Inondation extraordinaire et universelle arrivée l’an du monde 1656 (2348 av. J.-C.), par laquelle Dieu détruisit entièrement toutes les créatures vivantes qui se trouvaient sur la terre ferme, à l’exception de celles qui furent enfermées dans l’arche. Les eaux qui, au commencement de la création, couvraient toute la surface du globe, et qui s’étaient retirées partiellement au troisième jour (voir Création), couvrirent encore une fois la terre ; puis elles se retirèrent à l’ordre du Tout-Puissant, le sec parut, la terre poussa son jet comme au troisième jour, et fut de nouveau peuplée d’hommes et d’animaux.
On peut lire (Genèse 6.12-21 ; 7.11-24), la narration à la fois concise et riche en détail que fait l’historien sacré de la première partie de ce cataclysme.
Basnage (Antiquités judaïques II, p. 309) donne un calendrier de cette triste année ; Calmet l’a copié ; mais comme ce calendrier ne nous paraît pas s’accorder toujours avec le texte, nous essaierons de le rectifier. On doit placer le commencement de l’année diluvienne à la même époque que celui de l’année civile des Juifs, c’est-à-dire vers l’équinoxe d’automne, au mois de Tisri ; car l’année ecclésiastique n’ayant été introduite qu’en vue des fêtes religieuses des Juifs, il n’est pas probable que Moïse y ait voulu rattacher la chronologie du déluge. La computation des années de douze mois ordinaires du calendrier juif ne pouvant suffire aux périodes d’accroissement, de décroissement et de séjour des eaux, nous avons été conduits à supposer que l’année du déluge doit avoir été une de celles où se trouvait le mois intercalaire de Beadar. Voici ce calendrier :
• AN DU MONDE 1656.– 601e DE NOÉ
1er mois, Tisri, de 30 jours. Méthusélah meurt, âgé de 969 ans ; son fils, le pieux patriarche Lémec, père de Noé, l’avait précédé de cinq ans dans la tombe (Genèse 3.27 ; cf. Ésaïe 57.1).
2e mois, Marchesvan, de 29 jours.
10e jour. – Dieu ordonne à Noé d’entrer dans l’arche avec sa famille et Jes animaux (Genèse 7.1-4).
17e jour. – Noé entre dans l’arche, et immédiatement la pluie de 40 jours commence (7.1-4.10-12).
3e mois, Kisleu, de 30 jours.
28e jour. – La pluie s’arrête. Il paraît en effet, d’après les versets 17 et 12 comparés, et avec les versets 11 et 13, que les 40 jours doivent se compter de celui où Noé entra dans l’arche.
4e mois, Tébeth, de 29 jours.
Les eaux se renforcent sur la terre ; l’arche flotte à leur surface, v. 18.
5e mois, Sébat, de 30 jours.
Les eaux se renforcent prodigieusement, et couvrent les montagnes les plus élevées, « sous tous les cieux » (v. 19), c’est-à-dire, évidemment, sur toute la terre, ce qui donne le démenti le plus formel à ceux qui ne veulent voir dans le déluge qu’une inondation locale et partielle.
6e mois, Adar, de 29 jours.
Les eaux s’élèvent de 15 coudées au-dessus des plus hautes montagnes (v. 20). Il n’est cependant pas possible de déterminer le temps qui s’est écoulé entre les divers degrés ou étages de cette effrayante progression ; le texte sacré nous dit seulement que les eaux du déluge furent sur la terre 150 jours (v. 10, 24), avant de décroître.
Mois intercalaire, Beadar, de 29 jours.
20e jour. – Dernier jour de la permanence des hautes eaux, et fin des 150 jours.
21e jour. – Les eaux commencent à diminuer. Les sources de l’abîme et les bondes des cieux sont fermées, et le vent souffle. Peut-être est-ce ce vent qui poussa l’arche jusque sur le lieu où elle devait s’arrêter (8.1-3). Il semble aussi que (7.18) indique un mouvement dans les eaux, comme celui d’un courant qui aurait déjà pu déplacer l’arche, diriger son inertie flottante, et la pousser loin du lieu où elle avait été bâtie. La traduction littérale est : « L’arche allait sur les eaux ».
7e mois, Nisan, de 30 jours.
Les eaux se retirent de plus en plus (8.3).
17e jour. – L’arche s’arrête sur les montagnes d’Ararat (v. 4).
8e mois, Ziph, de 29 jours.
Les eaux continuent à baisser (8.5).
9e mois, Sivan, de 30 jours.
Les eaux décroissent encore jusqu’à la fin du mois.
Ainsi, depuis le 20e jour de Beadar, que commence la baisse, jusqu’à ce que l’arche s’arrête, il s’écoule 26 jours : depuis que l’arche s’arrête jusqu’à ce que le sommet des montagnes soit découvert, 72 jours ; et depuis ce moment jusqu’à l’entière retraite des eaux, 88 jours ; ce qui ferait donc 26 + 72 + 88 = 186 jours pour la décroissance du déluge.
10e mois, Thammuz, de 29 jours.
1er jour. – Le sommet des montagnes paraît au-dessus de l’eau (8.3). Noé attend encore 40 jours (v. 6).
11e mois, Ab, de 30 jours.
12e jour. – Noé lâche un corbeau qui va et vient (8.6-7), se nourrissant probablement des poissons morts que les eaux en se retirant pouvaient avoir laissés autour de l’arche sur les rochers qui la soutenaient, et revenant se poser sur l’arche lorsqu’il était fatigué, car il n’est point dit qu’il y soit rentré, et il n’est pas probable qu’il ait trouvé plus de facilité à se percher sur des arbres que la colombe qui sortit après lui.
19e jour. – Noé lâche une colombe (v. 8). Quelques interprètes croient qu’elle sortit en même temps que le corbeau, mais au verset 10 nous voyons qu’avant de la lâcher une seconde fois, Noé attendit « encore sept autres jours », ce qui indique évidemment qu’il s’était écoulé une semaine entre la sortie du corbeau et la première sortie de la colombe.
26e jour. – La colombe sort une seconde fois et rapporte dans son bec une branche d’olivier (v. 11).
12e mois, Elut, de 29 jours.
2e jour. – Noé lâche la colombe pour la troisième fois, et elle ne revient plus (v. 12). Il attend quatre semaines.
• AN DU MONDE 1657.– 602e DE NOÉ
1er mois, Tisri, de 30 jours.
1er jour. – Noé lève la couverture de l’arche et regarde la terre qui se sèche (v. 13).
2e mois, Marchesvan, de 29 jours.
27e jour. – La terre étant suffisamment desséchée pour être habitable, Dieu commande à Noé de sortir de l’arche avec sa famille (v. 14, 16, 18). Ils sortent.
Voici maintenant les raisons pour lesquelles l’addition du mois intercalaire nous a paru nécessaire. Le chapitre 8, versets 1 et 2, nous dit que ce ne fut que le 450e jour que les eaux s’arrêtèrent, puis qu’elles diminuèrent pendant quelque temps ; ce n’est qu’après qu’il a été dit (v. 3), que les eaux se retiraient de plus en plus de dessus la terre, que le verset 4 nous parle du jour où l’arche s’arrêta. Si l’on suppose l’année composée de 12 mois ordinaires des Juifs, qui sont alternativement de 29 et de 30 jours, la fin des 150 jours de la croissance des eaux, comptée depuis le 17e jour du 2e mois, porterait au 20e jour du 7e mois. Selon ce calcul, l’arrêt de l’arche n’aurait guère pu avoir lieu que tout à la fin du 7e mois ou au commencement du 8e. Mais il est dit que cet événement se passa le 17e jour du 7e mois, ce qui, dans la supposition de l’année de 12 mois, bien loin de laisser l’espace de temps indiqué par le verset 3 pour la diminution préalable des eaux, ne donnerait même que 147 jours à leur croissance, au lieu des 150 indiqués dans le texte.
