Trois classes, ou sectes, qui se retrouvent continuellement dans l’histoire de l’Église chrétienne sous différents noms, parce qu’elles correspondent à trois fausses tendances, à trois principes de corruption du cœur de l’homme, la superstition, l’incrédulité, et le mysticisme, trois sectes, disons-nous, se distinguaient parmi les Juifs au moment de l’apparition du christianisme ; c’étaient les pharisiens, les sadducéens, et les esséniens ou esséniens ; les premiers représentaient la superstition et la piété cérémonielle, tendance qui se retrouve dans la communion romaine ; les seconds représentaient l’incrédulité rationaliste, et le néologisme est de tous les temps ; les derniers n’étaient sous un autre nom que des mystiques. Les deux premières classes sont seules nommées dans l’Écriture ; il n’est parlé de la troisième que dans l’ouvrage rabbinique Sepher Jouchasin (liber genealogise) ; nous en dirons cependant quelques mots.
Le nom d’esséens s’explique de diverses manières, soit que d’origine syriaque il signifie bon et pieux, soit que d’origine chaldéenne il rappelle les occupations médicales des esséniens. Leur origine est tout à fait inconnue ; on pense que dans les guerres des Syriens (Séleueides) contre les Juifs, des hommes pieux, pour se soustraire à la tyrannie des ennemis, se retirèrent dans les déserts, et qu’ils y menèrent une vie austère et religieuse, à laquelle ils prirent goût, et qu’ils ne voulurent plus abandonner, même après que leurs ennemis se furent retirés. D’autres, éprouvant le besoin de se retirer du monde, se rendirent auprès d’eux pour servir Dieu dans la retraite. Il est probable qu’ils ne furent pas sans rapports avec les mystiques juifs des siècles précédents, et qu’ils aspirèrent à imiter, sinon à les remplacer, les nazariens, les fils des prophètes, les Récabites, et les Assidéens de 1 Macchabées 7.13ss, et 2Macchabées 14.6.Nous les trouvons, d’après le témoignage de Pline l’Ancien, formant une espèce de colonie religieuse, sur les rives occidentales de la mer Morte ; cependant ils ne restèrent pas longtemps dans ces limites, et s’étendirent de cette partie du pays dans différents lieux voisins. Ils s’occupaient surtout d’agriculture et de médecine. Josèphe et Philon en parlent avec détail, et Josèphe est d’autant plus digne de foi qu’il avait lui-même vécu parmi eux. Ils attachaient un prix excessif à certains usages tout à fait extérieurs ; on ne pouvait être reçu dans leur ordre qu’après un noviciat de trois années, et alors on devait prêter un serment solennel de ne révéler à personne le nom des anges ; c’était dans ce seul cas qu’ils autorisaient le serment. Ils mettaient aussi une grande importance à une certaine classification qu’ils avaient établie entre eux. D’autres détails encore de leur vie particulière, leurs vêtements blancs, leur haine du mariage, leur mépris des richesses, leur obéissance aveugle aux supérieurs de leur choix, etc., montrent qu’ils n’étaient pas libres de la véritable liberté, et qu’ils avaient recherché à plusieurs égards une sagesse faussement ainsi nommée.
Avant d’en venir à la secte qui fait le sujet de cet article, disons encore qu’il y avait à côté de ces trois classes d’hommes, une autre classe, le résidu selon l’élection de grâce, les enfants d’Israël qui avaient reçu la parole de Dieu, pour qui cette parole était vivante, et qui marchaient suivant ses préceptes ; sous le nom de caraïtes, ils ne formaient cependant pas une secte particulière, mais se trouvaient mêlés soit au milieu du peuple, soit quelquefois parmi les pharisiens et les esséniens ; ils attendaient la consommation d’Israël ; la parole de Dieu nous en offre quelques exemples, Siméon, Nicodème, Gamaliel, Paul, etc.
