Fils d’Isaac et de Rébecca, naquit l’an du monde 2168, avant Jésus-Christ 1832, avant l’ère vulgaire 1836. Il était frère cadet et jumeau d’Ésaü. On remarqua qu’en naissant il tenait le talon d’Ésaü, son frère, ce qui lui fit donner le nom de Jacob (Genèse 25.25), qui veut dire celui qui supplante ou qui saisit son adversaire par le pied, pour le faire tomber. C’était une espèce de pronostic de ce qu’il devait faire dans la suite. Pendant la grossesse de Rébecca, Isaac étant allé consulter le Seigneur sur les tressaillements que faisaient les deux jumeaux dans le sein de leur mère, Dieu lui déclara que Rébecca serait mère de deux fils qui deviendraient chefs de deux grands peuples ; mais que l’aîné serait assujetti au plus jeune (Genèse 25.21-23). Jacob était d’un tempérament doux et paisible, qui aimait la vie tranquille de la maison ; au lieu qu’Ésaü était d’un naturel plus bouillant, plus farouche, et qui avait une grande passion pour les exercices de la chasse. Isaac avait une tendresse particulière pour Ésaü ; mais Rébecca aimait davantage Jacob.
Un jour Jacob ayant fait cuire pour lui un mets de lentilles, Ésaü, qui revenait de la chasse extrêmement fatigué et ayant fort grand appétit, pria son frère de lui donner de ce mets qu’il avait préparé pour soi : mais Jacob ne lui en voulut point donner, à moins qu’il ne lui cédât son droit d’aînesse. Ésaü répondit (Genèse 25.32) : Je me meurs de fatigue, de quoi me servira mon droit d’aînesse ? Jacob reprit : Jurez-le-moi donc. Ésaü le lui jura et lui vendit son droit d’aînesse ; et aussitôt ayant pris le mets de lentilles et le pain, il mangea et but, et s’en alla, sans se mettre en peine de son droit d’aînesse qu’il venait de vendre. Cette action, qui ne paraissait qu’un jeu, déclarait assez l’esprit et les sentiments des deux frères ; et saint Paul n’a pas fait difficulté de traiter Ésaü de profane (Hébreux 12.16), pour avoir ainsi vendu son droit d’aînesse.
Longtemps après (Genèse 27.1-2, An du monde 2215, Avant. Jésus-Christ 1755, Avant l’ère vulgaire 1759), les deux frères ayant soixante-dix-sept ans, et Isaac, leur père, cent trente-sept ans, il arriva qu’Isaac tomba malade d’une espèce de langueur ; et croyant que sa dernière heure était proche, n’appela son fils Ésaü, et lui dit d’aller lui prendre quelque chose à la chasse, de le lui apprêter comme il savait qu’il l’aimait, de le lui apporter, et qu’il lui donnerait sa dernière bénédiction. Ésaü obéit, prend ses armes, et va à la chasse. Or Isaac avait la vue tellement affaiblie par l’âge, qu’il ne voyait plus. Rébecca, sa femme, qui avait ouï ce qu’il avait dit à Ésaü, en donna avis à Jacob, son fils bien-aimé. Elle ajouta : Suivez le conseil que je vais vous donner : Allez vite au troupeau, et apportez-moi deux des meilleurs chevreaux, afin que je les prépare pour votre père. Vous les lui présenterez, et il vous donnera sa bénédiction. Jacob s’en excusa d’abord, disant : Vous savez qu’Ésaü mon frère est tout velu, et que moi je n’ai point de poil ; si mon père me touche avec la main, je crains qu’il ne s’imagine que j’ai voulu le tromper, et que je n’attire sur moi sa malédiction, au lieu de sa bénédiction. Rébecca lui répondit : Que cette malédiction retombe sur moi, mon fils ; écoutez-moi seulement, et allez quérir ce que je vous dis. Jacob y alla, et Rébecca prépara un mets à Isaac, comme elle savait qu’il l’aimait. Elle revêtit Jacob des plus beaux habits d’Ésaü, lui couvrit les mains et le cou avec les peaux des chevreaux qu’elle avait fait cuire, lui donna ces mets, et le fit entrer dans la chambre d’Isaac.
