Cet animal, maigre sans finesse, élancé sans élégance, léger sans grâce, est trop connu pour que nous ayons à parler de son gros dos, de son cou sec et long, de sa petite tête, de ses courtes oreilles, de son poil gris ou fauve. Il a de 2 m à 2,5 m de hauteur. L’excroissance grasse, glanduleuse et charnue qu’il porte sur le dos fournit aux Arabes une nourriture succulente et recherchée, aux voyageurs un siège sûr et solide. Les noms de dromadaire et de chameau n’indiquent pas deux espèces différentes, mais seulement deux familles distinctes subsistant de temps immémorial dans l’espèce du chameau. Le dromadaire n’a qu’une bosse, et se trouve en Syrie et en Palestine sous le nom de chameau turcoman, chameau arabe : il ne porte que 3 à 400 kg. Le chameau proprement dit, ou chameau à deux bosses, est plus grand et plus fort ; il porte jusqu’à 800 kg ; on le distingue du dromadaire par les noms de chameau bactrien ou chameau turc ; mais il est plus délicat, il craint davantage la chaleur, et l’on ne peut pas s’en servir dans les mois les plus chauds de l’année. L’espèce du dromadaire est beaucoup plus nombreuse et plus répandue que celle du chameau ; mais l’une et l’autre sont circonscrites entre la Chine et l’Arabie, sans s’élever plus au nord ni descendre jusqu’aux Indes.
Si pendant sa vie le chameau peut remplacer à la fois, et avantageusement, le cheval pour la course et le trait, la vache pour le lait, l’âne par sa sobriété, la brebis par son poil qui tombe chaque année, et enfin le bois par sa fiente, que les Arabes font sécher au soleil et qu’ils font brûler ensuite, il sert encore après sa mort, et aucune partie de cet utile animal ne se perd. Quand on le tue, sa chair nourrit les Arabes, ou bien les caravanes altérées trouvent dans ses quatre estomacs de l’eau pour apaiser la soif qui les dévore ; souvent même, au milieu des déserts, on le tue tout exprès pour boire cette eau, lorsque rien ne fait espérer qu’on en puisse trouver ailleurs. Sa peau sert à faire des sandales ou des outres solides et d’une grande capacité, dans lesquelles on conserve et transporte de l’eau, du beurre, des grains et tels autres objets de commerce ou d’utilité particulière. On en fait aussi des courroies et des cordelettes dont on se sert en en attachant cinq ou six les unes aux autres, pour puiser l’eau des citernes. Quelquefois encore, on étend des peaux tout entières, dans lesquelles on recueille la rosée et la pluie du ciel, et ces citernes artificielles servent à abreuver les troupeaux.
Les patriarches regardaient déjà le chameau comme une de leurs principales richesses (Genèse 12.16 ; 24.10 ; 30.43 ; 31.17 ; 32.7). Job, dans le temps de sa prospérité, possédait 3000 chameaux ; plus tard il en eut jusqu’à 6000 (Job 1.3 ; 42.12). Les Madianites, les Amalécites et les peuplades voisines des Hébreux possédaient des chameaux aussi nombreux que le sable qui est au bord de la mer (Juges 6.5 ; 7.12 ; 1 Samuel 15.3 ; 27.9 ; Genèse 37.25 ; Jérémie 49.32). Les Israélites des temps postérieurs ne firent pas moins de cas de ces utiles animaux (1 Chroniques 27.30 ; Esdras 2.67). Sa chair leur était interdite comme impure (Lévitique 11.4 ; Deutéronome 14.7) ; mais il paraît que son lait ne l’était pas. On se servait des chameaux pour le transport des marchandises ou des bagages militaires (Genèse 37.25 ; Juges 6.5 ; 1 Rois 10.2 ; 2 Chroniques 9.1 ; 2 Rois 8.9 ; Ésaïe 21.7 ; 30.6 ; 60.6), à cause de leur force, de leur sobriété, et de la sûreté de leur pas dans les sables ou sur les montagnes ; ils servaient aussi de montures (Genèse 24.64 ; 1 Samuel 30.17) ; les femmes s’asseyaient dans des espèces de corbeilles ou paniers, solidement attachés des deux côtés de l’animal, couverts d’un dais et garnis de tentures, souvent magnifiques ; on en voit un exemple (Genèse 31.34) ; les hommes cependant montaient plus ordinairement, comme cela se fait encore en Arabie, sur des selles légères, ou sur le poil nu de l’animal, comme sur nos chevaux. On employait aussi les chameaux dans les guerres ; ils étaient ornés et équipés somptueusement. Ceux qui parurent dans les guerres des Madianites portaient des croissants autour du cou, comme si le croissant eût déjà dû par avance être le signe symbolique des infidèles de l’Orient (Juges 8.21-26). Cyrus avait également une cavalerie d’archers montés sur des chameaux (Ésaïe 21.7), et les historiens Hérodote et Xénophon racontent que les chevaux de Crésus, effrayés à la vue de ce spectacle inattendu, se ruèrent sur leurs cavaliers et donnèrent ainsi la victoire à Cyrus. Les Arabes, de nos jours, montent des chameaux aussi bien que des chevaux lorsqu’ils se mettent en campagne.
Ainsi qu’on vient de le dire, cet animal mue chaque printemps, et perd en un ou deux jours tout son poil, qu’on recueille avec soin, et dont on fait des couvertures, des tapis, des sacs, ou de grossiers vêtements. L’apôtre de la solitude et de la repentance, Jean-Baptiste, dont notre Sauveur a dit qu’il n’était point vêtu d’habits précieux (Matthieu 11.8), était en effet couvert d’un manteau de poil de chameau (Matthieu 3.4).
Nous trouvons (Matthieu 19.24 ; Marc 10.23 ; Luc 18.25), un proverbe cité par notre Seigneur, et qui n’est pas toujours bien compris : « Je vous dis qu’il est plus aisé qu’un chameau passe par le trou d’une aiguille, qu’il ne l’est qu’un riche entre dans le royaume de Dieu ». Cette figure, peu en rapport avec celle que nous emploierions, a paru à quelques interprètes si forcée, qu’ils ont cru devoir substituer au mot grec camélos le mot camilos qui se prononce à peu près de même, et qui signifie une grosse corde, un cable de vaisseau ; rien n’empêche que cette variante ne soit admise, rien, excepté cependant l’accord des manuscrits. Mais comme cette variante, qui s’accommode assez avec nos usages, ne s’accommode pas avec ceux de l’Orient, il faut s’en tenir au texte ordinaire ; c’était une habitude orientale, pour exprimer la difficulté d’une chose, de dire qu’il serait plus facile de faire passer un chameau, ou un éléphant, par le trou d’une aiguille.