Cette impure et désolante maladie, endémique en Égypte et dans la partie méridionale de l’Asie mineure, était aussi l’un des fléaux les plus redoutés des Juifs, chez qui elle était assez fréquente ; c’était une épouvantable calamité (Deutéronome 24.8) ; on la regardait comme envoyée de Dieu (Nombres 12.10 ; 2 Chroniques 26.19), et on ne la souhaitait comme malédiction qu’à un ennemi mortel (2 Samuel 3.29 ; 2 Rois 5.27).
La lèpre se manifeste d’abord à l’épiderme, mais elle ne tarde pas à attaquer le tissu cellulaire, les membranes graisseuses, les os, la moelle et les articulations ; ses progrès sont lents, mais elle se communique très facilement, surtout par la cohabitation, et le père la lègue à ses enfants jusqu’à la troisième et quatrième génération, s’affaiblissant à mesure, et perdant de son intensité de telle sorte que chez le fils de l’arrière-petit-fils, sa présence ne se constate plus que par des dents gâtées et tartreuses, une haleine fétide, et une apparence débile et maladive.
Le développement de la lèpre est favorisé par une atmosphère humide et malsaine, par la malpropreté, et par une nourriture grasse et huileuse ; ses indices avant-coureurs sont de petites taches de la grosseur d’une pointe d’épingle, qui atteignent bientôt la dimension d’un grain de lentille ; d’autres fois ce sont des dartres et des croûtes, qui se distinguent de l’exanthème de la lèpre apparente en ce qu’elles s’étendent continuellement, et que les poils ou les cheveux (car c’est ordinairement par les parties velues du corps qu’elle commence) changent de couleur et perdent leur force et leur vie. Avec les progrès de la maladie, les taches et les dartres dévorent la chair peu à peu et s’étendent sur tout le corps ; les parties attaquées par les taches, molles et de diverses couleurs, jaunâtres, noirâtres ou plombées, sont ordinairement le visage, la poitrine, le bas-ventre, le bassin, et les extrémités ; la peau est alors inégale, rude et insensible ; on peut arriver jusqu’à l’os avec une épingle ou avec un couteau, sans que le malade éprouve la moindre douleur ; les parties attaquées par des croûtes ou des dartres sont plus sensibles, mais tourmentées de violentes et continuelles démangeaisons.
On distingue plusieurs espèces de lèpres ; nous ne mentionnerons que les suivantes. La lèpre blanche : c’est celle qui régnait le plus parmi les Juifs (2 Rois 5.27 ; Exode 4.6 ; Nombres 12.10) ; elle s’annonçait par des taches et des pustules blanches, les cheveux blanchissaient à l’endroit suspect, la place s’agrandissait promptement, la chair vive était mise à nu (Lévitique 13.3-8, 10, 14, 20, 25, 30) ; les parties chevelues en étaient ordinairement les premières attaquées (13.29 ; cf. 2 Chroniques 26.19) ; d’autres fois c’était aux places où il y avait eu précédemment quelque ulcère ou blessure, que le bouton de lèpre apparaissait (Lévitique 13.18). Une fois la lèpre déclarée, toute la peau devient d’un blanc luisant sur le nez, sur le front, et par tout le visage ; elle s’enfle, s’étend et se durcit ; parfois elle crève, et des boutons pleins de pus se forment près de ces crevasses ; les extrémités s’enflent, les ongles tombent des pieds et des mains, les yeux sont fixes, mats et enflammés ; les oreilles sont rongées d’ulcères vers la base ; le nez s’enfonce, parce que le cartilage se pourrit ; au fond des narines sont des boutons qui dégouttent continuellement ; les cheveux tombent, ou s’emmêlent dans la teigne qui les entoure, et se collent par mèches ; tous les sens sont émoussés ; enfin le malheureux meurt, à la fois de consomption et d’hydropisie. Dans d’autres cas, la lèpre blanche se manifeste subitement, ses germes longtemps cachés éclatent tout à coup, et le malade devient blanc de la tête aux pieds (Lévitique 13.12 ; cf. 2 Rois 5.27).
