Les Hébreux ont vingt-deux lettres, dont voici les noms, et la valeur.
1. Aleph. A
2. Beth. B
3. Gimel. Gh
4. Daleth. Dh
5. Hé. H.
6. Vau. V
7. Sain. S
8. Cheth. Ch.
9. Theth. T.
10. Jod. I.
11. Caph.
12. Lamed. L.
13. Mem. M.
14. Nun. N.
15. Samech. S.
16. Hain. Ha.
17. Pé. Ph ou P.
18. Tzadé. Tz
19. Koph. K.
20. Resch. R.
21. Schin, ou Sin. Sch., ou Sç.
22. Thau. T.
On ignore qui est le premier inventeur des lettres et de l’écriture. On convient que c’est un art admirable et tout divin
De peindre la parole et de parler aux yeux,
Et par les traits divers de figures tracées,
Donner de la couleur et du corps aux pensées.
Quelques-uns ont cru qu’elles avaient toujours été en usage, et que Dieu, en inspirant à l’homme la raison et l’usage de la parole, lui avait aussi donné le secret d’exprimer ses pensées par l’écriture. On sait ce que dit Josèphe de certaines colonnes érigées avant le déluge par les fils de Seth, sur lesquelles ils avaient écrit leurs inventions et leurs observations astronomiques. On a attribué des livres à Adam et à Énoch. On supposait donc qu’ils avaient l’usage de l’écriture. L’ouvrage que les Sabiens attribuent à Adam subsiste encore aujourd’hui. On dit que le caractère en est tout à fait extraordinaire. Pour celui d’Énoch, on n’en a que des fragments qui sont d’une traduction grecque, ou plutôt qui sont tirés de l’original même : car on ne croit pas qu’il ait jamais été écrit en une autre langue ; et que c’est l’ouvrage de quelque imposteur.
D’autres soutiennent que l’usage des lettres est bien plus récent. Quelques-uns on font l’honneur à Abraham ; d’autres à Moïse, d’autres aux Phéniciens, d’autres à Saturne, d’autres aux Égyptiens. D’autres ont raisonné plus juste, et partagent l’honneur de cette invention à plusieurs personnes, et reconnaissent qu’elle a commencé plus tôt chez les peuples d’Orient, et plus tard chez ceux d’Occident ; que les uns ont inventé, et les autres seulement perfectionné cette invention ; que dans les commencements, l’usage des lettres était rare et imparfait ; que leur figure était irrégulière et longue à former, que dans la suite on les a perfectionnées, et qu’on en a rendu l’usage plus aisé et plus commun.
Crinitus dit que Moïse inventa les lettres hébraïques ; Abraham les syriaques et les chaldaïques ; les Phéniciens les leurs propres qu’ils communiquèrent aux Grecs, et que les Grecs portèrent en Italie ; Nicostrate celles des Latins ; Isis les égyptiennes ; Ulfila celles des Goths.
Mais il y a apparence que cet auteur a avancé tout cela au hasard ; car il est indubitable que les lettres hébraïques et phéniciennes étaient anciennement les mêmes, ou qu’elles différaient très-peu entre elles. Les lettres grecques et latines ne sont pas une invention nouvelle ; les grecques sont prises des phéniciennes, et les latines des grecques. L’écriture dont se servait Ulfila est prise du grec ou du latin.
Quant à l’écriture égyptienne, on assure que, dans les commencements, ce n’était que des hiéroglyphes ou des figures d’animaux et d’autres choses gravées sur la pierre ou peintes sur le bois, par le moyen desquelles les Égyptiens conservaient la mémoire des grands événements. Cette manière d’écrire est peut-être la plus ancienne qui soit dans le monde. Nous en voyons encore plusieurs monuments sur les obélisques et sur les marbres qui viennent d’Égypte. Marsham croit que cette manière d’écrire fut inventée par le second roi de Memphis, qui n’est autre que Thauth, que les Grecs ont nommé le premier Mercure ; un autre Thauth, ou le second Mercure mit en caractères ordinaires, ce que le premier avait écrit en lettres hiéroglyphiques. Tout cela dans la plus haute antiquité, s’il est vrai que Ménès, le premier roi de Memphis, n’était autre que Cham, fils de Noé.
Lucain avance que les Phéniciens inventèrent les lettres ordinaires en un temps où les Égyptiens ne connaissaient pas encore l’usage du papier, et qu’ils ne savaient pas l’art d’écrire en caractères hiéroglyphiques.
Ce fut donc apparemment à l’imitation des Phéniciens, que les Égyptiens commencèrent à employer les lettres pour écrire. On ne peut pas assurer que les Égyptiens les aient empruntées des Phéniciens ou des chananéens leurs voisins ; mais on sait certainement deux choses ; la première, que les anciens caractères de ces deux peuples avaient beaucoup de ressemblance ; et la seconde, que Moïse, instruit de toute la sagesse des Égyptiens, et élevé dès sa jeunesse dans leur pays, écrivit ses livres et ses lois en caractères phéniciens. Les anciennes lettres égyptiennes sont aujourd’hui entièrement inconnues, quoiqu’il en reste un bon nombre de monuments. Ces peuples perdirent l’usage de leur écriture sous la domination des Grecs, et le caractère copine ou égyptien moderne est formé sur le grec.
