Ou Répudiation. Moïse avait toléré le divorce pour de justes causes. Voici ses paroles (Deutéronome 24.1-3): Si un homme épouse une femme, et qu’après cela elle ne trouve pas grâce à ses yeux, à cause de quelque chose de honteux, il lui écrira une lettre de divorce, la lui mettra en main, et la renverra hors de sa maison. Que si après étre sortie de chez son premier mari, elle en épouse un autre, et que celui-ci la renvoie encore, et qu’il lui donne un écrit de répudiation, ou même s’il vient à mourir, son premier mari ne la pourra reprendre pour femme, parce qu’elle est souillée et abominable aux yeux du Seigneur. Les commentateurs sont fort partagés sur le sens de ces paroles, pour quelque chose de honteux, ou, suivant l’hébreu, pour une chose de nudité.
L’école de Sammaïas, qui vivait peu de temps avant Jésus-Christ, enseignait que pour pouvoir légitimement répudier sa femme il fallait que l’homme eût trouvé dans elle quelque action réellement honteuse, et contraire à l’honnêteté. Mais l’école d’Hillel, disciple de Sammaïas, enseignait, au contraire, que les moindres raisons suffisaient pour autoriser un homme à répudier sa femme : par exemple, qu’il pouvait faire divorce avec elle, si elle lui faisait une mauvaise cuisine, ou qu’il trouvât une autre femme qui fût plus de son goût. Il traduisait ainsi le texte de Moïse : S’il a trouvé en elle quelque chose, ou une chose honteuse. Akiba, autre fameux rabbin, fut encore plus indulgent que Hillel, puisqu’il disait que, pour pouvoir répudier une femme, il suffisait qu’elle n’agréât point à son mari. Il expliquait ainsi le texte de Moïse : Si elle ne trouve pas grâce à ses yeux ; première raison ; et 2° s’il trouve en elle quelque chose de honteux. Josèphe et Philon marquent assez que de leur temps les Juifs se croyaient le divorce permis pour les causes les plus légères. Les Hébreux d’aujourd’hui sont dans les mêmes principes. Quand une femme, dit Léon de Modène, ne donnerait à son mari aucun sujet de plainte, il pourrait la répudier, pour peu qu’il en fût dégoûté.
Mais Notre-Seigneur Jésus-Christ a limité la permission de répudier au seul cas d’adultère. Il a été dit aux anciens, dit-il (Matthieu 5.32) : Si quelqu’un répudie sa femme, qu’il lui donne des lettres de divorce. Et moi je vous dis que quiconque répudie sa femme, hors le cas de la fornication, l’expose au crime d’adultère ; et celui qui épouse une femme répudiée coin-met lui-même un adultère. Paroles qui ont été interprétées de plusieurs manières différentes. Quelques-uns, sous le nom d’adultère ou de fornication, ont entendu toutes sortes de grands crimes, comme l’idolâtrie, l’infidélité, etc., qui sont quelquefois désignées dans l’Écriture sous le nom de fornication. Les autres l’ont déterminé au seul crime d’adultère réel et d’infidélité.
Origène croit que le Fils de Dieu a marqué la fornication, non comme le seul cas où le divorce est permis, mais comme un exemple des autres crimes ou il peut user de ce pouvoir. Mais presque tous les autres Pères et les interprètes ont pris les paroles de Jésus-Christ dans leur sens strict et rigoureux, et la pratique de l’Église, qui est la véritable interprète de la Loi, a toujours été conforme à ce dernier sentiment. Quant au crime d’infidélité, voici comme saint Paul (1 Corinthiens 7.11-12) s’en explique : Pour ce qui est de ceux qui se convertissent au christianisme, ce n’est pas le Seigneur, mais c’est moi qui leur dis, que si un homme fidèle a une femme infidèle, et qu’elle consente de demeurer avec lui, qu’il ne se sépare point d’avec elle. Et de même, si une femme fidèle a un époux infidèle, et qu’il consente de demeurer avec elle, qu’elle ne se sépare point d’avec lui. Que si l’infidèle se retire, qu’il se retire ; car le frère ou la sœur fidèle ne sont point assujettis à la servitude dans cette occasion.