L’éléphantiasis est probablement cette autre espèce de lèpre qui est mentionnée (Deutéronome 28.27-35) sous le nom d’ulcère d’Égypte ; car cette maladie, au dire de Pline et de Lucrèce, était endémique dans la contrée où les Juifs furent si longtemps retenus comme esclaves ; elle a, de même que la précédente, sa source dans la malpropreté et dans l’absence de soins donnés à des plaies ou à des boutons d’abord peu considérables ; elle se manifeste aussi par des taches au visage et ailleurs, ou par des dartres qui commencent par la grosseur d’un pois, et atteignent bientôt celle d’une noix ou d’un œuf ; la peau se crevasse. L’éléphantiasis n’est pas ordinairement très douloureuse, il y a peu de boutons, et ce n’est que lorsque la maladie est assez avancée qu’une espèce de suppuration commence à s’établir ; les extrémités meurent peu à peu et se séparent du corps les unes après les autres ; le visage enfle, se bouffit, et paraît comme gras de suif ; le regard est sauvage et dur, l’œil s’arrondit, il sort de son orbite, et ne peut plus se mouvoir à droite et à gauche ; il pleure continuellement (cf. Job 16.16) ; la voix s’affaiblit et devient nasillarde, ou même se perd tout à fait ; dans cet affaiblissement général les besoins seuls deviennent plus vifs, la gourmandise et la volupté ; une profonde mélancolie accompagnée d’angoisse s’empare du malheureux ; son sommeil est troublé, il fait des rêves effrayants (Job 7.14) ; il se relève, ses pieds et ses genoux se heurtent dans ses frissons, ils enflent, se durcissent au point de résister à la pression de la main, et se recouvrent d’une peau crevassée et comme couverte d’écailles. Cependant aucun organe vital n’est attaqué, et le malade peut vivre encore vingt ans et plus, comme il peut aussi être enlevé subitement par une légère fièvre, ou succomber à une suffocation violente. On ne connaît pas de remède à cette maladie qu’il est toujours facile de prévenir en suivant les règles les plus élémentaires de l’hygiène.
C’est l’éléphantiasis que plusieurs savants (Michaélis, Reinhard), croient reconnaître dans la maladie de Job, dans cet ulcère malin (2.7), qui rappelle l’ulcère d’Égypte par son nom et par ses caractères. D’autres, comme Jahn, pensent à la lèpre noire qui, du reste, ne diffère guère de la précédente que parce qu’elle est accompagnée d’une démangeaison plus vive et plus constante. La peau devient rude et inégale, elle se crevasse et se pèle en écailles d’un rouge noirâtre ; la teigne s’y joint et attaque principalement les bras et les jambes ; les doigts se racornissent et refusent de procurer aux démangeaisons du malade un soulagement même momentané ; toutes les extrémités se gangrènent, meurent et tombent, l’haleine est empoisonnée. On ne peut nier que ces caractères ne conviennent parfaitement à la maladie de Job ; mais, d’un autre côté, ceux de l’éléphantiasis s’y rapportent également, et comme ces deux maladies ont bien des points de contact et qu’on peut aisément les confondre, il n’est pas facile, comme il n’importe pas non plus, de décider de laquelle des deux il s’agit dans le récit sacré, d’autant plus qu’on ne saurait prendre littéralement, ni comme exacte description pathologique, tous les détails que le livre de Job renferme sur sa maladie, détails dont plusieurs se rapportent plutôt à l’état de son âme qu’à celui de son corps.
Enfin Moïse distingue soigneusement encore une espèce de lèpre apparente qu’il déclare sans contagion et sans danger (Lévitique 13.39) ; Niebuhr l’a retrouvée en Égypte sous le même nom et avec le même caractère inoffensif ; c’est une sorte de teigne blanchâtre qui passe d’elle-même après avoir duré de deux mois à deux ans, sans laisser ni dans le corps ni sur la peau aucune trace fâcheuse.
