1°. Le onzième fils de Jacob, l’aîné de Rachel (Genèse 30.24 ; 33.2 ; 37.2 ; 46.49 ; 1 Chroniques 2.2 ; 5.1 ; 1745 av. J.-C.). Son histoire est de celles qu’il est le moins nécessaire de raconter, soit parce qu’elles sont trop connues, soit parce qu’elles perdent plus que d’autres à être racontées dans des termes différents de ceux de la Bible. On se rappelle sa jeunesse, ses dix-sept ans et l’affection de son père, la jalousie de ses frères, ses rêves singuliers, sa tunique bigarrée, son arrivée auprès de ses frères à Dothan, comment il fut vendu à des Israélites et revendu à Potiphar, et comment là, après une longue prospérité, il vit s’ouvrir pour lui les portes de la prison parce qu’il avait su respecter l’honneur de sa maîtresse, et son honneur à lui-même. Cet honorable prisonnier devint bientôt comme le geôlier de ses compagnons, et deux officiers disgraciés de Pharaon apprirent de sa bouche, l’un sa mort, l’autre son prochain retour en grâce ; trois jours après, l’heureux échanson rentrait à la cour ; mais ingrat dans la bonne fortune, il oublia son compagnon de prison, et deux années s’écoulèrent sans apporter à Joseph aucun changement. Alors Pharaon songea, ses songes le troublèrent, tous les sages furent consultés inutilement, et l’échanson se rappela Joseph. « Dieu donnera une réponse de paix au Pharaon » (41.16), répondit le fils de Jacob, que l’on consultait comme un devin ; et avec une sagesse qui lui était donnée d’en haut, il annonça les sept années d’abondance qui devaient être suivies de sept années de famine, et invita le roi à se précautionner dans les premières contre les dernières. Pharaon ne crut pouvoir mieux profiter de révélations aussi importantes qu’en chargeant Joseph lui-même de l’administration des affaires publiques, et il le fit son premier ministre (1715 av. J.-C.), en changeant son nom en celui de Tsaphnath-Pahnéakh, qui, dans le haut style de la chancellerie égyptienne, signifiait le salut du siècle, ou selon saint Jérôme, le sauveur du monde. Joseph avait alors trente ans ; il épousa Asnath, fille de Poti-Phéra, qui lui donna deux fils, Éphraïm et Manassé. Les années de famine avaient commencé, et de toutes parts on venait acheter du blé en Égypte, lorsqu’un épisode d’une grande importance vint rendre Joseph à sa famille. Parmi les nombreux marchands étrangers qui venaient se prosterner aux pieds du sage ministre de l’Égypte, Joseph ; un jour, il reconnu ses frères ; un de ses songes d’enfance venait de s’accomplir. Il ne pouvait penser à se venger d’eux, il était trop grand de caractère et de position ; mais il crut devoir les éprouver avant de se faire connaître ; il leur parla brutalement, les traita en espions, retint Siméon auprès de lui, exigea la promesse qu’à un prochain voyage ils amèneraient Benjamin avec eux, et fit remettre l’argent dans leurs sacs. Après un assez long espace de temps, que les hésitations de Jacob avaient encore prolongé, Joseph vit revenir auprès de lui ses frères et Benjamin ; son ton fut affectueux et doux, ses paroles furent aimables, il leur rendit Siméon, et fit préparer pour eux un repas dans sa maison ; l’émotion parfois était plus forte que lui, il eût voulu se jeter au cou de Benjamin ; cependant il se contint, les fils de Jacob avaient encore une épreuve à subir, celle de la coupe ; ils s’en tirèrent à leur honneur, Joseph eut la certitude que le remords était entré dans le cœur de ces méchants frères, et lorsque Juda se fut offert en sacrifice à la place de Benjamin, Joseph, hors de lui d’émotion, fit sortir tout le monde, et s’écria : « Je suis votre frère, je suis Joseph ; mon père vit-il encore ? » C’est une scène qu’on ne peut décrire ; il semble que chacun y assiste, que chacun partage l’émotion de Joseph et celle de ses frères, surpris, heureux et troublés. Des ordres furent aussitôt donnés pour que Jacob put venir en bonne vieillesse achever ses jours en Égypte, et Pharaon lui-même s’intéressa à la famille de son premier ministre. Le vieux père ne se fit pas longtemps attendre, et Joseph, après l’avoir présenté à Pharaon, lui assigna pour demeure la fertile contrée de Goshen en Ramsès.
