La Polygamie était tolérée parmi les Hébreux, et autorisée par l’exemple des patriarches. Oit ne la voit établie par aucune loi, et l’Écriture, qui nous donne le nom du premier bigame et de ses deux femmes (Genèse 4.19), semble insinuer que son action ne fut pas approuvée des gens de bien, et qu’il en craignait les suites, parce qu’il dit à ses femmes : Or Lamech dit à ses deux femmes Ada et Sella : Femmes de Lamech, écoutez ma voix ; entendez ce que je vais dire. J’ai tué un homme par ma blessure, et un jeune homme par ma meurtrissure (ou ai-je tué un homme par ma blessure, etc.) ; on vengera la mort de Caïn jusqu’à sept fois, et celle de Lamech jusqu’à septante fois sept fois. Comme s’il voulait rassurer ses femmes effrayées du désordre de sa polygamie. Ce n’est point un crime qui mérite la mort ; je n’ai point tué un homme. Quiconque osera mettre la main sur moi en sera sévèrement puni. Comparez mon action à celle de Caïn ; et jugez si le meurtrier de Caïn mérite punition, ce que ne méritera pas le meurtrier de Lamech.
Les rabbins soutiennent que la polygamie était en usage dès le commencement du monde, et qu’avant le déluge chaque homme avait deux femmes. Tertullien croit au contraire que Lamech fut le premier qui pervertit l’ordre établi de Dieu, en prenant deux femmes : que la polygamie a commencé par un homme maudit : Numerus matrimonii a maledicto viro coepit. ll dit que le mauvais exemple de cet homme eut des suites, qui durèrent jusqu’à la fin de la nation juive : et qu’avant le déluge personne n’imita Lamech. Saint Jérôme dit que Lamech, qui était un homicide et un sanguinaire est le premier qui partagea une seule chair à deux femmes ; que le déluge expia tout ensemble son parricide et sa polygamie (Il suppose que Lamech avait tué Caïn). Le pape Nicolas I accuse Lamech d’adultère à cause de sa polygamie ; et le pape Innocent III soutient qu’il n’a jamais été permis d’avoir plusieurs femmes à la fois, sans une permission et une révélation particulière de Dieu.
C’est par cette raison qu’on justifie la polygamie des patriarches. On croit que Dieu la leur permit, ou du moins qu’il la toléra pour des vues supérieures. Les lois de Moïse supposent manifestement cet usage et ne le condamnent point. Les rabbins permettent au roi jusqu’à dix-huit femmes, à l’exemple de Roboam, roi de Juda, qui en avait autant. Ils permettent aux Israélites d’en épouser autant qu’ils en peuvent nourrir. Toutefois les exemples de polygamie parmi les particuliers n’étaient pas communs. Les plus sages en voyaient trop les inconvénients. Mais au lieu de femmes on prenait des concubines, ce qui n’était pas sujet aux mêmes désordres ; on met cette différence entre une femme et une concubine, selon les rabbins, qu’une femme était épousée par contrat, et qu’on lui donnait sa dot ; au lieu que les autres se prenaient sans contrat, et qu’elles demeuraient dans la soumission et la dépendance de la mère de famille, comme Agar envers Sara, et que les enfants des concubines n’héritaient pas dans les biens-fonds.
Le Sauveur du monde a rétabli le mariage dans son premier et légitime état, en révoquant la permission qui tolérait la polygamie elle divorce. Il ne permet aux chrétiens qu’une seule femme, selon cette parole du Créateur : Dieu créa, au commencement, l’homme mâle et femelle ; l’homme s’attachera à sa femme, et ils ne seront ensemble qu’une seule chair.
La polygamie n’est plus permise à présent aux Juifs ni en Orient, ni en Occident. Les empereurs Théodose, Arcade et Honoré la leur défendirent par leurs rescrits. Les mahométans, qui ne se refusent pas cette liberté, ne l’accordent pas aux Juifs dans leur empire. Les Samaritains, fort attachés aux lois de Moïse, n’épousent qu’une seule femme, et font un crime aux Juifs de leur polygamie secrète en Orient. On a imprimé à Londres un livre intitulé : Polygamia triumphatrix, dont l’auteur, nommé Lysérus, natif de Saxe, s’est déguisé sous le nom de Theophile Aletneus. Cet ouvrage a été réfuté par plusieurs savants (1).
La polygamie se divise en simultanée et successive : la première est lorsqu’un lionitue a tout à la fois plus d’une femme. Elle est condamnée par les lois canoniques et civiles.
La polygamie successive est lorsqu’on a de suite plusieurs femmes, qu’il épouse après la mort de la première ; elle est soufferte dans l’Église, quoiqu’avec assez de répugnance, les conciles et les Pères ayant souvent témoigné qu’ils ne louaient pas les secondes noces, et les canons ne reçoivent pas dans les ordres sacrés ceux qui sont dans ces cas, à moins qu’ils n’obtiennent dispense.
(1) Un musulman peut épouser jusqu’à quatre femmes ; on peut en acheter autant qu’on en peut nourrir ; et Mahomet permet de vivre avec les femmes qu’on achète comme avec celles qu’on épouse. On m’a dit qu’on pouvait aussi louer des femmes pour un temps, et ce genre d’union se contracte devant la loi. La liberté de divorcer quand on veut a fait renoncer à ce dernier moven ; la corruption légale n’a pas besoin de tous les avantages qu’on lui fait. Que dirait-on en France d’un homme qui aurait plusieurs femmes, et qui entretiendrait en même temps plusieurs maîtressés ou plusieurs esclaves dans sa maison ? Nous avons aux galères des gens qui n’ont pas fait la moitié de ce que permet le Coran. Cette pluralité des femmes donne naissance à beaucoup d’abus que je ne signalerai point, à beaucoup de vices que je n’oserais nommer, et qui se multiplient tellement qu’ils ne scandalisent plus que les étrangers (Michaud, Correspond d’Orient, lettre 55, tome 3.