Saint Paul, dans l’Épître aux Galates (Galates 1.18 ; 2.9-10), dit qu’étant venu à Jérusalem, il conféra avec les Apôtres de peur qu’il ne courût ou qu’il n’eût couru en vain : les Apôtres ayant reconnu que Dieu lui avait confié la prédication aux Gentils, comme il avait donné l’apostolat à Pierre pour les Circoncis, Jacques, Céphas et Jean qui passaient pour étre les colonnes de l’Église, nous donnèrent les mains, dit-il, à Barnabas et à moi, a fin que nous préchassions aux Gentils, comme eux préchèrent aux circoncis… Or, Céphas étant venu à Antioche, je lui résistai en face parce qu’il était répréhensible. Je dis à Céphas devant tout le monde : Si vous, qui êtes né Juif, vivez comme les Gentils convertis, pourquoi voulez-vous contraindre les Gentils de judaïser ?
L’on forme sur ces paroles une assez grande difficulté qui consiste à savoir si Céphas repris ici par saint Paul est le même que saint Pierre, ou si c’est un.personnage différent. Nous avons traité cette difficulté dans une dissertation particulière à la tête des Épîtres de saint Paul, et nous allons en donner ici le précis, parce que l’on nous a donné avis que le sentiment qui tenait que saint Pierre était différent de Céphas faisait du progrès dans le monde, et qu’il était important de l’arrêter.
Voici donc ce qu’on peut dire de plus plausible en faveur de ce sentiment. On cite premièrement les Hypothiposes de saint Clément d’Alexandrie, qui distingue Pierre de Céphas. Saint Chrysostome, saint Jérôme, saint Grégoire le Grand, Œcuménius et l’auteur de Commentaire sur l’Épître aux Galates, sous le nom de saint Anselme, témoignent que quelques-uns doutaient que Céphas fût le même que saint Pierre. Dorothée de Tyr et l’auteur de la Chronique d’Alexandrie parlent d’un Céphas du nombre des soixante-douze disciples qui est celui, disent-ils, à qui saint Paul résista en face.
À ces autorités on joint ces raisons. Si celui à qui saint Paul a résisté en face est saint Pierre, il faut dire que le prince des apôtres est tombé dans l’hérésie, puisqu’il enseignait à Antioche par son exemple aux fidèles tout le contraire de ce qui avait été décidé en sa présence au concile de Jérusalem. Or, on ne peut former contre ce saint apôtre une telle accusation, donc… De plus saint Paul dans l’Épître aux Galates appelle deux fois saint Pierre de son nom de Pierre, et en parle avec le respect convenable ; comment donc dans la même Épître et dans le même discours l’appellerait-il Céphas, et se vanterait-il de lui avoir résisté en face ? Le texte de cette Épître insinue que saint Paul regardait Céphas comme beaucoup inférieur à saint Barnabé. Céphas, dit-il, s’étant retiré des Gentils, et ne voulant plus manger avec eux, les autres Juifs imitèrent son déguisement, en sorte que Barnabé lui-même s’y laissa entraîner. Quelle merveille y aurait-il que Barnabé eût imité le prince des Apôtres ?
Mais qu’il eût suivi l’exemple de Céphas, un homme du commun, méprisé, sans nom, c’est ce qui fit de la peine à saint Paul.
Une autre preuve que Céphas n’était pas saint Pierre, c’est que Paul le reprend avec hauteur, en public, avec autorité ; chose qu’il n’aurait pas faite envers le prince des Apôtres. Le père Hardouin, qui a écrit exprès pour soutenir le sentiment qui distingue Céphas de saint Pierre, croit que Céphas, dont parle saint Paul dans la première Eplire aux Corinthiens, à qui Jésus-Christ avait apparu, qui avait prêché à Corinthe et qui menait une sœur avec lui (1 Corinthiens 1.12, 3.22 ; 9.5 ; 15.5), est le même Céphas auquel saint Paul résista à Antioche. On remarque aussi, comme une raison conséquente, que dans la Vulgate déclarée authentique par le concile de Trente, on ait abandonné le texte grec et les anciens qui lisaient Petrus au lieu, de Céphas aux versets 9, 11, 14.
Enfin, on s’efforce de montrer que saint Pierre était à Jérusalem dans le temps que saint Paul résista en face à Céphas à Antioche, et que le voyage de saint Paul et de Silas à Jérusalem, qui fut suivi de la tenue du concile de Jérusalem, n’arriva que quelques mois après cet événement, mais toutefois dans la même année le 49 de Jésus-Christ.
