la famille, purs ou impurs, aussi bien que celle des animaux (cerf, gazelle) qui n’étaient jamais offerts en sacrifice.
La réforme de Josias (622-621), avec la concentration du culte à Jérusalem, et la ruine de l’existence nationale de Juda, quelques années plus tard (586), ont amené un profond changement dans les habitudes et les conceptions cultuelles de la partie du peuple qui a survécu à la ruine. La centralisation du culte a nécessairement restreint le nombre des sacrifices et les a mis à part comme une œuvre spéciale à accomplir en dehors des devoirs de la vie quotidienne. Auparavant, ils étaient intimement mêlés à tous les événements de l’existence ; on allait au sanctuaire chaque fois qu’un fait heureux ou malheureux poussait l’Israélite à se présenter devant l’Éternel avec une offrande qui lui fût agréable. Ce n’était plus que rarement possible quand il fallait pour cela faire un long voyage. Offerts seulement à certaines époques de l’année, les sacrifices ont pris le caractère d’actes distincts de piété, à côté des autres formes de la vie religieuse, et tout naturellement on les considérait comme ayant une valeur spécifique, que n’avaient pas au même degré des actions qu’on pouvait accomplir tous les jours. Le châtiment de l’exil a d’autre part donné au sentiment du péché une force qu’il n’avait jamais eue auparavant ; en conséquence, la première préoccupation des fidèles Israélites est devenue celle d’éloigner la colère de Dieu et de rentrer en grâce auprès de lui. Le besoin de pardon l’emportait sur tous les autres ; quand le fidèle se présentait devant Dieu, il voulait avant tout obtenir l’effacement de ses fautes. Aussi la valeur spécifique des sacrifices, préparée par la centralisation du culte, a-t-elle été attachée à la notion d’expiation. Sans doute déjà avant l’exil cette notion n’était pas absente (1 Samuel 7.9 ; 1 Samuel 3.14 ; 1 Samuel 26.19), mais les sacrifices par lesquels on cherchait à détourner la colère de Dieu n’étaient pas d’une espèce particulière, et l’expiation n’occupait pas la première place dans la généralité des sacrifices ; c’était une grâce que l’on pouvait obtenir à côté des autres, la seule que l’on visait dans certains cas, mais non pas la seule que l’on recherchât en toutes circonstances au moyen des mêmes oblations. D’autre part, la notion ancienne de simple offrande agréable à Dieu persiste encore, après l’exil, dans plusieurs espèces de sacrifices, comme on le verra plus loin. Il n’en reste pas moins qu’il y a dans l’ensemble une différence profonde entre la notion ancienne et la notion nouvelle : avant l’exil, offrande ; après l’exil, moyen d’expiation.
L’expiation est attachée spécialement à l’effusion du sang ou, plus exactement, à la présentation du sang sur l’autel (cf. Lévitique 17.11, qui est décisif sur ce point). Après la défense de manger du sang, Dieu ajoute : « Car l’âme de la chair est dans le sang ; je vous l’ai donné sur l’autel afin qu’il serve d’expiation pour vos âmes, car c’est par l’âme que le sang fait expiation ». Ce passage est intéressant à plus d’un égard. Il montre tout d’abord comment nous devons envisager la doctrine de l’expiation dans l’Ancien Testament Le fait premier est la volonté de Dieu de pardonner à son peuple. Il n’est pas un Dieu farouche qu’il faille bien disposer par toute espèce de moyens ayant en eux-mêmes la puissance d’apaiser sa colère : où trouver ces moyens ? Il est au contraire le Dieu plein de miséricorde qui veut demeurer en communion avec son peuple, et qui, sachant le peuple pécheur, donne lui-même le moyen par lequel les péchés seront expiés devant lui et les pécheurs mis de nouveau au bénéfice de ses grâces. Sur l’étendue de l’expiation par le sacrifice et le pardon accordé aux pécheurs sans l’intervention d’un sacrifice, voir plus loin, III
Le fait que le moyen d’expiation est donné par Dieu lui-même explique en même temps comment il peut être un moyen suffisant. Il ne l’est pas nécessairement en vertu de sa valeur intrinsèque ; il l’est parce qu’il vient de Dieu, parce que Dieu l’a institué et par là même a déclaré qu’il s’en contentait. Peu importe qu’il s’agisse d’une institution directe ou d’une institution créée par l’histoire ; on ne mettait pas en doute au temps du Code sacerdotal que la loi des sacrifices ne fût l’expression de la volonté de Dieu à l’égard de son peuple. Une exposition dogmatique sur la manière dont le sang des victimes peut expier les péchés des hommes ne se trouve nulle part dans l’Ancien Testament Pas plus qu’on ne se demandait autrefois pourquoi Dieu réclamait de ses adorateurs des sacrifices plutôt que toute autre manifestation de reconnaissance, pas plus on ne se demandait dans le judaïsme comment le sang des victimes avait objectivement le pouvoir de purifier les pécheurs. Dieu l’avait ainsi ordonné, on n’allait pas plus loin.