Quant aux pharisiens, ils étaient les plus considérés des théologiens juifs, et représentaient la superstition et la tradition. Leur nom dérivé de parash, distinguer, séparer, expliquer, signifie selon quelques-uns, interprètes, explicateurs (de la loi), docteurs ; mais la forme du nom ne favorise pas cette signification, d’autant moins que l’interprétation de la loi n’occupait pas les pharisiens plus qu’autre chose, et que c’était plutôt l’affaire des scribes. Il vaut donc mieux entendre par pharisiens, des hommes qui se séparent, qui se distinguent des autres. Leur origine n’est pas bien connue ; il est probable que bientôt après la captivité babylonienne, des hommes pieux ou feignant de l’être, commencèrent à se distinguer, surtout alors que la grande synagogue n’existait plus. Le commandement de la grande synagogue d’entourer la loi d’une haie et l’influence de la civilisation grecque, qui avait gagné du terrain dans l’Asie Antérieure depuis Alexandre le Grand, ne pouvaient pas manquer de provoquer parmi les Juifs, le zèle de plusieurs individus qui se crurent appelés à la défense de la vérité révélée à leurs pères. Il est encore probable que c’étaient au commencement de vrais fidèles, et les hommes pieux qui dans la guerre des Macchabées se sont mis en avant pour combattre et mourir en l’honneur de la religion des pères, appartenaient peut-être à cette secte. Mais en tout temps si une œuvre de Dieu a grandi, l’orgueil humain et l’hypocrisie la déshonorent ou la remplacent, et ceux qui étaient dans l’origine des hommes pieux, se présentent plus tard dans l’histoire comme pharisiens, mettant tous leurs efforts à être distingués des hommes.
Le caractère principal de leur doctrine était leur attachement aux traditions de leurs maîtres, à la Kabbala ; ils en faisaient plus de cas que de l’Écriture elle-même ; leur système théologique se composait ainsi de doctrines d’origine juive, et de doctrines d’origine étrangère, qu’ils savaient, au moyen d’une méthode allégorique, trouver, ou, pour mieux dire, mettre dans l’Ancien Testament. Ils prétendaient que plusieurs des faits de l’ancienne alliance n’étaient que des allégories grossières, qui révélaient à l’homme spirituel une doctrine d’un ordre plus élevé. Ils enseignaient, contrairement à l’erreur saducéenne, l’immortalité de l’âme, des rétributions et un jugement après la mort, et la résurrection des corps.
Leur culte était surtout extérieur ; c’était une observation exacte, mais formaliste, de la loi, des exercices ascétiques minutieux, des espèces de martyres qu’ils s’imposaient. La plupart ne cherchaient dans la pratique de ces minuties qu’une certaine réputation de sainteté ; quelques-uns cependant étaient sans doute sérieux, et pensaient mériter de cette manière la faveur divine ; mais c’était une erreur, dans un sens, tout aussi dangereuse que l’hypocrisie des autres, puisqu’elle introduisait cette idée de mérite, de justification propre, si fatale au salut comme à la sanctification de l’âme.
Il faut reconnaître que les pharisiens ont formé dans l’Assemblée juive une opposition absolument nécessaire, d’un côté, contre le bras séculier, de l’autre, contre l’esprit mondain et la civilisation incrédule des Grecs ; ils ont été les gardiens fidèles de la révélation écrite, et c’est à leur fermeté, à leur opiniâtreté, que nous devons peut-être en grande partie la conservation du recueil des auteurs sacrés de l’ancienne alliance.
Leur autorité était grande auprès du peuple, et les princes étaient obligés de les ménager et de compter avec eux.
On voit sous ces rapports que cette secte occupait au milieu de la communauté juive la même place que la secte romaine au milieu de l’Église chrétienne ; l’une et l’autre ont eu les mêmes qualités, les mêmes vices, le même genre d’influence, comme jusqu’à un certain point une origine semblable, et une même mission.
Le Talmud, à sa manière, donne le tableau suivant des diverses nuances ou subdivisions du pharisaïsme : 1° Ceux qui ont les épaules inclinées vers la terre ; 2° celui qui traîne les pieds à force de piété ; 3° celui qui se fait saigner : il ferme toujours les yeux pour ne rien voir qui l’induise en tentation, et souvent il se heurte et se blesse ; 4° le pilon : celui qui est tout retiré, recoquillé sur lui-même ; 5° le pharisien sincère, qui ne veut faire autre chose que son devoir ; 6° celui qui fait tout pour être récompensé de Dieu ; 7° ceux qui craignent l’Éternel : c’est la meilleure classe.
Les pharisiens disparaissent de l’histoire depuis l’époque de la destruction de Jérusalem par les Romains ; leur système et leurs doctrines, cependant, paraissent avoir été conservés par les talmudistes.