Quant aux Phéniciens, ils répandirent l’usage de leurs lettres dans toutes leurs colonies. Cadmus les porta en Grèce ; et les Grecs les perfectionnèrent et y en ajoutèrent quelques-unes. Ils les communiquèrent aux Latins, et depuis les conquêtes d’Alexandre, ils les firent recevoir même dans l’Égypte et dans toute la Syrie : de manière que l’écriture phénicienne si ancienne et mère de tant d’autres, serait aujourd’hui entièrement tombée dans l’oubli, sans les Samaritains qui nous ont conservé le Pentateuque de Moïse, écrit en caractères anciens chananéens ou hébreux, par le moyen desquels on a déchiffré les médailles et le peu qui reste de monuments phéniciens.
Ce que je viens de dire des anciens caractères du Pentateuque samaritain, n’est pas avoué de tout le monde. Quelques savants, comme Postel, Buxtorf fils et quelques docteurs thalmudiques, soutiennent que le carac ère hébreu carré, dont les Juifs se servent aujourd’hui, est celui même dont Moïse s’est servi. D’autres en plus grand nombre, comme Origène, Eusèbe de Césarée, saint Jérôme, Bède, Génébrard, Bellarmin, plusieurs rabbins et les plus habiles de nos critiques, prétendent que les Juifs quittèrent leurs anciens caractères au retour de la captivité de Babylone, et lui substituèrent les lettres chaldéennes, qui sont celles dont ils se servent aujourd’hui, pendant que les Samaritains, conservèrent leur Pentateuque écrit en caractères anciens hébreux ou phéniciens. Enfin quelques autres savants, comme le rabbin Azarias, Abdias de Barténora, Postel, Buxtorf, Coringhius, le Père Sgharnbail, distinguent chez les anciens Hébreux deux sortes de caractères : le commun et le sacré. Le commun est celui des Samaritains, et le sacré celui des Juifs ; mais cette distinction de deux sortes de lettres est chimérique, et on n’en peut donner aucune preuve.
On dit ordinairement que les Hébreux n’ont point de voyelles, et que c’est pour y suppléer qu’ils ont inventé les points-voyelles, dont ils se servent quelquefois dans leurs livres ; Mais il est certain, qu’ils ont des voyelles, de même que les autres peuples, quoiqu’ils ne les marquent pas toujours dans leur écriture, et que le son, la valeur et la quantité de ces voyelles ne soient pas toujours les mêmes, comme il arrive aussi dans les autres langues. L’aleph, le vau, le jod, l’hain, sont des voyelles ; le hé n’est qu’une aspiration. Les points-voyelles sont nouveaux et de l’invention des massorèthes. Ils ne furent inventés que depuis le milieu du neuvième siècle, ou vers le commencement du dixième. On en attribue le principal honneur aux rabbins Aser et Nephtali, qui vivaient en ce temps-là. Les points-voyelles sont au nombre de dix, et ils expriment les cinq voyelles selon toutes leurs différentes valeurs et leurs différents changements. On peut voir les Exercitations du Père Morin et les Prolégomènes de Valton, et grand nombre d’autres ouvrages qui ont été écrits sur cette matière.
Les Hébreux ont certains ouvrages acrostiches qui commencent par les lettres rangées selon l’ordre qu’elles tiennent dans l’alphahet. On pourrait’aussi appeler ces ouvrages alphabétiques comme s’ils avaient été composés pour apprendre aux enfants leur alphabet et l’ordre que les lettres tiennent entre elles. Le plus grand de ces ouvrages est le psaume 118, qui contient vingt-deux huitains de vers acrostiches ; en sorte que les huit premiers commencent par aleph, les huit suivants par beth ; et ainsi des autres. D’autres psaumes, comme les vingt-quatre et trente-trois, n’ont que vingt-deux vers commencés par les vingt-deux lettres de l’alphabet. D’autres, comme les cent dix et cent onze, n’ont que la moitié du vers commencée par une lettre, et l’autre moitié par une autre. Ainsi dans Beatus vir qui timet Dominion ; in mandatis ejus volet ninas, le premier demi-vers commence par aleph, et le second par beth. Les Lamentations de Jérémie sont aussi en vers acrostiches, de même que le chapitre 31 des Proverbes, à commencer depuis le 5.8 jusqu’à la fin.
Les Juifs se servent de leurs caractères, non-seulement pour écrire, mais aussi pour l’ombrer, de même que les Grecs qui donnent aux lettres de leur alphabet une valeur numérique dans les supputations d’arithmétique. Mais je ne crois pas que les anciens Hébreux en aient usé ainsi, ni que parmi eux les lettres aient été numériques. Je n’en vois aucune preuve dans l’Écriture ; les auteurs sacrés écrivent toujours les nombres tout entiers et sans abréviation de sais que quelques savants ont voulu rectifier des dates, ou suppléer des années, dans la supposition que les lettres servaient de chiffres dans le texte de l’Écriture ; mais il aurait fallu prouver auparavant que les anciens Hébreux étaient dans le même usage que les Juifs d’à présent.