Jusque vers la fin du dix-septième siècle, personne n’avait mis en doute la vérité de l’histoire du déluge ; mais depuis Isaac Vossius, qui attaqua alors son universalité, jusqu’aux savants de la fin du siècle dernier, qui en vinrent à le nier entièrement, et à Voltaire qui chercha à le tourner en ridicule, un grand nombre d’opinions diverses ont été proposées, soit pour l’expliquer par des causes naturelles, soit pour redresser ou réfuter telle ou telle partie du récit de Moïse. Mais la Bible et la nature sont deux monuments impérissables de la vérité divine contre lesquels viendra toujours se briser la malice des incrédules ; ils subsisteront lorsque toutes ces folles théories et les noms de leurs auteurs seront depuis longtemps ensevelis dans l’oubli ; et plus on les étudiera, plus aussi l’on y reconnaîtra, dans les plus petits détails, l’entière concordance de tous les faits géologiques qui se rattachent au déluge, avec la description de cette catastrophe telle qu’elle a été conservée dans la Genèse. Les faits nouveaux expliqueront des passages encore obscurs pour nous, et réciproquement, la foi à la vérité, de ces passages conduira à des découvertes nouvelles sur la constitution de notre globe.
Parmi les difficultés qui se présentent, et que nous n’éluderons pas plus que nous ne les nierons, la première est celle-ci : Comment l’eau répandue sur la surface du globe a-t-elle pu suffire à l’inonder ? Cette question nous conduit à examiner les causes du déluge.
La cause première, origine de toutes les autres, doit sans doute être cherchée dans le conseil de Dieu, dans la volonté arrêtée du Tout-Puissant, dont la souveraine sagesse a voulu ou permis cet événement. Les causes secondes sont de deux natures : les unes morales, les autres physiques. Les causes morales sont indiquées (Genèse 6.5-13) ; ce sont les péchés des hommes, leurs extorsions, leur violence, leur mépris de Dieu et de ses commandements. Les causes physiques peuvent se découvrir (Genèse 1.6-7, 9 ; 7.11-12). Avant le déluge, les eaux appartenant à notre planète n’étaient pas distribuées comme elles le sont à présent : sur la terre antédiluvienne il ne pleuvait pas (2.5) ; l’atmosphère de notre globe était entourée d’une couche liquide, comme d’une sphère aqueuse, désignée dans la Bible par le nom d’eaux supérieures (1.7), « qui sont au-dessus de l’étendue » ou des cieux. C’est probablement la rupture de l’équilibre de ces eaux que l’Écriture désigne en disant que, lors du déluge, « les bondes des cieux furent ouvertes » (7.11).
D’un autre côté la Bible, par l’expression « abîmes », semble indiquer des amas d’eaux souterraines dont l’importance nous est inconnue ; ce sont les eaux sur lesquelles la terre est fondée et étendue (Psaumes 24.2 ; 136.6), et qui ont été rassemblées comme en un amas dans les lieux cachés de l’intérieur de la terre (Psaumes 33.7). L’eau que recelaient les entrailles du globe se mit à jaillir à sa surface par torrents, comme cela arrive encore de nos jours dans certains tremblements de terre très violents ; elle grossit en même temps les mers, qui s’accrurent, s’élevèrent et débordèrent, selon l’énergique expression d’Éliphaz, « comme un fleuve qui a emporté anciennement le fondement des injustes, lesquels ont été retranchés avant leur temps », c’est-à-dire avant la fin naturelle de leur longue vie (Job 22.16).
Le texte ne dit pas quelle est la cause qui a expulsé les eaux souterraines du sein de la terre, et les a fait jaillir à sa surface ; mais une tradition rabbinique donnera peut-être la clé de ce phénomène. Les rabbins prétendent, en effet, que les eaux du déluge étaient chaudes ; s’il en est ainsi, l’on pourrait chercher la cause de leur soulèvement dans une action extraordinaire de la chaleur interne (Rougemont, Fragments, etc. p. 23).
Enfin la pluie, phénomène atmosphérique tout nouveau pour le monde antédiluvien, et qui dura quarante jours et quarante nuits, fut la troisième, et probablement la moins importante des causes qui amenèrent le déluge. On pourrait croire que la nouveauté de ce phénomène parut alors si extraordinaire, que les mots « les fontaines de l’abîme et les bondes des cieux » ne se trouvent là que par amplification, comme par une figure de rhétorique ; mais si l’on fait attention au texte, l’on verra que la pluie ne tombe que pendant quarante jours (7.17), tandis que les eaux continuent à croître par trois degrés bien marqués, après qu’elle a cessé de tomber (v. 18-19, 20), croissance qui ne pouvait plus être attribuée à la précipitation de l’humidité contenue dans l’atmosphère.
En considérant comme des effets ces trois déplacements des substances liquides de notre planète, diverses causes ont été proposées pour en expliquer l’origine. Nous ne répéterons pas ici les théories fantastiques de Woodward, Whiston, Scheuchzer, Demaillet, Lamarck, Rodig, Patrin et autres ; mais il en est une, celle de Burnet, qui mérite d’être citée comme plus conforme à certains passages de la Bible et à certains phénomènes naturels.
En 1680, l’évêque Burnet publia un livre intitulé ; « The sacred Theoiy of the Earth, containing an accountof the Original of the Earth, and of ail the gênerai Changes which it hath already undergone, or is to undergo, till the consummation of ail things ». Quoique ce titre soit passablement ambitieux, l’ouvrage le justifie du moins à un certain degré, car en prenant l’Écriture sainte pour guide, le génie de Burnet a deviné pour ainsi dire plusieurs faits relatifs aux révolutions de la surface du globe, que les découvertes de la science, un siècle après sa mort, ont confirmés, ou rendu de plus en plus probables. Il attribue à la terre antédiluvienne une température plus égale que celle d’aujourd’hui, et semblable à un printemps perpétuel ; il fait sortir les eaux du déluge des lieux profonds et cachés de la terre ; il parle de la conflagration qui attend notre globe, et des nouveaux cieux et de la nouvelle terre qui paraîtront après cet embrasement. Tout cela est, à la vérité, mélangé de diverses erreurs, provenant de l’ignorance où l’on était alors de la plupart des lois de la physique ; mais ces erreurs ne doivent pas nous faire rejeter ce qu’il y a de vrai dans l’ensemble de ses idées.
