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Apocalypse
Dictionnaire Biblique Bost Westphal Calmet

Mot grec qui signifie révélation, et qui a été conservé en français pour désigner le livre de l’Écriture dans lequel Jean a consigné les merveilles qu’il lui avait été donné d’avoir dans l’avenir touchant Christ et son Église, comme le reste de l’humanité, Juifs compris. L’authenticité de cet ouvrage, accrédité généralement pendant tout le second siècle, n’a commencé à être mise en question que par un certain Caïus qui vivait au commencement du troisième, et qui l’attribuait à l’hérétique Cérinthe. Après lui, Denys d’Alexandrie rapporte le fait de l’opinion de Caïus ; pour son propre compte il ne peut l’admettre, il pense que l’Apocalypse a été écrite par un homme pieux, nommé Jean, mais il n’ose affirmer que ce soit le même que l’apôtre frère de Jacques, fils de Zébédée. Eusèbe épouse la même hypothèse qui lui paraît un bon juste milieu, quoique dans ses premiers ouvrages (Démonstration évangélique) il eût admis l’opinion générale que Jean le théologien était l’auteur de l’Apocalypse. Avant Caïus quelques hérétiques, Marcion en tète, avaient nié l’authenticité de ce livre ; mais ce témoignage est plutôt une preuve en sa faveur, vu la qualité des opposants. Quant à la Peshito, qui ne comprend plus l’Apocalypse, elle serait le seul témoin de quelque autorité qu’on pût invoquer dans ce sens, s’il était prouvé que cette lacune est aussi ancienne que la traduction elle-même : or c’est le contraire qui paraît établi. Kplirem, au quatrième siècle, s’est évidemment servi d’une traduction syriaque qui comprenait l’Apocalypse, (v, l’Einleitung de Hug, et Steiger, Introd. génér. aux livres du N. T., p. 47 à 51.)

Les témoignages en faveur de l’Apocalypse sont a la fois plus anciens, plus nombreux et plus respectables ; ce sont : Irénée, qui rapporte les paroles de personnes qui avaient connu l’apôtre Jean ; Polycarpe, Papias de Hiérapolis, Mélithon de Sardes, Apollonius d’Éphèse, Justin martyr ; Théophile d’Antioche, Clément d’Alexandrie, Tertullien, l’Église du deuxième siècle tout entière, les millénaires et les anti-millénaires, même les montanistes, tous ont reconnu cette authenticité.

Au troisième siècle, nous trouvons d’abord le fragment de canon dit de Muratori ; Cyprien, Hippolyte, Jacques d’Edesse et Ebed Jesu, Origène, Méthodius, l’évêque Népos d’Égypte.

Au quatrième, chez les Latins, Lactance, Victorinus de Petanio, Commodien, Jérôme, le concile d’Oippone de 393, celui de Carthage 397, etc. : dès lors il n’y a plus de doutes dans l’Église latine ; chez les Grecs, Grégoire de Nysse, Grégoire de Nazianee, Cyrille de Jérusalem, Basile le Grand, Epiphane de Chypre, Athanase, Didyme d’Alexandrie, Cyrille d’Alexandrie, etc., etc.

À l’époque de la réforme, où toutes les anciennes traditions durent subir l’épreuve d’un examen à compte nouveau pour laisser la vérité reprendre ses droits légitimes, l’authenticité de l’Apocalypse passa par des crises difficiles, Luther la nia assez librement en 1522, avec plus de modération en 1534 ; Zwingle partagea cette manière de voir ; Théodore de Bèze, au contraire, traita d’une manière solide les anciens témoignages qui établissent que ce livre est de l’apôtre Jean, et Calvin paraît avoir partagé cette opinion, quoiqu’il n’ait pas essayé d’ouvrir un système d’interprétation sur le contenu de ce livre.

Dans le dix-huitième siècle où chacun se borna presque exclusivement à douter et à nier, tantôt en vers, tantôt en prose, on douta naturellement aussi de l’Apocalypse. D’Abauzit, de Genève, commença ; l’école moderne peut le revendiquer comme son maître. Après lui vinrent successivement Michaélis qui doutait, OEder, Semler, Merkel, etc, qui ne doutaient plus, mais qui affirmaient hardiment que Cérinthe était l’auteur de l’Apocalypse. L’opinion contraire fut défendue par Twells, Wolff, Schmid, Hartwig, etc., et surtout par Storr dont l’ouvrage est encore utile ; v. aussi Bengel.

Nommons enfin dans notre siècle, parmi les adversaires, Heinrichs, De Wette, Bretschneider, Ewald, Schott et Lucke ; parmi les défenseurs, Hug, Schulz, Hemsel,Winer, Guericke ; l’ouvrage de Lucke a en outre été réfuté dans la Gazette évangélique de Berlin par Hsevernick, 1834, numéros 88-91, et par Steiger 1835, numéros 14, 15, 22, 23.