Isaac l’ayant ouï, lui demanda qui il était ; car, comme on l’a dit, il ne voyait pas. Jacob répondit : Je suis votre fils Ésaü (Si l’on veut savoir ce que les Pères et les interprètes ont pensé de cette action de Jacob, et si c’est un péché ou non, si c’est un mensonge ou si ce n’en est pas un, on peut consulter pour l’affirmative, c’est-à-dire, pour le sentiment qui tient qu’il y a mensonge et péché, S. Augustin etc. Et pour la négative, certains pensent qu’il n’y a point de péché, et qu’il n’y a qu’un de ces mensonges permis. D’autres pensent que Jacob agit sous l’inspiration de Dieu, d’autres y voient un péché véniel). Isaac lui dit : Comment avez-vous pu rencontrer sitôt quelque chose ? Jacob répliqua : La volonté de Dieu a fait que j’ai rencontré aussitôt ce que je cherchais. Isaac lui dit d’approcher, afin qu’il le touchât et qu’il s’assurât si c’était véritablement Ésaü. Il le toucha ; et, lui ayant trouvé les mains chargées de poil, il dit : Pour la voix, c’est la voix de Jacob, mais les mains sont les mains d’Ésaü. Après donc qu’il eut bu et mangé, il dit à Jacob de s’approcher, afin qu’il le baisât et qu’il le bénît. Jacob s’étant approché, Isaac sentit la bonne odeur de ses habits, et lui dit :
Voilà l’odeur de mon fils, qui est semblable à l’odeur d’un champ bien rempli et comblé des bénédictions du Seigneur. Que le Seigneur verse sa rosée sur vos terres, et qu’il les engraisse pour produire une abondance de blé et de vin. Que les peuples vous soient assujettis, que les tribus se prosternent devant vous. Soyez le Seigneur de vos frères et le maître des enfants de votre mère. Que celui qui vous maudira soit maudit ; et que celui qui vous bénira soit comblé de bénédictions.
À peine Isaac avait-il achevé ces paroles, qu’Ésaü arriva et vint apporter à son père les mets qu’il lui avait préparés de sa chasse. Isaac fut frappé d’un profond étonnement, et dit à Ésaü : Jacob votre frère m’est venu surprendre et m’a ravi la bénédiction que j’avais dessein de vous donner. Ésaü répondit : C’est avec justice qu’on lui a donné le nom de Jacob, ou d’homme qui supplante. Voici déjà la seconde fois qu’il m’a supplanté il m’a enlevé mon droit d’aînesse, et il vient encore de me dérober la bénédiction qui m’était due. Et s’adressant à Isaac, il le pria avec beaucoup d’instance de le bénir. Mais Isaac lui répondit : Je l’ai établi votre maître, je lui ai assujetti tous ses frères, je lui ai donné pour nourriture le vin et le froment ; et après cela, mon fils, que puis-je faire ? Ésaü répondit : N’avez-vous donc, mon père, qu’une bénédiction ? Je vous prie de me bénir aussi. Et comme il pleurait, en jetant de grands cris, Isaac, touché de compassion, lui dit : Votre bénédiction sera dans la graisse de la terre et dans la rosée du ciel ; vous vivrez de votre épée, et vous serez assujetti à votre frère ; mais le temps viendra que vous secouerez son joug de dessus votre cou, et que vous vous en délivrerez. Quelques-uns traduisent l’hébreu dans un autre sens : Votre bénédiction sera loin de graisse de la terre et de la rosée du ciel ; mais vous vivrez de votre épée, etc.
Depuis ce temps, Ésaü conservait toujours une haine secrète contre Jacob, et disait dans son cœur : Le temps du deuil de mon père viendra, et je me déferai de Jacob, mon frère. Rébecca étant informée du mauvais dessein d’Ésaü, fit venir Jaeob et lui dit qu’il fallait qu’il allât dans la Mésopotamie, dans la ville d’Haran, auprès de Laban, son onde, en attendant que la colère d’Ésaü se passât. Elle fit ensuite entendre la même chose à Isaac, et lui dit que la vie lui serait insupportable, si Jacob épousait une Chananéenne. Isaac fit donc venir Jacob (Genèse 28.1-2), lui donna sa bénédiction, et lui dit d’aller en Mésopotamie, et d’épouser une des filles de son oncle Laban. Jacob partit secrètement ; et étant arrivé, après le coucher du soleil, dans un certain lieu où il voulait passer la nuit, il prit une des pierres qui étaient là, et l’ayant mise sous sa tête, il s’endormit. Alors il vit en songe une échelle, dont le pied était appuyé sur la terre, et le haut touchait au ciel ; et des anges de Dieu, qui montaient et qui descendaient par cette échelle. Il vit aussi le Seigneur appuyé sur le haut de l’échelle, qui lui dit : Je suis le Seigneur, le Dieu d’Abraham et d’Isaac ; je vous donnerai, et à vos descendants, la terre où vous dormez, votre race sera nombreuse comme le sable de la mer, et toutes les nations seront bénies dans vous et dans celui qui sortira de vous.