L’un des principaux traits de ce système, c’est sa théorie du changement de l’axe de la terre, opinion déjà proposée par un Italien (Alessandro degli Alessandri), au commencement du seizième siècle ; cette idée fut combattue par Newton et, plus tard, par Laplace qui cherchèrent à démontrer son improbabilité, ainsi que par Butler qui tourna le système de Burnet en ridicule. Cependant, si l’on suppose que ce changement d’axe n’a eu lieu que par rapport au soleil, et non par rapport aux pôles actuels du globe, l’improbabilité diminue de beaucoup. En faveur d’un véritable changement d’axe, l’on a cité des faits dans le genre de la découverte du mammouth de Pallas, et l’on a dit que de tels animaux, originaires des pays chauds et trouvés près du pôle, indiquaient que ces contrées avaient joui autrefois d’une température bien plus élevée que celle qui y règne de nos jours, et comme l’habitation actuelle des rhinocéros et des mastodontes, ou plutôt de leurs représentants modernes, les éléphants, se trouve près des tropiques, l’on en avait conclu que la zone torride avait autrefois passé par les pôles. En admettant la justesse de ces observations, nous devons cependant nous opposer à la conclusion que l’on en tire ; nous ferons remarquer 1° que toutes les découvertes géologiques confirment pleinement le système qui attribue à la terre antédiluvienne une température générale beaucoup plus élevée et beaucoup plus égale que celle dont elle jouit maintenant, circonstance qui explique suffisamment la présence des cadavres de mammouths au nord de la Sibérie ; et 2° que la forme sphéroïdale de la terre et son aplatissement aux deux pôles, montre assez que son axe de rotation n’a pas changé depuis que la figure de notre globe a été déterminée par la main toute puissante qui lui a fixé sa route dans l’espace. Mais cet aplatissement ne prouve point que l’axe, restant d’ailleurs le même, son inclinaison par rapport au plan de l’orbite, n’ait pu varier. On pourrait alors admettre avec Burnet qu’avant le déluge, l’axe était perpendiculaire à l’écliptique, en sorte que cette ligne n’en formait qu’une avec l’équateur, ce qui établissait dans chaque zone une grande égalité de température. On comprend que le changement subit de la position de notre globe, malgré la continuation de la révolution diurne et de la révolution annuelle, ait pu rompre l’équilibre des eaux et causer un déluge (c’est peut-être alors que commença le mouvement de mutation de l’axe de la terre, qui serait ainsi comme un reste ou une trace de l’ébranlement que subit alors notre globe ; ce mouvement s’accomplit en dix-neuf ans environ) ; mais cette secousse, cette position nouvelle ne pouvait provenir que de celui qui avait anciennement créé la terre et les cieux. On ne doit point voir dans la théorie de Burnet l’intention d’expliquer par des causes secondes et naturelles, ce qu’il y eut de miraculeux dans le cataclysme par lequel l’Éternel jugea à propos de détruire l’ancien monde, mais seulement le désir de rechercher par quels moyens il plut à Dieu d’amener le châtiment de ses créatures coupables.
Nous venons de remarquer que la position de l’axe perpendiculaire à l’écliptique, établissait pour chaque zone un climat à peu près invariable (nous disons à peu près, car, même dans cette supposition, la forme elliptique de l’orbite et la circonstance que le soleil en occupe, non le centre mais un des foyers, pourrait avoir occasionné quelque légère différence de température aux diverses époques de l’année) ; il s’ensuit naturellement que le changement survenu dans la position de cet axe doit avoir introduit un changement correspondant dans les climats, et avoir fait que les zones tempérées, par exemple, connussent des élévations et des diminutions alternatives de températures qu’elles ne connaissaient pas auparavant.
Or, que nous dit à cet égard la Bible ? Nous remarquerons que le mot moh’adim (Genèse 1.14), que nos traductions rendent dans ce verset par saisons, ne se trouve nulle part employé pour signifier les variations de la température ; il est toujours traduit par lieu, signe, temps, ou temps marqué pour des solennités (tempus constitutum) ; dans d’autres endroits il signifie année, comme Daniel (12.7 ; etc.). Il ne signifie saisons que d’une manière métaphorique, comme lorsque nous disons qu’une chose ou expression « n’est plus de saison » ; ainsi (Exode 13.10). Les saisons proprement dites sont indiquées pour la première fois, mais sans être nommées (Genèse 8.22), lorsque Dieu promet à Noé qu’il n’enverra plus de déluge sur la terre pour la faire périr : « Tant que la terre durera, dit-il, les semailles et les moissons, le froid et le chaud, l’été et l’hiver, le jour et la nuit, ne cesseront point ». Le jour et la nuit existaient depuis le quatrième jour de la création, mais les six autres termes de cette promesse, expressions correspondantes aux six saisons des Juifs, semblent indiquer qu’il était survenu, pendant le déluge ou en conséquence de ce cataclysme, de grands changements atmosphériques ou géologiques, et que l’uniformité de la température des zones ayant été rompue, elle serait remplacée par les saisons et leurs variations régulières.
Mais, dira-t-on peut-être, ces explications des causes du déluge, ces eaux souterraines, ces eaux supérieures que vous dites avoir existé autrefois et dont vous cherchez à établir l’existence par quelques passages difficiles à entendre, sont bien problématiques, et s’il est vrai par exemple que les eaux supérieures se soient versées sur la terre, que sont-elles devenues maintenant ? Sont-elles encore confondues avec les océans et les mers ? Y a-t-il actuellement assez d’eau sur le globe pour qu’elle ait jamais pu couvrir toute la terre habitable ?
Les considérations suivantes nous semblent répondre d’une manière satisfaisante à cette question. Ajoutons que plusieurs sont textuellement empruntées au Manuel de géologie de De-la-Bêche, livre écrit uniquement en vue de la science et sans prétentions théologiques ou religieuses. Elles auront donc d’autant plus de poids qu’elles se recommandent par leur parfaite impartialité.
« La proportion actuelle de la surface aqueuse du globe à la surface sèche est environ de trois à un ; l’on peut donc dire que près des trois quarts de notre globe sont couverts d’eau ; la superficie de l’Océan Pacifique surpasse même à elle seule l’ensemble de toutes les terres connues. Quoique d’après l’idée que nous nous en formons ordinairement, nous disions que certaines parties de la terre sont fort élevées au-dessus du niveau de la mer, cette élévation se réduit en réalité à fort peu de chose, si on la considère par rapport au diamètre du globe ». Le diamètre du globe à l’équateur est de 12753702 m, soit 2866 lieues géographiques (de 25 au degré ou de 4450 m) ; le plus haut pic connu, le Chamalari, n’atteint qu’à 8518 mètres ; les plus hautes cimes des Alpes ne s’élèvent guère à plus de 4500 mètres ; le Mont-Blanc seul à 4810 mètres environ, et la moyenne d’élévation de la partie de la croûte terrestre qui est au-dessus de l’eau, en y comprenant toutes les montagnes, plateaux, plaines et dépressions, ne dépasse probablement pas 600 m, ce qui ferait, seulement 1/21000e de l’épaisseur du globe.
Les aspérités de la surface du globe sont donc, relativement à son volume, infiniment plus petites que celles de la peau d’une orange ne le sont relativement à la grosseur de l’orange. Et si l’on suppose un globe terrestre de 1, 50 m de diamètre, on ne pourra y indiquer le plus haut pic dont on connaisse l’élévation (le Chamalari) que par une légère protubérance d’un millimètre ; le Mont-Blanc aurait un demi-millimètre ; le Jura et les montagnes plus basses ne pourraient se distinguer des plateaux el des plaines.
Quant à la profondeur de la mer, autant qu’on peut en juger, la moyenne est de 4 à 8000 m. Pour faciliter les calculs, et pour ajouter à leur évidence, exagérons dans les deux sens, c’est-à-dire donnons une plus grande hauteur moyenne aux terres, et une moins grande profondeur moyenne aux mers ; en d’autres termes, supposons plus de terres élevées, et moins d’eau pour les couvrir qu’il n’y en a réellement dans le sein des mers ; il en restera encore pour submerger la terre et tout ce qu’elle contient. Supposant donc que la hauteur moyenne des continents et des îles soit de 2225 m, et que la profondeur de la mer soit de 4000 m, puisque les continents n’occupent qu’un quart de la surface du globe, « il est très facile de se représenter telle position relative de la terre et des eaux, que la terre ferme se trouve de fait occuper le fond des mers, et que de toutes parts la surface de notre globe ne présente à l’extérieur qu’une couche d’eau ». Dans cette supposition, la couche de terre étendue au fond des mers aurait une épaisseur de 1668, 75 m, et les eaux qui la recouvriraient en auraient le double, c’est-à-dire 3337, 50 m. « Nous ne devons considérer les terres ou continents, que comme une certaine partie de la surface inégale du globe qui se trouve temporairement élevée au-dessus du niveau des mers, sous lesquelles elle pourrait de nouveau disparaître, comme cela est déjà plusieurs fois arrivé ». (La Bêche.) Ainsi, en ne tenant compte que des eaux actuellement connues, on voit qu’il y aurait amplement de quoi inonder toute la terre.
