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Les traditions sur Salomon conservées dans la Bible, puis dans le Talmud, donnent l’impression d’un personnage extraordinairement puissant. Il règne de l’Euphrate à l’Égypte. Sa sagesse est célèbre jusqu’aux extrémités de l’Arabie. Sa piété, non moins éminente, s’incarne dans l’entreprise fastueuse du temple de Jérusalem. Sa magnificence et sa richesse sont telles que l’argent devient, sous son règne, un métal commun. Tout à la fin seulement, on ajoute qu’il fut induit par ses nombreuses épouses païennes à pratiquer l’idolâtrie, ce que JHVH punit en détachant de lui les peuples qu’il avait soumis et en provoquant un schisme dans son royaume aussitôt après sa mort. On reconnaît dans ce schéma l’esprit des narrateurs deutéronomistes : d’abord pieux et heureux, finalement idolâtre et châtié. La réalité fut moins simple. Pour en reconstituer approximativement un aperçu, il faut faire abstraction des ouvrages qu’une postérité déjà lointaine attribua au glorieux monarque : les Psaume 72 Psaume 127, le livre des Proverbes, l’Ecclésiaste, le Cantique des Cantiques, les Psaumes et Odes de Salomon, ces dernières plus chrétiennes que juives.
L’avènement de Salomon est narré en détail ; d’après des documents anciens, David, vieilli et mentalement affaibli, n’avait pourvu à sa succession ni en la fixant légalement dans sa famille, ni en exprimant une volonté déterminée. Parmi les fils qui lui restaient après la mort d’Absalom, Adonija et Salomon avaient chacun des partisans ; le premier, plus âgé, comptait sur l’appui du vieux général Joab et du prêtre Abiathar. Pour Salomon intriguaient sa mère Bath-Séba, le prophète Nathan, le prêtre Tsadok et Bénaja, chef de la garde du corps. Adonija se croyait sûr de réussir, lorsque Bath-Séba et Nathan parvinrent à décider le monarque presque moribond en faveur de l’autre compétiteur. Salomon reçut donc l’onction royale et fut promené en triomphe à travers Jérusalem. Adonija reconnut la royauté de son frère et tout d’abord rentra en grâce. Salomon saisit la première occasion pour en finir avec le parti vaincu qui restait à redouter. Il trouva un prétexte pour faire mettre à mort Adonija, puis Joab, et il exila Abiathar (1 Rois 2.13 ; 1 Rois 2.35). Ce sanglant lever de rideau d’un grand règne est présenté comme l’exécution, aggravée cependant, des dernières volontés de David.
Les chapitres 3-11 de 1 Rois paraissent empruntés principalement à une « chronique de Salomon », qui ne relatait que les événements extérieurs, guerres, alliances, constructions, trafics, sans les coordonner. C’étaient des annales officielles, accueillant çà et là diverses traditions populaires. Le règne y apparaît, déjà, vu à quelque distance. Salomon étant mort vers 935, on peut placer la composition de la « chronique » au cours de la deuxième génération suivante, vers 875. L’admiration pour le grand roi y est encore intacte, mais elle ne va pas jusqu’à effacer la mention de ses revers.
Des enrichissements y furent ajoutés plus tard ; ex. : 1 Rois 4.29 ; 1 Rois 4.34. Puis le rédacteur deutéronomiste, auteur du livre des Rois actuel, y mit son empreinte, définie ci-dessus. La vieille chronique, traitée avec circonspection, doit seule servir de base à tout exposé vraisemblable.
Lorsque Joab avait conquis pour David le pays d’Édom, un enfant de la famille royale édomite, Hadad, échappé au massacre, s’était enfui en Égypte où il avait obtenu la main d’une princesse royale. Son fils, Guénubath, fut élevé dans le palais royal des pharaons. Ceux-ci tenaient ainsi à leur disposition un ennemi qu’ils pourraient opposer, le cas échéant, au nouvel empire davidique. Hadad crut ce moment venu lorsqu’il apprit la mort de David et celle de Joab. Il fut autorisé à partir, et sans doute appuyé. Il parvint à reconquérir une partie du territoire d’Édom et demeura l’adversaire de Salomon (1 Rois 11.14 ; 1 Rois 11.22). Cependant, puisque celui-ci put se servir librement plus tard de la route reliant la mer Morte à la mer Rouge, on peut supposer que la paix s’était rétablie, Salomon admettant la puissance de Hadad sur les montagnes édomites. À la même époque se constitue le royaume araméen de Damas. Un ancien général de Hadadézer, roi de Tsoba, nommé Rézon, s’empara de Damas et en fit le centre d’un État qui manifesta son hostilité contre Israël durant tout le règne de Salomon (1 Rois 11.23 ; 1 Rois 11.25).