Il est certain cependant que l’on attribuait la valeur d’un sacrifice sanglant à un des éléments du rite plutôt qu’à un autre, et que l’on interprétait l’offrande du sang dans un sens plutôt que dans un autre. À ce point de vue on comprend que les exégèses modernes aient échafaudé de nombreuses théories sur la valeur des sacrifices. Mais ces théories sont toutes également fausses, dès qu’elles cherchent à fixer en vertu de quelle raison intrinsèque un sacrifice devait produire l’effet qui lui est attribué. Jamais le sang des taureaux et des boucs n’a pu objectivement effacer les péchés des hommes (Hébreux 10.1 ; Hébreux 10.14) ; il ne les a effacés qu’en vertu du bon plaisir divin qui a bien voulu établir (ou accepter) pour un temps un semblable moyen d’expiation. Nous devons donc laisser de côté toute considération dogmatique et nous borner à rechercher comment les Juifs comprenaient eux-mêmes les prescriptions divines relatives aux sacrifices.
Le terme hébreu technique pour dire « expier », « produire l’expiation des péchés », est le verbe kipper. Quelle que soit la signification primitive de la racine dont il dérive (couvrir ; effacer, détruire, dans les langues voisines de l’hébreu), la forme kipper n’est jamais employée par la loi sacerdotale et par Ézéchiel que dans le sens de : faire expiation. Ailleurs elle peut avoir un sens plus général : pardonner (Psaumes 65.4 ; Psaumes 78.38), apaiser (Genèse 32.20), mais toujours en rapport avec un péché dont il faut éloigner les conséquences. Très rapproché de la forme verbale est le substantif kopher, rançon. Tout le monde n’est pas d’accord sur le lien qui existe entre les deux mots ; mais, quand on considère les passages où ils sont employés, on ne peut se soustraire à la pensée qu’il est très étroit : le kopher est le moyen par lequel s’opère le kipper ; en d’autres termes, c’est en payant la rançon d’un péché qu’on en obtient l’expiation. D’après Lévitique 17.11, cette rançon est le sang, que Dieu lui-même a expressément donné pour cela : le sang, la vie, de la victime sacrifiée est le pretium expiationis et redemptionis. — On a compris cette déclaration dans le sens de la « satisfaction vicaire », c’est-à-dire de la substitution d’une victime innocente à l’individu coupable : Dieu aurait accepté la mort de l’animal comme remplaçant le châtiment mérité par le pécheur. On cite, pour appuyer cette manière de voir, Deutéronome 21.1-9 (meurtre commis par un inconnu et dont les conséquences doivent être effacées par le sacrifice d’une génisse) ; Exode 20.5 (châtiment des pères retombant sur les enfants) ; Genèse 22.1 ; Genèse 22.14 (bélier sacrifié à la place d’Isaac). Mais dans ces deux derniers passages il n’est pas question d’expiation proprement dite, et dans Deutéronome 21.1 ; Deutéronome 21.9 la génisse qu’on égorge pour effacer le sang répandu rentre dans la catégorie des sacrifices pour le péché dont il sera question plus loin (3, c).
