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Seigneur

Titre divin, correspondant, le plus souvent à l’hébreu Adôn, Adonaï et au grec Kurios, quelquefois à l’hébreu Baal et au grec Despotes

1.

L’hébreu adôn est aussi très souvent appliqué à des autorités humaines ; en ces cas, nos versions le traduisent quelquefois par : maître (voir ce mot, paragraphe 1), mais elles conservent aussi le titre de : seigneur, surtout dans l’apostrophe : mon seigneur. Sont ainsi désignés :

  • roi (1 Samuel 22.12 ; 1 Samuel 26.17 ; Jérémie 22.18 ; Jérémie 34.5),
  • gouverneur (Genèse 42.10 ; Genèse 43.20 ; Genèse 45.8 ; Néhémie 3.5),
  • général (Juges 4.18 ; 2 Samuel 11.11),
  • prêtre (1 Samuel 1.15-26),
  • prophète (1 Rois 18.7-13 ; 2 Rois 2.19 ; 2 Rois 4.28 ; 2 Rois 5.3 ; 2 Rois 6.5-15 etc.),
  • père (Genèse 31.35),
  • mari (Genèse 18.12 ; Psaumes 45.12),
  • frère aîné redouté (Genèse 33.8) ;

C’est un titre de vénération adressé à tout personnage qu’on veut honorer (Genèse 23.6 ; Genèse 23.11-15 ; Genèse 24.18 ; Ruth 2.13 etc.) ;

  • il est parfois conféré à Moïse (Exode 32.22 ; Nombres 11.28 etc.) ;
  • il l’est aussi aux anges (Genèse 19.2 ; Josué 5.14 ; Juges 6.13 ; Daniel 10.16)
  • dans plusieurs théophanies (apparitions de Dieu ou d’envoyés de Dieu),
  • ce qui nous ramène à la limitation de ce titre à Celui qui est « le Seigneur » en un sens absolu (voir Dieu [les noms de], I, 1 et II).

Le livre de Daniel applique aussi deux termes araméens : mare, soit à Dieu (Daniel 2.47) soit au roi (Daniel 4.19 ; Daniel 4.24), et rabrebânîn, aux seigneurs de la cour (Daniel 5.1 ; Daniel 5.9).

2.

Dans le Nouveau Testament, le grec despotes est traduit par « maître », même s’il s’applique à Dieu, sauf au début du Nunc dimittis (voir article), cantique de Siméon (Luc 2.29). De même le grec kurios, quand il désigne un possesseur, propriétaire, patron, est généralement rendu par « maître » (voir ce mot, paragraphe 3). Mais lorsqu’il devient le titre honorifique qu’un subalterne décerne à un supérieur, nos versions disent, comme pour l’adôn de l’Ancien Testament : « seigneur » ou « mon seigneur » (Marc 7.28 ; Matthieu 13.27 ; Matthieu 21.29 ; Matthieu 25.20-22 ; Matthieu 27.63; Luc 13.8 etc.) ; cet usage est très fréquent dans les papyrus du temps, et l’on y voit aussi la même appellation exprimer une déférente affection pour un membre de sa famille, père ou mère, frère ou sœur, même pour un fils. Naturellement, le titre respectueux de kurios, équivalant dans le grec des Évangiles à l’hébreu rabbi, est adressé fréquemment à Jésus par ses disciples (Matthieu 8.25 ; Matthieu 16.22; Luc 11.1 ; Luc 22.33-38 ; Jean 13.6 ; Jean 13.9 ; Jean 13.13 etc.), qui saluaient en lui leur Maître, un incomparable rabbi (voir ce mot), et qui finirent par l’adorer comme leur Sauveur (voir ce mot) et véritablement comme le Seigneur.

3.

En effet, à mesure que la personne de Jésus-Christ s’élevait devant leur piété du plan humain au plan divin, la terminologie des religions contemporaines aussi bien que la langue de l’Ancien Testament contribuaient à faire suivre cette divinisation à l’emploi du titre de Kurios. La notion de « seigneurie » était caractéristique des cultes orientaux et s’exprimait couramment dans les sanctuaires égyptiens du « Seigneur Sérapis » ; telle invitation du IIe siècle parle de « dîner à la table du Seigneur Sérapis » en des termes qui rappellent la participation dont parle saint Paul « à la table du Seigneur ou à la table des démons » (1 Corinthiens 10.21).