M. Élie de Beaumont croit que l’élévation des hautes chaînes de montagnes, comme celle des Andes, par exemple, produite par un soulèvement du terrain, aurait été suffisante pour occasionner un déluge de l’autre côté du globe ; cette idée adoptée par de savants géologues, Buckland, Sedgwick, de La Bêche, est combattue, presque tournée en ridicule par un autre savant, Lyell, et au milieu des opinions et des systèmes les plus divers sur les moyens dont il a plu à Dieu de se servir pour effectuer le déluge, il est difficile de distinguer où est la vérité. Jusqu’à présent il nous a paru que l’hypothèse de De-Luc, déjà proposée par Hooke en 1688, était encore celle qui concordait le mieux avec la Bible ; et bien qu’elle soit rejetée par des savants modernes pour les lumières desquels nous avons une haute estime, c’est à elle que nous croyons devoir nous arrêter jusqu’à ce qu’on nous en fasse connaître une qui se justifie davantage.
Voici comment elle est présentée par Cuvier : « Je pense donc, avec MM. De Luc et Dolomieu, que s’il y a quelque chose de constaté en géologie, c’est que la surface de notre globe a été victime d’une grande et subite révolution dont la date ne peut remonter beaucoup au-delà de 5 ou 6000 ans ; que cette révolution a enfoncé et fait disparaître les pays qu’habitaient autrefois les hommes et les espèces d’animaux aujourd’hui les plus connues ; qu’elle a, au contraire, mis à sec le fond de la dernière mer, et en a formé les pays aujourd’hui habités ; que c’est depuis cette révolution que le petit nombre des individus épargnés par elle se sont répandus et propagés sur les terrains nouvellement mis à sec. Mais ces terrains avaient déjà été habités auparavant, sinon par des hommes, du moins par des animaux terrestres ; par conséquent une révolution précédente les avait mis sous les eaux, et si l’on peut en juger par les différents ordres d’animaux dont on y trouve les dépouilles, ils avaient peut-être subi jusqu’à deux ou trois irruptions de la mer ». (Cuvier, Discours sur les révolutions de la surface du globe, 3e édition, p. 283).
Comparons maintenant ce résultat de la science avec ce que nous dit la Bible, et nous y trouverons un accord remarquable. En parlant des hommes antédiluviens, Dieu dit : « Je les détruirai, et la terre avec eux » (6.13). Soutenir que « toutes choses demeurent dans le même état qu’au commencement de la création, c’est ignorer volontairement ceci : c’est que les cieux et la terre furent autrefois créés par la parole de Dieu » ; cette terre qui fut tirée de l’eau, et qui subsistait parmi l’eau, périt par ces choses mêmes » ; « le monde d’alors périt étant submergé par les eaux du déluge » (2 Pierre 3.4-6). Or, ces expressions si fortes : « je détruirai la terre des méchants », « le monde d’alors périt par les eaux », peuvent-elles s’entendre d’une submersion momentanée d’un pays ? Supposons que l’Angleterre, par un affaissement des couches souterraines, par une élévation de l’Océan, ou par toute autre cause, vienne à être inondée pendant quelques mois ; puis qu’elle ressorte des eaux et se couvre comme auparavant de végétation ; qu’un petit nombre d’Anglais échappent à l’inondation dans un vaisseau, avec des animaux, puis qu’un an après, lorsque les eaux se sont écoulées, ils débarquent sur ce même pays, qu’ils l’habitent de nouveau et le cultivent comme auparavant, pourra-t-on dire que l’Angleterre a été détruite ? qu’elle a péri avec tout ce qu’elle contenait ? Non, ces expressions indiquent une destruction plus complète, telle, par exemple, que celle qui aurait été la conséquence naturelle de l’affaissement des anciens continents et de leur submersion permanente.
Ceci explique aussi pourquoi l’on ne trouve point sur la terre actuelle de fossiles humains ; tous les habitants de l’ancien monde, tant hommes qu’animaux terrestres, ont dû être entraînés au fond de l’Océan, où, mêlés avec le limon qui y a été déposé dans la suite des siècles, ils contribueraient maintenant à la formation des roches submarines (comme les animaux victimes des révolutions antérieures), si le jour ne s’approchait pas où la mer sera forcée de « rendre les morts qui sont en elle » (Apocalypse 20.13). À cette théorie l’on a objecté que la Bible en nous donnant (Genèse 2), la description d’une partie du monde antédiluvien, emploie les noms de lieux actuellement existants, nous parle du Gihon, de l’Euphrate, du pays de Havila, du pays de Cus, de l’Assyrie ; c’est donc en ces lieux, a-t-on dit, et autour de ces lieux, qu’ont habité les premiers hommes ; les anciens continents sont donc aussi les mêmes que ceux que nous connaissons aujourd’hui. Mais si l’on insiste sur la similarité des noms, on oublie les rapports de position relative qui nous sont indiqués dans ce chapitre, rapports qui ne se retrouvent nullement dans les localités actuellement existantes. En effet, que lisons-nous ? « Un fleuve sortait d’Eden pour arroser le jardin, et de là il se divisait en quatre fleuves ». Les savants et les commentateurs de la Bible se sont donné une peine infinie pour expliquer ce passage ; on a voulu voir dans les fleuves du paradis quatre rivières existantes de nos jours. Quant à l’Euphrate, dit-on, il ne peut y avoir aucun doute, c’est le fleuve connu aujourd’hui sous ce même nom ; le Tigre est clairement désigné dans la Bible sous le nom de Hiddekel ; le Phasis est le Pison, et l’Araxe le Guihon : ces quatre fleuves sortent tous de l’Arménie ; c’est là donc qu’était le paradis terrestre. Mais il est évident que quoique ces rivières prennent leur source dans des contrées peu éloignées les unes des autres, elles n’ont jamais pu former un seul fleuve divisé en quatre bras. L’Euphrate a deux sources ; celle qui est la plus voisine de l’origine du Tigre en est encore distante de 400 km. La source de l’Araxe (qui se jette dans la mer Caspienne) est, il est vrai, à quelques lieues d’une des sources de l’Euphrate, près d’Erzeroum, mais elle en est séparée par une chaîne de montagnes ; le Phasis enfin, que l’on suppose être le Pison, prend sa source à près de 320 km. au nord de celle de l’Euphrate. On ne peut donc rattacher les fleuves paradisiaques à l’Euphrate actuel.
Les raisons qui ont été proposées en faveur de cette hypothèse pourraient tout aussi facilement s’appliquer au Djihoun (l’Oxus), qui prend sa source à 2000 km d’Erzeroum, dans les monts du Belour, et se jette dans la mer d’Aral. Il serait facile de chercher dans le Sinon ou Jaxartes, et dans deux autres grandes rivières dont les sources sont peu éloignées de celles du Guihon, le Hiddekel, le Pison et l’Euphrate.