La satisfaction vicaire n’est sans doute pas étrangère à l’Ancien Testament (cf. Ésaïe 53 ; Lévitique 16.21, bouc pour Azazel) mais elle n’est pas à la base des sacrifices sanglants dans la loi sacerdotale, car si c’était le cas, l’égorgement de la victime serait l’acte important du sacrifice, tandis qu’il ne joue qu’un rôle secondaire dans les rites prescrits. En outre la victime chargée des péchés de l’Israélite serait impure, et sa chair ne pourrait pas venir sur l’autel : le bouc pour Azazel (voir ce mot) était chassé au désert (Lévitique 16.20 ; Lévitique 16.22). Surtout le sacrifice devrait être tout particulièrement réclamé pour les péchés qui entraînaient la mort de l’Israélite ; mais, dans ce cas, il ne l’était jamais : la mort devait être subie par le coupable.
Pour se rendre compte de la manière dont la loi envisageait le sacrifice sanglant, il faut faire intervenir la notion générale du sacrifice qui est une offrande à Dieu, apportée par l’Israélite, transmise par le prêtre. Le sang, lui aussi, est une offrande, une offrande particulièrement précieuse devant Dieu, puisqu’il représente la vie qu’il a donnée et qui lui appartient à lui seul. C’est la valeur de l’offrande qui en fait une rançon suffisante pour que Dieu pardonne et que le pécheur rentre en grâce auprès de lui. Il est naturel que, partant de là, on ait ajouté à la notion d’une chose particulièrement précieuse celle d’une vie sacrifiée par la faute d’un autre, et qu’ainsi l’idée de substitution se soit introduite, plus ou moins clairement, dans les conceptions israélites de certains sacrifices. Mais elle n’a pas été l’idée première, et elle n’est pas devenue l’idée générale. Elle perce en revanche dans les sacrifices du grand jour des Expiations (voir Fêtes), car ici la chair des animaux sacrifiés n’est pas apportée à l’autel, ni mangée par les prêtres, mais brûlée hors du camp.
C’est seulement à partir d’Ézéchiel, dans la loi sacerdotale postexilique et dans les documents contemporains, qu’on trouve des détails précis sur ce point : on ne peut donc en tenir compte que pour l’Israël d’après l’exil. Mais il va sans dire que la loi sacerdotale n’a pas créé de toutes pièces les prescriptions qu’elle contient. On sait que dans les religions il n’y a rien de plus tenace que les rites et que, transmis à travers les siècles, ils peuvent remonter très haut. Aussi est-il extrêmement probable que la loi sacerdotale a reproduit sur bien des points le rituel en usage avant l’exil dans le sanctuaire de Jérusalem, et ce rituel était sans doute plus ancien encore. Peut-être certains détails étaient-ils déjà fixés aux temps du désert, et la ressemblance que l’on a constatée entre des rites cananéens et les rites israélites permet de supposer que les pratiques des anciens habitants du pays ne sont pas étrangères au développement du rituel observé dans les grands sanctuaires de Juda et d’Israël (voir l’ouvrage de R. Dussaud cité plus loin). Mais étant donné le manque de renseignements dans les documents antérieurs à l’exil, on ne peut pas faire le départ entre ce qui est ancien et ce qui est nouveau dans les lois cultuelles du Lévitique, et le plus simple est d’exposer la législation nouvelle sans tenir compte de ce qui pouvait exister autrefois.
Nous distinguons entre sacrifices non sanglants et sacrifices sanglants.
Les principaux passages de la loi relatifs au sacrifice pour le péché et au sacrifice de culpabilité sont : pour le premier Lévitique 4.1-5.13 ; Lévitique 6.17 ; Lévitique 6.23 ; Nombres 15.22-31 ; pour le second Lévitique 5.14-6.7 ; Lévitique 7.1 ; Lévitique 7.7 ; Lévitique 14.12-18. Les deux sacrifices n’ont pas toujours été distingués très nettement l’un de l’autre. C’est ainsi que l’on trouve, dans Lévitique 4.1-5.13, un passage postérieur (Lévitique 5.1 ; Lévitique 5.6) où le mot âchâm est employé au lieu de khattâth pour une série de cas qui entrent dans les fautes à expier par un sacrifice pour le péché, et le mot âchâm figure également à tort verset 7. De même, dans Lévitique 5.14-6.7 (sacrifice de culpabilité), le passage Lévitique 5.17 ; Lévitique 5.19 est postérieur et mêle les deux espèces de sacrifices.