Il ressort, de ce qui précède, que les témoignages historiques sont décidément en faveur de l’Apocalypse. Quant aux caractères intérieurs, il est clair que ce livre, seul en son genre, seul prophétique parmi ceux qui sont sortis du christianisme, ne saurait être jugé d’après l’analogie des autres écrits du Nouveau Testament. Le style et le caractère rhétorique des ouvrages d’un même auteur peut toujours varier, et même considérablement, suivant le sujet et la matière traitée.

Jean eut ces révélations pendant son exil à Patmos, dans les dernières années du règne de Domitien, et il les mit par écrit lorsqu’il fut de retour à Éphèse, vers l’an 96 ou 97.

Il n’entre pas dans notre plan d’examiner quel fut le but de l’apôtre, quelle est la portée de ses révélations, le sens de ses prophéties, la clef de tous ses mystères. Toutefois, il n’est pas hors de propos de dire un mot de l’oubli dans lequel ce livre est tombé, et de l’indifférence avec laquelle une partie considérable de la chrétienté le lit ou le ferme. Beaucoup de personnes l’excluent de leur lecture habituelle ; elles reculent et préfèrent donner plus de temps à la méditation des autres portions de la Bible qu’elles ont plus de chance de comprendre, et qu’elles peuvent plus facilement s’approprier. L’Apocalypse les désoriente, les déconcerte ; leur sens chrétien ne trouve dans ce livre ni la nourriture, ni la clarté dont il a besoin, et parmi les vérités révélées il choisit de préférence celles dont la révélation est claire et complète, intelligible et point mystérieuse. On peut comprendre sans peine cette manière de faire, et chacun peut-être l’a pratiquée pour ce qui le concerne, à une époque ou à une autre de sa vie religieuse ; mais comprendre n’est pas excuser. Dès qu’on admet que l’inspiration divine a dicté à l’apôtre ses magnifiques révélations, il faut admettre que la lecture de ce livre doit être pour le chrétien une source de bénédictions qu’il ne lui est pas permis de dédaigner, ou de trouver trop difficiles à exploiter. On oublie trop d’ailleurs que l’Apocalypse est une révélation, dont le sens par conséquent peut être trouvé, et doit être cherché ; et, tout en avouant l’obscurité qui enveloppe cette révélation des choses futures, encore pénétrera-t-on mieux cette obscurité par le travail que par l’absence de recherches. Si beaucoup d’opinions erronées ont été mises au jour, si des essais infructueux ont été faits, si plusieurs théologiens ont fini par déclarer qu’ils n’entrevoyaient aucune solution satisfaisante aux énigmes de la prophétie, pourtant un grand pas est fait ; leur ignorance consciencieuse et savante est tout autre, moins pénible, plus honorable, plus éclairée que l’ignorance volontaire et complète sur ces sujets ; ils ont gagné cela tout au moins de connaître les difficultés de l’interprétation, de savoir quelles sont les questions débattues, et de pouvoir facilement rapporter aux choses qu’ils savent ignorer, celles qu’ils découvrent à mesure ; et c’est déjà beaucoup que de connaître les questions auxquelles on ne peut pas répondre. À force de chercher, d’ailleurs, on finit par trouver, et, selon la remarque de Newton, il n’est pas un interprète qui n’ait fait faire un pas à cette science de la prophétie.

Ajoutons que, s’il y a dans l’Apocalypse des profondeurs insondables, il s’y trouve aussi des passages dont l’intelligence est facile : « Un lecteur ordinaire, dit le docteur Lowth, peut trouver une grande édification dans les hymnes magnifiques chantées à Dieu et à Jésus-Christ ; il peut découvrir dans ce livre plusieurs vérités importantes, telles que l’adoration d’un Dieu suprême en opposition au culte des créatures, la foi dans les mérites de Jésus-Christ pour obtenir uniquement de lui le pardon, la sanctification et le salut ; la patience et la vigilance avec laquelle nous devons attendre l’avènement de Jésus-Christ et de son règne, en professant avec fermeté la vraie foi, et en pratiquant la sainteté, quels que soient les obstacles qu’il faille surmonter, etc., etc ». Un autre théologien, qui ne saurait être accusé d’un grand enthousiasme pour l’Apocalypse, le docteur Lucke, dans sa préface à cet ouvrage, s’exprime ainsi : « Le théologien qui admet la canonicité de l’Apocalypse n’est plus libre de l’employer ou de ne pas l’employer pour la construction systématique d’une dogmatique chrétienne, ou pour l’édification populaire d’une paroisse. Si ce livre est reconnu canonique, il est tout aussi nécessaire de le méditer dans le culte public que de l’exposer dans des leçons ou dans des commentaires ».