Si les noms des fleuves sont un guide incertain pour trouver le site d’Eden, et par conséquent l’emplacement des anciens continents, les noms des pays le sont tout autant. Où est le pays de Havila ? Deux descendants de Noé ont porté ce nom, l’un fils de Cus, l’autre fils de Joktan (Genèse 10.7-29), et cela lors de la dispersion ; duquel des deux s’agit-il, et où leur portion leur a-t-elle été assignée ? Qu’est-ce aussi que ce pays de Cus ? Ce nom est donné dans la Bible tantôt à l’Arabie Pétrée, tantôt à la Bactriane, tantôt à l’Assyrie, tantôt à l’Éthiopie ou la Nubie. Après toutes ces incertitudes, qui nous garantit que le pays nommé Assur (Genèse 2.14), soit bien le même qui fut plus tard l’Assyrie.
Nous ne rappellerons pas ici les diverses hypothèses qui ont été faites pour concilier la description du jardin d’Eden avec un endroit quelconque de la terre ; il est facile de les réfuter. L’on n’a pu découvrir jusqu’à présent la véritable position du paradis terrestre, et on ne le pourra jamais, s’il est vrai, comme nous le croyons, qu’il ait été englouti au fond des mers par le déluge avec les anciens continents ; mais l’explication qui nous paraît la plus naturelle et la plus simple est celle-ci : de même que les colons européens qui se sont établis en Amérique, ont donné aux localités nouvelles pour eux des noms de leur ancienne patrie qui leur étaient chers, comme Nouvelle-Espagne, Nouvelle-Angleterre, New-York, Nouvelle-Orléans, ou même des noms européens sans y ajouter l’épithète de nouveau, comme Boston, Vevey, Paris, Francfort, etc. ; ainsi, ceux qui sortirent de l’arche, donnèrent probablement aux montagnes, aux vallées, aux rivières qu’ils découvrirent, les noms qui leur avaient été familiers avant le déluge ; cela explique comment on trouve de grandes rivières comme le Guihon, le Hiddekel (ou Tigre), et l’Euphrate, portant des noms antédiluviens, quoique dans une position géographique relative très différente de leurs prototypes.
Autre difficulté : le mont Ararat, sur lequel l’arche de Noé s’arrêta, est aujourd’hui couvert de neiges qui ne se fondent jamais ; comment Noé et sa famille ont-ils pu vivre dans une température si froide et dans un air si raréfié ? Réponse : à mesure que les eaux s’élevaient, les couches atmosphériques s’élevaient avec elles, de telle façon que l’air qui environnait l’arche au moment même de la plus haute crue des eaux, n’était ni plus froid, ni plus raréfié que celui qu’on respirerait de nos jours au niveau de la mer à la même latitude. Ceci est d’autant plus important à remarquer que nous verrons tout à l’heure que l’arche s’est probablement arrêtée dans des régions bien autrement élevées, relativement aux basses terres actuelles, que ne le sont les montagnes de l’Arménie.
Pour n’avoir pas voulu recevoir purement et simplement le récit de Moïse, on s’est aussi créé bien des difficultés relativement à l’arche. Nous ne les rappellerons pas ici, puisqu’elles sont traitées et aplanies dans une autre partie de cet ouvrage (v. Arche) ; nous ajouterons seulement que, si comme on a tout lieu de le croire, la température de la terre était avant le déluge plus chaude et plus uniforme qu’elle ne l’est de nos jours ; si de plus, comme M. de Rougemont l’a établi, le nombre des espèces d’animaux était moindre avant qu’après le déluge, il n’y a rien que de très facile à comprendre dans tout ce récit.
Avant le déluge, les hommes ne formaient qu’un peuple ; les animaux habitaient probablement ensemble les mêmes climats, les mêmes contrées ; par conséquent ils n’eurent pas de longs voyages à faire pour se rendre dans l’arche, ainsi qu’on a voulu le supposer. Nous ne pouvons nous empêcher de faire ici un rapprochement qui offre quelque intérêt. En 1839, un ouragan effroyable avait soulevé les flots du golfe de Bengale avec tant de violence que la mer se porta avec une force extraordinaire sur les terres, remontant à quelques lieues dans l’intérieur par le Delta du Gange ; les îles qui se forment à l’embouchure du fleuve par l’accumulation du limon, et qui dans ce climat chaud et humide se couvrent promptement de végétation et d’animaux, furent en partie entraînées par les eaux, ce fut en particulier le sort de la grande île de Saint Edmond qui était cultivée et habitée par une population assez nombreuse. On vit alors hommes et quadrupèdes, oiseaux et reptiles chercher le même abri contre la fureur des eaux ; dans un jardin dont les murs avaient résisté au courant, se réfugièrent pêle-mêle et sans penser à se nuire réciproquement, des Européens, des Malais, des Indous, des animaux domestiques, des serpents, des cerfs et deux tigres sauvages, tout autre instinct ou disposition de timidité ou de férocité naturelle cédant au besoin de pourvoir à la sûreté individuelle, et disparaissant devant l’effroi qu’inspirait le combat des éléments déchaînés.
Sans doute les animaux furent dirigés vers l’arche par une intervention spéciale de la Providence, comme celle qui fit prendre aux deux génisses des Philistins le chemin de Beth-Shémesh (1 Samuel 6.9-12). Mais il est bien possible que l’effroi que devait leur causer des phénomènes aussi effrayants et aussi inaccoutumés que la rupture des sources du grand abîme et des cataractes des cieux, ait été un moyen de dompter temporairement leur férocité naturelle, et de les assujettir au très petit nombre d’hommes qui se trouvaient enfermés avec eux.
Au cent cinquantième jour, est-il dit dans le texte, l’arche s’arrêta sur les montagnes d’Ararat ; les eaux environnantes continuèrent à décroître, et ce ne fut que dix semaines plus tard que l’on aperçut le sommet des montagnes ; il fallait donc que celui de l’Ararat fut excessivement élevé en proportion des autres, et cela ne s’accorde pas avec ce qui nous est connu des contrées de l’Arménie où existe de nos jours le volcan de ce nom. L’on peut concilier de plusieurs manières cette contradiction apparente. En effet, il est bien possible que la Genèse, en disant (8.4), que l’arche s’arrêta sur les montagnes d’Ararat, veuille dire simplement au-dessus, mais sans les toucher ; s’il en est ainsi, l’on comprend qu’il se soit écoulé soixante et douze jours entre le moment où l’arche s’arrêta, et celui où les premiers sommets des montagnes parurent ; car, pour ne pas parler des hautes cimes des monts Yunnan en Chine, qui n’ont pas encore été mesurées, le plus haut pic dont on connaisse l’élévation en nombres, celui du Chamalari dans l’Himalaya, a 26266 pieds, (environ 9000 m) ; ce qui, en y ajoutant 15 coudées, soit 22 pieds, donnerait pour le maximum de la crue des eaux diluviennes une hauteur totale de 26288 pieds. Lors donc que le sommet du Chamalari parut à fleur d’eau, il y avait encore au-dessus de l’Ararat une couche de liquide de 14288 pieds d’épaisseur, puisque celui-ci n’a que 12000 pieds d’élévation ; ou, ce qui revient au même, le Chamalari devait déjà être de 14260 pieds hors de l’eau quand le sommet de l’Ararat parut. Si l’on veut entendre par le mot sur (Genèse 8.4), que l’arche toucha effectivement les rochers de l’Ararat, on peut faire remarquer que le verset 5 du chapitre 8, ne parle pas (comme 7.19) de toutes les plus hautes montagnes qui étaient sous tous les cieux, mais simplement des montagnes, et cela après avoir fixé la position de l’arche ; l’on pourrait donc l’entendre des montagnes de la contrée environnante ; effectivement elles sont bien plus basses que l’Ararat, dont le double pic, toujours couvert de neiges éblouissantes, s’élève comme un géant au milieu d’une vaste plaine et domine toutes les hauteurs qui l’entourent. Mais voici une troisième solution qui nous paraît être la véritable.