Une autre difficulté que l’on forme au sujet du divorce consiste à savoir s’il est permis aux personnes répudiées et séparées par le divorce de se remarier en toute liberté. La loi de Moïse ne défendait pas aux parties séparées de se remarier, et les lois des premiers empereurs chrétiens le permettaient expressément. Tertullien croit que le lien du mariage est dissous par l’adultère, et que la femme répudiée peut épouser un autre homme. Origène dit que de son temps, quelques évêques accordaient la même permission à ceux qui leur étaient soumis. On cite plusieurs conciles, surtout des Églises de France, qui supposent ou qui autorisent le même usage.
Mais si ces choses se sont quelquefois pratiquées, elles ont presque toujours été condamnées. Le concile d’Elvire reconnaît cet abus ; il le désapprouve et le condamne. Les canons attribués aux apôtres défendent expressément à celui qui a répudié sa femme d’en épouser une autre du vivant de la première. Les papes Sirice, Innocent I, Léon, Étienne et Zacharie dans leurs épîtres décrétales, proscrivent hautement ces mariages, et les traitent d’adultères. Enfin l’Église latine a toujours enseigné que le lien du mariage subsiste malgré le divorce le plus légitime ; et le concile de Trente a prononcé anathème contre tous ceux qui oseraient dire que l’Église erre, lorsqu’elle enseigne que le lien du mariage n’est pas dissous par l’adultère de l’une ou de l’autre partie ; et même que celle qui est innocente est obligée de garder le célibat durant la vie de l’autre partie ; et que celui ou celle qui se marie après le divorce commet un adultère. On peut voir notre Dissertation sur le divorce, à la tête du Commentaire sur le Deutéronome.
Il y a toute sorte d’apparence que le divorce était en usage parmi les Hébreux avant la loi, puisque le Fils de Dieu dit (Matthieu 19.8 Marc 10.5), que ce n’est qu’à cause de la dureté de leur cœur que Moïse leur a permis le divorce ; c’est-à-dire, parce qu’ils étaient accoutumés à cet abus, et pour empêcher ou prévenir de plus grands maux. En effet, nous voyons qu’Abraham répudia Agar, à cause de son insolence, et à la prière de Sara. Onkélos, et le paraphraste jérosolymitain, et plusieurs rabbins croient que la cause du murmure d’Aaron et de Marie contre Moïse (Nombres 12.1) était fondée sur ce que Moïse avait répudié Séphora, selon les uns, ou, selon d’autres, Tharbis, frire du roi d’Éthiopie. D’autres croient que leur murmure venait, non de ce qu’il l’avait répudiée, mais de ce qu’il l’avait reprise après avoir fait divorce avec elle. Mais la vérité est qu’il l’avait simplement renvoyée chez Jéthro, son beau-père, pour un temps, et sans dessein de s’en séparer pour toujours.
Nous ne trouvons aucun exemple de divorce dans tous les livres de l’Ancien Testament écrits depuis Moïse. Les Juifs eux-mêmes écrivent que l’on ne permit pas à David de répudier aucune de ses femmes pour épouser Abisag ; et qu’il fut contraint de la prendre à titre de concubine, ou de femme du second rang, parce qu’il avait déjà le nombre de dix-huit femmes permis par les coutumes. Le même prince garda jusqu’à la mort toutes les femmes qu’Absalom, son fils, avait publiquement déshonorées. Il ne les répudia pas, il se contenta de les enfermer jusqu’à leur mort. Il est pourtant certain qu’ils n’usaient que trop souvent de l’indulgence que leur permettait la Loi, et qu’ils faisaient trop légèrement divorce avec leurs femmes. Le beau-père de Samson jugea que ce gendre avait répudié sa fille, puisqu’il la donna à un autre (Juges 15.2). La jeune femme du lévite qui fut déshonorée à Gabaa, avait abandonné son mari, et ne serait jamais retournée avec lui, s’il ne fût allé la rechercher (Juges 19.2-3). Salomon parle d’une femme déréglée qui a abandonné son mari, le directeur de sa jeunesse, et qui a oublié le parti de son Dieu (Proverbes 11.16-17). Le prophète Malachie (Mal 11.15) loue Abraham de n’avoir pas répudié Sara quoiqu’elle fût stérile ; et invective contre les Juifs, qui avaient abandonné et méprisé la femme de leur jeunesse ; et Michée leur reproche (Michée 11.9) d’avoir chassé leurs femmes des maisons de leurs délices, el d’avoir ôté les louanges de Dieu de la bouche de leurs enfants. Esdras et Néhémie obligèrent grand nombre de Juifs de répudier les femmes étrangères qu’ils avaient épousées contre la disposition de la Loi (Esdras 11.1 Néhémie 13.23-30) et Salomon déclare que celui qui répudie une honnêt femme, se prive d’un bien ; et que celui qui retient une femme adultère est un fou et un insensé (Proverbes 18.12). Tout cela prouve que les divorces n’étaient pas si rares en ce temps-là.
