Moïse (Lévitique 13) reconnaît trois sortes de lèpres : la lèpre des hommes, la lèpre des maisons et la lèpre des habits. La lèpre des hommes est une maladie qui affecte la peau et qui s’augmente quelquefois de telle sorte, qu’elle y cause des croûtes, des gales et de violentes démangeaisons, et qu’elle corrompt toute la masse du sang. D’autres fois c’est une simple difformité, comme l’enseigne Hippocrate et comme le disent les Pères en parlant des lépreux que Jésus-Christ a guéris dans l’Évangile. Les Juifs regardaient la lèpre comme une maladie envoyée de Dieu ; et Moïse ne prescrit aucun remède naturel pour la guérir ; il veut simplement que le malade se présente au prêtre, que le prêtre juge de la qualité de sa lèpre, et que s’il trouve que ce soit une véritable lèpre, et capable de se communiquer aux autres, il sépare le lépreux de la compagnie des hommes. Il ordonne certains sacrifices et certaines cérémonies pour la purification du lépreux, et pour le faire rentrer dans la société civile, dans la participation des choses saintes et dans le commerce des autres hommes.
Les différentes marques que Moïse donne pour distinguer la lèpre sont des signes des divers progrès de cette maladie. Une tumeur au dehors, une pustule, une tache blanche, luisante et vermeille, donnaient un juste soupçon qu’un homme était attaqué de la lèpre. Lorsqu’on voit une tache blanchâtre, rougeâtre et luisante dans la chair, le poil de cet endroit pâle-roux, l’endroit plus enfoncé que le reste de la peau, c’est une marque certaine de la lèpre. Ceux qui ont traité de cette maladie ont fait les mêmes remarques ; mais ils ont distingué une lèpre naissante d’une lèpre formée et d’une lèpre invétérée. La lèpre naissante se peut guérir, mais la lèpre invétérée est incurable. Les voyageurs qui ont vu des lépreux en Orient disent que cette maladie attaque principalement les pieds. Prosper Alpin dit qu’elle est encore fort commune dans l’Égypte. Maundrel, qui a vu des lépreux dans la Palestine, dit qu’ils ont les pieds enflés comme ceux des éléphants ou des chevaux rongés de farcin [Voyez Elephantiasis]. M. de Tournefort, qui en a vu plusieurs dans ses voyages, croit que la lèpre n’est autre chose que le mal vénérien invétéré, et que la plupart en guériraient si on les soulageait de bonne heure.
Voici les marques ordinaires auxquelles les médecins veulent qu’on remarque la lèpre invétérée. Elle rend la voix enrouée comme celle d’un chien qui a longtemps aboyé, et cette voix sort du nez plutôt que de la bouche. Le pouls du malade est petit et pesant, lent et engagé. Son sang est plein de petits corps blancs et luisants, semblables à des grains de millet ; il n’a qu’une sérosité scabieuse et dépouillée de son humidité naturelle, de sorte que le sel qu’on y met ne se peut dissoudre ; il est si sec, que le vinaigre qu’on y mêle bouillonne ; il est si fortement lié par des filets imperceptibles, que le plomb calciné qu’on y jette surnage facilement. L’urine du lépreux est crue, ténue, cendrée, trouble ; son sédiment, comme de la farine mêlée de son. Son visage ressemble à un charbon demi-éteint luisant, onctueux, enflé, semé de boutons fort durs, dont la base est environnée de petites glandes. Ses yeux sont rouges et enflammés, et éclairent comme ceux d’un chat ; ils s’avancent en dehors, mais ils ne peuvent se mouvoir à droite et à gauche. Ses oreilles sont enflées et rouges, mangées d’ulcères vers la base, et environnées de petites glandes. Son nez s’enfonce, à cause que le cartilage se pourrit ; ses narines sont ouvertes, et les conduits serrés, avec quelques ulcères au fond. Sa langue est sèche, noire, enflée, ulcérée, raccourcie, coupée de sillons et semée de petits grains blancs. Sa peau est inégale, rude et insensible ; soit qu’on la perce ou qu’on la coupe, au lieu de sang elle ne rend qu’une liqueur sanieuse.
On a fort raisonné sur la nature et les causes de la lèpre. La plupart croient qu’elle a sa cause au dedans, dans le sang, dans les humeurs ; et qu’elle ne paraît au dehors qu’après avoir gâté l’intérieur. D’autres croient qu’elle a sa cause au dehors. Je crois qu’il faut distinguer deux sortes de lèpres : l’une qui vient d’une corruption intérieure, et l’autre qui se gagne par le commerce extérieur avec un lépreux. La corruption du sang peut être, à divers regards, la cause et l’effet de la lèpre. Elle en est la cause, lorsque le sang corrompu intérieurement, soit par une mauvaise nourriture ou par quelque autre cause, produit au dehors les effets que l’on remarque dans la lèpre. La corruption du sang est l’effet de la lèpre, lorsque l’on a gagné cette maladie par l’attouchement d’une personne qui en est affectée, ou de quelque chose qui lui a appartenu ; car la lèpre se communique avec une très-grande facilité, d’où vient que Moïse a pris tant de précautions pour empêcher que les lépreux ne pussent avoir communication avec les personnes-saines. Cela s’étendait jusqu’aux corps morts infectés de lèpre, que l’on n’enterrait pas avec les autres (2 Chroniques 26.23).
