Conjonction illicite entre des personnes qui sont parentes jusqu’aux degrés prohibés par les lois de Dieu ou de l’Église l’inceste se prend plutôt pour le crime qui se commet par cette conjonction que pour la conjonction même, laquelle, dans certains temps et dans certains cas, n’est pas considérée comme criminelle ; car au commencement du monde, et encore assez longtemps depuis le déluge, les mariages entre frères et sœurs, entre tante et neveu, et entre cousins germains ont été permis. Les fils d’Adam et d’Ève n’ont pu se marier autrement, non plus que les fils et filles des enfants de Noé, jusqu’à un certain temps. Du temps d’Abraham et d’Isaac ces mariages se permettaient encore, et les Perses se les ont permis bien plus tard, puisqu’on dit que la chose ne passe pas pour criminelle ni pour honteuse chez les restes des anciens Perses encore à présent.
Il y a des auteurs qui croient que les mariages entre frères et sœurs et autres proches parents ont été permis, ou du moins tolérés jusqu’au temps de la loi de Moïse ; que ce législateur est le premier qui les ait défendus aux Hébreux ; que chez les autres peuples ils ont été permis encore depuis d’autres tiennent le contraire, et il est malaisé de prouver ni l’un ni l’autre sentiment, faute de monuments historiques de ces anciens temps. Ce que nous savons certainement, c’est que le Seigneur déteste ces alliances, et qu’il défend à son peuple de se souiller (Lévitique 18.24-25) par ces sortes d’infamies, comme s’y sont souillés les peuples chananéens, qu’il doit exterminer de leur pays, qu’ils ont déshonoré par ces crimes. Il déclare qu’il punira les crimes détestables de cette terre, qui a horreur de ses propres habitants, et qui les rejette avec dégoût. Il commence ses ordonnances, au sujet des incestes et des autres conjonctions illicites, par ces mots : Vous n’agirez point selon les coutumes du pays d’Égypte, où vous avez demeuré : vous ne vous conduirez point selon les mœurs du pays de Chanaan, où je vous introduirai… Vous observerez mes ordonnances et mes préceptes, etc. Tout cela insinue que les incestes étaient bien communs et autorisés en Égypte et en Palestine.
Les mariages défendus par la loi sont :
1° Entre le fils et sa mère, ou entre le père et sa fille, et entre le fils et la belle-mère.
2° Entre les frères et sœurs, soit qu’ils soient frères de père et de mère, ou de l’un ou de l’autre seulement.
3° Entre l’aïeul ou l’aïeule et leur petit-fils ou leur petite-fille.
4° Entre la fille de la femme du père et le fils du même père, ce qui revient presque à ce qui a été dit au second article.
5° Entre la tante et le neveu ; mais les Juifs prétendent qu’il était permis à l’oncle d’épouser sa nièce.
6° Entre le beau-père et la belle-mère.
7° Entre le beau-frère et la belle-sœur : il y a une exception à cette loi, qui est que, lorsque l’homme était mort sans enfants, son frère était obligé d’épouser sa veuve pour lui susciter des héritiers. Voyez (Deutéronome 25.5).
8° Il est défendu au même homme d’épouser la mère et la fille, ni la fille du fils de sa propre femme, ni la fille de sa fille.
9° Ni la sœur de sa femme, comme Jacob qui avait épousé Rachel et Lia. Mais il y en a qui traduisent l’Hébreu de cette sorte : Quand vous aurez épousé une femme, vous n’en prendrez pas une seconde ; et plusieurs soutiennent que ce passage défend la polygamie, qui n’a été que tolérée dans la suite.
Moïse défend tous ces mariages incestueux sous la peine du retranchement (Lévitique 18.29) : Quiconque aura commis quelqu’une de ces abominations périra du milieu de son peuple, c’est-à-dire, sera mis à mort. Cela se prouve parce que l’adultère et d’autres crimes, que la loi soumet à la mort dans d’autres endroits, sont soumis ici à la même peine du retranchement du milieu de son peuple. Et, dans le chapitre vingtième, où sont répétées quelques-unes de ces lois, on soumet ces crimes à la mort ; par exemple (Lévitique 20.11-19) : Si quelqu’un abuse de sa belle-mère, qu’ils soient tous les deux punis de mort. Et : Celui qui, après avoir épousé la mère, épouse encore la fille, il sera brûlé vif avec elle. La plupart des peuples policés ont regardé les incestes comme des crimes abominables ; quelques-uns les ont punis du dernier supplice ; il n’y a que des barbares qui les aient permis. Saint Paul, parlant de l’incestueux de Corinthe, dit qu’il a commis un crime inconnu, et en horreur même parmi les nations (1 Corinthiens 10.1).