Cependant Joseph ne négligeait pas ses devoirs envers l’Égypte ; il se souvenait qu’il était administrateur et politique, et sa politique n’étant guère autre que l’autocratie orientale, il mit tous ses soins à obtenir des Égyptiens, en échange de son blé, leur argent, leurs terres et leur liberté, pour pouvoir ensuite les administrer comme des fermiers, les parquer selon que l’intérêt du pays le voulait, et les imposer au profit de la couronne ; la population fut dès lors et pendant longtemps astreinte à abandonner au roi le cinquième des récoltes, le clergé seul étant exempté, et le pays fut dans la main du roi.
La fin de Jacob approchait ; le patriarche fit promettre à Joseph que ses os seraient transportés en Palestine et ensevelis dans le sépulcre d’Abraham ; puis Joseph amena auprès du vieillard mourant Éphraïm et Manassé, vit avec surprise la plus grande bénédiction retomber sur la tête du plus jeune, entendit le testament prophétique du patriarche à ses fils, et recueillit son dernier soupir. Après l’avoir fait embaumer, Joseph, fidèle à sa promesse, conduisit en Canaan, accompagné d’un immense cortège, la dépouille paternelle, et la déposa dans la grotte de Macpéla près des restes de ses ancêtres. De retour en Égypte, il dut rassurer ses frères qui craignaient que ses vengeances, comprimées par la vie de Jacob, n’éclatassent après sa mort ; il pleura avec eux, et leur promit de nouveau tout l’appui de son crédit en cours et de son affection fraternelle. Sa vie dès lors fut tranquille et calme, il vit encore ses arrière-petits-fils, et s’endormit à l’âge de cent dix ans, après avoir exprimé le vœu d’être ramené dans la terre promise pour y être enseveli avec ses pères lorsque la postérité de Jacob quitterait l’Égypte. Moïse se rappela ce vœu de Joseph et Josué fut chargé de l’exécuter (Exode 13.19 ; Josué 24.32).
Il est impossible de trouver nulle part, dans tout ce qui s’est écrit depuis le commencement du monde, un récit plus attachant, plus émouvant que celui de la vie de Joseph ; sans doute, les scènes de la rédemption sont plus sublimes et plus déchirantes, et bien des enfants, bien des pauvres sauvages, bien des chrétiens aussi ne peuvent les lire sans pleurer (qu’ils sont heureux !) ; mais elles sont trop pures, trop célestes, trop surhumaines pour que chacun consente à les comprendre ; on peut s’y refuser ; mais pour les scènes de Joseph, elles sont tellement à la portée de chacun, si simples, si naturelles dans leur grandeur, si humaines, que les plus grands ennemis de la révélation sont contraints d’avouer que tout leur paganisme, et le paganisme encore plus noble des anciens, n’a rien produit qui puisse être comparé à cet admirable récit. Aussi, bien des auteurs ont-ils voulu rattacher leur nom à une imitation de Joseph ; la poésie s’en est emparée, et l’art dramatique lui doit une de ses créations les plus sérieuses et les plus admirables, dont la musique, peu française de caractère quoique française d’origine, semble rappeler l’âge théocratique, l’âge des patriarches, l’israélite des premiers temps.
Une chose peut surprendre dans l’histoire de Joseph, c’est qu’il soit resté vingt-deux ans sans s’enquérir de sa famille, surtout lorsque sa position le mettait à même de le faire facilement. Il est difficile de se l’expliquer ; on ne peut douter qu’il n’ait souvent désiré de revoir son père et ses frères, et surtout de rendre à son père le bonheur qu’il avait perdu ; mais à cette époque les relations étaient rares entre les deux pays, longtemps Joseph fut hors d’état de communiquer avec le dehors ; quand il redevint libre et maître, les soins du gouvernement durent l’absorber ; il se consolait peut-être par la foi qu’il puisait dans les songes de sa jeunesse, et croyait ne pas devoir hâter un moment que Dieu avait lui-même fixé dans sa providence ; peut-être craignait-il de troubler la paix de sa famille en révélant après treize ans d’absence le crime de ses frères ; et si au contraire il fit pour retrouver son père des recherches dont il ne nous est pas parlé, peut-être les voyageurs eurent-ils de la peine à trouver une famille nomade et sans nom, dont le siège pouvait varier considérablement d’année en année ; peut-être enfin put-il se tenir lui-même au courant de ce qui se passait chez Jacob, sans vouloir cependant, et sans croire pouvoir lui faire connaître qu’il vivait encore. Il faut le dire aussi, les sentiments de tous genres n’étaient pas aussi tendres et efféminés chez ces anciens patriarches que chez nous, et si les affections de famille sont une des plus douces jouissances qu’il soit accordé à l’homme de goûter sur la terre, encore doit-on savoir au besoin être plus fort que ces affections, les dominer au lieu de s’en laisser dominer, et penser là comme ailleurs au but de la vie et non point à ses jouissances. La séparation d’Abraham et de Lot, celle d’Abraham et de Nakhor, celle d’Isaac et de Jacob surtout, présentent le même caractère ; on voit Jacob avoir été séparé de son père pendant vingt ans au moins, de 77 à 97 ans, s’être marié, avoir eu onze ou douze enfants et avoir fait fortune, sans qu’il paraisse s’être inquiété en aucune façon du sort de sa famille ; doit-on l’attribuera un vice d’organisation, à un manque de développement des sentiments de famille et d’affection, ou bien à certaine force de caractère qu’on ne peut plus comprendre de nos jours, qui paraît tout au moins exagérée, et qui est en tout cas le contre-pied de la sensibilité moderne ? Mais comme la Bible ne nous raconte pas tous les détails de la vie des personnages, nous pouvons croire aussi qu’il y a eu, entre les absents et leurs familles, des rapports dont il n’est point parlé, d’autant plus que l’on voit Jacob revenir de chez Laban avec la nourrice de sa mère.
