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Le récit de Exode 32, qui parle de l’acte d’idolâtrie accompli par les Israélites au pied du Sinaï, est mentionné plusieurs fois dans les textes bibliques (Néhémie 9.18 ; Psaumes 106.19 ; Actes 7.39). Les variantes que présente ce chapitre font nettement supposer la combinaison de deux récits parallèles :
En ce qui concerne le fait lui-même raconté Exode 32 (sur lequel on reviendra plus loin, lorsqu’il sera question de l’établissement, par Jéroboam Ier, des taureaux de Dan et de Béthel), il faut remarquer ici que la traduction « veau d’or », généralement adoptée par les versions, ne rend pas exactement le sens du mot hébreu et met exclusivement l’accent sur la question d’âge de l’animal ; or, si telle avait été son intention, le narrateur aurait sans doute précisé le sens du mot, comme le fait Lévitique 9.3. En effet, le terme égèl (féminin êglâ) désigne, dans Genèse 15.9, un animal âge de trois ans ; dans Juges 14.18, un animal employé aux labours ; dans Osée 10.11 ; Jérémie 50.11, un animal qui foule le grain. Par conséquent, ici, le mot désignera un jeune taureau qui, sans être arrivé encore à son plein développement, vient de parvenir à l’âge adulte, à celui de la force physique ; c’est en effet la notion de force, de vigueur que doit exprimer le simulacre matériel choisi par Israël pour représenter son dieu. Quant à la fabrication même de cette image divine, on devra admettre que le taureau d’or consistait en une carcasse de bois, laquelle aurait été revêtue d’un placage de lamelles d’or ; c’est ainsi qu’on se représentera le mieux la possibilité matérielle de sa fabrication, et celle de sa destruction, d’après verset 20.
Comment l’Israël de l’époque mosaïque a-t-il pu en venir à l’idée d’une semblable représentation animale de son dieu ? En d’autres termes, quelle serait l’origine possible d’une pareille conception religieuse ? On a longtemps cru qu’il fallait voir là une influence égyptienne, un emprunt fait au culte du taureau noir Apis adoré à Memphis, ou à celui du taureau blanc Mnevis. Mais, outre que le culte des Égyptiens s’adressait, non pas à des images matérielles de ces animaux, mais aux êtres vivants eux-mêmes, il semblerait bien extraordinaire que, à peine délivrés du joug égyptien, les Israélites eussent eu l’idée de choisir la forme d’un des dieux de ce pays pour représenter le dieu même qui les avait délivrés de ce joug-là. La mention de ces dieux représentés sous une forme animale ne se retrouve nulle part dans l’Ancien Testament, à la seule exception de Jérémie 46.15 où, grâce à la coupure pratiquée dans un mot, on obtient la lecture adoptée par les LXX : « Pourquoi Apis s’est-il enfui ? » L’origine égyptienne de cette conception cultuelle a été généralement abandonnée, et on en est arrivé à la conviction qu’on est ici en présence d’un estige des vieilles conceptions religieuses des Sémites, chez lesquels on voit le taureau jouer, dès les temps les plus anciens, un rôle très considérable : les données fournies, soit par les documents écrits, soit par les monuments, produisent des preuves abondantes que cet animal, comme type de l’énergie vitale et sans doute aussi de la puissance génératrice, a été le représentant de plusieurs des principales divinités du panthéon sémitique. Il suffira de rappeler ici le fait que, chez les Phéniciens par exemple, le taureau était la représentation de Baal, et la vache celle d’Astarté.
En tout cas, il n’est pas probable que nous ayons ici le souvenir d’une antique divinité hébraïque, car, ainsi qu’on l’a très justement observé, les peuples nomades ne se livrent pas à l’élevage du gros bétail et il n’est même pas probable que les clans hébreux aient possédé des troupeaux pendant la période du désert.
Ce symbolisme animal, familier aux Israélites dès les temps anciens de la race à laquelle ils appartenaient, doit avoir exercé son influence sur eux à l’époque dont parle Exode 32. Il serait donc possible d’admettre qu’à la base de la tradition conservée dans Exode 32, on pût statuer la réalité d’un fait historique, dont nous ne pouvons préciser les détails, fait qui aurait consisté dans la tentative de représenter le dieu national des clans israélites sous une forme matérielle qui, d’après ce qui vient d’être dit, n’aurait eu rien de bien étrange ni de bien nouveau pour eux.