Josèphe l’historien a cru que les lois de Moïse ne permettaient pas aux femmes de faire divorce avec leurs maris, et qu’elles défendaient à celles qui les auraient quittés, d’en épouser d’autres, sans avoir auparavant reçu du premier des lettres de divorce. Cet auteur croit que Salomé, sœur du grand Hérode, est la première qui se soit donné la liberté de répudier son mari. Hérodias, dont parle l’Évangile (Matthieu 14.3 ; Marc 6.17), avait aussi répudié Philippe, son mari, comme on l’infère du récit de Josèphe. Cet auteur raconte que sa propre femme le quitta peu de temps après qu’il eut été affranchi par l’empereur Vespasien. Les trois sœurs du jeune Agrippa, qui fut premièrement roi de Chalcide, et ensuite de la Trachonite et de la Batanée, usèrent du droit de faire divorce avec leurs maris. Bérénice l’aînée répudia Polémon, roi de Pont, quelque temps après l’avoir épousé. Mariamne, sa sœur, quitta Archélaüs son premier mari, pour épouser Démétrius, alabarque des Juifs d’Alexandrie. Enfin Drusille, la troisième, quitta Aziz, roi d’Emèse pour épouser Félix, gouverneur de Judée.
On a douté dans l’Église chrétienne s’il est permis aux femmes, comme aux hommes, de répudier leurs maris adultères. Saint Basile, dans sa Lettre canonique à Amphiloque, reconnaît qu’on observe religieusement la loi qui permet le divorce des hommes envers leurs femmes adultères, mais que l’usage veut que les femmes demeurent avec leurs maris, quoique coupables du même désordre. Les Grecs, qui ont expliqué les Canons des apôtres, prétendent que cet usage a toujours été observé parmi eux, qu’une femme ne peut pas quitter son mari pour cause d’adultère. On a vu ci-devant que Josèphe l’historien ne croyait pas que la loi de Moïse permit aux femmes de quitter leurs maris. En conséquence de ces principes, quelques anciens chrétiens ont permis à l’homme qui avait répudié sa femme, d’en épouser une autre ; mais ils n’ont pas accordé la même liberté à la femme. Mais d’autres accordent la même liberté à l’homme et à la femme de faire divorce, et même de passer à un second mariage. Saint Justin le martyr parle d’une femme chrétienne qui envoya des lettres de divorce à son mari qui vivait dans le dérèglement. Saint Jérôme parle de Fabiole, dame romaine, qui quitta son mari à cause de ses désordres. Les Grecs encore aujourd’hui sont dans l’usage de faire divorce dans le cas marqué dans l’Évangile (Matthieu 5.32), et même de se marier après cela comme si par l’adultère le lien du mariage était dissous ; et les Pères du concile de Trente sur les remontrances des Vénitiens, qui avaient dans leurs états plusieurs Grecs qui suivaient cet usage, eurent la condescendance de dresser leur canon d’une manière qui, sans approuver ces sortes de mariages, sauve la doctrine de l’Église latine, qui est dans un usage contraire : Anathème à tous ceux qui osent dire que l’Église erre, lorsqu’elle enseigne, selon la doctrine de l’Évangile et des apôtres, que le lien du mariage n’est pas dissous par l’adultère de l’une ou de l’autre partie, et que l’une et l’autre des parties, même celle qui est innocente, est obligée de demeurer dans le célibat, durant la vie de l’autre partie, et que celui ou celle qui se marie après le divorce, commet un adultère.