Ce règne ne fut donc pas aussi pacifique et glorieux que la tradition l’a cru par la suite. Mais il ne faut pas exagérer en sens contraire. La monarchie israélite restait imposante. C’est Salomon qui sut faire reconnaître son royaume comme grande puissance. Il maintint et resserra l’amitié avec la dynastie des Hiram, rois de Tyr (1 Rois 5). Il sut faire apprécier à l’Égypte elle-même la valeur de l’appui qu’il pouvait lui fournir, puisque l’avant-dernier pharaon de la XXIe dynastie lui donna l’une de ses filles pour épouse. Privilège envié entre tous : ne s’agissait-il pas d’une des « filles du soleil » ? La princesse égyptienne apportait même en dot la ville de Guézer que son père venait d’enlever de vive force aux Cananéens (1 Rois 9.16).
Salomon visa donc à assurer à sa monarchie les signes extérieurs d’une grande puissance. Ses dépenses d’apparat frappèrent les imaginations plus que tous les autres événements de son règne. Il avait un harem richement garni (1 Rois 11.3, cf. Cantique 6.8). En ce qui concerne sa propre demeure, le donjon de David, exigu et sombre, sur l’emplacement de la citadelle cananéenne de Sion (la « ville de David »), ne suffit plus à son fils. Il lui fallait un palais somptueux. Le bois lui fut amené par mer, des cèdres du Liban, sur des radeaux qui longeaient la côte probablement jusqu’au port de Dor. Des pierres d’excellente qualité lui vinrent des carrières mêmes formant le sous-sol de la Jérusalem actuelle ; on en tailla des blocs de 4 m et de 5 m, de long. Les sculpteurs de Byblos, les fondeurs de Tyr travaillèrent durant treize années à embellir la nouvelle résidence royale. Salomon, d’ailleurs, laissa subsister la « ville de David », qui existait encore au Ve siècle (Néhémie 3.16 ; Néhémie 3.19). Là prirent place les sépultures royales jusqu’au temps d’Ézéchias, ainsi que la caserne de la garde royale. Au nord de ces bâtiments anciens et plus haut qu’eux, Salomon fit aménager une série d’esplanades, qui s’étageaient le long de la crête et qui supportèrent les nouveaux édifices (au sud de l’esplanade actuelle où s’élève la mosquée d’Omar [voir ce mot]).
Ces bâtiments de Salomon comprenaient, du sud au nord :
Un simple mur séparait le temple du- palais. Ézéchiel s’en plaindra. Le temple était ainsi inséré dans l’enceinte générale. Cet édifice si affectionné des Juifs, par la suite, ne fut guère à l’origine que Sa chapelle particulière du souverain, telle notre Sainte-Chapelle pour Louis IX Le progrès avait été parallèle entre la tente qui abritait l’arche précédemment et ce nouveau sanctuaire, d’une part, la maison royale de David et le palais de son fils, d’autre part. La somptuosité du temple était destinée, dans la pensée du roi, à faire connaître au monde à la fois sa propre grandeur et l’immense puissance de son Dieu. Le temple n’avait pas de porte à l’ouest sur la ville. La principale porte était à l’Est, une autre au nord Un trône et une estrade étaient réservés au roi dans le temple. Le roi nommait et déposait les prêtres ; il pouvait modifier la disposition et le mobilier du sanctuaire ; Achaz encore ne s’en privera pas. Salomon ne songeait nullement à centraliser le culte à Jérusalem ; les autres lieux saints du pays resteront fréquentés et vénérés durant plus de trois siècles après lui. Ceci explique les dimensions restreintes : 30 m de long, sur 10 m de large et 15 m de haut. De plus, l’autel d’airain était si exigu que, lorsque la vogue du temple de Salomon alla croissant, il fallut autoriser l’offrande des sacrifices dans tout le milieu de la cour inférieure (1 Rois 8.64).