Si, pour le sacrifice de culpabilité (âchâm), on s’en tient à Lévitique 5.14-16 ; Lévitique 6.1-7, la signification spéciale de ce sacrifice est assez claire. On l’offrait quand il y avait eu atteinte à la propriété d’autrui. Le péché à expier est appelé maal : infidélité, sacrilège. Il y avait infidélité vis-à-vis de Dieu, quand l’Israélite s’appropriait indûment des choses consacrées à l’Éternel (cf. Jérémie 28 ; Lévitique 22.16) ou quand il cherchait à tromper dans les redevances qui lui incombaient vis-à-vis du sanctuaire. Il y avait infidélité vis-à-vis des hommes, quand on s’appropriait un bien confié ou quand on prenait par ruse ou par violence ce qui appartenait au prochain. Une infidélité vis-à-vis des hommes était en même temps une infidélité vis-à-vis de Dieu. Dans les cas de cette nature, on devait offrir non seulement un sacrifice de culpabilité (rituel : Lévitique 7.1-7), mais restituer complètement la chose mal acquise en y ajoutant un cinquième de sa valeur (Lévitique 5.16 ; Lévitique 6.4 ; Nombres 5.5-8). Le sacrifice de culpabilité était réclamé dans certains cas spéciaux : purification d’un lépreux guéri, qui nécessitait également un sacrifice pour le péché (Lévitique 14.12-18) ; expiation d’une faute commise avec une femme fiancée, mais non affranchie (Lévitique 19.20 ; Lévitique 19.22) ; renouvellement du vœu du naziréen souillé par le contact d’un mort (Nombres 6.12). Comp. Esdras 10.19 : les fils de prêtres qui ont épousé des femmes étrangères doivent les renvoyer et offrir un sacrifice de culpabilité.
Le sacrifice pour le péché portait sur un domaine beaucoup plus étendu. Il devait être offert « toutes les fois que quelqu’un avait péché involontairement contre l’un des commandements de l’Éternel, en faisant des choses qui ne doivent point se faire » (Lévitique 4.2). Le passage Lévitique 4.1-5.13 indique le rituel à observer suivant les différentes catégories de personnes : grand-prêtre (Lévitique 4.3, 12) ; assemblée d’Israël (Lévitique 4.13, 21) ; un chef (Lévitique 4.22-26) ; un homme du peuple (Lévitique 4.27-35). un pauvre : deux tourterelles ou deux pigeons (Lévitique 5.7, 10) ; un très pauvre : l’offrande d’un dixième d’épha de fleur de farine (Lévitique 5.11, 13 ; voir aussi Lévitique 6.24, 30). Nous nous bornons à relever les détails suivants :
Nous ajoutons que, pour ces autres sacrifices, le sang n’était pas appliqué aux cornes, puis versé au pied de l’autel, mais que le prêtre le répandait tout autour de l’autel et en aspergeait les quatre côtés. Les divers cas dans lesquels il fallait offrir un sacrifice pour le péché ne pouvaient pas être énumérés en détail, puisque ce sacrifice était réclamé toutes les fois qu’il y avait faute contre un commandement quelconque. Aussi ne trouvons-nous à ce sujet que quelques indications : voir Lévitique 5.1 ; Lévitique 5.6, qui énumère quatre fautes, deux rituelles et deux morales ; Lévitique 12.6 ; Lévitique 12.8, cas de l’accouchée où l’holocauste de purification doit être accompagné d’un sacrifice pour le péché ; Lévitique 14.19, purification du lépreux guéri, oui réclame un sacrifice pour le péché à côté du sacrifice de culpabilité ; Lévitique 15.30 (impureté lévitique), sacrifice pour le péché à côté de l’holocauste ; Nombres 6.8 et suivants (naziréen souillé par le contact d’un mort), sacrifice pour le péché à côté de l’holocauste et, pour le renouvellement du vœu, d’un sacrifice de culpabilité. En outre, les sacrifices pour le péché figurent spécialement, à côté des autres sacrifices réglementaires, dans le rituel des jours de fête (Nombres 28 et Nombres 20) et dans la cérémonie de la consécration des prêtres (Lévitique 8 ; Exode 29.1-28). Voir plus haut les passages d’Ézéchiel relatifs à la consécration de l’autel (Ézéchiel 45.18-25) et à la purification du sanctuaire ; voir (Ézéchiel 45.18 ; Ézéchiel 45.25) Autel.