Le Sage semble faire un précepte de la répudiation dans le cas d’adultère, lorsqu’il dit (Proverbes 18.22) : Celui qui demeure avec une femme adultère, c’est-à-dire, qui ne fait pas divorce avec elle, est un fou et un insensé. Le concile de Néocésarée ordonne à un prêtre de répudier sa femme, si elle est tombée dans l’adultère après l’ordination de son mari. Saint Augustin semble avoir pris le même passage des Proverbes, comme contenant un précepte. Saint Jérôme s’explique à-peu-près dans le même sens, écrivant sur saint Matthieu. Mais saint Paul, en conseillant à la femme de se réconcilier à son mari (1 Corinthiens 7.10-11), montre assez quelle a été l’intention du Sauveur, et la plupart des Pères ont toujours dissuadé le divorce, et conseillé la réconciliation.
Parmi les Juifs le divorce est devenu beaucoup plus rare, depuis qu’ils se sont trouvés dispersés parmi les nations, qui ne permettent pas la dissolution du mariage pour des causes légères : toutefois on ne laisse pas de voir encore aujourd’hui quelque divorce parmi les Juifs et leurs femmes. Un mari jaloux défend d’abord à sa femme le voir celui qui lui fait ombrage ; que si après cela le bruit court qu’elle continue de voir son galant, et qu’on les trouve ensemble, surtout en flagrant délit, alors les rabbins lui ordonnent de la répudier pour toujours, quand même il ne voudrait pas ; cependant il est libre à cette femme de se remarier à qui elle juge à propos, pourvu que ce ne soit pas à celui qui a donné lieu à la répudiation.
Une jeune fille au-dessous de dix ans, soit qu’elle ait son père, ou non, après avoir épousé un mari, si ce mari ne lui agrée point, elle peut se démarier, jusqu’à ce qu’elle ait douze ans et un jour, qui est le temps auquel elle a la qualité de femme. Il lui suffit de dire qu’elle ne veut point un tel pour son mari, dont elle prend deux témoins, qui mettent par écrit sa déclaration ; après quoi elle peut se marier à qui elle juge à propos.
Pour empêcher que les hommes Juifs n’abusent de la liberté qu’ils ont de faire divorce, les rabbins ont ordonné plusieurs formalités, qui consomment bien du temps, et donnent le loisir aux mariés de se réconcilier et de bien vivre ensemble. Quand l’accommodement est désespéré, une femme, un sourd, ou un notaire dresse la lettre de divorce. Il l’écrit en présence d’un ou de plusieurs rabbins ; elle doit être écrite sur un vélin réglé, qui ne contienne que douze lignes en lettres carrées, en observant une infinité de petites minuties, tant dans les caractères que dans la manière d’écrire et dans les noms et surnoms du mari et de la femme. De plus, l’écrivain, les rabbins et les témoins ne doivent être parents, ni du mari, ni de la femme, ni entre eux.
Voici la substance de cette lettre, qu’ils appellent Gheth : Un tel jour, mois, an et lieu, moi N. je vous répudie volontairement, je vous éloigne, je vous rends libre, vous N. qui avez été ci-devant ma femme, et je vous permets de vous marier à qui bon vous semblera. La lettre écrite, le rabbin interroge avec subtilité le mari, pour savoir s’il est porté volontairement à faire ce qu’il a fait. On tâche qu’il y ait au moins dix personnes présentes à l’action, sans compter les deux témoins qui signent et deux autres témoins de la date : après quoi le rabbin commande à la femme d’ouvrir les mains, et de les approcher l’une de l’autre pour recevoir cet acte, de peur qu’il ne tombe à terre ; et après l’avoir interrogée tout de nouveau, le mari lui donne le parchemin, et lui dit : Voilà ta répudiation, je l’éloigne de moi, et te laisse en liberté d’épouser qui tu voudras. La femme le prend et le rend au rabbin, qui le lit encore une fois, après quoi elle est libre. On omet quantité de petites circonstances, qui n’ont été inventées que pour rendre cette action plus difficile. Ensuite le rabbin avertit la femme de ne se point marier de trois mois, de peur qu’elle ne soit enceinte. Depuis ce temps l’homme et la femme ne peuvent plus demeurer seuls en aucun endroit, et chacun d’eux peut se remarier. [Voyez, sur la question du divorce dans l’ancienne et dans la moderne synagogue, l’ouvrage de M. Drach, que j’ai plusieurs fois cité).