Si au lieu de chercher l’Ararat dans le système des monts appartenant au Caucase occidental, on le cherche dans le Caucase indien, l’immaûs des anciens, qui comprenait l’Himalaya et le Hindou-Koush, nous arriverons à des résultats plus satisfaisants et qui concorderont mieux avec le récit biblique, et avec les traditions des plus anciens peuples. Cette idée, proposée il y a plus de deux siècles et demi par sir Walther Raleigh, adoptée et soutenue depuis lors par Shuckford, Kirby et quelques autres savants, est aussi celle qui paraît la plus naturelle. Nous ne connaissons pas, il est vrai, de pic ou de cime appartenant à ces chaînes qui porte le nom d’Ararat, mais si nous remarquons, d’une part, que ces pays sont encore fort peu connus des Européens et, de l’autre, que les noms des lieux ont souvent changé, nous ne nous étonnerons pas que celui de la montagne sur laquelle descendit l’arche, ait pu se perdre dans les siècles suivants. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’après le déluge, les premiers hommes descendirent bientôt des montagnes dans les régions plus basses, étant chassés par le froid qui augmentait sur les terres élevées à mesure que les eaux s’abaissaient ou que les continents surgissaient du sein des mers ; et qu’après avoir cheminé, pendant plusieurs années, d’orient en occident, ils arrivèrent dans le pays de Sinhar où ils bâtirent Babel. Or, s’ils étaient venus de l’Arménie, ils auraient cheminé du nord au sud, ou même au sud-sud-ouest, ce qui est tout à fait contraire à l’expression mikkedem, employée par Genèse 11.2.
La direction de l’émigration des premiers hommes, indiquée dans le passage que nous venons de citer, s’accorde d’une manière remarquable avec la tradition du Zend Avesta sur les premiers établissements des nations sur la terre.
Fargard du Vendidat, Ormuzd raconte à Zoroastre qu’il avait créé un lieu de délices, nommé Eerîeene-Veedjo (confondant l’habitation d’Adam avant la chute, avec celle de Noé après le déluge) : là-dessus Ahriman, l’esprit du mal, crée l’hiver qui chasse les premiers hommes, et les contraint à former d’autres établissements ; Balkh, Nesa, et Meru en Khorassan, al Soghd, Caboul, Hérat sont nommés successivement, et toutes ces villes sont aux environs de la haute chaîne de montagnes qui lie le système de l’Himalaya avec les chaînes de l’Asie centrale. (Heeren, Id. ub. die Politik, etc.)
Les traditions indiennes et chinoises placent aussi dans cette partie de l’Asie le berceau de l’espèce humaine (Rougemont, Fragments, etc. Kirby, Bridgewater Treatise, I, p. 40.46., etc.). Un fragment de poésie sanscrite, traduit il y a quatre années dans le Quarterly-Review, nous représente Menou (le Noé indien) et les sept personnes qui avaient avec lui échappé au déluge, comme seuls dans le monde sur un grand vaisseau conduit par un poisson. Après avoir vogué ainsi pendant des années, ils atteignent le plus haut pic du Himavan (Himalaya) qui paraissait au-dessus des eaux ; le poisson dit à Menou d’y attacher son navire, et de nos jours encore, dit l’auteur sanscrit, ce pic porte le nom de Nau-bandhana. Les Afghans croient que l’arche s’arrêta sur le Suffid-Koh, entre Caboul et Peshawur, montagnes couvertes de neiges éternelles ; mais il est probable que ce n’est pas encore là le véritable Ararat.
La grande chaîne de l’Himalaya, qui forme la frontière septentrionale de l’Inde, depuis l’Assam au Punjab, perd son nom après avoir passé l’Indus au nord-est de Cachemire, et prend celui de Hindou-Koush ; quoique le nom soit donné par extension à toute la chaîne qui s’étend de Gilget à Hérat, ce n’est à proprement parler que celui d’un pic immense qui s’élève à une hauteur si considérable au-dessus des monts environnants, que le voyageur Burnes dit qu’il les fait paraître comme des collines insignifiantes (A. Burnes, gênerai and geographical Memoir on part of central Asia, et, Travels into Bo-khara). Et cependant une de ces collines, le Koh-i-Baba, mesuré par Burnes, a 18000 pieds d’élévation, et le col ou passage de Kalou sur la route de Caboul à Barnian est déjà à 13000 pieds. Dans ces montagnes, cette dernière mesure est bien au-dessous de la limite des neiges dites éternelles ; à 10000 pieds au-dessus de la mer on y voit des champs labourés que l’on ensemence à la fin de mai pour les moissonner en octobre, tandis que sur les Alpes on trouve déjà la neige perpétuelle entre 8 et 9 mille pieds (D’après Humboldt, la limite des neiges sur les Cordillères de Quito (sous l’équateur) est de 14760 pieds-de-roi : sur les Cordillères de Bolivia, elle est même à plus de 16000 pieds). – Quant au grand pic auquel appartient proprement le nom de Hindou-Koush, il n’a jamais été mesuré ; mais à en juger par la longueur de son manteau de neige et l’extrême rareté de l’air sur le col qui est à sa base, il doit être probablement la montagne la plus haute du monde ; les hommes les plus robustes des environs, quoiqu’accoutumés à respirer les couches d’air raréfié qui se trouvent à 10 ou 12 mille pieds au-dessus de la mer, ont la plus grande peine à traverser ce col ; la respiration devient très difficile, l’on éprouve des vertiges et des vomissements, la plupart des bêtes de somme qui tentent ce passage y périssent, et même les oiseaux, ne pouvant se soutenir en l’air, sont contraints de marcher et meurent presque tous sur les neiges. Ce fait est attesté par des historiens anciens aussi bien que par les voyageurs modernes. Ceux qui se hasardent dans ce périlleux passage évitent toute espèce de bruit, de crainte, disent-ils, que l’ébranlement ne détermine la chute des avalanches.
Puisque les symptômes éprouvés au passage du Hindou-Koush sont les mêmes que ceux qu’on éprouve au sommet du Mont-Blanc ; que la ligne des neiges sur le revers septentrional de l’Himalaya est, d’après Maltebrun, à environ 15600 pieds, tandis que sur les Alpes elle est à 8220 ; puisque d’autre part la cime du Mont-Blanc atteint 14600 pieds, c’est-à-dire 6380 pieds au-dessus des neiges éternelles, ce n’est pas trop que de supposer la même différence sur le Hindou-Koush, entre la limite des neiges et le haut du col, ce qui donnerait à ce dernier près de 22000 pieds d’élévation ; la pyramide du Hindou-Koush, qui s’élève au-dessus du col, pourrait donc avoir une hauteur totale, égale ou supérieure aux plus hautes cimes de l’Himalaya, et l’arche aurait pu s’arrêter sur cet Ararat indien, alors même que l’eau dépassait de beaucoup la hauteur des plus hautes montagnes qui sont sous tous les cieux.