D’autre part, Kurios dans la version grecque des LXX représentait les noms propres hébreux Adonaï, Élohim, JHVH ; dans le Siracide (Siracide 46.5) est mis en parallèle le mégas Kurios, signifiant : le grand Seigneur, avec le hupsistos Dunastès, signifiant : le Puissant très haut ; pour les Juifs, Kurios était en grec le titre par excellence, réservé à l’unique Seigneur (Matthieu 5.33 ; Marc 5.19 ; Marc 13.20 ; Actes 7.49 ; 2 Timothée 1.16 ; 2 Timothée 1.18 ; 1 Pierre 1.25 etc.) ; la formule de l’Ancien Testament : « JHVH ton Élohim » (Exode 20.2) devenait Kurios ho Théos soû, signifiant : le Seigneur ton Dieu, Matthieu 4.7, etc., le vocable Kurios soulignant la souveraineté de la divinité : le Seigneur du ciel et de la terre (Luc 10.21), le Seigneur des seigneurs (1 Timothée 6.15), le Seigneur des armées (Romains 9.29), etc.

Jésus, le Messie, ayant acquis par son incarnation et son œuvre de rédemption comme un droit de propriété sur les hommes pécheurs et ayant été élevé après sa résurrection jusqu’à partager avec le Père la souveraineté divine, est devenu le Seigneur (Philippiens 2.9-11) ; « c’est pour être le Seigneur des morts et des vivants que le Christ est mort et qu’il a repris vie » (Romains 14.9, cf. Actes 10.36 ; 1 Corinthiens 7.22 ; 1 Corinthiens 8.6 ; Éphésiens 4.5, etc.).

Il est appelé :

  • le Seigneur Jésus (Actes 16.31 ; Actes 20.35 ; 1 Corinthiens 11.23 etc.),
  • le Seigneur Jésus-Christ (1 Corinthiens 16.23 ; 2 Corinthiens 13.13 ; Éphésiens 1.2),
  • notre Seigneur (1 Timothée 1.14 ; 2 Timothée 1.8 ; 2 Pierre 3.15),
  • notre Seigneur Jésus-Christ (1 Thessaloniciens 1.3 ; 1 Timothée 6.3 ; 1 Timothée 6.14 ; 2 Timothée 1.2),
  • Seigneur des seigneurs (Apocalypse 17.14 ; Apocalypse 19.16).

Voir Paul, VII, 3.

Cette désignation du Christ comme « le Seigneur », devenue constante dans l’Église primitive, est passée dans les Évangiles. Il n’est pas toujours facile de démêler si l’évangéliste l’emploie encore comme le simple titre de respect ou déjà comme le titre divin (ex., dans Marc 11.3 et parallèle). Dans le cantique des anges (Luc 2.11) il est normal que le plan providentiel du salut fasse proclamer à l’avance par les anges « le Christ, le Seigneur » dans le nouveau-né de Bethléhem. Par ailleurs, Luc est le seul des Évangiles Synoptiques qui, en une sorte d’anticipation historique, appelle Jésus « le Seigneur » dès le cours de son ministère (Luc 7.13 ; Luc 10.1 ; Luc 11.39 ; Luc 12.42 ; Luc 13.15 ; Luc 17.5 ; Luc 24.34) ; en cela il prépare une transition vers le 4e Évangile, où ce titre correspond davantage au point de vue spirituel de l’Évangile du Christ glorieux (Jean 4.1 ; Jean 6.23 ; Jean 11.2 ; Jean 20.2 ; Jean 20.18 ; Jean 20.20 ; Jean 20.25 ; Jean 21.7 ; Jean 21.12). L’évolution victorieuse de la foi des disciples est marquée dans cet Évangile par l’exclamation significative qu’arrache au plus lent à croire parmi eux, l’apôtre Thomas, l’apparition révélatrice du Crucifié ressuscité : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » (Jean 20.28).