Jacob s’étant éveillé, s’écria : Le Seigneur est vraiment en ce lieu-ci ; et je ne le savais pas. Que ce lieu est redoutable Ce n’est autre chose que la maison de Dieu, et la porte du ciel. Et s’étant levé de grand matin, il prit la pierre qu’il avait mise sous sa tête, l’érigea en monument, répandant de l’huile par-dessus ; et il donna le nom de Béthel ; au lieu où il avait dormi ; nom qui passa à la ville de Luza, qui était voisine. En même temps il pria le Seigneur de le protéger dans le voyage qu’il allait entreprendre, et il lui voua la dime de tout ce qu’il pourrait acquérir par son travail.
Il partit de Béthel (Genèse 29.1), et après quelques jours de marche, il arriva dans la Mésopotamie, près de la ville de Haran, où demeurait Laban, son oncle. Il s’informa des bergers qu’il trouva près de là si Laban était en santé. On lui dit qu’il se portait bien, et que Rachel, sa fille, allait venir en ce lieu, pour abreuver son troupeau. Dès qu’elle fut arrivée, Jacob ôta la pierre qui couvrait le puits, lui aida à donner de l’eau à ses brebis, et lui déclara qu’il était son cousin germain, fils de Rébecca, sœur de Laban. Aussitôt Rachel accourut en donner avis à son père ; et Laban vint avec empressement recevoir son neveu ; et l’amener dans sa maison. Un mois s’étant écoulé, Laban dit à Jacob : Faut-il à cause que vous êtes mon neveu que vous me serviez gratuitement ? Dites-moi donc quelle récompense vous demandez ? Or Laban avait deux filles, dont l’aînée s’appelait Lia, et la seconde Rachel. Jacob répondit donc à Laban : Je vous servirai sept ans, si vous voulez me donner Rachel pour femme. Laban y consentit, et bientôt après, la cérémonie des noces se fit à la manière du pays. Le soir Laban fit mener Lia au lieu de Rachel, dans la chambre de Jacob, en sorte que Jacob ne s’aperçut de la supercherie de Laban que le lendemain au matin. Alors il s’en plaignit fortement : mais son beau-père lui répondit que ce n’était pas la coutume du pays que l’on mariât les plus jeunes avant les aînées, et que s’il voulait épouser encore Rachel, il le pouvait en le servant encore sept autres années.
Quelque injuste que fût cette condition, Jacob y consentit, par l’extrême amour qu’il portait à Rachel, et lorsqu’il l’eut épousée, il la préféra à Lia. Mais Dieu accorda la fécondité à celle-ci, pendant que Rachel était stérile. Lia eut de suite quatre fils ; savoir, Ruben, Siméon, Lévi et Juda ; et Rachel voyant qu’elle n’avait point d’enfants (Genèse 30), donna à son mari sa servante, nommée Bala, afin qu’au moins elle pût par son moyen avoir des enfants de Jacob. Bala eut donc Dan et Nephtali, que Rachel regarda comme siens. Lia, à l’imitation de Rachel, donna aussi à son mari Zelpha, sa servante, qui lui enfanta Gad et Aser. Après cela, Lia conçut de nouveau et eut un cinquième et un sixième fils, Issachar et Zabulon, et une fille nommée Dina. Enfin le Seigneur se souvint de Rachel et lui donna un fils nommé Joseph.