On sait que, lorsque Jéroboam Ier, fondateur du royaume des Dix tribus, chercha à rendre ce royaume politiquement et religieusement indépendant de celui de Juda, il eut soin de le désolidariser d’avec le culte rendu à Yahvé dans le temple de Jérusalem ; et, pour ce motif, il établit deux sanctuaires principaux, l’un (Dan) au nord, et l’autre (Béthel) au sud de son territoire, dans des localités qui étaient, déjà alors, des centres de culte importants. Dans chacune de ces deux localités, il plaça un simulacre du dieu national sous la forme d’un jeune taureau d’or. Jéroboam entendait bien maintenir le culte rendu au Dieu qui avait été celui des fondateurs de la nation, et 1 Rois 12.28 le dit très nettement : « Israël ! voici tes dieux qui t’ont fait sortir du pays d’Égypte ! » Reprenant la vieille représentation matérielle du taureau, familière à l’Israël des anciens jours, Jéroboam entendait par là rompre les usages cultuels qui s’étaient établis à Jérusalem dans un sanctuaire qui, aux yeux de bien des Israélites, présentait sans doute un caractère phénicien trop marqué. Le culte ainsi institué fut considéré plus tard, par le rédacteur deutéronomique des livres des Rois, comme une apostasie « une occasion de péché », 1 Rois 12.30) qu’il n’était pas en réalité, matérialisant seulement l’idée du Dieu national sous la forme d’un retour à l’ancien symbolisme sémitique.
Et cette identification avec Yahvé est si positive que lorsque Jéhu abattit, dans le royaume du Nord, tout ce qui rappelait le culte de Baal (2 Rois 10.28), il ne détruisit pas les taureaux de Dan et de Béthel, dans lesquels il voyait bien, lui le farouche yahviste, des symboles du Dieu d’Israël.
Si l’on essaie d’établir le rapport qui existe entre Exode 32 et 1 Rois 12, on sera frappé de voir que l’expression : « Voici tes dieux qui t’ont fait sortir du pays d’Égypte ! » (expression dont le pluriel « tes dieux » s’explique parfaitement bien dans 1 Rois 12.28 parce qu’elle se rapporte aux deux taureaux de Dan et de Béthel) ne se comprend dans Exode 32.4 (où il n’est question que d’une seule image de Yahvé) que si l’on voit dans ce passage un emprunt fait à celui de 1 Rois. La relation littéraire entre ces deux textes est donc très positive. Mais comment l’expliquer ? Si l’on se rappelle la position que les prophètes du VIIIe siècle, surtout Osée (l’hostilité d’Amos vis-à-vis des images matérielles de Dieu n’apparaît pas sous une forme aussi visible et absolue), ont prise a l’égard du culte établi dans les sanctuaires du royaume des Dix tribus, on verra que cette relation peut s’expliquer par des préoccupations d’ordre polémique. En effet, à un moment donné, l’institution cultuelle de Jéroboam Ier apparaissant toujours plus comme ayant constitué une faute, une infidélité commise par ce monarque, on aura éprouvé le désir de montrer que cette représentation matérielle de la divinité nationale sous la forme d’un taureau d’or avait été déjà condamnée par Moïse ; que, si le symbole lui-même pouvait être considéré comme ancien, comme remontant à la période du désert, il n’en était pas moins condamnable et qu’il avait été sévèrement blâmé par le grand chef religieux de cette lointaine époque.
La tradition parlant d’une tentative de représentation matérielle de la divinité au moment du voyage au désert aurait donc été reprise et développée de manière à pouvoir être rapprochée des circonstances cultuelles de l’époque d’Osée et d’Amos ; elle aurait été invoquée pour justifier et confirmer les jugements défavorables que le jahvisme authentique prononçait à l’égard du culte du taureau de Dan et de Béthel. Cette tradition ancienne, ainsi mise en rapport avec les conditions cultuelles du VIIIe siècle, aurait été rappelée pour faire ressortir non seulement l’absurdité, mais, plus encore, la culpabilité d’un tel culte sur le terrain de la vraie religion yahviste ; cette culpabilité ressortait alors d’une manière d’autant plus forte que, à l’époque des prophètes dont les noms iennent d’être rappelés, l’interdiction, dans le Décalogue élohiste de Exode 20, de toute représentation matérielle de la personne divine avait été proclamée sous la forme la plus absolue du verset 4, alors que le Décalogue yahviste de Exode 34.17 ne prohibait que « les dieux de métal 10ndu » ; par conséquent, à ce moment-là l’acte dont Aaron s’était rendu coupable à l’époque mosaïque ne pouvait être considéré que comme une violation manifeste de la Loi.
Il faut enfin ajouter qu’aucun passage ne permet de supposer qu’une image de Yahvé sous la forme du taureau ait jamais existé dans le temple de Jérusalem, ni ailleurs dans les lieux de la province judéenne qui étaient considérés comme particulièrement sacrés ; si tel avait été le cas, un passage comme 1 Rois 14.22-24, qui énumère les péchés dont Juda s’était rendu coupable dans le domaine cultuel, n’aurait pas manqué de relever le fait. Il n’en est pas question non plus dans Osée, ni dans Amos, dont les passages Amos 5.5 ; Amos 8.14 relatifs à Béer-Séba ne permettent pas de conclure qu’il ait existé dans ce lieu une image divine adorée sous la forme du taureau. Par contre, on pourrait supposer, d’après Osée 4.15 ; Osée 9.15, qu’une idole de ce genre aurait été l’objet d’un culte à Guilgal, le vieux sanctuaire de province, et à Samarie, la capitale du royaume du Nord. Ant.- J. B.
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