Manéthon, prêtre égyptien, Lysimaque, Molon, Tacite et Justin racontent gravement que les esclaves hébreux furent chassés d’Égypte à cause de la lèpre dont ils étaient infectés ; Tacite ajoute (Hist. 5.3) que ces malheureux, abandonnés dans de vastes solitudes, se laissaient aller aux larmes et aux plaintes, lorsque Moïse, plus résolu que les autres, leur dit qu’ils ne devaient attendre de secours ni de Dieu ni des hommes, et leur conseilla de l’accepter pour chef et guide, ce qu’ils firent. Peu importe le plaisir que cette anecdote a pu faire à tous les ennemis des Hébreux depuis Manéthon jusqu’à Shaftesbury, depuis Tacite jusqu’à Bolingbroke ; ce qu’il y a de mieux prouvé, c’est que la lèpre appartient à la terre d’Égypte, c’est que tous les anciens, Romains et autres, Pline et Lucrèce, sont d’accord à regarder cette maladie comme naturelle au pays, favorisée par les débordements du Nil ; c’est que, par conséquent, les Égyptiens étaient lépreux par eux-mêmes sans que les Israélites leur aient apporté ce fléau, qu’ils n’ont appris à connaître eux-mêmes que depuis leur séjour en Égypte ; et comme le dit Cellérier, si les Égyptiens voulaient se délivrer radicalement de la lèpre, il était inutile de faire partir les Hébreux, ils auraient dû partir eux-mêmes. Le récit de Tacite n’est donc qu’une évidente fausseté, y compris les absurdités qui l’accompagnent et que nous nous sommes dispensés de reproduire.
On peut croire qu’à leur sortie d’Égypte, un assez grand nombre d’Israélites étaient en effet souillés de cette maladie, jusqu’alors inconnue pour eux, et de laquelle ils n’avaient pas su se garantir ; elle joue dès lors un grand rôle, non seulement dans la législation, mais même dans les miracles du législateur (Exode 1.6-8 ; Nombres 12.10-15).
Les lois de Moïse relativement aux lépreux, sont un développement des lois sur la pureté légale, en même temps qu’elles tendaient à prévenir la contagion de cette hideuse maladie. Aucun remède n’est indiqué ; les sacrificateurs sont chargés d’examiner les premières traces du danger, et l’exactitude des distinctions établies par Moïse, la sagesse des diagnostics qu’il indique pour mettre les prêtres à même de prononcer avec connaissance sur l’existence du mal comme sur sa guérison, font encore aujourd’hui l’admiration des gens de l’art (voir Lévitique 13.1ss ; 14.1ss ; Nombres 5.1-4 ; Deutéronome 24.8-9). Lorsqu’un homme était reconnu lépreux, le sacrificateur le déclarait impur, l’excluait du commerce des hommes, le reléguait à la campagne dans la société d’autres lépreux (2 Rois 7.3 ; Luc 17.12), ou dans des lieux inhabités ; on lui déchirait ses vêtements en signe de deuil, et s’il voyait quelque étranger s’approcher de lui sans défiance, il était tenu de l’avertir en lui criant de loin, Souillé ! souillé ! Aucun rang ne pouvait soustraire à cet isolement ; la sœur de Moïse dut sortir du camp (Nombres 12.13), et Ozias demeurait dans une maison écartée (2 Chroniques 26.21). Cette solitude n’était cependant pas un emprisonnement, et on les voit dans l’Évangile, comme de nos jours encore en Arabie, se promener librement ; il paraîtrait même, d’après Lightfoot, qu’ils étaient admis dans les synagogues. Lorsqu’un lépreux se croyait guéri, il allait se montrer au sacrificateur, sans la permission duquel il ne pouvait rentrer chez lui, et s’il était véritablement reconnu net, il passait par diverses cérémonies et purifications destinées à représenter la purification de l’âme par l’aspersion du sang de Christ, puis il rentrait dans la société des hommes purs, et dans l’usage des choses saintes.