Ici nous nous trouvons sur un terrain difficile, et cela à deux points de vue : a) l’expiation ne vise pas également tous les péchés ; b) le pardon est souvent annoncé en dehors de toute expiation par le sacrifice. Pour arriver à quelque clarté, il faut distinguer deux domaines :
Nous rappelons que dans l’Ancien Testament l’alliance divine est faite avec la communauté. C’est à la communauté que sont promises la protection et la bénédiction de l’Éternel ; c’est à elle aussi qu’est donnée la loi dont l’observation est la contre-partie humaine de l’œuvre de Dieu. Naturellement tout Israélite, en tant que membre de la communauté, a droit aux grâces assurées à l’ensemble, s’il demeure dans la ligne tracée à la communauté et ne se rend pas indigne d’en faire partie. Normalement c’est ce qui devrait toujours être. Le membre de la communauté est censé posséder in abstracto toutes les qualités voulues d’un vrai serviteur de l’Éternel. Mais, dès qu’il se rend coupable d’une faute quelconque, il brise le lien qui l’unit à la communauté, il n’est plus dans les conditions voulues pour en faire partie, il est privé par conséquent des grâces assurées à la communauté, et la communauté elle-même est souillée par sa présence. Il faut nécessairement une réparation qui lui rende la position perdue et fasse disparaître la tache imprimée à la communauté ; ou, si la faute est trop grave, il faut que la communauté soit débarrassée d’un membre qui attire sur elle la colère de Dieu. C’est ici que la loi intervient d’un côté avec les sacrifices expiatoires, de l’autre avec les peines qu’elle inflige ; le souci du bien de l’ensemble nous explique le traitement différent qu’elle prévoit pour les différentes catégories de péchés.
Elle distinguait, d’après le degré d’intention coupable, entre péchés commis par « erreur » (bichegâgâ) ou péchés involontaires, et péchés commis « à main levée » (beyâd râmâh), actes de révolte ouverte contre Dieu, transgressions réfléchies et intentionnelles des commandements divins. Les péchés « à main levée » n’étaient pas expiables par les sacrifices, parce qu’ils étaient une rupture volontaire de l’alliance qu’il n’était plus possible de réparer ; la seule expiation qui pût mettre la communauté à l’abri était l’éloignement définitif des coupables par la mort. En revanche, les péchés involontaires n’étaient qu’une tache faite à la communauté ; le coupable était un membre indigne, mais encore un membre, et Dieu voulait bien ne pas tenir compte de sa faute, une fois qu’elle avait été couverte par les sacrifices que lui-même avait institués pour cela. Voir Lévitique 4 ; Lévitique 5 ; Nombres 15.22-31, qui disent très clairement que le sacrifice pour le péché et le sacrifice de culpabilité ne sont prévus que pour des fautes involontaires, soit des individus, soit de l’assemblée dans son ensemble. Notons qu’il ne s’agit pas uniquement de fautes rituelles, comme on l’a dit, mais de toute transgression d’un commandement quelconque de l’Éternel, comme le disent en termes très clairs Lévitique 4.13 ; Lévitique 4.27 ; Nombres 15.22, et comme le prouvent Lévitique 19.20-22 (inconduite avec une esclave fiancée) et Lévitique 5.1 ; Lévitique 5.6 (où deux des cas prévus sont de nature morale). Mais, dans certains cas, l’expiation n’était complète que s’il y avait réparation matérielle du tort fait au prochain (Lévitique 5.14-16, 6.1-7).
La loi envisageait certains péchés comme toujours involontaires, donc comme toujours expiables ; ainsi ceux qui figurent dans les passages que nous venons de rappeler, puis ceux que Psaumes 25.7 et Job 13.26 appellent des péchés de jeunesse, ou les fautes cachées dont parle Psaumes 19.13, c’est-à-dire les fautes que l’on commet sans le savoir, d’une manière générale tous les péchés qui étaient la conséquence des faiblesses de notre nature ou d’un entraînement irréfléchi. En revanche, un certain nombre de péchés étaient rangés par la loi en tout état de cause dans les péchés non expiables : ainsi le meurtre volontaire (Nombres 35), l’adultère avec une femme mariée, l’inceste, les unions contre nature, l’évocation des esprits, l’adoration des faux dieux (Lévitique 20.1 ; Lévitique 20.18 ; Lévitique 20.27), la violation du sabbat (Nombres 15.32 ; Nombres 15.36), toutes ces choses étaient des souillures pour le pays, qui ne pouvait être purifié que par l’extermination des coupables.