Jacob voyant sa famille assez nombreuse, et que le temps qu’il s’était obligé de servir Laban était fini le pria de trouver bon qu’il s’en retournât dans son pays avec ses femmes et ses enfants (An du monde 2260, Avant. Jésus-Christ 1740, Avant l’ère vulgaire 1744). Mais Laban, qui avait expérimenté combien les services de Jacob lui avaient été utiles, le pria de continuer d’avoir soin de ses troupeaux et lui promit quelle récompense il voudrait. Jacob lui dit : Je m’offre à vous servir encore six ans, pourvu que vous vouliez me donner tout ce qui naîtra dans vos troupeaux de brebis et de chèvres de diverses couleurs, c’est-à-dire tachetées, et outre cela, les brebis noires. Tout le reste sera pour vous, c’est-à-dire tout ce qui naîtra d’une seule couleur dans les brebis et dans les chèvres, à l’exception des brebis noires. Par là Jacob ne se réservait que ce qui était de moindre pour la toison. Il ajouta : Et afin que vous ne croyiez pas que je veux user d’industrie pour faire naître plus d’agneaux ou de chevreaux de diverses couleurs, séparez tout ce qui est d’une seule couleur dans vos troupeaux, et laissez-en la garde à vos enfants, et donnez-moi seulement à garder tout ce qui est de différentes couleurs. Laban accepta volontiers ces conditions ; et le jour même, on fit la séparation des troupeaux, suivant le plan que Jacob en avait donné, et on mit trois jours de distance entre les troupeaux de Laban et ceux de Jacob.
Mais le Seigneur, voulant récompenser les travaux de Jacob, lui découvrit en songe un artifice (Genèse 31.10-12) qui lui réussit admirablement pour avoir des moutons et des chevreaux de différentes couleurs. Ce fut de mettre sur les abreuvoirs, où ses bêtes venaient quand elles étaient en chaleur, des branches vertes dont il ôtait l’écorce en certains endroits, ce qui causait une diversité de couleurs aux yeux des brebis et des chèvres, dans les branches mêmes et dans leur ombre qui paraissait dans l’eau : en sorte que les yeux des brebis en étant frappés, concevaient et produisaient des petits de différentes couleurs. Il n’employait pas toutefois cet artifice dans toutes les saisons. On croit communément qu’il n’exposait les branches qu’au printemps, parce qu’il était bien aise d’avoir beaucoup de petits de l’automne. Mais en automne, il laissait aller les choses suivant le cours naturel, n’étant pas fâché que Laban en eût quelqu’un de ceux qui naissaient au printemps, et qui étaient conçus en automne (Le texte hébreu présente quelques difficultés ; voir les commentateurs). L’artifice dont Jacob usa dans cette occasion, n’avait rien de surnaturel en lui-même. On sait que les animaux qui sont vivement frappés de quelques objets, conçoivent d’ordinaire et font leurs petits avec quelque tache de la couleur qui les a frappés. Il n’y a de miraculeux ici que la révélation que Dieu avait faite de ce moyen à Jacob pendant son sommeil. C’est le sentiment le plus commun parmi les Latins. Saint Jérôme, saint Augustin et saint Isidore de Séville l’ont suivi et l’ont appuyé de leurs raisons : mais saint Chrysostome, Théodoret et quelques autres ont cru que tout ceci était au-dessus des forces de la nature. [Voyez moutons]
Jacob acquit de si grands biens par les moyens dont nous venons de parler, que Laban et ses fils en conçurent de la jalousie, et qu’ils ne purent s’empêcher d’en marquer leur chagrin, comme si Jacob leur avait ravi ce qu’ils possédaient (Genèse 31). Ils ne le regardaient plus de même œil qu’auparavant, et ils disaient hautement qu’il s’était enrichi de leurs biens. Dans ce même temps, le Seigneur dit en songe à Jacob de s’en retourner dans son pays, et qu’il le protégerait. Jacob prit donc la résolution de s’en retourner dans la terre de Chanaan ; et ayant communiqué son dessein à ses femmes, il les trouva disposées à le suivre. Ainsi il prit ses femmes, ses enfants et son bétail, et sans en parler à Laban, il prit le chemin de la Palestine. Il était déjà parti depuis trois jours, lorsqu’on avertit Laban qu’il s’était retiré avec tout ce qui était à lui. Laban se mit à le poursuivre et l’atteignit enfin au bout de sept jours, sur les montagnes qui furent depuis nommées Galaad. Il se plaignit durement à Jacob de la conduite qu’il avait tenue à son égard en s’enfuyant ainsi, sans lui dire adieu. Il ajouta qu’il était en état de le faire repentir de son entreprise ; mais que le Dieu d’Abraham lui était apparu la nuit et lui avait défendu de lui rien dire d’offensant, qu’il lui pardonnait aisément l’envie qu’il avait eue de revoir son pays et ses parents. Mais, lui dit-il, pourquoi avez-vous dérobé mes dieux ? C’est que Rachel avait pris les téraphims de Laban à l’insu de Jacob.