4.

La mission de porter au monde cet ineffable témoignage et cet enthousiaste credo réservait aux chrétiens des premiers siècles la persécution des « seigneurs » de ce monde.

Plusieurs générations antérieures à Jésus-Christ avaient déjà connu l’application du titre de Kurios à des souverains orientaux : des inscriptions ou des textes avaient appelé Ptolémée XIII d’Alexandrie « le Seigneur Roi Dieu » (62 avant Jésus-Christ), Ptolémée. XIV et Cléopâtre « les Seigneurs, dieux très hauts » (52 avant Jésus-Christ), Hérode le Grand « le Seigneur Roi Hérode » (37-34 avant J-C), Hérode Agrippa Ier « le Seigneur Roi Agrippa » (37-44 après Jésus-Christ).

Il n’y a pas d’indices que l’Occident ait attribué le même titre aux empereurs romains avant Domitien ; même, Auguste et Tibère l’avaient expressément déclaré contraire à la conception romaine du Principat (cf. Ovide, Fastes, 2.142 ; Suétone, Aug., 53 ; Tib., 27 ; Tacite, Ann., 2.87, etc.).

En Orient, par contre, on le décerna à Claude (49) dans des pièces officielles, puis à Néron très fréquemment dans des inscriptions de 60, 62, 66, 67, la dernière ainsi conçue : « Néron le Seigneur du monde entier » ; plus tard, mêmes hommages rendus à Vespasien, Antonin, Caracalla, etc. Et c’est à cette époque que l’apôtre insiste sur le nom de « Seigneur », donné par Dieu à Jésus, « au-dessus de tout nom » (Philippiens 2.9), qu’il proteste contre les adorations adressées à « plusieurs dieux et plusieurs seigneurs » (1 Corinthiens 8.5), alors qu’à partir de Néron l’empereur monopolise tous les cultes de l’empire autour de sa personne, sous peine des pires supplices. « Au temps de la Rome des Césars, le mot « Seigneur » signifiait : celui qui a droit sur tout ce que je possède et sur tout ce que je suis. Il signifiait aussi, pour qui le refusait à César, la persécution et la mort.

Tertullien nous dit : « La négation de tous les dieux de la mythologie n’aurait pas eu pour les chrétiens la conséquence terrible qu’eut leur attitude intransigeante vis-à-vis du Seigneur César ». L’illustre vieillard Polycarpe n’aurait pas subi le martyre s’il avait accepté de prononcer la formule : Kurios Kaïsar = Seigneur César. On demandait à Separatus de jurer « par le génie de notre Seigneur l’Empereur » ; il mourut martyr pour avoir répondu : « Je ne connais point l’empire de ce siècle, je connais mon Seigneur, Roi des rois et Empereur de toutes les nations » (Wetter, Rev. Strasb., 1927, p. 30).

L’Apocalypse frémit tout entière de la lutte engagée par l’Église contre l’adoration de l’empereur. Un chrétien qui proclamait, avec le Symbole des premiers siècles, n’avoir qu’un Seigneur : Jésus-Christ, jouait sa tête toutes les fois qu’il passait sans s’incliner devant une icône impériale. » (Alexandre Westphal, Le Symbole des Apôtres, pages 68, 69.) Voilà pourquoi saint Paul déclarait que le fait de pouvoir s’approprier, avec toutes les conséquences qu’elle comporte, la solennelle proclamation : « Jésus est le Seigneur », est un don du Saint-Esprit : (1 Corinthiens 12.3) car c’est la révélation même de l’Évangile, engageant toute la vie du croyant, qui appartient à son Seigneur Jésus-Christ, impliquant l’obéissance à son Père (Matthieu 7.21 et suivants) et, s’il le faut, jusqu’à mourir pour le Seigneur (Romains 14.8).

Consulter

  • Trench, Synonymes du Nouveau Testament, paragraphe XXVIII ;
  • Deissmann, Licht von Osten ;
  • Bousset, Kyrios Christos ;
  • Kattenbusch, Dos apostol. Symbol ; VGT, IV, pages 364-366.

Jean Laroche

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