Les vieux Israélites, habitués à l’extrême simplicité de leurs sanctuaires, durent d’abord se trouver choqués en présence de tant de luxe ; ils n’y retrouvaient guère l’empreinte personnelle de leur Dieu, venu avec eux du désert. Les architectes phéniciens avaient reproduit le plan d’un temple destiné à un dieu-soleil et orienté vers l’est. Deux obélisques, libres ou encastrés dans le portique d’entrée, portaient les noms, pour nous mystérieux, de Jakin et Boaz (sens magique ou païen ?) ; ils laissaient passer entre eux, comme on l’observe en Égypte, les rayons du soleil levant, qui pénétraient dans le hékal (futur lieu saint), jusqu’à la porte du debir (futur lieu très saint), chambre obscure où réside le Dieu.
Les emblèmes païens ne manquaient pas. Dans la cour s’élevait la mer de bronze, conque supportée par douze statues de taureaux, comme on en voit en Babylonie. Elle symbolisait sans doute quelque phénomène cosmique (les eaux d’en haut). Les petits bassins, vases posés chacun sur un piédestal roulant, étaient aussi copiés sur des modèles étrangers (Assyrie, Chypre, Crète). Ils comportaient peut-être à leur tour une signification mystérieuse, en tout cas inconnue du yahvisme ancien. Dans le bâtiment lui-même les sculptures reproduisaient des figures égyptiennes ou babyloniennes : chérubins (keroubim), lotus, palmes, grenades, taureaux.
Ce qui restait spécifiquement yahviste, c’était d’abord l’emplacement choisi pour l’autel, l’antique roche sainte, dite « aire d’Oman », sanctuaire d’abord cananéen, où David déjà avait placé un autel. C’était ensuite et surtout l’arche, que Salomon fit transporter dans le debir (1 Rois 8.3 ; 1 Rois 8.9) quand, au bout de sept ans, le sanctuaire fut achevé. On célébra à cette occasion maints sacrifices, et le roi prononça une formule poétique de consécration, conservée dans l’antique « livre du Juste » (1 Rois 8.12 et suivant). Puis un nuage, disait-on, vint remplir le sanctuaire, attestant que JHVH acceptait d’y faire sa résidence. Voir Temple.
Il y a lieu de penser que Salomon voulut assurer à son empire la richesse et la puissance dont son luxe n’aurait dû être que la manifestation ; au paraître il lui importait de joindre l’être. En effet, il fortifia diverses villes d’importance stratégique ou commerciale : Hatsor, Méguiddo, sur la grande route joignant l’Égypte à Damas ; Beth-Horon, Guézer, sur les voies donnant accès de la côte à Jérusalem ; Tamar, à l’entrée de la piste suivie par les caravanes allant de la Palestine à la mer Rouge (un copiste ambitieux a changé ce nom en celui de Tadmor, attribuant ainsi à Salomon la fondation de la fameuse Palmyre, mais le texte parallèle dit bien expressément : Tamar de Juda ; l’hypothèse contraire est soutenue dans l’article Palmyre). Dans sa capitale même le roi construisit ou acheva le « millo », sorte de château fort très probablement, de construction massive (malé = plein) et destiné à « fermer la brèche de la ville de David », soit, apparemment, à réunir la « ville de David » au mur d’enceinte de Jérusalem (voir Jérusalem [murs et portes]). Il constitua de plus les corps de cavalerie et se procura des chars de guerre.
Il paraît aussi avoir compris, à l’exemple des Phéniciens, quelle source de richesse pouvait devenir le commerce (voir ce mot). Israël, peuple agricole et sans industrie, manquait, il est vrai, d’objets d’échange pour un trafic rémunérateur, mais vu sa situation géographique, le rôle d’intermédiaire s’offrait à lui. Ainsi, des maquignons israélites allaient chercher en Égypte ou en Cilicie des chevaux qu’ils revendaient dans toute la Syrie et même aux princes hittites. Pour favoriser le commerce, un accès à la mer était indispensable ; aussi Salomon s’assura-t-il la route de la mer Rouge, où, de concert avec Hiram, il équipa une flotte. Celle-ci rapportait, dit-on, tous les trois ans, du mystérieux pays d’Ophir (Arabie du sud ?) des objets que les Arabes pouvaient s’être procurés dans les Indes ou en Afrique, par exemple l’ivoire, et des animaux inconnus en Palestine : singes, paons. Mais ces entreprises restèrent assez factices et, semble-t-il, peu productives. C’est en blé et en huile que Salomon promit de payer les matériaux de construction fournis par le roi de Tyr. Le moment vint même, où, pour se procurer cent vingt talents d’or, il dut céder vingt villes de Galilée. Son opulence n’a donc pas été égale à ce qu’on en racontait. En réalité, pour subvenir à ses dépenses, à l’Entretien de sa cour, à l’administration de l’État, il établit tout un système de tailles et de corvées analogues à celles de l’Égypte, et qui pesa lourdement sur ses sujets.
