Il n’y a guère de point de critique sur lequel on ait tant écrit que sur la poésie des Hébreux. Les plus habiles commentateurs et les plus savants critiques se sont exercés sur cela, et l’on ne peut pas dire que la matière soit épuisée ni la difficulté résolue. Les doutes et les dilficultés subsistent et subsisteront apparemment toujours, puisqu’on ne sait plus et qu’on ne saura jamais la véritable prononciation de la langue hébraïque ; et par conséquent on ne peut sentir ni l’harmonie des paroles, ni la quantité des syllabes, qui font néanmoins toute la beauté des vers. On n’a pas non plus en hébreu, comme en grec et en latin, des règles pour deviner la quantité des syllabes, le nombre des pieds, les règles de la cadence et de la construction des vers ; et toutefois il est certain que les Hébreux observaient ces choses au moins en partie, puisqu’on voit dans leurs poésies des lettres ajoutées ou retranchées à la fin des mots, qui marquent quelque sujétion à la rime ou au nombre, et à la mesure des syllabes. On ignore encore plus le chant et la danse qui accompagnaient d’ordinaire les poésies hébraïques ; car on sait qu’elles se chantaient, et qu’elles n’étaient faites que pour cela ; et l’Écriture parlé souvent de chœurs et de danses dans tes cérémonies de religion. Ainsi nous ne connaissons et ne connaîtrons jamais que très-imparfaitement les vers et la poésie des Hébreux.
De la manière dont Josèphe, Origène, Eusèbe et saint Jérôme ont parlé de la poésie des Hébreux, il paraîtrait que de leur temps on en connaissait encore toute la beauté et toutes les règles Josèphe dit en plusieurs endroits que les cantiques composés par Moïse sont en vers héroïques ; et que David composa diverses sortes de vers et de cantiques, d’odes et d’hymnes en l’honneur de Dieu, dont les uns étaient en vers trimètres, ou de trois pieds, et les autres pentamètres, ou de cinq pieds.
Origèné et Eusèbe ont suivi le même sentiment, soit par pure déférence pour l’opinion de Josèphe, soit qu’ils en fussent convaincus par eux-mêmes ; car Origène savait l’hébreu, et Eusèbe était un des plus savants hommes de son siècle.
Saint Jérôme a encore enchéri sur cela, en disant que le Psautier était composé de vers alcaïques, ïambiques et saphiques, à la manière de ceux de Pindare et d’Horace ; et que les cantiques du Deutéronome et d’Isaïe, le livre de Job et ceux de Salomon, sont en vers hexamètres et pentamètres. Il dit ailleurs que le cantique du.Deutéronome est en vers ïambiques de quatre pieds, de même que le psaume 118, et le 114, au lieu que les psaumes 110 et 111 sont en vers ïambiques, mais de trois pieds seulement.
Il remarque dans les Lamentations de Jérémie une espèce de vers saphiques et de vers de trois mesures. Il parle en divers endroits, du livre des Psaumes, comme d’un ouvrage composé de vers lyriques, tels que sont ceux de Pindà re, d’Alcée, d’Horace, de Catulle, de Sérénus. Dans la préface sur le livre de Job il dit que depuis ces paroles : ce sont des vers hexamètres, composés de dactyles et de spondées, où l’on fait entrer de temps en temps d’autres pieds de même mesure, quoiqu’ils n’aient pas le même nombre de syllabes, à cause de la diversité de la langue. Quelquefois, dit-il, sans avoir égard à la quantité des syllabes, le poëte y fait sentir une certaine cadence ou harmonie, qui touche ceux qui sont instruits des règles de la poésie.
Philon dit que les Esséniens ont d’anciennes poésies, dont les vers sont de plusieurs formes et de plusieurs mesures. Les uns sont de trois membres ; les autres sont des hymnes qui se chantent pendant les sacrifices : quelques-uns se récitent dans le repas et les autres sont accompagnés de danses. On assure que François Vatable avait découvert la vraie méthode des vers de Job et du Psautier ; mais jusqu’ici personne n’a eu connaissance du secret de Valable. Théodore Herbert a cru trouver dans la Bible des vers semblables aux vers grecs et latins ; et il en a en effet remarqué quelques-uns. Meibomius s’est vanté que depuis plus de deux cents ans nul autre que lui n’a connu la poésie des Hébreux ; mais il s’en réserve la connaissance, et ne juge pas à propos de la communiquer au public. On sait seulement que par le moyen de sa poésie et des corrections qu’il fait dans l’Écriture il en dérange tout le texte. François Gotnam dans son traité intitulé : Davidis Lyre, a prétendu donner des règles de la poésie hébraïque, toute pareille à celle des Grecs et des Latins : mais il s’est attiré une réfutation de Louis Cappel, à laquelle on n’a pas répondu.