La grande difficulté que l’on rencontre dans l’étude de ce livre provient de ce que, depuis longtemps déjà, l’on a pris l’habitude d’y chercher des prophéties relatives à l’histoire passée de l’Église, et par conséquent d’en regarder une bonne partie du moins comme étant déjà accomplie ; on y a vu toutes les persécutions de l’Église : Néron, Julien, les mahométans, les guerres des Sarrasins, la papauté, les Albigeois, le protestantisme, les missions, Napoléon, etc. Il n’est dès lors pas surprenant que chacun se contentant de vagues allusions, y trouve, comme dans les nuages, des ressemblances avec l’objet qui le préoccupe. Si ces oracles étaient accomplis, il n’y aurait sur leur signification ni doute, ni hésitation, ni divergence. Ce qui importe donc, lorsqu’on lit ce livre, c’est d’y chercher les destinées futures, finales de l’Église, l’histoire de la grande lutte qui doit précéder immédiatement la seconde venue du Sauveur. Il importe également de s’en tenir, autant que faire se peut, au sens littéral (les emblèmes et les symboles ne sauraient être assujettis à cette règle). La méthode symbolique ne provient que du besoin de se donner plus d’aisance et de liberté dans l’interprétation des prophètes afin de pouvoir les rapporter aux temps passés, au gré de ses caprices et de son imagination ; elle est fatale aux interprètes comme à la vérité elle-même.

Au milieu de la foule de livres et d’opuscules qui ont traité de l’Apocalypse, commentaires, brochures, etc., nous ne mentionnerons en français que Basset, (3 vol.) diffus et peu sobre ; Vivien, d’un usage facile, mais un peu trop sûr de son fait ; Barbey, faible exégète, plus scripturaire en apparence qu’en réalité, consciencieux et quelquefois intéressant ; les Pensées de W. B. Newton sur l’Apocalypse (traduit de l’anglais), grave et sage, mais trop absolu, et quelquefois exagéré quant à la notion d’Église ; puis une quantité de brochures sur des points spéciaux, publiées à Genève, chez Kaufmann, et appartenant presque toutes à l’école de Plymouth ; Digby, lîurgh, Uartley, Cumming, Elliott en anglais. En Allemagne, on a sur ce sujet peu d’ouvrages de valeur ; on annonce un commentaire de Hengstenberg.

Ce livre se trouve en germe dans les prophéties de Daniel, lesquelles renferment une histoire anticipée de l’Eglise de Dieu dans son assujettissement aux puissances de ce monde, qui y sont représentées par quatre bêtes. Cette histoire comprend tous les temps qui devaient s’écouler depuis la fin de la théocratie juive jusqu’au jour glorieux où le Fils de l’Homme viendra pour rétablir le royaume d’Israël.

La période de la domination funeste de ces bêtes forme une grande semaine d’années prophétiques, dont les sept années (temps) de la démence de Nébucadnetsar sont peut-être un symbole, laquelle commence avec la chute de Samarie et la déportation des dix tribus par le roi d’Assyrie, et s’étend jusqu’au commencement du son de la septième trompette de l’Apocalypse, époque à laquelle les royaumes de ce monde seront remis, et où les saints seront mis en possession du royaume. Cette période forme donc un grand calendrier prophétique de 2320 ans, ou sept fois 360 ans. Les 1260 jours prophétiques de Daniel et de Jean, désignés aussi par trois ans et demi (d’années), en forment la dernière moitié. Les trois premières bêtes, celles qui désignaient les Babyloniens, les Perses et les Macédoniens, avaient déjà été englouties, du temps de Jean, par la quatrième bête, qui représentait la puissance romaine. Ainsi, les prophéties de l’Apocalypse ne concernent que cette dernière, qui existait alors seule sur la terre. Le théâtre de l’Apocalypse, c’est donc l’empire de Rome.

Les destinées de cet empire et de l’Eglise qu’il renferme, sont écrites dans le livre mystérieux scellé de sept sceaux (5.1ss). C’était un grand volume formé de sept volumes distincts, roulés l’un sur l’autre à la manière des livres anciens. L’arrangement de toutes les prophéties apocalyptiques est admirable ; elles suivent un ordre chronologique. Le septième volume, sept fois plus grand que les six premiers, renferme la vision des sept trompettes, laquelle nous conduit jusqu’à la fin des temps, et pareillement, la septième trompette, qui est la dernière (cf. 1 Corinthiens 15.52 ; 1 Thessaloniciens 4.16), comprend les sept coupes par lesquelles la colère de Dieu est accomplie. Ainsi le septième volume, la septième trompette et la septième coupe, se terminent tous ensemble avec la chute du dernier royaume terrestre et l’établissement du règne visible de Jésus-Christ sur la terre.

A ce grand volume scellé, l’esprit de prophétie a ajouté un codicille, ou une récapitulation prophétique : c’est le petit livre ouvert qui commence par ces mots : « Il faut que tu prophétises derechef » etc., (10.11). Ce livre ouvert concerne principalement les événements des 1260 jours prophétiques de la révolte de l’Eglise de Rome, et nous en trouvons l’archétype dans les visions du prophète Ezéchiel, contenues dans le petit livre qui lui fut donné à manger (Ézéchiel 2.8).