Mais, quand il n’y avait que péché involontaire (et la notion était poussée assez loin), le sacrifice expiatoire, don de la grâce de Dieu à son peuple, rétablissait le pécheur dans sa qualité de membre de la communauté et lui assurait à nouveau la protection et la bénédiction de l’Éternel. Naturellement, l’acte extérieur devait être accompagné des dispositions intérieures qu’il suppose : la repentance de la faute et le désir profond d’être vraiment débarrassé de la coulpe du péché. Aussi la loi réclame-t-elle qu’en offrant le sacrifice d’expiation le pécheur confesse son péché (Lévitique 5.5 ; Lévitique 16.21), quoique le plus souvent elle suppose les sentiments voulus sans les exiger expressément. Une fois l’expiation faite, le coupable pouvait se sentir parfaitement en règle avec Dieu et compter sur tous les privilèges accordés à son peuple.
Cependant, quand nous passons au second domaine dont nous avons parlé plus haut, celui de l’Israélite dans ses rapports personnels avec Dieu, nous constatons que, soit dans les psaumes, soit chez les prophètes, le sentiment de la pleine réconciliation avec Dieu n’est pas rattaché à l’expiation par le sacrifice. Cela se comprendrait dans une certaine mesure avant l’exil, quand les prophètes polémisaient contre les sacrifices à cause de leur couleur cananéenne et des sentiments fâcheux qui les accompagnaient ; mais quand le culte fut définitivement organisé, qu’il devint une loi positive de l’Éternel et les sacrifices des moyens de grâce institués par Dieu lui-même, il semblerait que le pardon dût en tout temps être rattaché à l’expiation par le sacrifice. Or nous constatons dans les psaumes, qui reflètent certainement les sentiments de la communauté postexilique, les mêmes paroles que chez les anciens prophètes. Non seulement le pardon est attendu et cherché en dehors des sacrifices, mais on met les moyens qui le procurent dans une certaine opposition avec les prescriptions légales. C’est ainsi que l’auteur du Psaume 51 ne se contente pas d’attribuer le pardon à la pure grâce de Dieu, mais déclare positivement (verset 18 et suivant) : « Si tu eusses voulu des sacrifices, je t’en aurais offert, mais tu ne prends point plaisir aux holocaustes. Les sacrifices qui sont agréables à Dieu sont un esprit brisé. Ô Dieu, tu ne méprises pas un cœur froissé et brisé ». Cf. Psaumes 50.7 ; Psaumes 50.15 ; Psaumes 69.30 ; Psaumes 69.32 ; Psaumes 32.5 ; Psaumes 103.8-14 qui expriment les mêmes pensées. Ailleurs, le pardon est rattaché à un changement de vie, ou à des œuvres qui sont particulièrement agréables à Dieu (Michée 6.6 ; Michée 6.8 ; Proverbes 16.6 ; Daniel 4.27 ; Ésaïe 58.6 ; Ésaïe 58.9 ; Ésaïe 55.7 ; cf. Joël 2.12 ; Joël 2.14 ; Ézéchiel 18.21 ; Ézéchiel 18.23, qui insistent également sur le changement de vie). Tout ce courant de pensées, à côté de la loi, ne se comprendrait pas si l’expiation par le sacrifice avait pleinement répondu à toutes les aspirations profondes de l’Israélite.