Le nom de Joseph se retrouve en Exode 1.5 ; Psaumes 105.17 ; Jean 4.5 ; Actes 7.9 ; Hébreux 11.22. Il sert aussi à désigner quelquefois les tribus, soit d’Éphraïm (Apocalypse 7.8), soit de Manassé (Nombres 13.12), soit toutes les deux à la fois (Deutéronome 33.13 ; voir Tribus.
2°, 3°, 4°. Trois hommes du nom de Joseph sont nommés parmi les ancêtres de Jésus et de Marie (Luc 3.24-26, 30) ; ils sont les uns et les autres inconnus.
5°. Joseph, fils de Jacob (Matthieu 1.16), ou fils de Héli (Luc 1.27 ; 3.23). Il descendait de la famille de David, et se fiança avec une jeune parente d’une origine royale comme la sienne, mais devenue modeste aussi par suite de l’abolition de la royauté. Divinement averti des choses merveilleuses qui étaient arrivées à Marie, il renonça à une séparation qu’il avait d’abord cru nécessaire ; il continua de vivre à Nazareth de son métier de charpentier, et se rendit à Bethléem à l’époque du dénombrement ; là il vit les mages adorer Jésus et Siméon saluer l’enfant de ses bénédictions prophétiques ; mais sa surprise s’accrut quand, au lieu de la grandeur qu’il pouvait attendre, il se vit obligé, par une vision divine de s’enfuir, d’abord en Égypte (pendant deux ans ?), puis en Galilée, pour échapper aux cruelles persécutions d’Hérode et de son fils et successeur Archélaüs. Israélite pieux, Joseph faisait chaque année le pèlerinage de Jérusalem ; c’est dans une de ces courses que Jésus, âgé de douze ans, resta en arrière dans le temple, et Joseph partagea à son égard les inquiétudes de sa mère. Dès lors, cet homme qui paraît avoir été humble et doux, disparaît de l’histoire ; on sait qu’il eut de Marie quatre fils et deux filles (Marc 6.3), mais comme il n’est plus reparlé de lui, tandis qu’il est souvent question de la mère, des frères et des sœurs de Jésus, on conjecture avec raison qu’il était mort lorsque son fils adoptif entra dans la carrière publique, et les paroles de Jésus (Jean 19.27), prouvent qu’au moins à l’époque de la crucifixion Marie était veuve. Le nom de Joseph se trouve dans les généalogies rapportées par Luc et Matthieu ; on est généralement d’accord à penser que celle de Matthieu renferme seule la descendance de Joseph, tandis que celle de Luc renferme celle de Marie ; Joseph a été substitué à Marie dans cette dernière, d’après l’ancien usage de l’Orient et des Hébreux de ne comprendre dans leurs listes que les hommes, et de nommer le mari comme fils et descendant, alors même qu’il n’était entré dans la famille que par une alliance. Il fallait que le Christ fût fils de David, selon la chair par Marie, et selon la loi par Joseph, son père putatif, en quelque sorte son beau-père (en anglais, l’expression father in law exprime parfaitement les rapports de Joseph et du Christ).
6°. Joseph d’Arimathée (Matthieu 27.57 ; Marc 15.43 ; Luc 23.50 ; Jean 19.38), membre du sanhédrin et ami caché de Jésus, refusa de consentir par son vote à la mort de Jésus et ne fut point écouté. L’épreuve le manifesta ; prudent lorsque rien n’était à craindre, il ne craignit pas de se compromettre quand il y eut du danger à le faire, et il demanda à Pilate le droit de rendre les derniers devoirs à celui dont il avait reconnu, sans la comprendre encore, la mission divine.
7°. Joseph, voir Barsabbas.