La main-d’œuvre courante, il se la procura par des corvées. Trente mille travailleurs israélites, se relayant à raison de dix mille par mois, abattaient les cèdres du Liban. Ailleurs, soixante-dix mille porteurs et quatre-vingt mille carriers accomplissaient le même labeur (chiffres incertains d’ailleurs). Le roi partagea le pays en douze districts placés chacun sous l’autorité d’un préfet, qui y percevait en nature les provisions nécessaires à l’entretien de la cour et des chevaux de guerre. À part quatre ou cinq cas, ces circonscriptions ne coïncident pas avec les anciens territoires des tribus : Salomon, tels nos Constituants de 1790, entendait briser les cadres de la vie provinciale autonome. Juda paraît n’avoir été compris dans aucun des douze districts ; le roi aurait, en ce cas, exempté des redevances la tribu royale. Cela expliquerait déjà l’animosité du nord ontre le roi de Jérusalem, cause active de la révolte de Jéroboam qui s’essaie une première fois, après le milieu du règne (1 Rois 11.26 et suivants).
Salomon porte ainsi une grande part de responsabilité dans la rupture de l’unité nationale, survenue après sa mort. Il voulut faire avancer trop vite Israël dans la voie de la grande civilisation, dont souvent il ne copia que les dehors. Et cependant ses efforts pour faire participer son peuple à la vie générale du monde civilisé s’inspiraient d’une pensée féconde.
Plus tard, on lui a reproché d’avoir accueilli non seulement des formes païennes de l’art, mais les religions étrangères. Or, en son temps, l’autorisation d’ériger un autel au dieu de Moab sur le mont des Oliviers ne choquait personne (cf., dans 2 Rois 5.17 et suivants, l’allusion à d’autres dieux que l’Éternel). Salomon n’exerça, soit en bien soit en mal, aucune action religieuse profonde. Il fut un roi civilisateur ; et son influence sur le développement religieux, tant bienfaisante que funeste, resta indirecte. C’est aux hommes du VIIe siècle que le temple par lui fondé devra la grande place qu’il occupe dans l’histoire du judaïsme.
Quant à sa sagesse, d’après les textes anciens, elle n’eut rien de religieux ; c’était une habileté toute politique (1 Rois 1,2). La réputation de sa perspicacité dans l’exercice de la justice peut reposer sur un fond historique. Il dut avoir certaines prétentions littéraires et il fit, semble-t-il, réunir de vieux poèmes (1 Rois 4.29-34). Une légende plus récente le représente résolvant les énigmes de la reine de Séba (voir ce mot).
Sa renommée subit une éclipse au temps du Deutéronome, mais reprit ensuite un éclat toujours plus vif. Après l’exil, on lui attribue les poésies gnomiques des moralistes de l’époque, ou les poèmes d’amour, œuvre du folklore hébreu, réunis dans le Cantique des Cantiques (voir article). Plus tard encore, il passe pour un pessimiste désabusé (Ecclésiaste), ou pour le profond auteur de la Sapience. Enfin, on l’identifie aux poètes franchement religieux qui composèrent les « Psaumes de Salomon » (voir article) et les « Odes de Salomon » (voir Pseudépigraphes). Et nous ne parlons pas du prétendu magicien cher à la légende musulmane aussi bien qu’au judaïsme rabbinique.
Jg. M.