Voyons à présent ce que l’on oppose à ce sentiment. Saint Jérôme remarque que l’on ne se serait jamais avisé de distinguer saint Pierre de Céphas, sans les reproches de Porphyre et de quelques autres ennemis de la religion chrétienne, qui prétendaient tirer avantage de cette dispute des deux principaux apôtres de la religion chrétienne, pour accuser ces deux apôtres, l’un d’erreur, l’autre d’orgueil, tous deux de mensonge, et les chrétiens d’une vaine crédulité. C’est pour répondre aux objections des ennemis de notre religion que les anciens Pères ont eu recours à différents tempéraments : les uns ont dit que cette dispute des deux Apôtres n’était qu’une espèce de feinte, et qu’elle s’était faite de concert pour l’instruction des fidèles, et surtout des Juifs d’autres ont distingué. Pierre de Céphas ; mais ce dernier parti est demeuré presque inconnu et enseveli dans l’oubli jusqu’aux derniers siècles que quelques savants l’ont renouvelé, comme nous venons de le voir.
Les Anciens que l’on allègue en faveur de cette distinction, ou l’ont proposée en doutant, ou l’ont réfutée expressément, ou sont par eux-mêmes si peu dignes de considération, qu’ils méritent à peine d’être réfutés. Le livre des Hypotyposes, soit qu’il soit de saint Clément d’Alexandrie ou d’un autre Clément, ne subsiste plus aujourd’hui. Photien, qui l’avait lu, en parle avec un souverain mépris, comme d’un ouvrage rempli de fautes, d’erreurs grossières, de fables et de sentiments impies. Saint Chrysostome, qui n’a pas dissimulé la force des raisons qu’on peut opposer au sentiment commun, ne laisse pas de conclure que tout ce qui précède et ce qui suit démontre que tout l’endroit doit, s’entendre de saint Pierre. Saint Jérôme, après avoir rapporté l’objection de Porphyre et le sentiment qui distingue Céphà s de Pierre, conclut qu’il ne connaît point d’autre Céphas que celui qui, dans, l’Évangile et dans les Épîtres de saint Paul, est nommé indifféremment tantôt Pierre et tantôt Céphas ; et que si l’on voulait admettre un second Céphas, pour répondre à Porphyre, il faudrait effacer plusieurs passages de l’Écriture, que cet ennemi de notre religion n’attaque que parce qu’il ne les entend pas.
Saint Grégoire le Grand réfute le sentiment qui distingue Pierre de Céphas ; Œcuménius ne l’adopte point, non plus que l’auteur du Commentaire imprimé sous le nom de saint Anselme. Dorothée de Tyr est un écrivain sans autorité : La Chronique d’Alexandrie n’en a pas beaucoup davantage ; et, après tout, ils ne produisent aucune preuve, de ce qu’ils avancent l’arrangement chronologique qu’a inventé le R. P. Hardouin pour montrer que saint Pierre n’était pas à Antioche lorsque la dispute en question y survint, est purement arbitraire et n’est fondé sur aucune preuve solide. Les autres raisons qu’on rapporte pour détruire le sentiment commun ne sont que des convenances qui ne peuvent porter coup contre un fait clairement marqué dans le texte de saint Paul. Vouloir que saint Pierre ne soit jamais nommé Céphas dans l’Écriture, que dans le seulendroit où Jésus-Christ lui dit (Jean 1.42) : Vous étes Simon, fils de Jonah, vous vous appellerez Céphas, c’est une erreur, évidente.
Si Céphas dont parle saint Paul en tant d’endroits de ses Épîtres était un homme de si petite considération dans l’Église, que jusqu’ici il y ait été presque oublié ; pourquoi l’Apôtre a-t-il tant d’attention à le citer et à se prévaloir de son autorité et de son approbation (Galates 2.9) ? Et pourquoi tant de soin de précautionner les fidèles centre l’impression de son exemple (Galates 2.14) Pourquoi relever comme une preuve solide de la résurrection du Sauveur (1 Corinthiens 15.5), qu’il a apparu à Céphas ? d’où vient que ce Céphas a été tellement négligé des évangélistes, qu’ils n’en aient jamais fait mention ? Nous savons le respect et la vénération qui est due à saint Pierre et au souverain pontife, son successseur ; nous avons toute l’inclination et l’intérêt possible à soutenir ses droits, sa primauté, ses prérogatives ; mais cela doit-il nous empêcher de dire que saint Pierre a renié Jésus-Christ, et qu’il a été répréhensibre à Antioche ? Mais en voilà assez pour ce Dictionnaire. Si l’on veut s’instruire plus à fond sur cette diffictilté, on peut consulter la Dissertation du R.,P. Hardouin, celle de M. l’abbé Boileau, celle de M. Deling, t. 2.Observ chapitre 45, et celle que nous avons fait imprimer sur ce même sujet à la tête des Épîtres de saint Paul.