Jacob répondit : Ce qui m’a fait partir sans vous en avertir, c’est que je craignais que vous ne retinssiez vos filles par force. Et à l’égard du vol, je consens que celui chez qui vous trouverez vos dieux soit mis à mort devant tous nos frères. Alors Rachel cacha les téraphims sous le bât d’un chameau, sur lequel elle s’assit ; et, quand Laban vint dans sa tente pour y fouiller, comme il avait fait dans toutes les autres, elle le pria de l’excuser si elle ne se levait pas, disant que ce qui est ordinaire aux femmes lui était arrivé. Ainsi elle rendit inutiles toutes les recherches de son père. Jacob à son tour se plaignit à Laban de toutes les mauvaises manières qu’il avait eues avec lui pendant son séjour dans la Mésopotamie, et de tout ce qu’il venait de faire en fouillant dans toutes ses tentes. Mais enfin tout cela se termina à se jurer réciproquement une alliance éternelle entre eux et leurs familles après eux. Ils dressèrent un monceau de pierres sur les monts de Galaad pour servir de monument de leur amitié. Jacob nomma ce monceau Gal-haed ; et Laban, Jegar-scheaddutha ; et, après avoir mangé ensemble sur le lieu même, qui depuis ce temps fut nommé Galaad, ils se séparèrent en parfaite intelligence. Laban prit la route de la Mésopotamie, et Jacob s’avançant vers le pays de Chanaan arriva sur le torrent de Jabok, à l’orient du Jourdain (Genèse 32), au lieu qui depuis ce temps fut appelé Mahanaïm, ou les deux camps, à cause de deux espèces de bataillons d’anges qui vinrent en cet endroit au-devant de Jacob. On dit que ces anges partagés ainsi en deux corps étaient les tutélaires de la Mésopotamie, qui accompagnèrent Jacob jusqu’au Jabok, et les protecteurs de la terre de Chanaan, qui le reçurent et lui firent escorte à son arrivée.
Pendant l’absence de Jacob, Ésaü son frère s’était établi dans les montagnes de Séïr, à l’orient tirant au midi du lieu où était alors Jacob. Celui-ci craignant que son frère ne conservât quelque ressentiment de l’injure qu’il croyait en avoir reçue, jugea à propos de le gagner par ses soumissions et par ses présents. Il lui envoya donner avis de son arrivée, et lui demander ses bonnes grâces. Aussitôt qu’Ésaü fut informé de sa venue, il partit avec quatre cents hommes pour le venir joindre. Jacob crut qu’il avait quelque mauvais dessein, et pour essayer de le fléchir, il lui envoya des chèvres, des brebis, des chameaux, des vaches, des ânesses avec leurs petits, et chargea ceux qui les conduisaient de présenter le tout de sa part à Ésaü, et de lui dire que c’étaient des présents qu’il lui envoyait pour trouver grâce à ses yeux, et qu’il venait lui-même après eux pour le saluer. Après avoir fait passer le torrent de Jabok à tout son monde, il demeura seul de l’autre côté ; et voilà un ange sous la forme d’un homme qui luttait avec lui jusqu’au matin. Cet ange, voyant qu’il ne pouvait surmonter Jacob, lui toucha le nerf de la cuisse qui se sécha aussitôt, et Jacob en demeura boiteux. L’ange lui dit : Laissez-moi aller, car l’aurore commence à paraître. Mais Jacob lui répondit : Je ne vous laisserai point aller que vous ne m’ayez donné votre bénédiction. L’ange lui demanda : Quel est votre nom ? Il répondit : Je m’appelle Jacob. Et l’ange lui dit : On ne vous appellera plus ci-après Jacob, mais Israël. Et Jacob lui ayant aussi demandé son nom, il dit : Pourquoi me demandez-vous mon nom ? Et il le bénit au même lieu. Jacob appela donc ce lieu Phanuel, en disant : J’ai vu Dieu face à face, sans que j’en aie perdu la vie. L’aventure qui était arrivée en cet endroit à Jacob, lorsque l’ange lui toucha le nerf de la cuisse, est cause que les Israélites ne mangent point le nerf de la cuisse des animaux.