M. le Clerc a fait une fort belle dissertation pour montrer que la poésie des Hébreux était en rimes, à-peu-près comme celle des Français ; et son sentiment a trouvé un assez bon nombre de partisans. D’autres soutiennent que dans les vers hébreux anciens il n’y a aucune mesure ni aucun pied. Scaliger soutient même que leur langue, non plus que celle des Syriens, des Arabes et des Abyssins, n’est pas susceptible de la contrainte des Pieds et des mesures. Augustin d’Eugubio dit que les Hébreux n’ont ni vers héroïques, ni vers ïambiques, ni d’aucune autre mesure, mais seulement quelque chose qui en apprache, comme sont les chants des barbares. Ce sentiment est soutenu par Louis Cappel, Martin Martinius, Samuel Bohlius, Vasmurh, Auguste Pfeiffer, et quelques autres. Grotius se déclare aussi pour cela ; et c’est le parti qui nous paraît le plus soutenable. On peut voir notre dissertation sur la poésie des Hébreux, imprimée à la tête de notre commentaire sur l’Exode, et les auteurs que nous avons cités.
Quant à la poésie des Hébreux modernes, on peut consulter les grammairiens, et en particulier le Thesaurus de Buxtorf, qui en donne les règles et les différentes espèces. Voyez aussi le R. P. Morin, Exercitat. Biblic.
M. Hippolyte Rosellini a publié, il y a une vingtaine d’années, un ouvrage remarquable intitulé : Des poésies des anciens Orientaux ; et principalement des Hébreux. Il entreprend d’y faire connaître les causes qui portent la plupart des littérateurs à considérer la poésie hébraïque comme défectueuse et irrégulière. Il attribue la différence des poésies hébraïque, grecque et latine à la diversité des climats, de l’éducation, des mœurs, de l’état social, et à mille autres circonstances, qui ont de l’influence sur les hommes, et conséquemment sur leur langage. Il fait voir ensuite que la poésie des Hébreux n’est pas du tout monstrueuse, et qu’elle est très-expressive ; il en apporte de beaux exemples tirés du cantique de Salomon. Il cherche à montrer enfin que les anciens Hébreux ont fait usage des plus belles figures dont les plus grands poêles grecs et latins se soient servis. Par exemple, on lit dans le 18e psaume du roi prophète : Que le Seigneur descende porté sur le dos d’un chérubin, et que la terre tremble à son approche. Horace a imité cette idée en parlant de Jupiter. Virgile l’a aussi imitée.
Dans le même psaume de David, Dieu descend en courroux, entouré d’un nuage épais plein de grêle et de feu.
Les anciens Hébreux tiraient souvent leurs images de l’agriculture et des instruments rustiques. En cela ils ont été encore imités par les Grecs. Homère l’a imitée dans son Iliade, livre 20 v 459, où il décrit la fureur d’Achille, et l’auteur fait voir que la comparaison d’Isaïe offre plus de force et d’expression. Enfin il re marque qu’Homère et Virgile ont pris d’Ézéchiel la comparaison de la colère de Dieu avec un chaudron d’eau bouillante (Virgile, 7.Enéide, v. 460, parlant de Turnus, et Homère, Iliade, 21 parlant du Xanthus.
Quelque temps après, M. Philippe Sarchi publia : Essai sur la poésie Hébraïque, ouvrage pour lequel il a consulté surtout ceux de Lowth et de Herder. Il s occupe principalement des figures employées dans la poésie, et les classe selon leur analogie, car leur nombre est considérable ; les livres poétiques de la Bible lui ont fourni des exemples de tous ces modes d’expression ou d’arrangement que la rhétorique a recueillis et minutieusement dénommés. Ensuite l’auteur présente l’histoire abrégée de la littérature hébraïque depuis la renaissance des lettres en Europe, et un aperçu sur les innovations que l’influence des lettres grecques et latines fit introduire dans les nouvelles compositions poétiques eu hébreu, considérées dans la versification, le mètre, la rime et quelques ornements. L’ouvrage de M. Sarelti parut en 1824, à Londres.
En 1825, M. J.L. Saalschuetz faisait paraître à Koenigsberg son ouvrage intitulé : Sur la forme de la poésie hébraique ; avec un traité sur la musique des Hébreux. Les essais faits pour déterminer la structure du mètre de la poésie hébraïque n’ont pas paru à l’auteur avoir produit des résultats satisfaisants ; aussi s’est-il livré à de nouvelles recherches sur cette matière. Après avoir examiné les quatre opinions dominantes et relatives à la question : Si les Hébreux ont suivi un système métrique dans leurs vers, question fréquemment agitée depuis l’époque des Pères de l’Église, il passe à la critique des ouvrages qui peuvent servir à confirmer ou à infirmer l’existence d’un système métrique dans les vers hébraïques. Enfin il lui semble qu’il est prouvé que les Hébreux se sont servis de trois pieds dans la structure de leurs vers : du trachée, du spondée et du dactyle.
L’année dernière (1845) on a publié à Paris une traduction française de l’ouvrage du célèbre Herder sur Histoire de la poésie des Hébreux.