Faux Messies, faux prophètes, séducteurs, hypocrites, loups qui viennent à nous sous la peau de brebis, pour nous séduire. Moïse précautionne les Hébreux contre les imposteurs et les faux prophètes, en disant (Deutéronome 13.1-2) : S’il s’élève au milieu de vous un prophète ou un homme qui se vante d’avoir eu un songe prophétique, et qu’il ait prédit quelque chose, et que ce qu’il a prédit soit arrivé, et qu’il vous dise : Allons, suivons des dieux étrangers, et adorons-les ; vous n’écouterez point ce prophète ou ce songeur ; mais vous le ferez mourir, parce qu’il a voulu vous détourner du Seigneur, etc. Et ailleurs (Deutéronome 18.10-11, 20, 21) : Vous ne consulterez ni les devins, ni les enchanteurs, ni les nécromanciens, car le Seigneur a tout cela en abomination… Et s’il arrive qu’un prophète veuille parler en mon nom, sans que je lui aie donné mes ordres pour cela, ou qu’il parle au nom des dieux étrangers, il sera mis à mort.
Ces lois furent très-mal observées dans Israël. Nulle nation n’a été plus féconde en imposteurs que celle des Hébreux ; ce peuple volage, inconstant, superstitieux, fut presque toujours la dupe de tous ceux qui voulurent lui en imposer, surtout en fait de religion. Son penchant pour l’idolâtrie et son amour pour la nouveauté lui firent adopter toutes les abominations et les impiétés de ses voisins. Le plus fameux comme le plus ancien des imposteurs qui ait paru avec réputation parmi eux, fut Jéroboam, fils de Nabath, qui, étant monté sur le trône d’Israël par la révolte contre son prince légitime, crut ne pouvoir s’y maintenir qu’en changeant l’ancienne religion, et introduisant dans ses États le culte des veaux d’or.
Depuis ce temps les faux prophètes et les imposteurs furent fréquents dans le pays. La reine Jézabel nourrissait quatre cent cinquante prophètes de Baal (1 Rois 18.19), et quatre cents prophètes de la déesse du Bois, qui est Astarté. Le roi Achab, étant sur le point de marcher avec Josaphat, roi de Juda, contre Ramoth de Galaad (1 Rois 22.6-14), consulta ses quatre cents prophètes sur le succès de son voyage ; ils lui promirent tous la victoire et un heureux retour. Il ne se trouva que Michée, fils de Jemla, qui les contredit et qui prédit au roi qu’il y perdrait la vie. Isaïe (Isaïe 9.14-15) parle des faux prophètes qui annonçaient le mensonge à ceux qui les consultaient. Et Jérémie (Jérémie 2.8) se plaint des prophètes qui prophétisaient au nom de Baal, et qui adoraient les idoles, et que ces prophètes prophétisaient le mensonge, et que les prêtres les applaudissaient (Jérémie 5.31). Et ailleurs (Jérémie 14.4), que les prophètes prophétisaient faussement en son nom, qu’il ne les a point envoyés. Tout ce prophète est rempli de pareils reproches contre les faux prophètes, qui parlent par leur propre esprit.
Ézéchiel invective contre eux avec encore plus de véhémence (Ézéchiel 13.2-4) : Dites aux prophètes qui prophétisent par leur propre esprit : Voici ce que dit le Seigneur à ces prophètes insensés, qui suivent leur propre esprit, et ne voient rien : Vos prophètes, Ô Israël, sont comme les renards dans le désert… Ma main se fera sentir sur ces prophètes qui voient le faux, et annoncent le mensonge. Et ailleurs (Ézéchiel 22.18) : Les faux prophètes sont comme ceux qui élèvent une muraille sans mortier, ils ne prophétisent que le mensonge, en disant : Voici ce que dit le Seigneur, quoique le Seigneur n’ait pas parlé. Osée parle aussi des prophètes insensés, qui ont été un piège et un sujet de chute à tous ceux qui les ont écoutés (Osée 9.7-8). Et Michée (Michée 3.5-11) parle de ces prophètes séducteurs, avares et gourmands, qui vendent leurs prophéties à prix d’argent, qui séduisent les peuples, et qui déclarent la guerre à ceux qui ne leur remplissent pas la bouche. Sophonie (Sophonie 3.4) n’en parle pas plus avantageusement. Et Zacharie (Zacharie 13.4) : En ce temps-là les faux prophètes seront confondus lorsqu’ils auront annoncé de fausses visions, et ils ne se revêtiront plus de sacs pour mentir.