L’inceste de Thamar avec Juda, son beau-père, est connu : l’Écriture ne le condamne pas, elle semble même l’approuver ; et Juda qui voulait la faire brûler comme adultère, reconnaît enfin qu’elle est plus juste que lui, parce qu’il différait malicieusement de lui donner pour époux Séla, le dernier de ses fils (Genèse 38.24-29), qui devait l’épouser par la loi du lévirat, qui oblige le frère d’épouser la veuve de son frère mort sans enfants.
L’inceste de Loth avec ses deux filles ne peut s’excuser que par l’ignorance de Loth et par la simplicité de ses filles, qui crurent, ou qui feignirent de croire qu’après la ruine de Sodome et de Gomorrhe il ne restait plus d’hommes sur la terre pour les épouser (Genèse 19.31) et pour perpétuer la race des hommes. La manière dont elles s’y prirent pour s’approcher de leur père fait voir qu’elles regardaient cette action comme illicite, et qu’elles ne doutaient pas que leur père ne l’eût eue en abomination, si elles ne lui en eussent dérobé la connaissance par l’ivresse où elles le plongèrent.
Lorsque Ammon, fils de David, voulut déshonorer par un inceste Thamar, sa sœur, cette princesse lui dit (2 Samuel 13.13) : Mon frère, gardez-vous bien de commettre cette action, qui me déshonorerait dans Israël et vous ferait passer pour un prince insensé : Mais parlez au roi notre père, demandez-moi pour votre femme, et il ne vous refusera pas votre demande. Thamar supposait donc que les mariages entre frère et sœur étaient permis. Mais quel qu’ait été sur cela le sentiment de cette jeune princesse, quelque intention qu’elle ait eue, il est certain que la loi défend expressément ces mariages, ainsi qu’on le vient de voir [On l’a vu, toutes les espèces d’inceste sont défendues par Moïse. Est-ce parce qu’elles l’étaient chez les Égyptiens ? Ceux qui prétendent que Moïse a emprunté sa législation à l’Égypte répondraient sans doute affirmativement. Mais l’inceste, à commencer par celui que j’appelle de la seconde espèce, était permis en Égypte : le mariage du frère avec la sœur était légal. M. Champollion-Figeac, il est vrai, fait une distinction. « C’est sous les Grecs, dit-il, que le mariage fut permis entre le frère et la sœur ; l’histoire des rois Ptolémées en offre de fréquents exemples : on n’en trouve aucun dans les temps antérieurs. » C’est ainsi que cet auteur croit réfuter Diodore de Sicile, qui « mentionne plusieurs lois égyptiennes, sans distinguer, dit-il, les temps où elles furent en vigueur, et sans s’occuper à discerner l’influence qu’exercèrent sur la législation égyptienne l’invasion et les coutumes des Perses et des Grecs quand ils furent maîtres de l’Égypte. » Tout cela ne me paraît que conjectural.
M. Reynier fait au contraire remonter la consécration légale de l’inceste aux temps primitifs de l’Égypte, lorsque ce pays reçut des prêtres son organisation politique. « Les prêtres, dit M. Aubert de Vitry, s’étaient réservé jusqu’au pouvoir de faire juger les rois après leur mort, afin de les mieux soumettre à leur ascendant pendant leur vie. C’est au même motif que M. Reynier attribue avec beaucoup de vraisemblance l’inceste légal auquel les monarques de l’Égypte étaient condamnés, et dont les rois grecs se crurent obligés d’adopter l’usage révoltant. » Il est plus facile de comprendre que les rois grecs aient trouvé et suivi cet usage en Égypte, qu’il ne l’est de croire qu’ils l’y aient introduit].