On ne peut pas résoudre la difficulté en disant que les passages cités visent uniquement la communauté, que celle-ci pouvait aussi se rendre coupable de péchés « à main levée », qu’elle n’avait alors d’autre moyen de salut que la repentance et le changement de vie ; c’est tout à fait contraire au sens de plusieurs d’entre eux, qui concernent des individus (Psaume 51 Psaume 32 ; Proverbes 16.6 ; Daniel 4.27), et du reste ces passages ne distinguent pas entre péchés volontaires et péchés involontaires ; ils parlent du péché en général. On ne peut pas non plus se tirer d’affaire en admettant deux tendances opposées dans le sein du peuple : les uns cherchant le pardon dans les sacrifices et les autres ailleurs. L’explication serait possible avant l’exil, et en fait elle est admissible par Michée 6.6 ; Michée 6.8, mais après l’exil les deux tendances existaient paisiblement dans le sein de la communauté : les sacrifices étaient pratiqués par tout le monde, et on n’en répétait pas moins les paroles des anciens prophètes ou des psalmistes, vieux et nouveaux, qui cherchaient ailleurs que dans les sacrifices le pardon des péchés. Il y a un essai de conciliation dans l’adjonction faite au Psaumes 51.18 et suivant : « Répands par ta grâce tes bienfaits sur Sion. Alors tu agréeras des sacrifices de justice, des holocaustes et des victimes entières… » Mais d’une façon générale les deux manières de rentrer en grâce auprès de Dieu sont exprimées indépendamment l’une de l’autre, sans qu’il soit dit comment les fidèles de l’Ancien Testament les mettaient d’accord dans leur vie personnelle.
La solution du problème doit être cherchée dans le sentiment que la grâce de Dieu était à la base des deux conceptions. L’expiation par le sacrifice était un moyen que l’Éternel lui-même avait donné à son peuple pour lui assurer la continuation de ses bienfaits. Mais les fidèles vraiment désireux de se sentir en parfaite communion avec lui ne pouvaient pas ne pas se rendre compte que les sacrifices d’animaux étaient incapables d’effacer toutes les fautes dont ils étaient coupables. Les péchés étaient trop nombreux et trop divers pour qu’il fût possible d’offrir chaque fois un sacrifice. Une conscience droite devait, ne fût-ce qu’au point de vue quantitatif, constater un grand écart entre la somme des péchés et la somme du sang versé. À cela s’ajoutait une raison plus profonde. Une conscience troublée n’était pas apaisée par la simple présentation d’un sacrifice ; il n’y avait pas, au point de vue qualitatif, correspondance entre la grandeur de la culpabilité et le sang d’une victime animale (cf. Hébreux 9.9 ; Hébreux 9.14 ; Hébreux 10.1 ; Hébreux 10.4). Pour trouver la paix, l’âme devait saisir en quelque sorte au delà du sacrifice la grâce qui l’avait institué. Mais cela, elle ne pouvait le faire que si elle apportait à Dieu les sentiments qui rendaient la grâce possible : une sincère repentance et le désir profond d’obéir désormais aux commandements de la loi. Il va sans dire que l’acte extérieur et l’acte intérieur ne s’excluaient pas. Le second aurait dû toujours accompagner le premier. Mais cet acte intérieur, qui donnait au sacrifice sa véritable valeur, n’était pas nécessaire seulement devant l’autel. L’esprit froissé et brisé, la repentance sincère, le désir vrai d’une vie plus fidèle devaient se retrouver dans le cœur de l’Israélite après chaque faute, qu’il se présentât ou ne se présentât pas à l’autel pour offrir un sacrifice, s’il voulait continuer à être l’objet de la grâce divine. Les dispositions intimes devenaient par là même en dehors du sacrifice un moyen propre d’expiation. Et, puisqu’elles étaient nécessaires même quand il y avait sacrifice, elles s’imposaient comme ayant une valeur supérieure à la présentation des victimes. Les actes rituels n’avaient plus qu’une place secondaire. Il fallait avant tout les dispositions agréables à Dieu, en d’autres termes l’expiation spirituelle. C’était en réalité cela seul qui assurait d’une manière durable la continuation des liens personnels de chaque membre de la communauté avec le Dieu de l’alliance. On laissait donc aux sacrifices la place qui leur était réservée, et on s’en remettait directement à la grâce d’En-haut pour obtenir le pardon de ses fautes, en attendant que vînt le moment où, dans le sacrifice d’une victime digne de Dieu, le fidèle trouvât à la fois une expiation valable pour tous ses péchés et la pleine assurance de la réconciliation avec le Maître des cieux et de la terre devenu son Père céleste. Voir Expiation, Propitiation, Rédemption.
L. A.
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