Lorsque Jacob eut passé le Jabok, il partagea son monde en deux bandes : Lia et ses enfants allaient les premiers (Genèse 33) ; Rachel et son fils Joseph étaient les derniers. Chacune était accompagnée de ses servantes. Jacob ayant aperçu de loin Ésaü qui venait à lui, s’avança et se prosterna sept fois jusqu’en terre devant lui. Lia et Rachel en firent de même avec leurs enfants. Jacob et Ésaü s’embrassèrent tendrement, et Jacob supplia Ésaü d’agréer les présents qu’il lui avait fait présenter par ses serviteurs. Ésaü les reçut, quoique avec peine, et il s’offrit d’accompagner Jacob avec ses gens pour lui servir d’escorte ; mais Jacob le pria de n’en pas prendre la peine, disant qu’il était obligé d’aller tout doucement, à cause du monde et des animaux qu’il menait avec lui ; mais qu’il espérait de l’aller voir quelque jour à Séhir. Ésaü s’en retourna donc, et Jacob arriva à Socoth, au delà du Jourdain, où il bâtit une maison. Il y demeura quelque temps, puis il passa le Jourdain, et vint à Salem, ville des Sichemites, où il demeura, ayant acheté cette partie du champ où il avait dressé ses tentes, pour la somme de cent khésita (Voyez Kesita) ou cent agneaux, ou cent pièces de monnaie, aux enfants d’Hémor, père de Sichem.
Pendant le séjour que Jacob fit à Salem (An du monde 2265 ou 2266, Avant. Jésus-Christ 1734, Avant l’ère vulgaire 1738), sa famille fut troublée par le violement de sa fille Dina (Genèse 34), qui fut ravie par Sichem, fils d’Hémor, de la manière que nous avons rapportée dans l’article Dina, et que nous dirons encore sous Sichem. Les fils de Jacob tirèrent une vengeance éclatante de cet outrage, en égorgeant tous les Sichémites et en pillant leur ville. Jacob craignant le ressentiment des peuples du pays, fut obligé de se retirer à Béthel (Genèse 35), selon l’ordre qu’il en avait reçu de Dieu, qui lui dit d’y demeurer et d’y dresser un autel. Pour se disposer au sacrifice qu’il y devait offrir, il commanda à ses gens de se purifier, de changer d’habits et de jeter loin d’eux toutes les divinités étrangères qu’ils pouvaient avoir apportées de la Mésopotamie. Jacob prit toutes ces idoles qu’ils lui donnèrent, et il les enfouit au pied du térébinthe qui était derrière la ville de Sichem. Il sortit de Sichem sans que personne osât l’attaquer. Il arriva heureusement à Béthel, y fit ses sacrifices, et le Seigneur lui étant apparu renouvela les promesses qu’il lui avait faites de le protéger et de multiplier sa race à l’infini.
Après avoir satisfait à sa dévotion à Béthel, il prit le chemin d’Hébron pour aller voir Isaac, son père, qui demeurait près de là dans la vallée de Mambré. En chemin Rachel mourut (Genèse 35.16-17, An du monde 2266) en travail de Benjamin, et elle fut enterrée près de Bethléem. Jacob lui érigea un monument ; et s’avançant vers Hébron il dressa ses tentes à la Tour du Troupeau. Il eut la satisfaction de trouver Isaac en vie, et ce bon patriarche vécut encore vingt-deux ans avec Jacob (Genèse 35), n’étant mort qu’en l’an du monde 2288, âgé de cent quatre-vingts ans. Jacob et Ésaü lui rendirent les derniers devoirs.