Nous avons tâché de montrer, dans une Dissertation faite exprès, et imprimée à la tête de notre Commentaire sur le Lévitique, que la lèpre et les autres maladies qui y ont du rapport sont causées par une infinité de petits vers imperceptibles qui se glissent entre cuir et chair, et qui rongent l’épiderme et la cuticule, et ensuite l’extrémité des nerfs et des chairs, et qui y produisent enfin tous les effets qui se remarquent dans le commencement, dans le progrès et dans la fin de la lèpre. Nous croyons aussi que le mal vénérien est une espèce de lèpre qui n’a été que trop connue aux anciens, quoiqu’ils ne lui aient pas donné le même nom, ni attribué la même origine que nous donnons au mal de Naples. On peut voir ce que nous avons remarqué sur la maladie de Job.
La lèpre des maisons, dont il est parlé au Lévitique (Lévitique 14.34) et suivants, devait être connue des Israélites, qui avaient vécu en Égypte ; et elle devait être fort commune dans la terre de Chanaan, où ils allaient entrer, puisque Moïse leur dit : Lorsque vous serez entrés dans la terre de Chanaan, s’il se trouve une maison infectée de lèpre, celui qui la maison appartient en donnera avis au prêtre, qui s’y transportera. S’il voit dans la muraille comme de petits creux, et des endroits défigurés par des taches pâles ou rougeâtres, et plus enfoncées que le reste de la muraille, il sortira de la maison et la fera fermer pendant sept jours. Au bout de ce temps, s’il se trouve que la lèpre se soit augmentée, il fera arracher les pierres infectées de lèpre, qu’on jettera hors de la ville, dans un lieu impur. On raclera aussi tout le crépi d’alentour, et on le jettera de même hors de la ville, dans un lieu impur. On remettra des pierres neuves en la place de celles qu’on aura arrachées, et on crépira de nouveau la muraille. Si la lèpre n’y revient pas, la maison sera censée pure ; mais si elle y revient, c’est une lèpre invétérée. La maison sera déclarée impure, et démolie sur-le-champ : tout le bois, la pierre, le mortier et la poussière, seront jetés hors de la ville, dans un lieu impur.
Les rabbins et quelques autres ont cru que cette lèpre des maisons n’était pas naturelle ; mais que c’était une punition de Dieu contre les Israélites prévaricateurs. Mais nous croyons que cette espèce de lèpre est causée par des vers qui rongent les pierres. Ces vers sont noirs, de la longueur d’environ deux lignes, larges de trois quarts de ligne, enfermés dans une coque grisâtre, ayant une tête fort grosse, dix yeux fort noirs et fort ronds, quatre espèces de mâchoires disposées en croix, qu’ils remuent continuellement et qu’ils ouvrent et ferment comme un compas à quatre branches. Le mortier est aussi mangé par une infinité de petits vers qui sont noirâtres, gros comme des mites de fromage, et ont quatre pieds assez longs de chaque côté, comme les mites.
La lèpre des habits est aussi marquée dans Moïse (Lévitique 12.49) comme une chose commune de son temps. Voici comme il en parle : Si l’on remarque sur une étoffe de laine, sur une toile ou sur une peau, quelques taches verdâtres ou rouges, on portera ces habits au prêtre, qui les enfermera pendant sept jours ; et si, au bout de ce temps, il remarque que ces taches s’augmentent et s’accroissent, il brûlera ces vêtements comme infectés d’une véritable lèpre. Si le prêtre voit que ces taches ne sont point augmentées, il fera laver ces habits ; et, au cas qu’après cela il n’y remarque rien d’extraordinaire, il les déclarera purs. Si les taches verdâtres ou rouges y sont demeurées, il fera brûler ces vêtements comme impurs ; si elles se sont répandues et augmentées, il fera aussi brûler l’habit. Enfin, si l’endroit soupçonné de lèpre paraît de la couleur d’un habit brûlé, et plus profond que le reste, on arrachera cet endroit de l’habit, et on conservera le reste.
Pour expliquer la nature et les causes de cette lèpre des habits, nous suivrons la même hypothèse que nous avons proposée sur la lèpre des hommes et des maisons ; nous croyons, et l’expérience le confirme, que les laines mal dégraissées, les étoffes gardées trop longtemps, certaines tapisseries d’Auvergne, sont sujettes aux vers et aux teignes qui rongent ces étoffes, ces peaux et ces laines. Il est très-croyable que la lèpre des habits et des peaux dont parle Moïse, était causée par cette sorte de vermine. Dans les pays chauds et dans un temps où les arts et les manufactures n’étaient pas encore portés au point de perfection où nous les voyons, les étoffes et les ouvrages de laine étaient apparemment plus exposés à la vermine qu’ils ne le sont dans nos climats, qui sont plus froids, et dans ce temps où l’industrie et l’expérience ont ajouté tant de perfection aux arts.