Voilà une tradition et une chaîne bien suivie d’imposteurs et de faux prophètes dans Juda et dans Israël, jusqu’après la captivité de Babylone. Sous le Nouveau Testament, Jésus-Christ a prédit qu’il viendrait de faux prophètes qui séduiraient plusieurs personnes (Matthieu 24.24). Ces prédictions ne demeurèrent pas longtemps, sans qu’on en vit l’exécution. Simon le Magicien se donnait dans Samarie pour la grande vertu de Dieu (Actes 8.9-10), peu de temps après la mort du Sauveur. Josèphe parle de plusieurs imposteurs qui parurent vers le même temps. Un certain Théudas ou Théodas parut en Judée, du temps de Cuspius Fadus, gouverneur [procurateur] de cette province, vers l’an de Jésus-Christ ou de l’ère vulgaire 45. Il se donnait pour prophète, et trompa plusieurs Juifs, leur persuadant de quitter leurs biens, et de le suivre jusqu’au Jourdain, leur promettant de le leur faire passer à pied sec, comme avait fait autrefois Josué. Mais il fut pris et tué, avec plusieurs de ceux qui l’avaient suivi.
Un autre Théudas, dont parle Gamaliel, dans les Actes des Apôtres (Actes 5.36), parut quelque temps avant la mort du Sauveur ; environ quatre cents hommes s’attachèrent à lui ; mais il fut tué, et tous ceux qui l’avaient suivi furent dissipés. Dix ans après, un Égyptien, Juif de religion, vint à Jérusalem, feignant d’être prophète, persuada au peuple de le suivre sur le mont des Oliviers, leur promettant de faire tomber en leur présence les murs de Jérusalem, et de les introduire dans la ville par la brèche. Un autre imposteur entraîna dans le désert un grand nombre de peuples, auquel il promettait une délivrance générale de tous maux. Judas le Galiléen, auteur de la secte des Hérodiens, soutenait que les Juifs ne devaient reconnaître que Dieu pour leur maître, et qu’ils ne pouvaient sans lâcheté et sans prévarication payer le tribut à César. Ses enfants furent héritiers de son esprit, et inspirèrent fortement l’esprit de révolte aux Juifs, leurs compatriotes, dans la guerre contre les Romains.
Après la fin de cette guerre, un certain Jonathas, tisserand de son métier, parut dans la Cyrénaïque, et séduisit grand nombre de Juifs par de faux miracles et des prestiges dont il les éblouit dans les déserts où il les entraîna. Catulle, gouverneur de la Libye Pentapolitaine, les dissipa et prit de là occasion de piller les plus riches des Juifs de ce pays-là. Mais le plus fameux des imposteurs qui parurent depuis la ruine du temple, fut Barchochébas, qui souleva les Juifs contre l’empereur Adrien, et attira contre eux les forces de l’Empire, qui les réduisirent en un état dont ils ne se sont jamais relevés. Voyez ci-devant Barchochébas. Je ne parle pas ici des faux Messies qui ont paru en différents temps parmi les Juifs. Voyez le titre Messie.