Environ dix ans avant la mort d’Isaac (An du monde 2276, Avant. Jésus-Christ 1724, Avant l’ère vulgaire 1728), arriva la disgrâce de Joseph qui fut vendu par ses frères, ainsi que nous le raconterons dans son article. Jacob qui crut qu’il avait été dévoré par les bêtes farouches, en fut affligé d’une manière proportionnée à la tendresse qu’il avait pour lui. Il dit dans sa douleur : Je descendrai au tombeau en pleurant mon fils, et il continua de le pleurer sans qu’on pût le consoler. Il fut environ vingt-deux ans dans le deuil, jusqu’à ce que Joseph se découvrit à ses frères (Joseph fut vendu en 2276. La première année de famine arriva en 2296. Jacob envoya ses fils en Égypte en 2297. Joseph se déclara à ses frères et fit venir Jacob en Égypte l’an 2298) que Jacob avait envoyés en Égypte pendant la famine, pour y acheter de la nourriture (Genèse 43-45). Jacob, ayant su que son fils qu’il pleurait depuis si longtemps, vivait encore, se réveilla comme d’un profond sommeil, et dit : Je suis content, puisque mon fils Joseph est en vie ; j’irai, et je le verrai avant que je meure. Il partit donc de la vallée de Mambré avec toute sa famille (Genèse 46), et vint à Bersabée où il y avait un autel consacré au Seigneur ; il y offrit ses sacrifices, et Dieu lui apparut la nuit, et lui dit qu’il pouvait descendre en Égypte, et que Joseph lui fermerait les yeux. Il arriva en Égypte arec soixante-dix personnes de sa race.
Lorsqu’il y fut arrivé, il envoya devant lui Juda pour avertir Joseph de son arrivée, et pour lui dire de le venir recevoir dans la terre de Gessen, ainsi qu’il en était convenu. Joseph y accourut, ils s’embrassèrent avec larmes, et Joseph le présenta à Pharaon (Genèse 47). Jacob ayant souhaité à ce prince toute sorte de bonheur, Pharaon lui demanda : Quel âge avez-vous ? Il répondit : Le temps de mon pèlerinage est de cent trente ans, temps court et mauvais, et peu de chose comparé à l’âge de mes pères. Joseph donna donc à son père et à ses frères la terre de Gessen, qui est un des meilleurs pays de l’Égypte, et il leur fournit abondamment pendant la famine tout ce qui leur fut nécessaire pour leur subsistance.
Jacob vécut en Égypte dix-sept ans, depuis 2298 jusqu’en 2315. Alors étant tombé malade (Genèse 48, An du monde 2315, Avant. Jésus-Christ 1985, Avant l’ère vulgaire 1689), Joseph le vint voir avec ses deux fils Éphraïm et Manassé. Lorsque Jacob sut qu’il était là, il le combla de bénédictions, lui dit qu’il adoptait Éphraïm et Manassé, et qu’ils seraient regardés comme Ruben et Siméon ; qu’ils partageraient avec eux la terre de Chanaan que Dieu lui avait promise à Béthel, et ayant fait approcher de son lit les deux fils de Joseph, il les embrassa et les bénit. Puis Joseph les ayant tirés d’entre les bras de son père, il les plaça à ses côtés, Éphraïm à la gauche de Jacob, et Manassé à sa droite. Mais Jacob, dirigé par l’esprit de prophétie, porta sa main droite sur la tête d’Éphraïm, et sa gauche sur celle de Manassé, croisant ainsi les mains, et il commença à les bénir. Mais Joseph croyant qu’il se trompait voulut lui faire changer la disposition de ses mains, et lui faire mettre la droite sur Manassé et la gauche sur Éphraïm. Jacob ne voulut point changer, et dit à Joseph : Je sais ce que je fais, mon fils. L’aîné sera père de plusieurs peuples, mais le cadet sera plus grand que lui. Ainsi il mit Éphraïm devant Manassé, et la tribu du premier fut en effet toujours plus puissante que celle du second, et Ephraim fut après Juda la plus grande tribu d’Israël. Jacob dit ensuite à Joseph que Dieu visiterait les Hébreux qui étaient en Égypte, et qu’il les ramènerait dans le pays de Chanaan promis à leurs pères. Il ajouta : Je vous laisse en partage, par-dessus vos autres frères, le champ que j’ai gagné sur les Amorrhéens par mon épée et par mon arc.