Saint Jean, dans l’Apocalypse (Apocalypse 13.17-18), parle du caractère de la Bête et du chiffre de son nom, qui fait la somme de six cent soixante-six. Plusieurs ont cru que le chiffre devait se chercher dans la langue hébraïque, et on a essayé de l’expliquer dais cette supposition. Mais il est bien plus croyable que saint Jean, écrivant en grec, voulait marquer la valeur numérique des lettres grecques du nom de celui qu’il désigne sous le nom de Bête ; ou que voulant désigner un empereur romain, persécuteur de l’Église, il a prétendu qu’on cherchât le nombre de 666 dans les lettres numériques qui entrent dans la composition de son nom et de ses qualités. [Voyez Apocalypse]
Les docteurs cabalistes ont beaucoup raffiné sur les lettres de l’alphabet hébreu. Les autres rabbins, quoique plus sérieux que les cabalistes, ont aussi trouvé du mystère dans certaines lettres du texte hébreu, dont les unes sont renversées, les autres suspendues, les autres fermées ; tout cela est mystérieux, selon ces docteurs, et mérite une attention particulière ; mais, soit que cela se soit fait par hasard ou à dessein, on peut assurer que les lettres en elles-mêmes, et prises séparément du mot qu’elles composent, n’ont aucun sens et ne renferment aucun mystère ;, si l’on veut subtiliser sur leur arrangement et sur leur forme, et y trouver des moralités édifiantes, ou même, si l’on veut, du mystère, à la bonne heure, pourvu qu’on ne prétende pas employer ces réflexions ou ces idées en preuves. Elles ne peuvent servir au plus que pour l’édification des sienpies, ou pour nourrir des esprits déj à persuadés des vérités qu’on trouvera dans ces combinaisons de lettres. Notre Sauveur dit dans l’Évangile (Matthieu 5.18), qu’un iota et un point de la loi ne demeurerait pas sans exécution. Mais c’est une manière de parler proverbiale qui signifie que tout ce qui est écrit, sans exception, sera accompli. On doit dire la même chose de ces paroles de saint Jérôme : Quoe minima putantur in lege Domini, plena sunt sacramentis. Quant aux rêveries des cabalistes, je ne m’amuserai pas, ni à les rapporter ici ; ni à les réfuter, elles n’en valent pas la peine. On peut voir M. Basnage, Histoire des Juifs, tome 6 1.9 c. 8, et chapitre 20, 21 et 23.
Quelques anciens ont parlé du livre du Ciel, legi in tabulis coeli, et des lettres qui y étaient comme gravées ; par le moyen desquelles ceux qui l’entendaient découvraient l’avenir et pénétraient des mystères ineffables. Pic de la Mirandole, qui avait fort étudié les cabalistes, disait que comme les astrologues voyaient dans le ciel certaines images, dont ils tirent leurs conséquences, ainsi les maîtres des Juifs ont leur alphabet au ciel, et soutiennent qu’ils y trouvent lei éléments et les caractères de leur langue. Agrippa avance la même chose, et Gaffarel ajoute à leur témoignage l’autorité d’un grand nombre de rabbins célèbres, Maimonides, Nachman, Abenezra, Abravanel.
Postel est plus positif, puisqu’il dit qu’il en a fait l’expérience. Je passerai peut-être pour un men, teur, dit-il, si je dis que j’ai lu au ciel en caractères hébreux, dont Esdras a donné la clef, tout ce qui est dans la nature : cependant Dieu et son Fils me sont témoins que je ne ments pas : j’ajouterai seulement que je ne l’ai lu qu’implicitement. Or je ne doute point qu’un homme prévenu, et dont l’imagination est fortement frappée, ne lise dans le ciel et dans les étoiles tout ce qu’il voudra, et en quels caractères il voudra. Pour soutenir un sentiment si bizarre, ces docteurs abusent de ces paroles de l’Écriture (Psaumes 18.1-5) : Les cieux annoncent la gloire de Dieu, et le firmament les ouvrages de ses mains… Leur son s’est fait entendre par toute la terre, etc. Mais il est inutile de s’arrêter sur cela plus longtemps.
Manière de parler qui se rencontre dans les Épîtres de saint Paul (Romains 2.27-29 ; 7.6 2 Corinthiens 3.6-7), et qui est fort commune dans le langage ecclésiastique. Dieu nous a rendus les ministres du Nouveau Testament, non par la lettre, mais par l’esprit ; car la lettre tue, et l’esprit vivifie. C’est-à-dire la loi de Moïse observée à la lettre, n’est pas capable de donner la vie de l’âme et de justifier devant Dieu ceux qui demeurent servilement attachés aux observances littérales de la loi. Il faut pour obtenir la justice, joindre à cela l’esprit, la charité, la foi, l’espérance ; ou suppléer à ces observances littérales, des actions spirituelles plus relevées, plus parfaites plus excellentes ; par exemple, aux sacrifices sanglants, le sacrifice d’un cœur contrit et humilié, la mortification de ses passions, la mort au vice et aux péchés, etc.