L’état d’oppression où sont réduits les Juifs dans presque tous les pays du monde, et l’attente du Messie qu’ils espèrent toujours les devoir délivrer de tous leurs maux, les rendent plus crédules aux promesses des imposteurs, et plus susceptibles de l’espérance qu’ils leur inspirent de recouvrer
Leur liberté. Comme tout l’Orient était dans l’attente du Messie et du Libérateur si longtemps attendu et si souvent prédit, dans le siècle que Jésus-Christ parut, ce siècle fut plus fécond en imposteurs qu’aucun autre, à cause de l’entrée qu’ils étaient sûrs de rencontrer dans l’esprit des peuples prévenus et faciles à persuader. Ceux d’entre eux qui passaient pour plus instruits voulurent s’autoriser par là à rejeter Jésus-Christ même, en le confondant avec les séducteurs qui avaient paru et qui paraissaient de jour en jour dans leur nation. Ce séducteur, disaient-ils (Matthieu 27.63), dit pendant qu’il était encore en vie : Je ressusciterai dans trois jours. Les apôtres du Sauveur étaient traités de même par les Juifs endurcis (2 Corinthiens 6.8).
Mais, ce qu’on aurait peine à croire, il s’est trouvé même dans le sein du christianisme, et après tant de merveilles opérées par Jésus-Christ et par les apôtres, après tant de persécutions essuyées par l’église, après tant d’écrits des infidèles et des hérétiques détruits et mis en poudre par les écrivains catholiques, il s’est trouvé, dis-je, des gens qui ont dit et qui ont même écrit que Moïse, Jésus-Christ et Mahomet étaient trois insignes imposteurs. Tout le monde parle d’un livre fameux qui a, dit-on, paru sous le titre : De tribus impostoribus, Mose, Christo et Mahomete. Les uns soutiennent que c’est un ouvrage supposé et qui n’a jamais paru ; d’autres soutiennent qu’il existe, et on a vu des gens qui se sont vantés de l’avoir vu. [On a écrit, depuis un siècle, bien d’autres sottises que celles qu’on lit dans ce livre. Il y a des gens pour lire ces sortes de livres, comme y en a pour aller dans les lieux de prostitution].
Albéric, moine des Trois-Fontaines, ordre de Cîteaux, au diocèse de Châlons-sur-Marne, qui vivait au milieu du treizième siècle, écrit dans sa Chronique, sous l’année 1239, que l’on proposa dix-sept cas contre l’empereur Frédéric II entre lesquels il y en a un contre la religion chrétienne, dont le pape parle dans ses livres à l’archevêque de Sens ; qui est qu’il y a trois imposteurs dans le monde, savoir, Moïse, Jésus-Christ et Mahomet. Albéric est auteur contemporain de Frédéric II et sa Chronique est très-estimée.
Mais si ce que dit Jean Bayon, dominicain, qui a écrit l’histoire de l’abbaye de Moyenmoutier, et qui vivait au quatorzième siècle, est vrai, l’empereur Frédéric n’est pas le premier qui ait proféré le blasphème qu’on lui attribue. Voici ce que dit cet historien : J’ai cru, dit-il, devoir insérer dans cet ouvrage ce que j’ai appris étant à Paris, par le rapport de gens de bien et véridiques : il y avait à Paris, vers l’an mil vingt-deux, un docteur de théologie, fort enflé de sa science et fort rempli de vanité et de faste, qui, étant un jour dans sa chaire, enseigna publiquement que trois imposteurs, savoir, Mahomet, Moïse et Jésus-Christ, ont trompé tout le monde. Mais Dieu le frappa sur l’heure, et dès ce moment il oublia tout ce qu’il avait jamais su, et fut privé de l’usage de la parole.
Pierre de Vignes, secrétaire et chancelier de l’empereur Frédéric II avoue qu’on accusait l’empereur son maître d’avoir proféré ce blasphème. Le pape, dans une lettre circulaire adressée à tous les princes et à tous les prélats, avance cette accusation contre Frédéric, et dit qu’on la pourra prouver en temps et lieu. Matthieu Pâris rapporte aussi ce qu’on disait du blasphème touchant les trois imposteurs ; mais il en parle comme d’une calomnie imputée à Frédéric par ses ennemis l’auteur de la vie de Grégoire 9 qui est contemporain, avance que cet empereur a pris cette erreur par le commerce qu’il avait avec les Grecs et les Arabes, qui lui promettaient la monarchie universelle par la connaissance des astres ; qu’il se croyait un dieu sous l’apparence d’un homme ; que trois imposteurs étaient venus pour séduire le genre humain, niais que pour lui il devait détruire une quatrième imposture tolérée par l’ignorance des hommes, qui est l’autorité du Pape.