C’est ce géant entre les montagnes que nous croyons être le véritable Ararat, et si l’on admet cette supposition, elle explique et la longueur de l’espace de temps qui s’est écoulé entre le moment où l’arche s’y serait arrêtée, et celui de l’apparition des sommets des montagnes voisines, et le voyage des Noachides qui venait de l’Orient lorsqu’ils arrivèrent au pays de Sinhar ; et la tradition du Vendidat sur les premiers établissements des hommes ; et bien d’autres circonstances encore, entre autres l’application des noms des rivières paradisiaques à des fleuves post-diluviens, et l’ordre de cette application. En effet, supposant que Noé et ses enfants eussent abordé sur le Hindou-Koush, les premiers hommes se seront naturellement répandus sur le haut pays environnant ; puis la difficulté d’y voyager les aura engagés à descendre dans des parties plus accessibles, la diminution de la chaleur leur faisant en même temps rechercher les plaines. Il n’est point extraordinaire qu’ils aient donné aux grands fleuves qu’ils trouvaient sur leur chemin, des noms qui leur étaient déjà connus ; ils auront nommé le premier Pison ; peut-être était-ce le Caboul ou l’Indus ; après avoir exploré une partie des contrées au sud de l’Hindou-Koush jusqu’à l’une de ces deux rivières, trouvant le pays trop montueux, ils se seront peut-être tournés vers le nord, puis ils auront donné à l’Oxus le nom de Guihon ou Djihoun, qu’il porte encore de nos jours. De là, continuant leur chemin d’Orient en Occident, presque en ligne droite, de Balkh (ou Bactres) à Babylone, le troisième grand fleuve qui se trouvait sur leur route est le Tigre, qu’ils auront appelé Hiddékel ; le quatrième est l’Euphrate ; c’est le même ordre dans lequel ils sont énumérés dans la Genèse.
Une difficulté reste encore à examiner : d’où provenait la branche d’olivier que la colombe rapporta à Noé ? Les commentateurs qui ont fait aborder l’arche en Arménie ont été embarrassés de trouver que l’olivier ne croissait point dans ce pays ; mais d’autres ont prouvé qu’il y croissait anciennement, lorsque la température de la terre était plus chaude qu’elle ne l’est de nos jours (Richter, Hausbibel) ; d’autres aussi ont démontré que les oliviers peuvent pousser des feuilles sous l’eau. Mais, d’un autre côté, les géologues pensent que la force dissolvante et corrosive des eaux du déluge, dont on voit de nos jours tant de traces, de ces eaux qui avaient enlevé les rochers des plus hautes cimes, creusé des vallées, rompu en quelques lieux des digues naturelles, élevé ailleurs des amas de débris, de boue et de cailloux, laissé après leur passage des lacs et des méditerranéens ; – ils pensent, disons-nous, que des eaux agissant avec une telle force, doivent avoir détruit toute la végétation, enlevant dans leur cours les couches de terre végétale, et tout ce qui y croissait. Comment alors l’olivier aurait-il résisté ? Pour nous qui croyons, avec Cuvier et d’autres, que les anciens continents ont été détruits, nous ne pouvons admettre qu’aucun arbre antédiluvien se trouvât dans le voisinage de l’arche, croissant au lieu qui l’avait vu naître avant le cataclysme ; il n’aurait pu s’y trouver, à la rigueur, que quelques plantes marines. Nous pensons que lors qu’après les 150 jours Dieu fit sortir la terre du sein de l’eau, ce qui se passa fut une répétition du 3e jour de la création ; Dieu dit : « Que les eaux qui sont au-dessous des cieux soient rassemblées en un lieu et que le sec paraisse, et ainsi fut ». Et la terre après cette crise, ou soir cosmogonique, obéissant aux lois qui lui avaient été données au 3e jour, poussa son jet et produisit de l’herbe portant sa semence selon son espèce, et des arbres qui avaient leur semence en eux-mêmes. De même que pendant les trois derniers jours de la création, et après les soirs cosmogoniques qui les avaient précédés en bouleversant tout ce qui se trouvait sur la surface du globe, la végétation s’était chaque fois reproduite, ainsi, après le déluge, la terre nouvelle qui venait de sortir des eaux se couvrit de plantes et d’arbres utiles à ses nouveaux habitants ; les conditions de chaleur et d’extrême humidité qui furent alors si défavorables à la longueur de la vie des hommes, durent, au contraire, pénétrer les plantes, comme sous les régions humides des tropiques, d’une vigueur végétative extraordinaire, et leur procurer une prompte croissance ; ainsi, lorsque la colombe sortit pour la première fois, les plantes ne faisaient que de commencer à germer sur la partie de la terre que les eaux avaient laissée à découvert ; une semaine après elle trouva déjà des rameaux et des feuilles, mais pas de branche assez forte pour qu’elle pût s’y percher ; lorsqu’elle sortit pour la troisième fois, le bois commençait déjà à pouvoir la porter. La température de ces hautes-contres étant alors celle des plus basses régions de l’air, il n’est pas étonnant qu’il put y croître des oliviers dans ce temps-là, tandis qu’aujourd’hui l’on ne trouve à leur place que des neiges qui ne fondent jamais.
Nous devons faire observer ici que l’histoire du déluge nous donne une preuve remarquable de la manière de compter le temps ; il était évidemment divisé en semaines (7.4-10 ; 8.9-10, 12), ou espaces de sept jours ; et il n’est pas probable que le pieux patriarche Noé, cet homme juste et plein d’intégrité, qui marchait avec Dieu, négligeât ses commandements et oubliât de sanctifier le septième jour établi pour être un jour de repos dès la création du monde.
Il paraît que longtemps encore après le déluge il continua de s’opérer dans le monde des changements remarquables ; la vie des hommes fut abrégée, les langues et les nations se formèrent, et prirent d’une manière permanente les caractères nationaux qui forment leur cachet distinctif. Les variétés produites chez les animaux par la différence des climats, de la nourriture et du genre de vie, donnèrent naissance aux espèces. Dans la nature inanimée il s’opérait des changements correspondants : les contrées volcaniques qui forment l’archipel indien, celui du Japon, les Kouriles, les Aléoutes, les Antilles, après avoir été assez longtemps élevées au-dessus des mers pour que les isthmes qui les joignaient eussent pu servir de passage aux hommes qui allèrent s’y établir, s’enfoncèrent probablement dans l’eau à peu près au point où nous les voyons aujourd’hui, de manière à ne laisser au-dessus de la surface que les parties les plus élevées de ce vaste continent sous la forme d’îles et d’îlots. Si l’on trouve cette hypothèse trop hardie, l’on n’a qu’à examiner ce qui se passe actuellement dans ces mêmes régions, et l’on sera convaincu que si de nos jours encore des îles et des montagnes surgissent de l’Océan, tandis que d’autres contrées sont englouties par la mer, de semblables changements ont bien pu avoir lieu il y a 4000 ans. Dans les îles Aléoutes, par exemple, en 1806, une île sortit de la mer, qui avait 4 milles géographiques de tour ; une autre fut formée en 1814, sur laquelle était un pic de 3000 pieds de haut. En 1737, par suite de tremblements de terre et d’irruptions volcaniques, la côte du Kamtchatka subit, de grands changements : des lieues entières de côtes s’enfoncèrent dans la mer, des plaines furent soulevées et devinrent des plateaux, de nouvelles baies et de nouveaux lacs furent formés. Le 4 février 1797, une étendue de pays de 40 lieues de long et 20 de large, près de Quito, reçut une forte impulsion d’ondulation qui dura quatre minutes et renversa de fond en comble toutes les villes et villages ; ce mouvement se fit sentir plus ou moins sur une longueur de 170 lieues du nord au sud, et de 40 de l’est à l’ouest ; au pied du volcan de Tunguragua la terre s’entrouvrit et donna passage à des torrents d’eau et d’une boue fétide, qui dans des vallées de 1000 pieds de largeur atteignirent à la hauteur de 600 pieds, laissant sur leur passage des dépôts de limon qui interceptèrent une rivière et amenèrent la formation de lacs, jusqu’à ce que l’eau accumulée pendant 80 jours, eut acquis une masse suffisante pour rompre et entraîner ces digues. (Lyell, Principlesof Geologv, vol. l, p. 470.510.472.)
