Hommes qui ont vécu avant Adam. Ceux qui croient que le monde est éternel et qu’il a déjà été plusieurs fois renouvelé prétendent qu’il y a eu autrefois des hommes avant Adam ; et on trouve ce sentiment dans quelques anciens. Par exemple, saint Clément d’Alexandrie dans ses livres des Hypotyposes, croyait la matière éternelle, la métempsycose, et qu’il y avait eu plusieurs mondes avant Adam. Julien l’Apostat était dans l’opinion qu’il y avait eu plusieurs hommes créés au commencement ; et c’est aussi le sentiment de plusieurs mahométans. L’auteur du livre Gazai parle de quelques anciens monuments où il était fait mention de Janbuzar, de Zagrit et de Roane, qui avaient vécu avant Adam. On y dit que Janbuzar était le maître d’Adam. Le rabbin Abrar assure que Jafar Jouait des Turcs, qui vivait vers l’an 170, était préadamite, puisqu’il disait qu’il y avait eu trois Adam avant celui dont parle Moïse, et qu’il y en aurait encore sept, parce que le monde devait souffrir autant de révolutions.
Les Juifs, au moins quelques-uns d’entre eux, sont soupçonnés de soutenir le sentiment des préadamites. Il y en a qui prétendent que Moïse même a enseigné qu’il y avait eu deux mondes, en commençant la Genèse par la lettre Beth (Genèse 1.1), qui est la seconde de l’alphabet, et signifie deux. Un rabbin ancien et fameux soutient que Dieu a créé sept choses avant l’univers : savoir, la loi, l’enfer, le paradis, le trône de sa gloire, le sanctuaire, le nom du Messie, et la pénitence ; tout cela fondé sur quelques passages de l’Écriture qui donnent l’éternité à ces choses. Maimonides soupçonnait ce rabbin de donner dans le sentiment de Platon, qui tenait l’éternité du monde. La Peirère a prétendu que son système des préadamites avait été enseigné par les rabbins, et il en cite plusieurs en sa faveur. Mais il faut convenir que la plupart des Juifs lui sont contraires et tiennent la création comme un article de foi.
Le sentiment qui croit qu’il y a eu des hommes avant Adam est commun parmi les Orientaux. Giafar Sadik, un des douze imans, étant interrogé s’il n’y avait point eu d’autre Adam avant le nôtre, répondit qu’il y en avait eu trois avant lui, et qu’il y en aurait encore dix-sept après lui. Et lorsqu’on lui eut demandé si Dieu créerait encore d’autres hommes après la fin du monde, il répondit : Voulez-vous que le royaume de Dieu demeure vide et sa puissance oisive ? Dieu est Créateur dans toute son éternité. C’est le sentiment presque général parmi les musulmans que les pyramides d’Égypte ont été élevées avant Adam par Gian-Bien Gian, monarque universel du monde dans les siècles qui ont précédé la création de ce premier homme. Ils assurent qu’il y a eu quarante solimans, ou monarques universels de la terre, qui ont régné successivement pendant le cours d’un grand nombre de siècles avant la création d’Adam. Tous ces monarques, prétendus commandaient chacun à des créatures de son espèce, qui étaient différentes de celles de la postérité d’Adam, quoiqu’elles fussent raisonnables comme les hommes ; les unes avaient plusieurs têtes, les autres plusieurs bras, et quelques-unes étaient composées de plusieurs corps. Leurs têtes étaient encore plus extraordinaires ; les unes ressemblaient à celle de l’éléphant, d’autres à celles des buffles, ou des sangliers, ou à quelque chose d’encore plus monstrueux. Telles sont les rêveries des mythologistes orientaux.
La Peirère, au siècle dernier, renouvela le sentiment des préadamites. Il dit que Dieu avait créé des hommes en grand nombre dans toutes les parties du monde, longtemps avant la création d’Adam. Selon lui, les premiers hommes sont ceux d’où sont sortis les gentils ; et Adam fut père de la race choisie, de la nation juive. Moïse n’eut jamais intention de nous tracer l’histoire de tous les hommes, mais seulement du peuple hébreu et de ceux qui lui ont donné naissance, ne parlant des autres qu’autant qu’ils ont rapport aux affaires des Hébreux. Il dit de plus que le déluge de Noé ne fut pas universel, et qu’il ne s’étendit que sur les pays où la race d’Adam se trouvait ; qu’Adam, ayant désobéi aux ordres de Dieu, introduisit le péché dans le monde, et en infecta toute sa postérité ; mais que les gentils descendus des préadamites, n’ayant reçu ni la loi, ni aucun commandement de Dieu, ne tombèrent point dans la prévarication, quoique leur vie ne fût point exempte de crimes : mais ces crimes ne leur étaient point imputés. C’étaient, pour ainsi dire, des péchés matériels, dont Dieu ne se tenait point offensé, à cause de l’ignorance de ceux qui les commettaient.
Nous ne nous étendons point ici à réfuter ce système erroné et monstrueux. On peut voir ce que nous en avons dit sur la Genèse (Genèse 2.7), et les auteurs qui ont écrit exprès pour réfuter cet auteur. Il abjura son erreur, et se retira chez les pères de l’Oratoire à Notre-Dame des Vertus, près de Paris, où il mourut. Son Traité des préadamites fut d’abord imprimé en Hollande en 1652, et ensuite on l’a réimprimé plus d’une fois.