Quelque temps après (Genèse 49, An du monde 2315, Avant. Jésus-Christ 1685, Avant l’ère vulgaire 1689), Jacob appela tous ses enfants pour leur donner sa dernière bénédiction, et leur prédire ce qui devait leur arriver dans les derniers temps. Il leur parla à tous, les uns après les autres, et donna des louanges aux uns, fit des reproches aux autres, et marqua fort distinctement le caractère de chacune des tribus, et le pays qui devait leur échoir par le sort ; il donna surtout de grandes louanges à Juda et à Joseph, et promit à la tribu de Juda, que le sceptre ne sortirait point de sa race, qu’on ne vit venir le Messie, qui est l’attente des nations. Après cela, il recommanda à ses fils qu’ils l’enterrassent dans la caverne qui était dans le champ d’Ephron, vis-à-vis Mambré, où Abraham et Sara, Isaac et Rébecca étaient enterrés ; puis il se recoucha sur son lit, et mourut. Joseph le fit embaumer à la manière des Égyptiens (Genèse 50), et il fut pleuré par toute l’Égypte pendant soixante-dix jours. Après quoi, Joseph et ses frères, accompagnés des premiers de l’Égypte, le portèrent, avec la permission du roi d’Égypte, dans le tombeau de ses pères, près d’Hébron, où Liah, sa femme, était déjà enterrée. Quand ils furent arrivés dans la terre de Chanaan, ils firent encore un grand deuil pendant sept jours ; ce qui fit donner au lieu où ils s’arrêtèrent, le nom de Deuil de l’Égypte.
L’auteur de l’Ecclésiastique (Ecclésiaste 44.25-26) a fait en peu de mots l’éloge de Jacob, en disant que « le Seigneur a fait reposer sur la tête de Jacob les bénédictions et l’alliance qu’il avait faites avec Abraham et Isaac, qu’il l’a comblé de ses grâces, qu’il lui a donné la terre promise en héritage ; il l’a rendu père d’une famille nombreuse, des douze patriarches chefs des douze tribus enfin il a fait sortir de lui (Joseph) cet homme de miséricorde qui a trouvé grâce en présence de toute chair. »
Jacob a non-seulement prédit la venue du Sauveur par ses prophéties, il l’a encore représenté dans toute sa conduite, dans ses travaux, dans sa fuite, dans son mariage, premièrement avec Liah, figure de la Synagogue, puis avec Rachel sa bien-aimée, figure de l’Église.
Les mahométans soutiennent que Jacob père des douze patriarches d’où sont sorties les douze tribus, fut prophète, et que de sa race sont sortis tous les prophètes, à l’exception de Job, Jétro beau-père de Moïse, et Mahomet. Ils croient de plus que la royauté demeura dans sa famille jusqu’au temps de Jean-Baptiste et de Jésus-Christ ; que comme les douze tribus des Juifs sont sorties de Jacob, ainsi les tribus des Arabes sont sorties d’Ismaël fils aîné d’Abraham [Les historiens païens ont connu l’histoire de Jacob, aussi bien que celle d’Abraham et d’autres personnages célèbres de l’Ancien Testament ; nous nommerons Démétrios, cité par Polyhistor, comme le rapporte Eusèbe. Plusieurs savants modernes prouvent que l’histoire de Jacob chez Laban a fourni à Homère le fond de la fable de Laomédon. Voyez Laban].
C’est le puits qui est près de la ville de Sichem, sur lequel Jésus-Christ parla à la Samaritaine (Jean 4.16). C’était près de là que Jacob avait sa demeure, avant que ses fils eussent mis à mort les habitants de Sichem. Les anciens voyageurs parlent d’une église dédiée à saint Jean-Baptiste, bâtie en forme de croix sur la fontaine, ou le puits de Jacob. Ce puits était dans l’église et devant les balustres de l’autel. On y voyait encore, dit-on, le seau dont la Samaritaine s’était servie, et les malades y venaient pour y boire et pour y recouvrer la santé.
On prétend que le gué de Jacob est au-dessus de l’embouchure du Jourdain dans la mer de Tibériade et au-dessous de Césarée de Philippe, à l’endroit où il y a aujourd’hui un pont. Mais il n’y a nulle apparence que Jacob ait passé le Jourdain en cet endroit. Il est bien plus vraisemblable qu’il le passa à Bethsan, ou aux environs ; puisqu’il est certain qu’à son retour de la Mésopotamie, il passa le Jabok à Mahanaïm, et que de là il alla à Phanuel et à Socoth, qui sont près de Bethsan et bien éloignés de ce prétendu gué de Jacob. Or il parait qu’il avait passé le Jourdain en allant à Haran, au même lieu où il le passa au retour, puisqu’il dit (Genèse 32.10) : J’ai passé ce fleuve du Jourdain n’ayant que mon bâton, et à présent je le passe avec deux grosses troupes. Voyez Asor et Béthulie, mes additions].
Fils de Mathan, et père de saint Joseph (Matthieu 1.15). On ne sait rien de particulier de sa vie.