Frédéric ne laissa pas ces accusations sans réplique. Il fit écrire aux cardinaux, pour faire son apologie touchant les trois imposteurs ; il donne sa profession de foi correcte et catholique sur la divinité de Jésus-Christ et sur le mystère de l’incarnation, et parle de Moïse et de Mahomet comme doit faire un chrétien.
Voilà une accusation bien solennellement formée contre l’empereur, et bien contredite par l’accusé. Jusque-là il n’est question que de paroles ; mais on soutient qu’il y a un livre réel et existant, qui a pour titre : Des trois Imposteurs, etc. Les uns l’attribuent à Muret, d’autres à Bernard Ochin, d’autres à Pierre Arétin, d’autres à Pogghius Florentin, d’autres à Postel, savant visionnaire du seizième siècle, d’autres à Arnaud de Villeneuve, d’autres à l’empereur Frédéric 1er, surnommé Barberousse, d’autres à Frdderic II.
Florimond de Raimond dit qu’il se souvient qu’en son enfance il vit l’exemplaire de ce fameux livre, dans le collège de Presle, entre les mains de Ramus. Le père Mersenne en parle dans son commentaire sur la Genèse, page 1830. M. Deshouges, doyen des avocats du grand conseil à Paris, dans un billet de sa main que j’ai lu, dit qu’il a appris d’un de ses amis, homme docte, qu’il avait vu ce détestable livre dans la bibliothèque secrète d’un des plus puissants princes d’Allemagne, mais toutefois sous un autre titre que celui De tribus Impostoribus. Il ajoute qu’un autre de ses amis, qu’il ne désigne que par ces trois lettres A. A. L., et dont il savait la probité et l’amour pour la vérité, l’avait assuré qu’il avait trouvé ce fameux ouvrage à Gênes, dans la boutique d’un libraire, en 1666, et qu’il l’aurait même acheté, s’il n’avait été prévenu par un autre qui l’acheta. Feu M. Alliot, ci-devant premier médecin de S. A. R. de Lorraine, m’a dit qu’on lui avait autrefois mis en main ce livre, mais qu’il ne l’avait pas voulu lire.
Christian Kortholt, dans la Préface d’un livre qu’il a composé sous le titre De tribus Impostoribus, et qui est imprimé à Kiel en 1680, et à Hambourg en 1700, cite quelques personnes qui disent avoir vu celui dont nous parlons ici ; mais pour celui de Kortholt, il ne regarde rien moins que Moïse, Jésus-Christ et Mahomet ; les trois imposteurs qu’il attaque, sont Edouard Herbert, Thomas Hobbs et Benoît Spinosa. Il dit que M. Bayle lui a écrit, du 7 des ides d’avril 1699, que le fameux livre des trois imposteurs n’était pas dans la bibliothèque de Balde de Rotterdam, et il croit que tous ceux qui se vantent de l’avoir vu sont fort suspects, ou de mauvaise foi, ou de peu d’exactitude.
Un autre auteur a donné le même titre à un ouvrage composé contre trois auteurs catholiques de la première réputation. Cet auteur est M. Morin, et son ouvrage est intitulé : Vincentii Panurgi Epislola de tribus Impostoribus ad Clariss. Vir Johan. Baptistain Morinum D. M. algue Begium Maiheseos Proverbes fessorem, Parisiis 1654. Les trois imposteurs prétendus qu’il attaque sont, Gassendi, Nevreus et Bernier. Gibert Voët, dans sa dispute de l’athéisme, dit qu’en 1614 ou 1615 on chassa de La Haye et on envoya en exil un nommé Nactegael, pour avoir prononcé quelques impiétés sur les trois imposteurs. On croit que M. de la Monnoye a fait une dissertation sur cette matière. On dit qu’il y a encore un autre ouvrage qui a pour titre : Des trois imposteurs, mais ces trois imposteurs sont Zabathai, Tzevi, Mahomet Bey (autrement Jean Cigala), et Padre Ottomano