De la destinée de Salomon se dégage un enseignement religieux qu’il faut retenir. Pourquoi Salomon, qui commença si bien, finit-il si mal ? D’où vient que ses échecs n’ouvrirent pas les yeux de la postérité et que l’histoire juive, après le silence de la période deutéronomique, exalta sa gloire et l’amplifia dans la mesure même où le sacerdoce d’Israël s’éloignait de la religion des prophètes ? Tout cela s’explique par l’attitude de Salomon vis-à-vis du jéhovisme (voir Yahvé). Car le jéhovisme révélé au Sinaï, prêché par Moïse et par ses successeurs les prophètes, avait inauguré dans le monde l’adoration du Dieu unique, vivant et moral qui s’est choisi un peuple destiné à répandre parmi les hommes la religion du culte en esprit. Ce culte devait peu à peu se dégager des intérêts d’une nation et régner sur les âmes. Son impérialisme, pour devenir universel et éternel, devait répudier toute suprématie temporelle. Position haute et difficile, malaisément conciliable avec la royauté d’ici-bas. Voilà pourquoi Samuel appréhendait si fort l’élection de Saül et pourquoi les prophètes, authentiques représentants du pouvoir spirituel de Jéhovah, eurent presque toujours maille à partir avec la cour. Déjà David, enivré par ses victoires, veut bâtir un temple à son Dieu, annexant ainsi ce Dieu à son royaume. Un prophète lui est envoyé pour lui dire que Jéhovah n’a jamais demandé de maison matérielle, de temple national. Son temple, c’est l’homme, et, dans l’espèce, la maison vivante de David, sa postérité fidèle. Salomon ne l’entend pas ainsi. Il n’a pas la piété de son père ; il ne se repent pas comme David, et sa fortune ne profite qu’à lui, non à son peuple. Dans la gloire de Jéhovah, il cherche sa propre gloire. Il veut, par un temple qu’il est incapable de bâtir mais que les païens lui bâtiront, lier la fortune politique de la dynastie à la puissance de Jéhovah. « Il s’est efforcé de doubler la domination spirituelle de son peuple de l’hégémonie matérielle. Il n’a pas réussi. Et il ne pouvait pas y réussir, car la greffe qu’il a voulu administrer au vieil arbre juif était empoisonnée » (N. Politis, préface du Salomon de M me G.R. Tabouis, 1935). En effet, l’impérialisme temporel est fondé sur la force, l’intolérance, il ne peut s’accorder avec l’impérialisme spirituel qui règne par la persuasion. En agissant comme il l’a fait, Salomon, loin d’assurer l’avenir politique du peuple élu, a montré combien l’impérialisme temporel était périssable. Il mourut déconsidéré et ruiné. Son vaste empire ne lui survécut pas. Les prophètes désertèrent Jérusalem pour un temps. Le schisme qui poussa aux invasions étrangères, les luttes fratricides et l’infidélité des monarques imitateurs de Salomon aboutirent à la destruction des deux royaumes : Israël et Juda. Ce ne fut qu’après leur ruine, quand le temple de Salomon eut été détruit, emportant avec lui les espoirs d’hégémonie temporelle, que le dernier des grands prophètes, le 2e Ésaïe, s’éleva aux accents universalistes qui introduisirent les paroles du Christ : « L’heure vient où ce n’est ni sur cette montagne, ni à Jérusalem que vous adorerez le Père, car Dieu est Esprit, et il faut que ceux qui l’adorent, l’adorent en esprit et en vérité.)> ; Un deuxième temple fut construit, et les jours vinrent où les Juifs, cherchant la consolation de leur infortune dans les gloires du passé d’Israël, représentèrent Salomon comme le roi de renommée universelle. L’orgueil pharisaïque, le messianisme juif ne se réclament pas du somptueux bâtisseur, mais sont imprégnés de son esprit. Le deuxième temple fut détruit ; un troisième s’éleva, et dans l’ombre de ce troisième temple fut ourdi le complot qui tua Jésus. Encore ici l’œuvre était périssable. Dans le siècle même de Jésus, ce troisième temple périt dans les flammes, tandis que la prédication de saint Paul avait déjà porté « jusqu’au terme de l’Occident » (Clément de Rome) l’Évangile de l’Esprit. Plus tard, quand le Pape, grisé par le triomphe du christianisme, reprendra l’utopie orgueilleuse de réunir le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel, il échouera à son tour devant l’insurmontable obstacle contre lequel s’était brisé, à l’aurore du jéhovisme, le rêve salomonien.
Alexandre Westphal
Pour le portique de Salomon, voir Temple
Pour les serviteurs de Salomon, voir Néthiniens.
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