Il serait facile de multiplier à l’infini les exemples, mais nous croyons en avoir dit assez pour démontrer la possibilité de la rupture des isthmes qui unissaient au nord l’Asie avec l’Amérique, au sud l’Asie avec la Nouvelle-Hollande et toutes les îles intermédiaires, isthmes qui n’étaient plus nécessaires après avoir contribué à l’exécution de l’ordre de Dieu (Genèse 8.17 ; 9.1), en fournissant aux hommes et aux animaux un chemin pour se répandre sur la plus grande partie de la terre et la peupler.
Nous ne prétendons pas cependant par là, que toutes les îles, et tous les pays aient été habités dès le temps de la dispersion ; au contraire, il est notoire que plusieurs lieux sont restés inhabités pendant des siècles, jusqu’à ce que les progrès de la navigation y aient fait aborder des hommes, soit par suite de voyages, de découvertes et de conquêtes, soit qu’ils y aient été jetés contre leur gré par des tempêtes et des naufrages. Pour ne citer que l’exemple le plus rapproché de nos pays, l’Islande n’a été découverte que dans le huitième siècle, et la première colonie s’y établit l’an 874 ; ce ne fut qu’un siècle plus tard, qu’un seigneur, Torwald, découvrit le Groenland et s’y établit ; il en est sans doute de même d’un grand nombre d’îles de la mer du Sud. À ce propos nous ferons remarquer que les pays dont nous venons de parler, offrent une nouvelle preuve du refroidissement graduel de la chaleur du globe, car l’Islande et le Groenland jouissaient il y a mille ans d’un climat doux et tempéré ; il y croissait beaucoup d’arbres, les côtes étaient couvertes de verdure, la mer très poissonneuse et les forêts pleines de gibier, (Mallet, Introd. à l’hist. du Danemark). À la même époque la vigne et le grenadier croissaient en Angleterre.
On peut reconnaître dans cette interruption des communications, une direction particulière de la sagesse éternelle, qui voulait qu’après trente-sept siècles de séparation, les hommes, en se retrouvant, retrouvassent aussi chez presque tous les peuples ces traditions si remarquables sur la création, la chute des premiers hommes, le meurtre d’Abel et surtout ce déluge duquel date la formation de toutes les races actuelles, ce déluge qu’on voit représenté dans la langue hiéroglyphique des Chinois, comme sur les monuments mexicains et sur la médaille d’Apamea Kibotos ; événement dont le souvenir se retrouve non seulement chez toutes les nations instruites de l’antiquité européenne et asiatique, mais encore aux îles Sandwich, chez les tribus errantes de l’Amérique du nord, comme chez les Péruviens et les Mozcas dans la Péninsule méridionale.
Il serait trop long de donner ici un résumé de ces traditions ; ceux de nos lecteurs qui désireraient examiner ce sujet, trouveront des détails intéressants dans les Fragment de l’histoire de la terre, de M. F. de Rougemont, que nous avons souvent eu l’occasion de citer ; dans l’ouvrage du docteur Wiseman, intitulé Lectures on the connexion between science and revealed Religion, I, 4 33.328-371., II, 127-152. ; dans le Dictionnaire des cultes religieux, article Déluge ; voir aussi le Discours sur les Révolutions de la surface du globe, par Cuvier, p. 165-179 ; l’Histoire des Incas, de Garcilasso de la Vega ; la Conquête du Pérou, par don Augustin de Zarate ; l’Analyse des traditions religieuses des peuples de l’Amérique, par Kastner, et en général toutes les mythologies.
Quelques auteurs croient que les traditions diluviennes qui portent le nom de Yao en Chine, d’Ogygès et de Deucalion dans l’Occident, ne sont pas des traces défigurées du déluge universel seulement, mais se rattachent à des inondations postérieures qui auront eu lieu par la rupture de lacs, et divers changements volcaniques ou autres survenus depuis Noé sur la surface du globe ; nous ne prétendons pas décider cette question, mais ce qui nous paraît certain, c’est qu’à toutes ces traditions se trouve mêlée l’idée du repeuplement de la terre par une seule paire d’êtres humains, idée qui est évidemment la même que celle qui nous est donnée sous sa véritable forme dans le récit de Moïse.
Nous ne pouvons quitter cet intéressant sujet, qui mériterait d’être traité bien plus longuement qu’on ne peut le faire dans un ouvrage de cette nature, sans faire encore quelques rapprochements.
L’histoire du déluge a été inscrite dans nos livres sacrés par la direction du Saint-Esprit, non comme un simple document historique qui, seul entre tous les livres que possèdent les hommes, raconte leur véritable origine et donne la clé de la formation des langues et des nations, et des traces de bouleversement que l’on remarque sur notre globe, mais surtout pour nous donner une grande et effrayante leçon, qui enseigne aux hommes à fuir le péché et à s’attacher à l’Éternel comme au rocher des siècles, qui seul subsiste, lorsque les grandes eaux des tribulations engloutissent tous les rochers terrestres sur lesquels nous cherchons trop souvent notre appui. Le déluge est un emblème du châtiment éternel qui atteindra un jour les méchants, et l’arche est celui du seul moyen de salut qui nous est offert ; il ne servit de rien aux hommes de se tenir près de Noé et de nager à côté de l’arche en suivant la même direction ; c’est dans l’arche qu’il fallait être : ainsi l’on aurait beau être près de la vérité, tout près de la foi, si l’on n’est qu’à peu près chrétien à l’heure où l’abîme du tombeau viendra réclamer sa proie, si l’on n’a pas contracté alliance avec Dieu par Christ le seul médiateur, cela ne servira de rien ; les flots du déluge arriveront mugissants, non pas ceux du grand abîme seulement, mais les flots de « l’étang ardent de feu et de soufre, ce feu éternel qui est préparé au diable et à ses anges ». (Apocalypse 19.20 ; Jude 6, 7 ; Matthieu 23.41). Si au contraire, comme Noé, nous avons trouvé grâce devant Dieu par la foi au sang de Christ, et que comme lui nous marchions avec Dieu (Genèse 6.8-9), nous n’aurons rien à craindre : quand nous passerons par les eaux, Dieu sera avec nous, et elles ne nous noieront point (Ésaïe 43.2). Qu’est-ce qui a perdu l’ancien monde ? Les mauvaises pensées et leurs fruits, savoir : la désobéissance, l’impiété, la malice, la corruption, l’extorsion (Genèse 6.5-11-12 ; 1 Pierre 3.20 ; 2 Pierre 2.5 ; 3.7), l’incrédulité en un mot, car Noé était à l’ancien monde un prédicateur de justice pendant qu’il bâtissait l’arche et que la patience de Dieu attendait pour la dernière fois. Mais ils ne crurent point à sa parole, ils ne l’écoutèrent point, ils ne se repentirent point, comme le firent les Ninivites à la prédication de Jonas ; ils ne changèrent rien à leur conduite ni à leur genre de vie, « on mangeait, on buvait, on prenait et on donnait en mariage, et le déluge vint qui les fit tous périr » ; mais Noé crut, comme Abraham, et cela lui fut imputé à justice, « car c’est par la foi que Noé ayant été divinement averti des choses qu’on ne voyait point encore, craignit, et bâtit l’arche pour sauver sa famille ; par là il condamna le monde et fut fait héritier de la justice qui est par la foi » (Hébreux 11.7).