Cette maladie, apportée en Europe par les saints et galants chevaliers des croisades, a été dans un temps tellement commune, que l’on comptait jusqu’à 19000 ladreries, lazareries, lazarets ou léproseries ; maintenant elle a presque disparu de chez nous, ou du moins elle a changé de nature, et quelques habiles médecins veulent en reconnaître une variété dans les maux secrets ; mais on la retrouve en Égypte et dans les deux Indes avec tous les caractères que nous avons mentionnés. Le voyageur Caunter raconte, dans les termes suivants, la rencontre qu’il fit un jour d’un lépreux dans l’Inde : « Pendant que je me promenais un soir sur le rivage de la mer, je vis venir vers moi un être si extraordinaire que je ne pus en détacher mes yeux ; c’était un homme vêtu seulement d’un morceau d’étoffe autour du corps (c’est le vêtement des castes inférieures de l’Inde). Il avait la peau tout à fait blanche, comme si elle avait été brûlée avec un fer rouge. Il avait la tête nue, et ses cheveux, absolument de la couleur de sa peau, tombaient en longues mèches » sur ses épaules décharnées. Ses yeux, à l’exception de la prunelle, étaient d’un rouge foncé ; il les tenait constamment fixés vers la terre comme s’il lui eût été douloureux de regarder en l’air ; il marchait avec lenteur et faiblesse, et sa maigreur était aussi effrayante à voir que celle d’un squelette vivant. Il s’arrêta à quelques pas de moi ; je m’avançai, mais il recula. Alors il me supplia de lui donner quelque chose pour l’empêcher de mourir, parce qu’il était pour tous un sujet de mépris et qu’il ne pouvait aller ni chez lui, ni chez ses amis. Il me dit de ne pas m’approcher d’une créature souillée, objet d’aversion pour tout le monde, contre laquelle chacun levait la main et qui n’inspirait de pitié à personne. Je le questionnai, il me dit qu’il avait souffert de la lèpre pendant plusieurs années d’une manière horrible, et que le mal, quoique guéri maintenant, lui avait laissé ces marques de souillure qui l’empêchaient de retourner vers ses semblables. En effet, la couleur de sa peau était aussi blanche que celle d’un cadavre, et en le voyant, personne ne pouvait douter qu’il n’eût eu la lèpre ».
Le christianisme prend soin des lépreux ; le paganisme des Indes les brûlent vivants.
Moïse parle encore de la lèpre des maisons et de celle des étoffes (Lévitique 13.47-59 ; 14.33-53) ; mais la science moderne n’est pas encore fixée sur la solution de ce problème d’histoire naturelle ; quelques savants (Michaélis, Winer, Volney, 55) voient dans la lèpre des maisons l’effet du salpêtre sur les murs, taches d’un rouge verdâtre qui rongent peu à peu les pierres et la chaux, et qui, sans endommager peut-être d’une manière notable les bâtiments, corrompent l’atmosphère et peuvent menacer la santé des habitants ; Calmet croit que cette espèce de lèpre est causée par de petits vers qui rongent la pierre, longs d’environ deux lignes, grisâtres et munis de quatre mâchoires ; les rabbins ne s’expliquent pas sur ce point, ils y voient d’une manière générale une plaie divine. Il est probable que l’on ne tardera pas à obtenir plus de lumières sur ce sujet par les études qui sont commencées en Égypte, où ce curieux phénomène a encore été remarqué par Volney. La lèpre des étoffes est aussi peu connue ; on l’a remarquée, non seulement sur des draps de laine, mais encore sur des peaux et sur du cuir ; elle se trahit comme celle des maisons par des taches rouge-vert, et Michaélis l’attribue à des insectes fort petits qui se développent plus facilement dans les laines de mauvaises qualités, notamment dans la laine de moutons morts de maladies. Il faut attendre des renseignements ultérieurs sur cette lèpre qui s’attache à des objets inanimés. Quant aux prescriptions de Moïse à cet égard, la destruction des maisons et des étoffes lépreuses, elles avaient pour but, d’abord de prévenir des maladies contagieuses et d’empêcher les miasmes provenant d’une fermentation putride, ensuite d’affermir la loi principale en l’entourant, comme d’un rempart, de toutes ces lois secondaires relatives à la souillure légale.
La lèpre était une image du péché ; pour exprimer la délivrance du lépreux, c’est toujours le mot nettoyé, jamais celui de guéri dont se servent les auteurs sacrés ; la lèpre était considérée comme une souillure encore plus que comme une maladie.